Parler aux oiseaux

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Edmond est un ancien comptable de 79 ans, passionné de tango lui aussi. Il habite dans le VIIème arrondissement, voilà qui pourrait être source de dépaysement, il participe aussi à l’Université Populaire du XIVème. Lorsqu’il me laisse un message sur le site, il commence par me parler de sa vie en Argentine, à Rosario. Il a l’air d’avoir beaucoup voyagé Edmond. Il m’explique que c’est là-bas qu’il a découvert le tango, il me dit même que nous pourrions y retourner ensemble, en profiter pour visiter Buenos Aires aussi, Cordoba, Mar del Plata. Je me prends à rêver de ce beau voyage lointain. Il est à l’aise avec les mots, il a l’écriture facile, j’embarque sans résistance à bord de son imaginaire. Il m’envoie quelques photos, il a fière allure et de faux airs de Sean Connery avec sa belle barbe blanche et ses yeux noirs perçants. Sans m'en rendre compte je commence à me projeter, c'est un sacré changement pour moi. J'essaye de deviner ses traits de personnalité, d'anticiper ses pensées, je ne peux m'empêcher de le visualiser en train de ma faire danser sur l'air d'Adios Muchachos. Nous entamons un échange épistolaire qui dure quelques jours. Je lui révèle tout de mon histoire, mon mariage, mon divorce, ma rencontre avec William, le deuil, la solitude, l’espoir d’un nouveau chapitre. Ses mots sont réconfortants, il se montre philosophe, mesuré, plein de sagesse.

Edmond me propose de le retrouver dans un café-restaurant nommé l’Antipode. Il s’agit d’une péniche spectacle amarrée au bord du canal de l’Ourcq dans le XIXème arrondissement. Il m’explique que le lieu est charmant, qu’on y mange très bien, dans une ambiance chaleureuse. Mon premier rendez-vous galant depuis des années, je suis excitée comme une puce, j’aimerais tellement que mes vieilles amies soient encore là pour leur en parler, échanger avec elles autour d’un verre comme on le faisait toujours. Pour me poser et réfléchir plus calmement, je décide d’aller me promener dans mon jardin personnel, le square de la Roquette, petit îlot de verdure, accolé à la salle Olympe de Gouges. Je m’assois simplement sur l’un des bancs en bois à proximité des jeux pour enfants. Je sors le sac de graines rangé dans ma poche puis commence à les distribuer aux oiseaux. Je ne connais pas de méditation plus efficace que celle-ci. Il m’arrive même de parler aux pigeons ou aux moineaux, les passants pardonnent beaucoup de choses à une vieille dame de 84 ans. Quelques enfants s’approchent pour m’aider à nourrir les oiseaux du parc. Je leur donne à chacun une poignée de graines pour qu’ils les dispersent.

Malgré le froid, un soleil resplendissant illumine la capitale aujourd’hui. Ses rayons réchauffent instantanément les quelques centimètres carrés de peau qu’ils touchent. La lumière d’hiver qui perce à travers les arbres décharnés du square est magnifique, blanche, intense. L’hiver a toujours été ma saison préférée. Après l’interminable automne, il annonce le retour de la lumière, la fin de l’ambiguïté, des demi-tons. L’hiver est une saison franche, qui n’hésite pas entre l’ocre et le rouille. Le contrat est clair, la nature se met en sommeil tandis que nous devons redoubler d’énergie pour résister aux assauts du froid tout en profitant de couleurs éclatantes, de lumières splendides. C’est aussi la saison où l’humain se souvient de la signification du mot solidarité, des actes de partage devenus nécessaires pour la survie des plus fragiles.

Sur le retour je m’arrête au kiosque à fleurs d’Elena pour lui apporter un café chaud.

- Tu ne connais pas la dernière Elena ? J’ai rendez-vous avec un homme, il m’invite au restaurant.

- Eh bien méfie-toi ma belle Iris, s’il t’invite c’est qu’il compte bien obtenir une compensation pour l’addition.

- Hahaha je savais que tu me répondrais quelque chose dans le genre. Figure-toi que c’est un homme qui semble très galant et cultivé. Il m’amène sur une péniche à spectacles vers le bassin de la Villette.

- Raison de plus pour rester vigilante, ceux qui ont les mots doux sont les plus dangereux, pense à protéger ton petit cœur d’artichaut, je te le dis, 85 ou 25 ans, les hommes restent les mêmes !

Elle est comme ça Elena, radicale, insoumise. Elle s’est mariée très jeune mais à 45 ans elle a soudainement découvert qu’elle en avait supporté assez. Elle a quitté son mari puis s’est mise à vivre comme elle l’entendait, sans contraintes, avec des hommes, des femmes, parfois seule. Son dernier grand amour avait été Julia, catalane comme elle, mais ça faisait plus de dix ans qu’elle vivait seule désormais, je n’ai jamais osé demander ce qui était arrivé à Julia et Elena a cessé de parler d’elle du jour au lendemain.

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