4.7 Evaïa : si près du but

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Evaïa somnolait, épuisée par l’attente et le contrecoup de son périple dans la neige. Visiblement, aucune décision n’avait encore été prise, la concernant. L’ard-elath semblait batailler pour se faire entendre. Mais, alors que la nuit tombait, l’as ellyn du clan, revint, l’air préoccupé.

— Lève-toi, lui intima-t-elle. Ton maître est là.

Evaïa fronça les sourcils. Son maître ?

— Śimrod Surinthiel. Il a lancé un ultimatum au clan. Si on ne te livre pas, il tuera tout le monde, en commençant par le fils de Yinath.

Yinath, la femelle en question, lui cracha dessus à peine Evaïa eut-elle mis le nez hors de la cage de bois tressé où on l’avait tenue enfermée.

— Tu as amené la mort sur nous ! feula-t-elle, toutes griffes dehors.

Evaïa lui jeta un regard dur. Qui l’avait enlevée, dans le but de la jeter en pâture à ses fils, avant de la sacrifier à un dieu aveugle ? Mais elle n’eut pas l’occasion de s’en ouvrir à Yinath. L’as ellyn la poussait déjà dehors, dans les couloirs vastes et chauds de ce qui ressemblait à une immense caverne sculptée. Elle poussa une large porte de bronze décorée de scènes de guerre, puis la conduisit dans une salle à colonnes éclairée par des braseros, évoquant les maisons des jarls dans les villages vikings. Là, sur un trône décoré de trophées en os, siégeait un orc imposant.

— La voici, drughi, murmura l’as ellyn avec déférence.

La fière elleth avait perdu toute sa superbe. Les oreilles plaquées au crâne, elle attendait, soumise, un signe de son seigneur et maître.

Wardtivk délaissa les guerriers massés autour de lui pour la désigner d’un geste de la main.

— Amène-la-moi.

Evaïa fut de nouveau poussée par l’as-ellyn, qui l’amena au pied de l’orc.

— À genoux, lui ordonna-t-elle discrètement.

Le drughi la détailla de ses yeux sans pupilles. Aussi grand et large que Śimrod, il portait une torque sur son torse puissant. Sa crinière, d’un doré violent, serpentait sur son épaule en une longue tresse. Le coude appuyé sur son trône, il appuya son menton dans sa main griffue, plissant ses yeux rouges pour mieux voir Evaïa.

— Alors c’est elle, la cause de tout ce remous !

De nouveau, Evaïa eut envie de protester.

— Je n’ai pas demandé à ce qu’on m’enlève, susurra-t-elle entre ses dents.

L’as ellyn lui donna un petit pincement discret. Mais c’était trop tard, et l’orc ne sembla pas s’offusquer de son ton.

— Il doit beaucoup tenir à toi, pour venir te chercher jusqu’ici, observa-t-il.

— Il ne tient pas à moi. Mais j’ai passé un pacte avec lui, et il est obligé de l’honorer.

— On verra ça... Ouvrez les portes.

Evaïa se retourna à temps pour voir deux orcs bardés de cuir pousser les lourds battants d’une porte à l’opposé du trône du drughi, différente de celle qu’on lui avait fait emprunter. Derrière se tenait Śimrod. À la vue de sa haute silhouette, de sa crinière blanche encore chargée de glace et de son visage aux traits nobles et puissants, le cœur d’Evaïa se gonfla de soulagement. Elle n’avait jamais été aussi heureuse de le voir.

Śimrod entra sans lui jeter un regard. Sous son bras gauche, il tenait un jeune guerrier orc, qu’il jeta aux pieds du drughi.

— L’humaine. Rendez-la-moi, ordonna-t-il.

Wardtivk le contempla en silence.

— Alors, c’est toi le fils de Gulbaggor. Et pour se venger de lui, les tiens t’ont voué à Arawn...

— La fille ! gronda Śimrod.

— Elle est là, sourit Wardtivk en lui désignant Evaïa d’un geste évasif. Les miens voulaient la sacrifier à Arawn, de toute façon. Qu’on te la rende ou qu’on la tue sur ton autel, le résultat sera le même.

Evaïa jeta un regard à Śimrod, tentant de comprendre ce que le chef orc voulait dire. Mais l’As Sidhe s’était déjà dirigé vers elle, et il la saisit par le bras, avant de la balancer sans ménagement sur son épaule, comme un vulgaire sac de pommes de terre. Puis, avec un grognement approbateur, il jeta un dernier regard à Wradtivk et se dirigea vers la porte.

— Reste au moins partager le banquet avec nous, proposa alors le drughi en ignorant le regard glacé que lui jetèrent ses guerriers. Ce n’est pas tous les jours que je reçois le fils du grand Gulbaggor, et aujourd’hui, c’est ta fête, après tout.

— Je ne suis pas son fils, siffla Śimrod entre ses dents. Gulbaggor n’est pas mon père !

— Son sang coule dans tes veines, s’obstina Wardtivk. Lorsqu’on te regarde, c’est évident. J’ai bien connu ton père, qui a combattu avec le mien, et tu lui ressembles énormément.

Śimrod se figea. Puis, il se retourna, si brusquement qu’Evaïa faillit se sentir mal. Sur sa taille, il lui sembla que les griffes de Śimrod s’étaient enfoncées dans sa peau.

— Je ne suis pas son fils, répéta-t-il obstinément, et je ne lui ressemble pas. Ma mère était kharie : c’est pour ça que ma peau est noire. Gulbaggor n’a rien à voir là-dedans !

Wradtivk laissa entendre un rire bas et grave, qui résonna dans les parois de la caverne qui lui servait de salle du trône.

— Cela te gêne tant d’avoir du sang orc ? Nous sommes pourtant frères, ceux des Cours et nous. Ne le sais-tu pas ?

— Je m’en fiche. Ce monstre a abusé de ma mère, il a fait ce qu’aucun mâle ne devrait jamais faire subir à une elleth. Un guerrier doit savoir se contenir, c’est là qu’est son honneur ! S’il est puissant et honorable, les femelles le choisiront. Mais il n’a pas à s’imposer !

— Parce que tu crois que Gulbaggor s’est imposé à ta mère ? Qu’elle ne lui a pas cédé, comme toute femelle cède devant un mâle puissant ?

— Il l’a forcée, aboya Śimrod. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui vous prétendez que je suis son fils, alors que mon vrai père est mort en tentant de la défendre !

Wradtivk sembla s’amuser de la colère de Śimrod.

— C’est drôle, nous autres orcs avons une autre version des faits, fit-il avec un demi-sourire carnassier.

— Cela ne m’étonne pas. Vous capturez des femelles libres, comme si elles vous appartenaient !

— Les femelles en chaleur ont besoin d’être fécondées, comme les mâles en rut ont besoin de féconder. C’est la loi de Mannu.

— La loi de Mannu ! cracha Śimrod. Mieux vaut être sourd qu’entendre ça. Mannu nous a tourné le dos, dégoûté de ses propres créations, quand il nous a vus nous ébattre dans le stupre ! Heureusement, certains d’entre nous ont mis un minimum d’ordre dans cette débauche. Mais vous les orcs, vous êtes restés à l’état sauvage, comme des daurilim !

Le discours de Śimrod étonna Evaïa. Pour une fois qu’il défendait les Cours ! Jamais elle n’aurait cru entendre cela. Puis elle se rappela que, face à lui, elle se représentait la société viking, pourtant si injuste envers elle, comme un paradis.

— De toute façon, continua Śimrod, on ne saura jamais la vérité, puisque ma mère a préféré mourir avec Gulbaggor pour laver son honneur. Et c’est mieux ainsi ! Maintenant, laissez-moi sortir.

Evaïa laissa Śimrod la reprendre, tentant de s’agripper à ses épaules cette fois. Les orcs s’écartèrent, défiants. La porte était juste là, à demi ouverte. L’interstice charriait déjà l’odeur de la neige.

— Attends ! grinça la voix caverneuse, millénaire, d’une vieille femelle.

Evaïa sentit Śimrod se figer.

Non, pensa-t-elle, inquiète. L’ard-elath, celle qui devait rendre sa décision quant à son sort final. Alors qu’on était si près du but...

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