Chapitre 1 - Hurlements - Partie 2

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 Après avoir vérifié le matériel et compilé les données dans son PIM, Eran sentit de nouveau poindre une vague de mal-être. Il utilisa aussitôt les techniques acquises lors de ses séances de préparation dans le centre de l’ensemencement de Nassine, la capitale de Daucus. Cependant, bien qu’elles fussent efficaces à plusieurs reprises, il sentait qu’elles touchaient à leurs limites. À quoi bon, je suis seul, pensa Eran. Telle une pulsion émanant du plus profond de son être, il hurla. Puis surgit un rire nerveux. Puis, il hurla de nouveau. Il sentait des larmes rouler sur ses joues. La digue avait cédé. Il s’effondra. En pleurs, il atteignit difficilement sa couchette. Enfin, il se recroquevilla, parcouru de soubresauts. Cette crise eut raison de ses forces. Aussitôt, sa combinaison afficha des flèches jaunes afin d’indiquer un changement d’état de santé.

 Ces vêtements de haute technologie étaient souples et légers. Ils agissaient comme des régulateurs médicaux pour leurs porteurs. Capables de prouesses médicales, les combinaisons vérifiaient en permanence l’équilibre biochimique de leur hôte. Dans le cas d’Eran, elle remarqua le désordre qui provoquait les tremblements. En corrélation avec la position allongée d’Eran, les systèmes médicaux intégrés diffusèrent une légère dose de calmants. En conséquence, la sédation endormit le jeune homme épuisé.

 À son réveil, la journée était déjà bien avancée. Il se dépêcha de s’occuper à diverses tâches pour ne pas retomber dans le même état d’esprit. Il faut que je me change les idées, je vais revérifier l’ensemble des cellules d’énergies, s’ordonna-t-il. Il s’attela à la tâche avec un zèle que son décurion aurait apprécié. Il chassa aussitôt son image de son esprit.

 « Quatre et non six ! » dit-il soudain tout haut.

 Comment avait-il pu commettre une erreur si évidente ? La référence qu’il utilisait depuis son arrivée et son installation dans cette partie du canyon était fausse. Il avait surestimé ses capacités et rentré la mauvaise valeur lors de son installation dans son refuge. Il prit de nouveau son contacteur et l’appuya rapidement sur chaque conteneur énergétique. Cela ne faisait plus aucun doute. Elles contenaient chacune seulement quatre cellules. Ce constat changeait beaucoup de choses. Il fallait revoir sa consommation à la baisse. Ainsi, une sortie pour rejoindre le transporteur devenait probablement nécessaire plus tôt que prévu. Des conteneurs énergétiques devaient encore y être disponibles. D’un autre côté, ces derniers jours, le fait de rester dans son refuge à flanc de falaise lui pesait de plus en plus. Mais la situation météorologique n’était pas en sa faveur. Les puissants vents contrecarraient quotidiennement ses plans.

 Saruan-c avait tous les atouts nécessaires à l’implantation de l’humanité à sa surface. Cependant, son atmosphère montrait, çà et là, des perturbations perpétuelles et difficilement prévisibles. Il en résultait sur une grande partie de la planète des masses d’air s’entrechoquant avec violence et resserrant les isobares en quelques heures. Finalement, le vent faisait partie intégrante de la vie saruannaise. Les accalmies étaient grandement appréciées par les colons, qui en profitaient, notamment, pour réaliser les diverses opérations de maintenance. Un problème s’ajoutait pour Eran. Le canyon provoquait une accélération du vent et le chargeait en particules. Sous-équipé pour les affronter, Eran devait prendre son mal en patience. Pourtant, l’état de ses réserves d’énergie ne permettait pas d’attendre trop longtemps. La prochaine accalmie serait la bonne. En attendant une hypothétique sortie, Eran continua son inventaire minutieux. Ses appareils étaient dans un bon état général, ce qui le rassura sur le moment. En effet, ses efforts n’étaient pas vains, il prenait un soin particulier à protéger son équipement de la poussière charriée par le vent qui s’infiltrait par l’ouverture principale de son refuge. Malgré toute son attention, elle parvenait à passer par la bâche qui couvrait l’unique issue.

 Il s’équipa de son rasoir de fortune pour s’atteler à la tâche importante du jour : se raser. Lentement, il fit glisser la lame du couteau. La sensation était désagréable au possible. Il parvenait péniblement en serrant les dents à couper sa courte barbe par petites touffes successives. Régulièrement, il frottait énergiquement sa mâchoire de plus en plus meurtrie. Il répéta l’opération à plusieurs reprises. Du temps, il en disposait. Personne ne viendrait le déranger. De son côté, la combinaison ne réagissait pas. La douleur n’était pas assez forte pour la faire entrer en action. Il termina sa séance de coupe. Puis ramassa et stocka les déchets pour les proposer à un recycleur de solides ultérieurement. Bien qu’encore sensible, il ne sentait plus la démangeaison que sa barbe avait provoquée à son réveil. Il pointa son PIM en direction de son visage pour observer le résultat. Il était sans appel : affreux. Le noir de sa pilosité n’aidait en rien.

 « On repassera pour l’esthétique. Au moins, je ne me suis pas coupé », dit-il tout haut en parlant à son image.

 Les rayons de Saruan s’estompaient peu à peu, replongeant le canyon dans un crépuscule nouveau. Les jeux de couleurs étaient féériques. Un bleu profond, où commençaient à scintiller quelques étoiles, se détachait sur la surface orangée du canyon. Pourtant, c’était le moment de la journée qu’il redoutait le plus. En effet, la faune locale s’activait toujours au crépuscule saruannais. Il se prépara rapidement une galette énergétique et se désaltéra. Il sentait une certaine frayeur monter en lui. Une crainte ancienne, profonde, ancrée depuis son plus jeune âge. À partir de son pupitre d’information mobile, il régla de nouveau les détecteurs. Ils l’avertiraient en cas d’approche d’un animal quelconque.

 Les colons du camp embryonnaire Alpha, tête de pont entre le Markind Epsilon Eridani et Saruan-c, avaient déjà établi un beau recensement de la faune et de la flore de leur nouvel environnement. La nature s’était montrée généreuse sur cette planète. Les formes et les couleurs variaient entre les différentes espèces. La végétation était luxuriante avec des configurations inédites. Saruan-c offrait un magnifique terrain de jeu aux biologistes de tout rang. D’ailleurs, Eran, en tant que botaniste de sa décurie, était aux anges dans les premiers temps de la colonisation. La faune présentait aussi une grande variété. Cependant, certaines espèces se montraient particulièrement agressives. Dans ces conditions, les cubes d’armements avaient été déployés dès les premiers instants. La mort de plusieurs colons avait marqué profondément la toute jeune colonie dans sa chair. En conséquence, des parois infranchissables pour ces bêtes féroces avaient été dressées tout autour du camp. Il fallait en effet protéger ce lieu. Il marquait le premier pas de l’humanité sur Saruan-c.

 À proximité du camp embryonnaire Alpha, se dressaient les deux premières graines qui avaient délivré les humains sur Saruan-c. Elles seraient les ultimes refuges des colons en cas de grave crise. De fait, elles indiquaient que l’ensemencement était ainsi à sa deuxième phase. Ces imposantes structures ovoïdes contenaient les réserves nécessaires pour une installation pérenne des Hommes sur cette nouvelle planète. Malgré les premiers temps endeuillés, l’ensemencement s’était déroulé paisiblement. La première centurie, menée par le centurion Dévitry Pishard, premier humain à avoir posé le pied sur Saruan-c, à sa sortie de la première graine, avait rapidement installé les frêles habitats du camp embryonnaire avec une efficacité remarquable. Une fois le site aménagé et sécurisé, au bout de quelques mois, la deuxième graine s’était posée sans encombre. Eran en était sorti tout émerveillé par son nouvel environnement.

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