Padre

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    Il vira sur calle Granada, et ensuite sur la droite. Il aperçut au bout la croix de fer fichée comme une épée de matador sur le toit de la chapelle. Le soleil au-dessus était déjà haut. Le bronze bourdonnait. Il se signa en pliant un genou sous les ogives, leva les yeux vers le Christ rédempteur fourré dans sa niche en compagnie de ses angelots et se dirigea vers le chœur. Il tenait son chapeau rond dans une main et allait à petits pas zigzaguant. Des paroissiens, agenouillés, recevaient l’hostie. Il prit place tout à gauche de la rangée. Il respirait l’odeur des petits vieux en habits de marié et des femmes parfumées d’eau de Cologne qui suintaient par en-dessous les mauvaises nuits, le graillon et les loyers en retard. Certains s’arrêtaient dans l’entrée pour flirter avec les orteils du Jésus de la Passion en adressant une courte prière à son visage d’émail jaune entouré de candélabres électriques et baigné de larmes peintes. Santino n’en ressentait pas le besoin. Il se sentait comme le Christ au Lieu du Crâne – surtout durant la Semaine Sainte et au temps de la feria.

    Le chapelain était trapu, avec un visage rond et irrégulier comme une assiette de bazar, à l’exception du nez, noble et busqué, qui semblait avoir été ajouté au dernier moment dans le souci de soutenir ces lunettes teintées, trop petites et trop rondes pour sa grosse tête chauve et carrée. Il se promenait en cognant partout avec sa canne comme s’il avait voulu réveiller les communiants de leur sieste et faire jaillir des cloportes d’entre les dalles de marbre malpropres. Quand vint le tour de Santino d’ouvrir la bouche, on aurait dit qu’il le reniflait pour en respirer l’haleine. Mais une grosse main farineuse se posa finalement sur son crâne, glissa l’hostie sur sa langue et la voix grommela très vite la bénédiction. « Toc !... Toc ! toc !... » Déjà, le prêtre s’en allait en tapant tout de l’autre côté avec sa canne de bois. Mais le Gitan le rattrapa par un pan de son habit.

  • C’est moi, Padre !... C’est moi !... Il n’y a personne d’autre !...

    Les paroissiens avaient quitté le chœur et les travées de la chapelle se vidaient.

  • Hé, je le sais, que c’est toi ! Tu as bu ?
  • Du café de messe, Padre... Du café saint !
  • Pourquoi es-tu revenu, hein ?... Pourquoi ? Dis...
  • Je ne sais pas, Padre ! Je ne sais pas... chuchota l’autre d’une voix chantante. Enfin, si ! Pour te parler... Je devais te dire... Je dois te dire quelque chose de très important.
  • Tu ne sais plus quel jour nous sommes ?
  • Si... Si, Padre, bien sûr que si !
  • Alors repasse me voir un autre jour...
  • Mais c’est aujourd’hui ! C’est maintenant qu’il faut que je te voie, Padre ! Pas demain, pas dans trois heures... Maintenant ! Pour une affaire grave...
  • Non. Aujourd’hui, ça n’ira pas... Ca n’est pas... non... reviens plus tard... Je ne confesse plus. Va-t’en!
  • Dis, Padre ?
  • Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?
  • Dis-moi si j’ai de la chance ! Dis-moi que j’en aurai, tu sais,...

    Santino avait attrapé les mains du chapelain, qui regardait au-dessus de sa tête.

  • Que fais-tu, imbécile !... pesta le vieux chauve en se dégageant pour lancer un coup dans le vide avec sa canne de bois sculpté.
  • Je ne suis pas revenu pour me prendre une raclée, Padre, dit le Gitan en souriant gaiement. Une autre fois. Aujourd’hui, c’est un jour spécial. Garde tes coups pour après... Il faut parler...
  • Qu’est-ce que tu attends de moi, hein ? Mais lâche mon habit, on nous regarde !
  • Attends ! Laisse-moi d’abord t’expliquer...
  • Bon, suis-moi ! Pas ici. Suis-moi d’abord par là-bas ! s’énerva l’autre en tirant sur son aube.

    Santino suivit le Sévillan qui fonçait d’un pas de géant inexorable vers la sacristie. Une vieille bique au fond d’une niche les épiait avec une curiosité avide. Mais le curé poussa la porte et les deux hommes s’assirent à l’abri. Quand ils en ressortirent, il n’y avait plus personne.

  • Allez, va !... Tu prendras le prochain train demain pour Madrid et tu repartiras d’où tu es venu. J’arrangerai tout ! Mais toi, surtout, ne te mêle pas de ça, tu ferais tout aller de travers, ça n’est pas ton histoire. Tu m’as bien compris ?
  • Merci, Padre !... Merci ! dit Santino en s’essuyant le visage avec l’habit du curé. Dis, tu viendras me voir... cet après-midi ?
  • Ca ne serait pas bien.
  • Mais c’est possible ?
  • Non.
  • Alors à ce soir ! dit Santino en se mettant à siffler, l’air joyeux.

    Le curé ne répondit rien, mais il regarda devant lui jusqu’à ce que les pieds cessent de glisser sur les dalles de pierre, que le sifflotement se taise et que la porte de chêne basse et sombre termine de geindre et d’éclipser la rue et le soleil de midi.

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