Le monde frémissait. Tous les humains sentaient plus ou moins consciemment que quelque chose d’important était en train de se passer. Le vent murmurait des paroles inaudibles, caressant les âmes en peine qui voguer inlassablement dans ce monde dont ses fondations commençaient à s’effondrer. Le ciel sombrait, noircissait tandis que les oupilles s’allumaient, leurs feux brillants dans l’obscurité naissante. Les créatures de l’ombre formaient un demi-cercle devant le temple de Balance, une bâtisse aux airs grecs dont les piliers de marbre étaient décorés de symboles divers dont celui des Perfides : la brume. Des crânes peuplaient le lieu déserté depuis des centaines d’années par l’humanité, des restes d’os ainsi que des morceaux de tissus accrochés à une statue située sur le toit du temple. Il avait été construit pour qu’il fasse peur. Béni par Phobos, souhaité par Hadès et accueilli par Pan, le temps était perdu au beau milieu de nulle part.

Balance se tenait là, assise, les jambes croisées avec Vie et Mort, chacun à ses côtés. Les entités fixaient le peuple venu à leurs pieds, à ceux de l’Élue. Destiné souriait, un air rêveur sur son visage hâve. Parmi ceux qui étaient installés à l’avant du temple, on retrouvait quelques démons de haut rang comme Iblis ainsi que les trois immortels comme Lune que le monde connaissait.

Une mélodie cantabile résonnait, brisant le silence mortel, cadençant les rangs. Ils se serraient, ballant la tête de droite à gauche, au son de la musique. Soudainement, tout bruit cessa. Le demi-cercle se coupa, les créatures reculèrent, laissant une silhouette passer. Les nerfs à rude épreuve, la peau aussi blanche que du marbre, Aspasia avançait. Consciente d’être la source d’attention, l’adolescente tentait de paraître calme.

Bravo pour la première épreuve ! chantonna joyeusement une voix inconnue dans son esprit, la faisant quasiment sursauter. Mais pourras-tu identifier ceux qui se sont déplacés pour t’accueillir ? Et non, je ne te viole pas l’esprit. C’est une méthode de communication comme une autre.

Reconnaissance. Aspasia s’approcha du centre où le temple se tenait. Parmi les invités du premier rang, elle reconnut Iblis et Lune, tous deux étaient à genoux. Azazel, Amaimon, Lucifer se trouvaient à droite de Iblis. Autour de Lune, il y avait un jeune homme aux cheveux courts châtains et aux yeux bleus, portant un kimono et un autre homme de jeune âge vêtu également d’un kimono noir : les jumeaux Arashi et Kaze, des demi-dieux. Au temple, elle reconnut sans peine Destiné, Balance, Vie et Mort.

Bravo. Maintenant, sauras-tu réussir la troisième épreuve ?

Sa vision se troubla. Ses genoux tombèrent violemment sur le sol. Son monde s’écroula une seconde fois, l’emmenant dans un tunnel de souvenirs qui ne lui appartenaient pas. Des noms flottaient dans son esprit embrumé. Des paroles résonnaient dans son crâne, ne donnant pas de sens par moment. Les voix provoquaient une immense migraine, leur volume s’amplifiait, et Aspasia tremblait comme si elle avait le poids du monde sur ses frêles épaules.

Puis, comme si elle se trouvait assise dans un cinéma, à regarder un film, les souvenirs défilèrent dans l’ordre. Tous paraissaient si similaires et pourtant différents des siens. Soudainement, Aspasia savait ce qu’il se passait. Cette mémoire qui lui était donnée appartenait aux personnes qui étaient passées avant elle. Tous avaient été témoins des tueries du monde, de la cruauté de ceux qui les préparaient à la cérémonie et tous avaient une chose en commun : chacun avait découvert quelque chose à propos de soi qu’il ne connaissait pas. Dans le cas de l’adolescente, c’était sa sexualité.

Félicitations, jeune fille.

Elle revint à ses sens. Agenouillée en face des entités, gardée par les importantes figures du monde surnaturel, entourée par les Perfides, Aspasia connaissait la suite de la cérémonie. Un frisson parcourut son échine, son visage pâlit, son corps tremblait. La brume se leva en même temps que Balance. C’était une entité dont le corps était revêtu d’un grand manteau azur avec des boutons d’or. Ses yeux violets vibrant, du sang dégoulinant de ses orbites, une bouche fendue dont les coins avaient été recousu, un sourire sadique, Balance horrifiait Aspasia.

Es-tu à la hauteur de ce que Terre t’a confié ? Ou vas-tu succomber dans d'horribles souffrances ? demanda d’une voix sibylline, Balance.