Iris

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18 janvier, cela fait maintenant deux ans que William s’en est allé. Les débuts d’année sont difficiles depuis. Saleté de crabe. Il m’a enlevé mon amour comme ça, du jour au lendemain, sans prévenir. On vivait une belle histoire depuis qu’on s’était retrouvé sur ce site de rencontres. C’était en 2016, il avait 81 ans, j'en avais 79. Je venais de divorcer et lui était veuf depuis plus d’un an. Depuis ce jour terrible où un jeune fanatique avait fait irruption à l’hyper cacher, dans lequel Esther faisait ses courses, pour faire un carnage.

Après quelques jours de discussions par messages, à se remémorer le bon vieux temps, lorsqu’on travaillait tous les deux à la RATP, on avait décidé de se rejoindre dans une brasserie à Nation. Il habitait rue d’Avron, moi j’étais déjà dans ce petit trois pièces sur le boulevard Voltaire. L’alchimie avait fonctionné dès la première rencontre. Est-ce parce qu’on se connaissait et s’appréciait déjà ? Ou était-ce parce qu’on savait tous les deux qu’il ne nous restait pas tant d’années de bonheur que ça en perspective ? Peu importe au final, nous avons vécu deux magnifiques années, intenses, drôles, tendres.

Aujourd’hui son souvenir me hante, je repense à tous ces matins où il se levait tôt, juste pour descendre m’acheter des croissants. Sur le chemin du retour, il n’oubliait jamais de s’arrêter devant le petit kiosque à fleurs de la vieille Elena pour me ramener une rose, un dahlia ou une pivoine en même temps que les viennoiseries. Il m’a chérie et je l’aurais suivi au bout du monde si nous avions eu les moyens de quitter Paris. A mon âge on ne peut pas oublier ses morts, ils nous accompagnent, jusqu’au bout, sur le court chemin qu’il nous reste. William me tient la main en me susurrant à l’oreille des mots qui me bercent. Mais ce matin je me réveille seule une nouvelle fois. Je reste assise sur le bord du lit pendant de longues minutes. Mes articulations commencent à être rouillées, il me faut toujours un peu de temps pour me redresser.

La neige est tombée cette nuit. A cette heure matinale, les voitures n’ont pas encore transformé la magnifique couverture blanche en boue visqueuse. La lumière des lampadaires se reflète sur le fin tapis neigeux et l’illumine de ses teintes chaudes. Le boulevard est tellement calme à cinq heures. Le petit matin est le moment de la journée que je préfère. Celui où l’on attend que la lumière du soleil se révèle pour chasser le froid, que les premières voitures recouvrent le chant des oiseaux, que les façades des immeubles s’illuminent pour invoquer la vie, que la vie humaine raccompagne tranquillement la nuit vers la sortie. Le moment de l’attente, des attentes aussi, un instant rempli d’incertitudes mais aussi de spleen.

Je pose le 33 tours d’Astor Piazzolla sur la platine et dès les premiers craquements du vinyle, je m’active dans l’appartement. Il est 6 h 30 lorsque j’ai terminé de me préparer, la boulangerie est enfin ouverte, je vais pouvoir descendre m’acheter des viennoiseries. Sur le chemin du retour, je m’arrête pour saluer la vieille Elena qui est en train d’ouvrir son kiosque. En me voyant, elle me sourit avant de me tendre une rose rouge avec une infinie tendresse dans le regard. Elle n’a pas oublié, dieu la bénisse. Je remonte à l’appartement, pose mon lourd manteau et mon chapeau dans le vestibule puis m’assois dans le fauteuil près du tourne-disque. En relançant la musique, je pose la fleur dans le petit vase en céramique, posé juste en-dessous du portrait de William puis saisis mon livre pour lui faire la lecture. J’ai toujours adoré lire à voix haute et je crois que William apprécie les histoires. Nous continuons donc la lecture du tome un de Vernon Subutex.

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