4.9 Nardhunna et Gulbaggor

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En entendant le rideau d’ossements et de coquillages qui séparait son khangg du couloir se soulever, Nardhunna roula sur le dos. Lorsque l’orc noir apparut devant elle, sa haute silhouette occultant la lueur du couloir, elle avait déjà repoussé l’étoffe brodée qui lui servait de jupe et écarté les cuisses.

Le grand mâle se figea. Nardhunna sentit le poids de son regard sur elle, ce regard rouge qui la détaillait.

— Non, dit-il de sa voix grave.

— Je n’en peux plus, grogna la femelle. Quand est-ce que tu vas prendre tes droits sur moi ?

— Quand tu auras accouché. Pas avant.

Nardhunna étouffa sa frustration dans son poing. Elle haïssait cet orc bestial, mais, alors qu’elle avait tant besoin de l’assistance d’un mâle, son odeur de dominant la rendait folle.

— Laisse-moi partir, alors. Si tu refuses de me saillir, je vais perdre ma portée ! C’est tout ce qui me reste de mon consort, que tu as tué.

Gulbaggor se planta devant elle et croisa les bras.

— Il n’est pas mort : je te l’ai déjà dit. Il va revenir te chercher... du moins, il va essayer. Là, on lui donnera tes petits. Si ça ne lui suffit pas, je prendrais sa vie en plus de sa femelle, menaça-t-il en dardant ses crocs.

Nardhunna haïssait ce sourire, qui donnait à cette créature inférieure un air presque séduisant. Pour un vil orc, il était particulièrement attirant, mais la jeune guerrière mettait cela sur le compte de son état. Si je n’étais pas enceinte et prête à m’offrir au premier mâle disponible, celui-là me paraitrait dégoûtant, se dit-elle en grimaçant de frustration.

Malheureusement, elle était enceinte de douze lunes, et son corps réclamait avidement le don de vie. Sans cela, sa portée serait faible, ou n’allait peut-être même pas survivre. Elle en était réduite à supplier son agresseur, celui qui l’avait capturée comme une vulgaire esclave.

Mais il se montra inflexible, comme tous les soirs.

— Non. Quand tu auras accouché, je te remplirai de ma semence, et tu seras ma femelle. Mais pour l’instant, tu patientes. Si je n’ai rien à donner à ton ard-ael, il voudra se venger, et perdra la vie pour rien. Alors prends sur toi. L’ard-elath dit que tu n’en as plus que pour deux lunes.

Nardhunna sentit son cœur chavirer. Encore deux lunes ! Dix lunes qu’elle était prisonnière de ce rustre... et dix lunes qu’il la torturait en exhibant ses muscles d’acier, sa crinière de neige et son luith entêtant de mâle dominant sous son nez.

Nardhunna venait de Kharë, et, même si elle avait fui cette cité cruelle depuis bien longtemps pour vivre sa vie à sa manière, elle restait persuadée que les mâles étaient des êtres inférieurs incapables de se retenir. Se faire tenir la dragée haute par ce sauvage était plus qu’elle ne pouvait en supporter, même si le jeu, derrière toute la frustration qu’il engendrait, avait quelque chose de presque amusant.

— Chez nous, les femelles prennent plusieurs mâles, surtout pendant la conception, tenta-t-elle encore. Je ne voulais pas m’y résoudre, mais Nazir ne m’en voudra pas. Il sera heureux de retrouver ses petits en bonne santé. Toi, il te tuera bien sûr — je l’aiderai avec plaisir d’ailleurs — mais ce ne sera pas pour la raison que tu crois !

Gulbaggor, qui s’était assis sur la couche d’en face, releva un œil blasé de son livre. Ce chef de guerre orc lisait, et en plusieurs langues.

— Chez nous, les mâles ne se soumettent pas à tous les caprices des femelles, et ils aiment que ces dernières leur soient fidèles. Je ne peux pas insulter ton ancien maître en lui volant ses petits. Il s’agit de mon honneur en tant que chef de clan. Une femelle ne peut pas comprendre ça.

Nardhunna grinça des dents.

— Tu ne lui voleras pas. La conception est bien avancée : aucun ne prendra de toi. Je ne prendrais pas un tel risque ! Et, pour la dernière fois, je n’appartiens pas à Nazir. Je ne t’appartiens pas non plus. Je suis une femelle libre !

— Tu m’appartiendras. Tu es ma captive, et sitôt que tu auras mis bas, je demanderai à l’ard-elath de t’introniser comme mon as-ellyn. Une femelle puissante appartient toujours à un mâle puissant, c’est ainsi.

Nardhunna retint un gloussement à l’écoute de ces termes archaïques, bizarrement incongrus dans la bouche d’un tel rustaud.

— As-ellyn ? se moqua-t-elle. Ne me dis pas que je suis ta première... toi qui est un « mâle puissant » !

— Tu seras ma première femelle à la peau noire, et la première à être aussi belle. J’attendais une elleth qui me ressemble, une guerrière qui ne se soumette que devant moi. Nuurak-dhur me l’a promis.

— Nuurak-dhur ?

— Le héros des sagas de mon peuple. Celui qui va nous libérer, et nous permettre de reprendre la place qui est la nôtre... L’ard-elath m’a assuré qu’il renaîtrait de ma semence et du ventre d’une guerrière à la peau noire. Toi. Mais elle m’a aussi dit que je devrais laisser sa première portée au mâle à qui je l’aurais volée, où je perdrais les deux : femelle et petit, et même la vie.

Nardhunna soupira. Un orc cultivé, qui singeait les ædhil d’antan mais qui croyait aux oracles... Ce Gulbaggor était plein de surprises.

— Tu crois aux menteries d’une vieille sorcière, qui doit bien apprécier d’avoir ce moyen de se venger de vous après une vie entière de viols et de souffrances ?

— Non. Mais je veux qu’il n’y ait aucun doute quant au pedigree de mon héritier. Un futur chef de guerre ne peut avoir des origines troubles.

— Tu en parles comme d’un reproducteur d’Æriban, ironisa Nardhunna. C’est ça que tu veux pour ton fils ?

— Ces mâles d’Æriban sont de grands guerriers, concéda Gulbaggor sans quitter son livre des yeux. Mais ce sont eux qui devraient choisir leurs femelles, pas le contraire. Du reste, une femelle comme toi ne devrait être saillie que par les mâles les plus forts.

Elle l’observa entre ses paupières mi-closes. Il la trouvait belle, mais Nardhunna elle-même n’avait jamais vu d’orc aussi beau. Ou plutôt, elle n’avait jamais vu un mâle aussi beau... les sældar s’étaient bien moqués d’eux, en faisant naître un tel étalon dans une tribu aussi primitive !

— D’où tu viens ? demanda-t-elle, languide. Qui sont tes parents ?

— Mon père était un chef de guerre. Ma mère, une captive.

— Comme c’est original... ironisa Nardhunna.

Gulbaggor lui jeta un regard vif.

— Tu me l’as demandé, je te réponds.

— Et est-ce que ton père l’a fait languir aussi longtemps que tu le fais ? fit Nardhunna, provocatrice.

— Non. Lorsqu’il l’a capturée, elle était vierge.

— Oh... un orc comme premier mâle, ça ne doit pas être bien agréable pour une jeune elleth !

Nardhunna se souvenait encore de sa première nuit dans le clan. Gulbaggor l’avait sodomisée devant tous ses guerriers, avant d’autoriser les plus méritants à faire de même. Elle se souvenait encore de la douleur et de la terrible humiliation qu’elle avait ressenti, mais aussi de la jouissance, aussi inattendue que dévastatrice. Jamais elle n’avait expérimenté cela avant. Elle avait cru mourir de honte, cette nuit-là. De honte, oui... pour avoir été mise à quatre pattes devant des orcs braillards et assoiffés de sexe, et pour avoir hurlé de plaisir lorsque leur chef la montait, sous les rires et les félicitations de ses guerriers. Elle avait réussi à se retenir jusqu’à ce que Gulbaggor la reprenne. Lorsqu’il avait enfoncé son énorme membre en elle pour la deuxième fois — le plus gros qu’elle n’eut jamais pris, même après tous ces orcs —, elle n’avait pas pu retenir son cri plus longtemps. Elle s’était mordue la lèvre jusqu’au sang, et ses hanches, malgré elle, avaient poussé à la rencontre du grand mâle, espérant qu’il soulage sa fente gonflée et brûlante. Ce qu’il n’avait jamais fait. Elle avait alors compris, mortifiée, que ce qu’elle avait pris pour de la douleur et de la honte n’était en fait que de la frustration.

— Il lui a appris le plaisir, confirma Gulbaggor, comme à toutes les autres captives. Il lui a fait de nombreux petits.

— Est-ce qu’il est possible à une femelle d’être autre chose qu’esclave sexuelle et mère à la chaîne, chez les orcs ? siffla Nardhunna. Tant que l’on a de jolies courbes, un ventre chaud pour accueillir les portées et des seins bien pleins pour les nourrir, cela va sans dire... J’imagine que vous ne prenez pas les laides et les stériles !

— C’est la voie des femelles, répondit abruptement Gulbaggor. Et toutes ont leur utilité dans notre clan.

Nardhunna esquissa une grimace. Cette façon arriérée et primaire de présenter les choses lui paraissait particulièrement exotique. En vérité, l’assurance phallocrate de Gulbaggor avait même un petit côté émoustillant... et aussi très énervant.

La voie des femelles. Elle allait lui en donner, de la voie des femelles ! Elle commença à se tortiller en geignant avec art, sa main fine glissant entre ses cuisses. Comme toutes les captives — elle n’était pas la seule à appartenir à Gulbaggor, mais l’unique avec qui il partageait son khangg —, Nardhunna allait nue, vêtue des seuls bijoux et trophées qu’il lui offrait. Elle eut tout le loisir de lui montrer son corps, cette peau et ces courbes gracieuses qu’il admirait tant. D’une main, elle titillait son intimité obstruée — aucun autre que Gulbaggor ne devait la toucher — et de l’autre, elle agaçait ses mamelons engorgés par la grossesse. Aucun mâle ne pouvait résister à ça. Même pas lui.

Lorsqu’elle bascula sur les genoux pour lui présenter sa croupe, le chef orc grogna. Il secoua la tête, puis referma son maudit livre. Enfin, il se levait. Planté devant elle, il prit son temps pourdénouer son plastron, avant de le jeter sur le côté avec autorité.

Par-dessus son épaule, Nardhunna jeta un coup d’œil appréciateur sur le torse et le ventre sculptural de Gulbaggor. Lorsqu’il commença à défaire le bas, elle se mordit la langue.

Enfin.

C’était le moment crucial, délicat. Gulbaggor lui avait déjà fait le coup : il l’avait laissée en plan, toute frémissante, plus d’une fois. Ce mâle n’entendait pas se laisser dicter sa loi par le désir des femelles. Pour l’encourager, Nardhunna émit un ronronnement rauque, ondulant du bassin avec art. Elle savait que ça lui faisait de l’effet. Cela ne rata pas : il lui saisit les hanches et l’attira à lui, l’emprisonnant entre ses bras puissants. Son membre tendu, énorme, frotta sa vulve gonflée de long en large. Nardhunna n’en pouvait plus.

Mais, au moment fatidique, il se dégagea et fit glisser la pointe de son sexe vers le haut. Puis, lentement mais sûrement, il s’enfonça dans son deuxième orifice.

— Non, gémit Nardhunna. Pas comme ça !

Gulbaggor, qui aimait bien l’exhiber devant ses guerriers, la prenait toujours ainsi lors des cérémonies du clan. Les orcs appelaient ça « dun-dun ». Un mot barbare, affreux, qui illustrait bien la réalité de cette pratique primaire. Nardhunna avait appris à apprécier la douleur, la sensation de soumission, mais elle attendait plus.

— Laisse-toi faire, asséna-t-il avec autorité en lui saisissant la chevelure. C’est tout ce que je peux te donner pour l’instant.

Nardhunna dut se soumettre. La main libre de Gulbaggor glissa entre les jambes de la femelle, et, gentiment, il se mit à caresser son organe sensible. Au moins, il lui donnait ça.

— Je te donnerai plus quand tu seras mienne, murmura-t-il dans son cou alors qu’il la collait contre lui. Je te le promets.

— Et moi, je te tuerai, lui promis Nardhunna, honteuse de prendre autant de plaisir dans les bras de l’ennemi. Rappelle-toi, Gulbaggor : arrivera un jour où tu te repentiras d’avoir humilié une mercenaire kharie !


*


Nardhunna fut intronisée en tant qu’as ellyn du drughi trois lunes plus tard. Entre-temps, elle avait donné naissance à un seul petit, un mâle noir comme l’onyx. Et lorsque que Gulbaggor la plaqua contre la pierre de saillie et s’enfonça en elle, sous les vivats de ses guerriers, ce n’était pas la première fois qu’il goûtait la nature de sa favorite. Nardhunna, en utilisant la magie ensorcelante des ellith de sa cour d’origine, avait réussi à obtenir ce qu’elle voulait. Elle avait tiré parti des fièvres de Gulbaggor lors de la lune rouge alors qu’elle était enceinte de treize lunes. Le drughi, rendu fou par le rut, n’avait pu se contenter des autres femelles de son harem. Il avait fini par abdiquer face aux charmes de Nardhunna. Et, trois nuits durant, sans discontinuer, il s’était déversé dans la matrice de sa captive. Il s’était remis à la prendre par l’autre orifice sitôt son rut fini, mais c’était trop tard. Le mal était fait.

— Nomme-le, au moins, lui demandait encore Nardhunna deux lunes après la naissance. Nazir, lui, ne voudra pas le regarder.

Gulbaggor baissa les yeux sur ce petit qui lui ressemblait tant. Il aurait dû naître plus tard, en tant qu’héritier légitime. Au lieu de ça, il était officiellement le fils d’un autre. Son origine serait toujours remise en doute.

— Śimrod, concéda-t-il à contre cœur.

« Le brave à la belle chevelure ». Un nom poétique et désuet, qu’il avait trouvé dans ses vieux livres, et chéri précieusement en attendant de pouvoir le donner à son hériter. En embrassant du même regard le père et le fils, un mélange d’amour sans borne et de haine dévastatrice fit déborder le cœur de Nardhunna. Voilà ce qu'il avait fait d'elle... et ce qu'elle avait fait de lui. 

Gulbaggor allait souffrir, et ce serait de son fait.

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