Voguer sur le Rio Negro

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Edmond m’attend aux pieds de la péniche, illuminée par des guirlandes d’ampoules colorées comme aux temps des bals musette. Il est très élégant avec son long manteau noir en laine et son chapeau. En m’approchant je peux voir qu’il semble un peu nerveux, il ne sait pas quoi faire de ses mains, change de posture toutes les trois secondes. Peut-être que lui non plus n’a plus l’habitude de ce genre d’exercice. Au diable les conventions, je prends une grande inspiration, l’air froid m’électrise les narines, je m’avance vers lui avec un grand sourire.

L’ambiance à bord de la péniche est telle qu’il me l’avait décrite, chaleureuse, très décontractée. Nos conversations sont empruntées au début mais la nourriture et le vin blanc aidant, nous sommes très rapidement plus à l’aise. Je lui raconte mon après-midi au petit Buenos Aires, la rencontre avec les deux jeunes. Il pose sur moi des yeux attendris en m’expliquant que lui non plus n’a plus de partenaire de danse depuis de longs mois. On fait aussitôt des plans sur la comète pour se retrouver régulièrement et danser ensemble. Edmond me reparle de son projet de voyage en Argentine, me décrit l’atmosphère si particulière de ce pays, à la croisée de l’Amérique latine et de l’Europe, les cafés tango, les après-midis à boire du maté sur les plages en regardant l’océan. La seule fois que j’ai quitté la région parisienne c’était pour une formation professionnelle à Béziers, ses mots me mettent des étoiles dans les yeux à peu de frais. Il place quelques expressions en espagnol pour me montrer à quel point il connaît bien la culture du pays, je ne comprends pas un strict mot mais le fixe, admirative, en posant mon visage dans ma main gauche. C’est un véritable moulin à paroles, j’en apprends plus sur l’Argentine en l’écoutant quelques minutes que si j’avais regardé un documentaire de deux heures. Maintenant qu’il est lancé sa gestuelle est plus assurée, il se permet même d’effleurer ma main à plusieurs reprises. Ce simple contact de peau me fait paniquer quelques secondes, je bafouille des réponses incompréhensibles, il s’en amuse et je dois me résoudre à rire avec lui. Pour tout dire, je suis un peu perdue. Le moment est très agréable, c’est vrai, mais a-t-il un sens ? Nous nous connaissons depuis deux semaines à peine, c’est là notre première rencontre et je suis déjà en train de me projeter dans des voyages tout droit sortis de son imaginaire. Si Elena nous entendait, elle aurait certainement une phrase sarcastique dont elle a le secret pour abattre en plein vol mes rêveries de gamine, mais ce soir j’ai envie de céder à la légèreté, même si ce luxe me coûtera probablement cher plus tard. Quel danger peut-il bien y avoir à rêver ?

En partant, Edmond récupère nos affaires au vestiaire puis m’aide à enfiler mon manteau. Sur les quais du canal aucun de nous deux n’a particulièrement envie de se dire au-revoir.

  - Merci encore d’être venue Iris, j’ai vraiment passé une délicieuse soirée en ta compagnie. Peut-être… peut-être pourrait-on se revoir dans la semaine pour boire un café ? Je me rends compte que j’ai monopolisé la parole quasiment toute la soirée, je suis sûr que tu as des choses passionnantes à m’apprendre aussi. Surtout dis-le-moi si je suis trop entreprenant…

  - Merci à toi pour l’invitation Edmond, j’ai beaucoup apprécié aussi, ça me ferait plaisir qu’on se revoie.

A peine ai-je prononcé ces derniers mots qu’il fait un pas vers mois, se penche avant de me déposer un baiser sur le coin de la bouche. Je reste figée, le rouge me monte aussitôt aux joues, aucun mot ne sort de ma bouche. Il se penche à nouveau, embrasse mes lèvres puis s’éloigne en me lançant “A très vite alors“.

Je le regarde s’éloigner, hagarde, je ne m’attendais pas du tout à ce dernier geste qui m’a totalement prise au dépourvu. Est-ce que j’ai répondu à son baiser ? Aucune idée ma pauvre Iris, je crois que tu t’es mise en veille pendant quelques secondes, avec ton air ahuri et la bouche entrouverte. A quoi tu t’attendais ? Mais je n’en sais fichtrement rien ce que j’attendais ! J’ai passé une excellente soirée, sa compagnie m’a été très agréable mais je ne m’étais jamais imaginée au-delà. Un homme vient de m’embrasser, je crois que je suis heureuse, je crois…

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