Sous les projecteurs

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Nos échanges épistolaires continuent tout au long de la semaine, avec Edmond, nous ne sommes pas de la génération smartphone. Un rendez-vous est fixé pour nous retrouver en fin d’après-midi au Petit Buenos Aires pour une session libre.

Lorsque j’arrive, il m’attend déjà à l’entrée de l’impasse, avec un bouquet de perce-neige. Il porte un fedora et un petit foulard rouge noué autour du coup, je crois qu’il a voulu m’impressionner, il est vraiment bel homme. Arrivée à son niveau, je ne sais toujours pas comment réagir, je m’agace à être aussi empôtée. C’est un véritable boulet à traîner partout avec soi. Heureusement, Edmond est plus entreprenant, il me dépose un baiser sur la bouche en posant sa main sur mon épaule. Je tente de répondre à ses lèvres mais mon geste est tellement timide qu’il n’est probablement même pas perceptible. Le bouquet est magnifique, très délicat, tenu par un assemblage de petites brindilles de bois, sophistiqué et simple à la fois.

L’instructeur de la session n’est pas le même que la dernière fois, c’est une femme aujourd’hui. La quarantaine, elle porte un costume trois pièces cintré noir, un chemisier blanc assorti d’une cravate de la même couleur, une élégance folle se dégage de sa gestuelle. Ses longs cheveux noirs sont tirés en arrière, attachés en queue de cheval. Elle se présente à l’ensemble des participants avec un délicieux accent hispanisant, elle s’appelle Alicia et arrive tout juste de Barcelone où elle avait sa propre école de danse. Les présentations faites, tous les couples se mettent en position. La musique commence avec Madreselva de Libertad Lamarque. Une éternité que je n’ai pas entendu cette chanson mais la voix de l’actrice-chanteuse est toujours aussi envoutante. En même temps que je le suis, j’observe les gestes d’Edmond. Sa posture, ses mouvements de jambes, tout est techniquement proche de la perfection. Malheureusement, je ne sens quasiment pas de connexion dans ses mains, ses impulsions sont indéchiffrables, je me retrouve à ne rien pouvoir anticiper, à subir la chorégraphie du début à la fin. Peut-être que cela vient de moi, peut-être ne suis-je pas à son niveau, je ne perçois pas ses impulsions, alors je me concentre, sur ses mains, ses mouvements de bassin. Les chansons s’enchaînent, Piazzolla, Gardel, Troilo, Varela.

Je me sens toujours ballotée aux quatre vents, je n’ai aucune grâce dans mes gestes, j’ai l’impression de courir après lui, toujours deux temps en retard. De nombreux regards se sont tournés vers nous pendant la session, Edmond semblait très à l’aise avec ça, moi beaucoup moins. J’ai bien vu que ses yeux scrutaient les autres danseurs pour voir si nous étions observés. Au début je me suis dit que ce devait être une forme de timidité, puis j’ai vu le demi-sourire qui est né sur son visage à l’idée d’avoir capté l’attention du public. Je me sens un peu trahie, nous n’avons pas dansé à deux, il a donné une démonstration de ses capacités techniques en m’oubliant sur le bord de la piste. J’ai dû paraître bien bête, gauche en comparaison. Peut-être que ce n’était qu’un problème d’habitude, que nous trouverons les réglages pour harmoniser nos pas avec la pratique. Quoi qu’il en soit je reste heureuse d’avoir recommencé à danser, je crois que je pourrais faire ça tous les jours.

En sortant, Edmond ne se défait pas de son large sourire, nous nous installons à la terrasse des Mondes Bohèmes pour un apéritif.

- Ça m’a fait un bien fou de danser, encore merci de m’avoir accompagné Iris.

- J’ai beaucoup aimé aussi, l’animatrice était fabuleuse mais il nous reste un peu de pratique pour améliorer notre coordination.

- Ah tu trouves ? J’étais plutôt content de notre prestation, pas mal de danseurs nous regardaient, je crois qu’on en a soufflé plus d’un.

- Je crois qu’ils te regardaient toi surtout, ta technique est excellente, c’est très impressionnant.

- Tu me flattes mais si tu veux, je pourrais te donner des leçons particulières. J’ai un grand salon avec du parquet au sol chez moi. Ce soir par exemple, que dirais-tu de venir à la maison ?

- J’aimerais beaucoup reprendre quelques cours mais pas ce soir. Je suis assez fatiguée et je dois nourrir le chat de ma petite voisine du dessous qui est partie quelques jours chez ses parents en province. Un autre jour dans la semaine peut-être.

- Bien-sûr, bien-sûr, je t’appellerai pour qu’on s’organise, d'ailleurs il faut que tu me donnes ton numéro de téléphone.

Je ne peux m’empêcher de penser qu’il a l’air un peu déçu à l’idée de ce petit contretemps mais la conversation continue sur un ton complice. La nuit commence déjà à tomber, le temps passe à une vitesse folle lorsqu’on est en belle compagnie. Au moment de sortir, Edmond tente une dernière fois de me convaincre de l’accompagner chez lui mais je dois poliment refuser en lui promettant de me libérer la prochaine fois. Cette fois je réponds entièrement à son baiser, je me surprends même à lui tenir les mains, les yeux fermés et les lèvres collées aux siennes.

Je m’engouffre dans la station Buzenval, un sourire accroché aux lèvres. J’ai la sensation qu’une bourrasque d’allégresse est en train de chatouiller tous mes organes. Tu as bien fait de te lancer Iris, tu danses à nouveau et ton partenaire est à croquer.

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