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Auréliedelphine

Auréliedelphine
Il existe un monde empli de mystères, invisible à l’œil humain, mais quand il s’impose à nous, nous ne pouvons que le voir tout à coup. Ce monde nous apparait comme par magie et cette magie ne tient qu’à un mot : Destin.
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Auréliedelphine


Mon Paul adoré,
Comment veux-tu que je regarde le ciel à vingt-deux heures ce soir … qui est ton soir mais pas le mien… à réception de ton courrier. Disons-nous plutôt que nous regarderons chaque soir qui nous sépare encore, cette lune magnifique qui s'installe au milieu des étoiles. Je suis persuadée que j'arriverai à t'imaginer près de moi, voire même à te sentir m'enlacer.
Cela fait maintenant plusieurs moi que l'on s écrit et je suis certaine d'une chose, j'ai vraiment besoin de te rencontrer. Je sais que la plus grande partie du chemin est entamée mais c'est de plus en plus difficile pour moi. Ces papillons commencent à me déchirer de l'intérieur tant l'attente est longue. Tu occupes toutes mes pensées, chaque minute, chaque seconde qui passent. Je suis toujours aussi impatiente de recevoir tes lettres et les dévorent avec autant d'engouement, mais je sens à l'intérieur de moi, comme une envie irrésistible de t'avoir entre mes mains, de ce contact qui, j'en suis sure, me transporterait dans un monde encore inconnu pour moi jusqu'ici. Imagine que jamais nous ne puissions nous rencontrer ? Que cette pandémie dure encore et encore malgré ce qui est annoncé ? Que tu sois amené à déménager à l'autre bout du monde où je ne sais quelle circonstance inévitable ? Je ne pourrais y faire face, c'est sur, aujourd'hui j ai besoin de toi dans ma vie.
Ma sœur a autant hâte que moi de te rencontrer. Elle est spectatrice de cette histoire depuis le départ, tu dois t'en douter. Chez moi, le téléphone fonctionne bien et je crois qu'elle n’en peut plus de m’entendre, surexcitée chaque jour à l'autre bout du fil. Elle me manque, mes parents me manquent, mes amis me manquent et tu me manques par dessus tout.
J'avoue que ce ne serait peut être pas le meilleur moment pour moi pour être dé confinée car j ai tenté une expérience et aurait mieux fait de m'abstenir. Tous ces longs mois sans pouvoir aller chez le coiffeur ont fait de mes cheveux une longue tignasse indémêlable. Oui, je ne t'ai jamais dis que mes cheveux étaient longs et légèrement ondulés. Et bien, j'ai voulu couper mes pointes, seule bien sur, et heureusement qu'ils sont ondulés, cela cache un peu la misère, car maintenant ils ne sont plus du tout alignés. Ils ont néanmoins perdu quelques centimètres ce qui ne leur fera pas de mal. J'ai cependant grande hâte de pouvoir enfin retourner chez mon coiffeur, ce qui me rapprochera du jour où je pourrais enfin te serrer contre moi.
Tendrement.
Callie.
PS : Paparazzi te rend la léchouille de Gandi.
PPS : si je m’écoutais, je bondirai hors de chez moi et traverserai les quelques centaines de mètres qui me séparent de toi.



Ma mystérieuse Callie,
Tu n'imagines pas à quel point tes mots me touchent et j'aimerais qu’il en soit de même pour ta bouche et tes mains. Cette attente est tout simplement insupportable. Tu es tellement avec moi, chaque seconde de chaque heure que j'en ai oublié en effet que tu ne recevais pas ma lettre instantanément et que le temps nous empêche également d'admirer le ciel ensemble. Mais toi, si pragmatique, tu as trouvé la plus belle des solutions et je te promets de contempler le ciel tous les soirs à vingt-deux heures, jusqu'à pouvoir le faire avec toi. Tu pourras dire à Sarah que moi aussi j'ai très envie de la rencontrer.
Et pour tes cheveux, ne sois pas inquiète, même avec des écarts de cinq centimètres sur les pointes, je ne t'en aimerais pas moins. Je dois t'avouer que moi qui entretient les miens avec soin, et bien aujourd'hui, j'ai beaucoup de mal à les dompter. Mais contrairement à toi, je ne me risquerais pas à les couper moi-même. Je suis quand même bien plus à l'aise avec un stylo que des ciseaux. Ca me donne un petit air de surfeur allié à mon tout nouveau bronzage et je dois dire que ça ne me déplaît pas. Je crois que je n'ai pas encore eu l'occasion de te dire que j'aimais beaucoup surfer à mes heures perdues. C'est un très bon moyen de se vider l'esprit et de profiter des vagues, même si ici, nous ne profitons pas des plus belles. Je t'apprendrai si tu veux. J'ai très envi de te voir sur une planche. Si tu es aussi douée qu’en cuisine, et surtout ne te vexe pas, je crois qu'on pourrait passer de merveilleux moments à rire ensemble. Chacune de tes lettres tant attendues est un réel plaisir pour mes yeux et mes sens. J'aime à penser que nous garderons ce petit rituel encore longtemps après notre rencontre. Chaque nouvelle lettre m'ouvre une nouvelle facette de toi et j’aime tout ce que j’y découvre.
Tendrement.
Paul.
PS: remercie Paparazzi pour la léchouille et les infos qu'il me passe en douce.
PPS: si je ne pouvais pas te rencontrer pour une des raisons que tu as cité (même si c'est impossible) et bien je me réincarnerai en Paparazzi, et moi aussi, j'ai une envie folle d'enfiler mes baskets et de courir te rejoindre.



Mon adoré,
J'ai contemplé le ciel chaque soir et j'ai senti que tu étais bien là, avec moi et je ne saurais décrire toute l'émotion qui m'envahie durant ces courts instants.
Si je me mets alors à t'imaginer, grand brun ténébreux, bronzé, aux allures de surfer … alors là je fonds littéralement. J'aime beaucoup ce style malgré, je l'avoue, ne jamais avoir mis les pieds sur une planche. Mais si c est toi qui m'initie, alors je suis prête à tenter l'expérience.
Nous avons déjà une liste, notre liste de moments à partager quand sera venue enfin l'heure de notre rencontre car au fond de moi, j'ai la certitude qu'elle arrivera belle et bien et que rien ne pourra l’empêcher. Un dîner, une promenade sur la plage, une ballade à moto, une initiation au surf, une rencontre avec ma sœur, celle d’Adrian et la confrontation ultime de Gandi et Paparazzi. Et bien d'autres vont venir s'ajouter afin de rattraper tout ce temps, que je ne peux pas qualifier de perdu tant il m'apporté depuis ces derniers mois.
J'aime tout de toi, ta personnalité, la façon que tu as de réussir à me faire rire avec chacune de tes lettres, de me complimenter aussi, ta sensibilité, cela me parait surréaliste tellement personne n'a jamais pu jusqu'ici me faire ressentir ne serait-ce qu'un centième de ce que je ressens à cet instant.
Il sera sûrement plus difficile de continuer à s’écrire quand nous serons réunis (même si l’idée me plait beaucoup) puisque je souhaite passer chaque minute, chaque seconde à tes côtés. Si je te retrouve, je te garde et crois-moi, je ne te laisserai pas t'échapper comme ça. Je te rappelle que je suis un chouilla possessive, d'ailleurs plus possessive que jalouse je dirais. Tu seras tout à moi.
Impatiemment.
Callie.
PS : tu sais bien que la réincarnation est impossible !
PPS : viens me rejoindre …



Lucie avait marché rapidement, d'un pas lourd et décidé vers la maison de sa grand-mère. Elle était passée par la plage. Des sentiments contradictoires la perturbaient plus que de raison. Elle était surtout furieuse. Paul n'avait presque rien écrit de potable depuis des mois et restait incapable d'écrire le moindre mot pour débuter son roman mais sa rencontre virtuelle avec Callie avait réveillé tout son talent. Elle le perdait. Son écrivain talentueux utilisait ses dons pour une autre et elle n'avait aucun moyen de savoir si son roman avançait désormais. Elle avait eu raison sur un point. Paul retrouvait sa flamme avec Callie mais c'était loin d'être suffisant pour elle. Intérieurement, elle se consumait. Elle avait besoin de le lire, d'être sa muse encore une fois. D'être la femme au bras de l'artiste.
Elle devait faire en sorte que Paul écrive son meilleur roman : un best-seller. Et c'est à elle qu’il le devrait.



Ma merveilleuse Callie,
J'ai beaucoup apprécié la liste des choses que nous allons faire ensemble mais je crois sincèrement que tu en a oublié une de taille. Je sais qu’il est surement beaucoup trop tôt pour y penser mais j'aime à croire que cette magnifique petite fille rousse aux yeux clairs sera dans nos projets. Je dirais même : Notre grand projet. Je continue à suivre de près les flashs radios en espérant qu'ils annoncent notre délivrance. J'ai beaucoup apprécié cet ordre que tu m'as donné dans ton dernier PS et je t'avoue que sur l'instant, je ne voulais que m'exécuter, mais si tout se passe comme le gouvernement l'annonce, dans une semaine, nous nous rencontrerons enfin. Qu'est ce qu'une petite semaine après tous ces jours passés à penser a toi ? Et souviens toi … Tu voulais une soirée romantique. Si je débarquais chez toi comme ça, en bravant l'interdit, nous n'aurions ni plat, ni la tarte aux fraises que tu m'as promis et qui me fait saliver. Tu as oublié tes cheveux ? En réalité, tout ça m'est égal et tu le sais j'en suis sur, mais je veux te rencontrer après la bataille. Comme un survivant qui reviendrait du front et n'aurait qu’une hâte, retrouver sa femme. Tu vois, moi aussi je suis irrémédiablement un grand romantique. Plus sérieusement, dans l'attente de ta précédente lettre j'ai débuté une conversation très enrichissante avec ma bouilloire. J'ai beaucoup ri quand elle m'a dit que mon désir pour toi était plus brûlant que l'eau qu'elle contenait. Vraiment perspicace cette bouilloire. Je t'écris ces quelques mots, une tasse de thé citron-menthe à la main, assis à la table du salon. J'aperçois les rosiers à travers ma grande baie vitrée et mon esprit martèle que tu es la plus jolie fleur qu’il va m'être donné de voir. Rassure toi, je vais bien. Je le sais car les roses ne m'ont aucunement répondu. Si elles l'avaient fait, j'aurais du t'avouer que la folie me gagnait. Tu n'imagines pas quel soulagement j'ai ressenti. Nous sommes sauvés, je ne suis définitivement pas un psychopathe.
Ma douce Callie, la vie d un écrivain est relativement calme mais tu as réveillé en moi ce monde imaginaire qui s'éloignait lentement et quand je regarde l'écran de mon ordinateur, je sais que le roman que je suis en train d écrire sera assurément ma meilleure œuvre. Il est donc envisageable que je doive m’absenter quelque temps, si je parviens à le terminer. Dans ces périodes de promotion, ce sont tes lettres qui me feront tenir loin de toi. Tu vois, je suis certain que nous aurons encore l'occasion de nous écrire. Mais je dois admettre que je ne le souhaite pas car tout comme toi, je ne te laisserais pas filer une fois que je te tiendrais enfin dans mes bras.
Amoureusement.
Ton Paul.



Lucie venait de se préparer une grande tasse de Earl Grey et la sirotait par petite gorgée tant elle était chaude. Elle se revoyait encore apporter à Paul, attablé dans son bureau, tapant frénétiquement sur son clavier son thé préféré : citron-menthe. Elle tentait toujours d'apercevoir quelques mots en jetant un regard par dessus son épaule mais il l'a rabrouait sévèrement. Résignée, elle quittait la pièce en s'accrochant à l'espoir qu'elle serait sa première lectrice. Elle détestait le temps que Paul passait avec Adrian à parler de son livre en cours. Elle devait admettre qu’il était de bons conseils mais elle voulait être la seule à avoir le contrôle sur les écrits de Paul. Elle avait toujours été jalouse de leur relation. Adrian était un obstacle à la création. Un bon écrivain devait être isolé et triste pour se consacrer pleinement à son art. C'est d ailleurs pour cette raison qu'elle passait peu de temps à Collioure. Quelques journées et nuits éparpillées pour que Paul soit submergé par le manque et l'absence, qui devaient l'amener à écrire. Son thé refroidissait, elle était aspirée par ce tourbillon de pensées qui animaient son esprit. Elle était proche du but mais elle devait encore attendre. Patienter était dur pour elle, mais ses efforts devaient aboutir. Elle ne reculerait pas. Paul avait retrouvé sa fougue et sa belle plume mais ce n’était pas suffisant.



Mon tendre Paul,
J'ai effectivement oublié sur ma liste le plus beau des projets : notre douce petite fille rousse aux yeux clairs. Comment ai-je pu passer à côté ? C'est pour moi une telle évidence. Trop tôt, trop tard, peu importe, j'aime cette idée et elle sera l'aboutissement de notre engagement dans cette magnifique histoire, que le hasard nous offre. Pouvons-nous même parler de destin ? J aime l'idée d'y croire en tout cas.
Je suis heureuse de constater que tu t'es remis au travail et je ne te cacherai pas que je suis aussi très flattée que je puisse y être pour quelque chose. Chaque écrivain a sa muse non ? N'est-ce pas ce que l'on dit ? En tout cas, je suis très contente pour toi. J'imagine que rester planter là, devant une page blanche, des heures durant, n'était pas satisfaisant. Cela me plaît d'être celle qui te fait sortir de ce manque d'inspiration, c'est nouveau pour moi. Mais je sais que tu as beaucoup de talent, je le vois à travers tes lettres, et, en réalité, tu n'as besoin de personne pour écrire de magnifiques œuvres, j'en suis sure. J'ai d'ailleurs hâte de pouvoir lire un de tes romans. C'est bien des romans que tu écris ? Des romans d'amour ? Policiers ? Donne-moi un titre que je puisse chercher un de tes romans sur internet. Mais quelle blonde…. je n'ai jamais pensé tout bêtement à taper ton nom sur le clavier et lire ce que la presse pouvait bien dire de toi…. Tu vois, je n'ai jamais connu de personne célèbre et même pas eu la curiosité de te filer sur le net. Je crois même que je n'aime pas cette idée. Et j'attendrais donc notre rencontre pour te découvrir et garder cette part de mystère qui me fait chavirer aujourd'hui.
Cette lettre est sûrement la dernière alors. Peut-être même que nous nous rencontrerons avant que tu ne puisses la lire. La fin de la semaine arrive à grand pas et, si le gouvernement dit juste, c'est dans deux jours que je serais dans tes bras.
J'aime imaginer que je peux dire beaucoup de choses dans cette lettre et que tu ne la découvriras qu'après m'avoir inondée de tendresse. Je peux peut-être alors coucher sur le papier des pensées que j'hésite à t'écrire depuis maintenant plusieurs échanges, mais qui se sont avérées une évidence, lorsque j'ai lu le dernier mot de ton dernier courrier (tu sais celui juste avant la signature) qui me laisse croire que nos sentiments sont partagés. Et même si cela peut paraître utopique, impossible voir surréaliste, je t'aime Paul et je t'aimerais toujours.
Amoureusement.
Ta Callie.



Ma magnifique Callie,
Tu vois, le temps reprend son court, j ai déjà reçu ta lettre. Et tu ne peux imaginer comment j’ai été emporté par la joie en lisant tes mots. Je suis si heureux qu’elle me soit parvenue avant notre rencontre. Trois petits mots qui ont fait chavirer mon être tout entier. Je suis comme un enfant, je trépigne d'impatience. C'est mon tour de douter que tu recevras ce courrier avant de t'avoir dans mes bras mais je mise sur la chance et le hasard cette fois encore. Prépare cette délicieuse tarte aux fraises car samedi soir à vingt heures, je frapperais à ta porte. J'ai tellement imaginé ce moment. Si par malheur, tu n'avais pas reçu ma lettre et bien tant pis, je serais tout de même là et nous ne mangerons pas. S'il le faut, nous changerons l'ordre de la liste et commencerons par une promenade sur la plage. Ça m'est égal tant que tu es là. Tu m'as demandé des précisions sur mes écrits dans ton dernier courrier, ça me brise le cœur d'imaginer que c'est vraiment le dernier. J'ai écrit de nombreuses histoires. Des policiers, des autobiographies romancées, des romans historiques mais je crois que si tu veux me lire c'est ma dernière œuvre qui te plaira le plus. Mais je suis en train de l'écrire. Alors en attendant : " du vent dans les voiles" serait une bonne approche. Et ne triche pas, il serait injuste que tu me cherches sur Google. Je tiens énormément que la surprise de se voir enfin soit réciproque. J'attends ce samedi soir comme je n'ai jamais rien attendu dans ma vie.
Tes sentiments sont réciproques je n'en ai jamais été si sur.
Très impatiemment et amoureusement.
Ton Paul excité comme une puce.
PS: dis à Paparazzi que notre rencontre est imminente et que Gandi restera à la maison pour cette fois.
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Auréliedelphine


Lucie avait déjà tout planifié avec minutie. Elle avait réfléchi à chaque étape de son plan et était désormais prête à agir dès que l'occasion se présenterait. Elle devait encore attendre la fin du confinement et s’assurer que Paul et Callie était assez liés désormais. Cette variable restait la plus incertaine, mais connaissant bien Paul, il ne pouvait pas en être autrement.
Paul s'était cantonné aux fourneaux depuis sept heures du matin ce samedi. Il espérait vraiment que Callie avait reçu sa dernière lettre. Le verdict était tombé ils étaient enfin libres et il n'attendrait pas a seul jour de plus. Le bœuf bourguignon sentait bon. Il s'était entrainé maintes et maintes fois à réaliser ce plat. Il n'avait utilisé que des produits frais que le maraîcher et le boucher lui avait livrés devant sa porte la veille. Il allait prouver à Callie qu'il était maintenant capable de mijoter de bons petits plats maisons. Il avait épluché les carottes et les pommes de terre avec soin et avait découpé de généreux morceaux de viande en favorisant le gîte à la noix préconisée dans la recette du site "marmiton", très bien notée. Il en avait fait pour un régiment et espérait que Callie oublie son régime le temps d’une soirée. Il avait enfilé un jean qui mettait tout particulièrement ses fesses en valeur et une simple chemise blanche qu’il avait eu un peu de mal à repasser. Il avait brossé ses cheveux en arrière, en souriant à l’idée que Callie n’aurait pas le temps de se rendre chez le coiffeur. Il s’en fichait, son naturel l’avait déjà conquis.
Callie avait le sourire aux lèvres ce matin là, après avoir écouté l’annonce du dé confinement. Elle n’avait pas reçu de réponse à sa dernière lettre mais elle espérait qu’il la rejoindrait ce soir comme le preux chevalier qu’il lui avait décrit. Poussée par l’intuition qui la tenaillait, elle s’attela à réaliser le dessert qu’elle lui avait promis. Au pire, elle le mangerait seule, déçue, devant un film déprimant. Ceux qu’elle avait toujours regardés en espérant qu’elle aussi, un jour, pourrait vivre ce genre d’histoire si romantique. Et elle avait reçu cette lettre, qui ne lui était même pas adressée, et elle avait su que le moment était venu. Que ces mots couchés sur le papier pour une autre allaient changer toute sa vie. Qu’elle ne perdrait plus son temps dans d’insipides aventures sans amour. Que c’était le fruit du hasard mais plus encore son destin.
Callie regardait son reflet dans le miroir et souriait. Elle, si apprêtée en temps normal, éclata d’un rire sans fin en admirant sa nouvelle coupe de cheveux informe. Elle hésita un instant mais décida de ne rien changer. Après tout, Paul devait l’aimer sans vouloir la changer, c’était le fondement d’une relation, elle en était convaincue. Elle les brossa mais pas trop pour ne pas abimer cette ondulation naturelle qu’elle lui avait décrite. Elle voulait être la femme de ses lettres. C’était d’elle qu’il était tombé amoureux. Elle jeta un rapide coup d’œil à sa silhouette, le confinement lui avait réussi à merveille. Tous les kilos, qu’elle considérait comme superflus, s’étaient évaporés. Elle avait presque le corps de rêve dont elle avait fait étalage. Elle souri en se demandant si elle ne devrait pas fixer sa vieille passoire en fer sur le haut de son crâne en guise de chapeau. Même si cette idée la charma, elle voulait être belle ce soir. La première impression est souvent la bonne, pensa-t-elle, et il fallait que Paul soit époustouflé. Elle ne voulait pas paraitre plus fade que leur correspondance. Elle ouvrit son dressing et essaya multiples tenues. Elle ne le connaissait pas encore assez en détail pour savoir ce qu’il aimerait la voir porter. Mais là encore, elle s’enleva très vite cette idée de la tête. Il devait la voir comme elle était vraiment. Elle enfila donc un jean, un petit top avec les manches ajourées. Elle opta pour ses jolies boucles d’oreilles pendantes que Sarah lui avait offertes et un long collier, qui lui arrivait presque au nombril. Le décolleté était léger et pas trop aguicheur, juste ce qu’elle voulait. Un sourire malicieux accroché aux lèvres, elle enfila sa paire de basket pour le jogging. Elle espérait bien qu’il le remarque.
Il restait deux longues heures avant vingt heures et Paul, tellement excité, ne savait plus quoi faire de son corps. Il était prêt et avait transvasé son bœuf bourguignon dans une boite à couvercle hermétique. La bouteille de champagne était au frais mais il avait également choisi une bonne bouteille de rosé pour contenter Callie.
Lucie s’était levée aux aurores ce matin, espérant que la police ne serait pas si matinale, surtout en ce dernier jour de confinement. Elle n’avait pas bien compris pourquoi le dé confinement devait avoir lieu à dix-neuf heures et non le matin même. Mais à quoi bon chercher à comprendre ? Elle ne pouvait plus attendre, elle avait besoin de sentir que les choses avançaient et qu’elle était proche, si proche d’atteindre son but. A six heures, elle enfila une tenue confortable et ses éternels tennis et se rendit sur la place du marché. Elle avait remarqué, lors de ces dernières escapades à Collioure, tout près de la fontaine, des arbustes qu’elle avait immédiatement reconnus. Son feuillage violet si particulier, ces feuilles dentées, le rendait incontournable dans le sud. On le trouvait très souvent au milieu des massifs ornementaux dans cette région de France. Lucie aimait beaucoup regarder les fruits produits par ces arbustes. Ils ressemblaient à une sorte de capsule hérissée de piquants. Elle s’identifiait à eux en quelque sorte. Elle aimait à penser que, sous sa carapace, il y avait de la douceur. Douceur qu’elle n’avait encore jamais vraiment expérimentée. Lucie sortie le sécateur qu’elle avait glissé avant de partir dans son sac besace en toile noir. Elle coupa quelques branches. Regarder ces branches trôner dans un vase sur sa table de salle à manger lui donnerait peut-être la patience dont elle manquait.
Paul cette fois ne pouvait plus attendre, il faisait encore bon dehors mais il attrapa sa veste en cuir noire pour parfaire son look. Il aurait pu sortir sa moto mais Callie n’habitait pas très loin et prendre l’air, après ces mois d’enfermement, lui ferait le plus grand bien. Il pourrait aussi réfléchir à la manière dont il allait aborder Callie. Ecrire, c’était son métier mais là, c’était différent. Il allait rencontrer pour la première fois la femme a qui il avait déjà déclaré son amour. Cette situation était inédite, digne d’un roman qu’il aurait pu écrire.
Paul tira le grand sac qui se trouvait sous son lit. Celui qu’il utilisait lors de ces courts voyages pour promouvoir ses livres. Il n’avait pas bougé de là depuis près d’un an maintenant et il était poussiéreux. Il l’épousseta rapidement et y rangea le bœuf bourguignon, la bouteille de rosé d’un petit producteur local et la bouteille de champagne. En passant la porte, il aperçu les rosiers. Il se souvenait qu’il en avait brièvement parlé à Callie dans l’une de ses lettres. Il posa son sac à terre, entra dans le petit atelier jouxtant sa maison, récupéra un vieux sécateur rouillé et coupa quelques tiges. Les roses rouges étaient sublimes et leur parfum enivrant. Il espérait que Callie ne trouverait pas son geste un peu trop cliché. Il marcha lentement, il avait quinze minutes devant lui et c’était plus que suffisant pour atteindre le numéro 10 de l’allée des Tilleuls. Il était submergé par des milliers d’émotions, la joie évidement, mais aussi la peur. Pas la peur d’être déçu en voyant Callie, mais plutôt le risque qu’elle le soit. Il n’était plus très loin. Il s’approcha doucement, son sac sur l’épaule, et resta quelques instants immobilisés devant le haut mur en pierres. Il fixait cette boite aux lettres qui avait été le témoin de tous leurs échanges. Comme quoi, l’amour tient parfois à bien peu de chose. Il frappa timidement à la porte, et, en une seconde à peine, elle s’ouvrit, laissant apparaitre la femme qu’il avait parfaitement imaginée. Callie souriait et il perçu immédiatement la malice et la douceur qu’il avait décelé en lisant ces mots. Elle était belle, vraiment belle. Et elle n’avait pas menti sur son corps de rêve. Ce qui le frappa immédiatement fût la couleur de ses yeux. Une pupille d’un vert profond cerclé d’un fin filet couleur or. Un regard à vous faire tomber par terre. Il s’approcha lentement. Il pouvait lire dans ses yeux que le charme n’était pas rompu bien au contraire. Il enroula un doigt autour de l’une de ses mèches de cheveux indescriptibles, comme elle le lui avait dit. Il l’attira vers lui, et, sans plus tarder, planta un baiser sur ses lèvres humides. Elle ne recula pas et l’enlaça amoureusement. Ils restèrent quelques minutes accrochés l’un à l’autre, comme s’ils s’étaient toujours connu et qu’ils s’étaient quittés au début de la pandémie. Leur baiser chantait un air de retrouvaille bien plus que celui d’une rencontre. Ils n’avaient encore pas prononcé le moindre mot. Ils avaient pourtant rêvé de ce moment, où ils entendraient leurs voix pour la première fois. Ils savouraient ce moment, encore plus magique que ce qu’ils s’étaient imaginés. Callie le regarda tendrement et l’invita à l’intérieur. Il ramassa son sac et là suivi sans une parole. La porte se referma sur ce bonheur naissant.
Dans l’air flottait un air de Marvin gay « Ain’t no montain » pensa Paul, l’un de ses titres favoris et une odeur sucrée et fruitée de pâtisserie, très certainement une tarte aux fraises. Pas de doute Callie l’attendait.
Callie prit sa veste en cuir et l’accrocha au porte manteau de l’entrée. Paul jeta un coup d’œil rapide autour de lui. La maison était propre, bien rangée dans un style moderne. Du blanc laqué mélangé à de la boiserie. Un contraste qui lui fit immédiatement pensé à Callie. Le salon était décoré avec soin, plutôt épuré, Callie avait du goût et il aimait ça.
Elle emmena les mets rapportés par Paul à la cuisine. La bouteille de champagne était fraiche mais elle préféra la laisser au réfrigérateur pour accompagner le dessert et ouvrit la bouteille de rosé. Elle souriait à l’idée que Paul avait bien fait attention à ses PS. Son cœur battait la chamade, Paul lui avait fait la même impression que ses lettres dès qu’elle l’avait aperçu. Elle sortit deux verres à pied du placard, les disposa sur un plateau dont le fond était recouvert de photographies en noir et blanc. Elle versa le rosé généreusement et emplit également une coupelle de noix de cajou et une autre de crackers goût emmental. Elle ne voulait pas perdre de temps en préparation des toasts qu’elle avait pourtant prévu. Elle rejoignit rapidement Paul dans le salon, le plateau à la main et l’invita à s’installer dans le canapé. Naturellement, elle alla s’asseoir juste à côté de lui. Paul la regardait. Ses yeux trahissaient amusement, joie et désir. Callie ressentait cette attraction qui l’avait fait bouillir dans les lignes de Paul mais elle ne voulait pas aller trop vite. Le baiser qu’il avait déposé sur ses lèvres lui avait donné une sensation d’inachevée mais elle voulait faire perdurer ce jeu de la séduction un peu plus longtemps. Et que penserait Paul, si à peine quelques minutes après leur rencontre, elle lui sautait dessus comme un animal en chaleur ? Paul était d’un naturel plus patient, se contenir était moins difficile pour lui, bien que l’envie lui tiraillait les entrailles. Ils prirent leur verre, trinquèrent et avalèrent une grosse gorgée du liquide rose foncé qui allait certainement les détendre un peu. Callie lui présenta Paparazzi, un petit chat noir au poil légèrement angora. Une petite boule de douceur. Il le caressa et une complicité s’installa tout de suite entre eux sous les yeux ébahis de Callie, surprise que son animal adopte si rapidement un homme. Il était plutôt craintif et solitaire habituellement. Paparazzi se lova sur les jambes de Paul qui souriait tendrement. Paul reposa son verre et prit la main de Callie entre les siennes. Ce contact physique réveilla tous ses sens mais il n’irait pas plus loin ce soir. Ils avaient du temps désormais. Du temps pour apprendre à se connaitre. Une petite rougeur apparut sur les joues de Callie malgré ses petites tâches de rousseur que Paul trouvait adorables. Ils parlèrent longuement de leur vie, de leurs passions, de leur famille. Callie avait bien noté dans l’une des lettres de Paul qu’il parlait de la recherche de ses racines mais elle n’avait pas voulu aborder le sujet par écrit. Elle avait préféré attendre que Paul puisse lui en parler en face à face. Paul lui expliqua qu’il avait été adopté et que, c’était dans cet évènement, qu’il avait puisé les idées de son tout premier roman, écrit à l’âge de 15 ans. L’écriture s’était imposée à lui comme une évidence. A 18 ans, il avait été publié pour la première fois et sa maison d’édition ne l’avait plus jamais lâché après cela. Callie buvait ses paroles. Il avait une façon bien à lui de raconter son histoire, comme s’il était le personnage principal de l’un de ses romans. Elle n’avait pas lu « Du vent dans les voiles » mais elle le ferait dès que possible. Elle avait envie de le connaitre sous tous les aspects de sa vie. Paul était émerveillé, cet humour qu’il lui avait trouvé dans ses lettres était encore plus marqué à l’oral. Ils riaient de bon cœur et avaient tous les deux envie d’arrêter le temps, sur cette rencontre que, ni l’un ni l’autre, n’aurait pu espérer. Ils dinèrent sans s’arrêter de parler. Le Bœuf Bourguignon était très réussi. Les carottes étaient moelleuses et gorgées de sauce et la viande savoureuse et tendre. Callie fut positivement surprise. Elle retourna dans la cuisine chercher la tarte aux fraises. C’était une cuisine à l’américaine, elle pouvait donc continuer à observer Paul et elle ne s’en lassait pas. Elle disposa deux coupes de champagne bien remplies sur le plateau, deux petites assiettes à dessert ainsi que les petites cuillères. Elle déposa deux belles parts et retourna dans le salon. Elle n’avait pas eu envie de diner à table, peut-être parce que cela lui aurait paru trop formelle et surtout, elle avait besoin d’être proche de Paul après tous ces mois séparés. Elle espérait que la tarte soit à la hauteur du plat qu’ils venaient de déguster. Elle regarda Paul enfourner une grosse cuillère dans sa bouche. Elle voulait lire une réaction sur son visage et elle ne fut pas déçue. La tarte était exquise. Sucrée comme il fallait. La crème pâtissière était tout simplement parfaite et Paul adorait les fraises. Elle fut ravie que le dessert lui plaise. Ils sirotèrent leur champagne qui se mariait parfaitement avec la tarte. La soirée se déroulait exactement comme Callie l’avait espéré. Ils étaient repus. Le repas était gargantuesque et il sentait peser sur leur estomac, un trop plein de nourriture. Ils riaient aux éclats et se dévoraient des yeux. Callie proposa une promenade sur la plage pour aider à la digestion et surtout, elle n’omit pas de lui faire remarquer que c’était sur la liste. Paul souriait malicieusement tout en lui disant qu’il aurait été ravi de la voir dégoulinante de sueur. L’air était doux, Callie avait juste posé un châle sur ses épaules et Paul n’avait pas ressenti le besoin de récupérer sa veste. Callie attrapa le sac de Paul, qui était désormais vide et y glissa une couverture, la bouteille de champagne entamée et deux coupes en plastiques. Paul porta le sac d’une main tout en tenant la main de Callie de l’autre et ils se dirigèrent vers la plage. Callie souriait, elle le regarda et balbutia un : « mon petit Paul ». Ils partirent tous les deux dans un grand éclat de rire. La plage n’était pas très loin et la lune éclairait les dunes. Ils s’installèrent confortablement sur la couverture près de la mer. Le bruit des vagues et les étoiles qui brillaient au dessus de leur tête rendaient ce moment magique. Paul s’allongea pour profiter du spectacle mais Callie resta assise comme pour lui avouer quelque chose. Paul, pourtant, ne s’inquiétait pas du tout, cette rencontre avec Callie dépassait toutes ses espérances. Callie regardait la mer, les yeux perdus dans le vague. Après quelques minutes de silence, elle prononça ces quelques mots : « Paul, je crois que je suis prête à m’attacher maintenant ». Paul l’attira doucement vers lui et l’enlaça tendrement. Elle posa sa tête au creux de son épaule et ensemble ils regardèrent ce ciel comme ils en avaient si longtemps rêvé. Ils discutèrent longuement et la bouteille de champagne se vida au rythme de leurs rires dans la nuit. Paul pensa qu’il avait eu une bonne idée en se rendant chez Callie à pied ce soir.
Un peu plus loin, cachée dans l’obscurité sur la terrasse de la maison de sa grand-mère, Lucie observait la scène sans en perdre une miette. Elle aurait aimé entendre ce qu’ils se disaient mais leurs éclats de rire et leur gestuel en disaient déjà long. Elle savait à cet instant que plus qu’une correspondance, un amour était né. Elle ressentait des sentiments partagés en scrutant ce couple. Elle était heureuse que Callie fasse naître en Paul ces sensations oubliées mais elle la détestait aussi d’être là, dans ses bras, et de profiter de son écrivain à elle. Lucie avait éteint tous les éclairages de la maison et de l’extérieur. Il fallait qu’elle reste dans cette pénombre et surtout que Paul ne puisse pas l’apercevoir. Il n’était jamais venu dans la maison de Mamie Chou et c’était une aubaine. Lucie jubilait à l’idée d’avoir choisi Callie et de lui avoir fait parvenir cette lettre, qui ne lui était pas adressée. Son plan avait fonctionné à merveille. Dans une autre vie, elle se serait targuée d’être un petit cupidon. Mais ce n’était pas le moment de penser à ça. Elle ne laisserait pas Callie détruire la vie de Paul. Elle ne pouvait pas accepter qu’elle devienne une distraction dans son travail. L’écriture, c’était ce qui définissait Paul, c’était la seule chose qui comptait et Callie n’était que la passerelle vers la gloire.
Paul embrassa Callie à pleine bouche. Il ne pouvait pas détacher son regard de cette femme magnifique, qu’il pouvait enfin tenir entre ses bras. Et Callie ne voulait pas que ça s’arrête. Pour la première fois, elle savait que sa place était là, lovée contre Paul. Son charme ravageur, ses yeux malicieux d’un vert profond, ses cheveux un peu long encadraient parfaitement son visage bronzé. Elle l’avait attendu depuis toujours et elle allait le garder.
A contre cœur, ils quittèrent la plage pour retourner au 10 allée des tilleuls. Ils jetèrent un dernier regard vers le ciel étoilé qui leurs promettait de magnifiques soirées à venir. Paul récupéra son sac et ne tarda pas à quitter Callie. Il avait envie de rester mais il savait qu’il ne pourrait plus résister longtemps à l’envie de la déshabiller et il s’était promis que ça n’arriverait pas ce soir. Pas à leur première rencontre. Il était romantique et l’heure n’était pas venue. Il planta un baiser sucré sur les lèvres de Callie tout en lui caressant le visage. Il enroula un doigt autour de l’une des mèches de ses cheveux. Il la regarda fixement, il voulait graver à jamais son merveilleux visage dans son esprit. Callie serait sa muse, il en était persuadé. Il lui sembla que Callie faisait de même. Il enfila son manteau et partit dans la nuit sans se retourner au risque de revenir sur ses pas et de la faire basculer sur le canapé. Callie le regarda s’éloigner, un sourire aux lèvres, puis, rentra et ferma la poste à clef derrière elle.
Lucie ne pouvait plus attendre. Admirer les amoureux l’avait rendu complètement dingue. Elle avait ce qu’elle voulait maintenant il lui fallait agir et vite. Il était à peine sept heures. Trop tôt pour débarquer chez Callie. Elle avait passé la moitié de la nuit à rédiger une longue lettre en tentant de ne pas être trop extrême dans ses propos. Il fallait qu’elle soit claire mais aussi qu’elle fasse en sorte que le contenu paraisse réaliste. En écrire assez pour susciter le désespoir mais pas trop pour que personne ne se pose de question. Elle avait fait multiples tentatives et la poubelle regorgeait de feuilles froissées. Elle avait réfléchi des heures à ce qu’elle pourrait bien dire à Callie mais, comme à son habitude, elle misait sur l’instinct et l’instant. Elle attendit dix heures en arpentant la plage pour se calmer. Quelques minutes plus tard, elle frappait à la porte de Callie, son petit sac en toile pendant à son bras. Callie ouvrit la porte et ne mit pas longtemps à reconnaitre la jolie brune qui lui avait remis la lettre de Paul, quand son facteur s’était absenté. Avait-elle du courrier à lui remettre ? Elle se souvenait qu’elle ne l’avait pas trouvé très agréables lors de ce premier contact. Mais là, elle paraissait différente. Joviale, souriante, presque agréable.
Lucie se présenta rapidement.
« Bonjour, je suis Sophie Ricin », le choix de son patronyme là fit sourire intérieurement. « Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais je vous avais remis un courrier il y a quelques semaines pendant le confinement. En effet, j’habite une petite maison sur la plage et le facteur avait dû se tromper de boite aux lettres ».
Encore une erreur postale, pensa Callie. Heureusement cette fois, la lettre n’avait pas été ouverte et cette "Sophie", pas assez désespérée pour écrire à son Paul. Finalement, Sophie lui avait été d’une grande aide en lui remettant la lettre de Paul et elle l’invita à entrer pour la remercier convenablement.
Lucie accepta l’invitation. Elle avait espéré que Callie se sentirait assez redevable pour la faire entrer.
Callie lui proposa une tasse de thé et Lucie accepta immédiatement.
« Vous aimez le citron ? » ?
Ce n’était pas du Earl grey mais ça ferait l’affaire.
« Oui, j’aime beaucoup , vous avez du sucre ? »
Callie apporta le plateau avec les tasses fumantes et des petits biscuits à la noix de coco. Elle aimait le mélange de ces deux saveurs.
Callie regardait Lucie et ne pouvait s’empêcher de la trouver très belle. Elle se demandait aussi ce qui se serait passé si Sophie avait finalement gardé la lettre et écrit à Paul. Elle chassa rapidement cette idée. La soirée de la veille avait été merveilleuse et Paul était à elle et à personne d’autre.
Lucie, elle aussi, regardait Callie et elle pouvait voir l’amour transparaitre sur son visage.
Callie avait oublié le sucre, elle n’en prenait jamais. Elle retourna donc à la cuisine et se mit sur la pointe des pieds pour atteindre l’étagère du haut, où il était rangé. Lucie ne voyait désormais que son dos.
Elle mit quelques instants avant de sa saisir du petit pot en verre rempli de sucre et retourna s’asseoir à la table du salon. Elles échangèrent quelques banalités sur le temps qu’il faisait, les endroits merveilleux à visiter dans la région et surtout la fin inespérée de ce confinement. Lucie pesait ses mots, elle ne devait surtout pas faire d’impair et ne pas parler de Paul. Elles discutèrent des artistes de la région, des peintures de Raphaël Sanchez, des sculptures de Benjamin Maure et des poètes, qui faisaient très souvent des lectures dans la petite bibliothèque près du port. L’évocation de l’endroit où Lucie avait rencontré Paul, réveillait en elle, un sentiment de rage et de dégoût envers Callie. Mais Lucie refoula ses émotions et afficha un sourire figé qui en disait long mais passa inaperçu pour Callie, qui physiquement, était dans son salon mais psychologiquement, occupée à penser à sa prochaine rencontre avec Paul.
Peut-être l’emmènerait-il faire cette ballade en moto dont ils avaient parlé.
Lucie demanda à passer aux toilettes avant de quitter la maison. Elle ne souhaitait pas s’y attarder plus longtemps. Elle avait obtenu ce qu’elle souhaitait et ne voulait pas risquer de mettre son plan en péril. Elle remercia Callie pour la tasse de thé et lui proposa une éventuelle sortie entre filles plus tard si l’idée la tentait. Lucie n’en pensait pas un mot mais elle devait se montrer polie et n’éveiller aucun soupçon chez sa nouvelle amie. Callie n’avait pas la moindre envie de se lier d’avantage avec Sophie. Elle ne l’a trouvait pas honnête. Quelque chose en elle ne lui plaisait définitivement pas. Elle l’avait remercié et c’était déjà bien suffisant.
Paul mourrait d’envie de revoir Callie mais il s’était donné une journée complète pour prendre le temps de penser à cette belle soirée et Paul devait vraiment travailler. Sa maison d’édition insistait pour qu’il leur transmette les quatre premiers chapitres de son nouveau roman et il n’en avait écrit que deux. Cette soirée, comme les lettres de Callie, lui avait redonné l’envie d’écrire et il savait maintenant qu’elle serait la fin de l’histoire de « La plume du destin ». Cette rencontre n’avait fait que renforcer ses sentiments pour Callie et il allait s’en servir pour écrire son plus grand chef d’œuvre.
Callie, elle aussi, trépignait d’impatience mais elle avait quelques dossiers en court, qu’elle ne pouvait pas laisser de côté. Antoine, qu’elle suivait depuis plus d’un an, avait besoin de ses compétences pour obtenir une aide de l’état afin de pouvoir faire l'acquisition d'un lit médicalisé. Son état de santé, suite à l’accident de voiture, se détériorait et il devenait difficile pour lui de se coucher dans son lit. Il avait bien une aide à domicile qui l’aidait dans son quotidien mais, perdre son autonomie, était bien pire que les douleurs dont il souffrait.
Callie s’installa dans le canapé avec son ordinateur portable et commença à travailler. Elle aimait se sentir utile et aider ses semblables. Cela ne lui demandait aucun effort car c’était tout simplement dans son caractère et Antoine comptait beaucoup sur elle. Il était déjà dix-sept heures trente, Callie ne s’était pas rendue compte qu’elle travaillait depuis si longtemps. Elle n’avait même pas fait une pause pour déjeuner. Elle se sentait barbouillée pourtant, depuis une trentaine de minutes déjà. Elle avait la nausée et une envie de vomir qui grandissait. Prise de spasmes, elle se dirigea dans les toilettes, la tête au dessus de la cuvette. Elle avait mal au ventre et sentait la sueur perler sur son front. Peut-être une indigestion mais son dernier repas datait de la veille au soir et elle n’avait mangé que deux petits gâteaux à la noix de coco ce matin. Les spasmes étaient de plus en plus forts et elle ne parvenait pas à vomir. Elle attrapa son téléphone et composa le numéro des pompiers. Elle sentait que quelque chose n’allait vraiment pas et qu’elle ne serait pas capable de conduire. Elle aurait voulu contacter Paul mais elle ne pouvait pas le faire par téléphone. Il faudrait qu’il installe une ligne fixe, pensa-t-elle. Quand l’ambulance arriva, Callie était couchée à même le sol du salon et se tordait de douleur. Olivier Bardot, l’ambulancier en chef, prit très vite la décision de conduire Callie à l’hôpital. Elle ne parvenait presque plus à parler, tant la douleur retournait son estomac. Elle fut immédiatement prise en charge dans le service de médecine générale. Les symptômes ressemblaient à une intoxication alimentaire mais rien de ce qu’elle avait mangé ne pouvait engendrer de telles douleurs. Le Dr Matula, grand à la peau ébène et aux yeux noirs, appela une infirmière. Il avait besoin d’urgence qu’on prélève du sang à Callie et souhaitait également une analyse d’urine. Il ne pouvait pas soulager sa douleur tant qu’il n’en aurait pas trouvé la cause et son état empirait de minute en minute. Callie, allongée sur une civière avec pour tout vêtement, une blouse blanche en coton bien trop grande pour elle, grelottait. Elle aurait tellement aimé que Paul soit là pour la réconforter et la réchauffer. Le Dr Matula s’impatientait, ce n’était quand même pas compliqué de faire une prise de sang et de l’apporter au labo. Pourquoi ces tests prenaient-ils autant de temps ?
Il descendit lui-même l’escalier qui menait au sous sol pour attraper une laborantine. Le cas de Callie était grave et il n’était pas question d’attendre plus longtemps. De sa voix forte et bourrue, il s’adressa à Stéphanie, la laborantine. Il était sous pression et il fallait bien qu’il passe ses nerfs sur quelqu’un. Stéphanie, les larmes au bord des yeux, quitta la pièce pour revenir quelques minutes plus tard aves les résultats des examens de Callie. Le Dr Matula ouvrait de grands yeux écarquillés. L’analyse d’urine montrait des signes indéniables d’un empoisonnement à la ricine. C’était un arbuste, certes très présent dans le sud et il y avait quelques massifs à Collioure mais il aurait fallu en ingurgiter une grosse quantité pour arriver à ce résultat. Callie aurait dû avaler au moins quatre ou cinq graines pour des symptômes aussi sévères. Pourquoi aurait-elle mangé ces fruits ? Avait-elle tenté de se suicider ? Mais dans ce cas, pourquoi appeler une ambulance ? Avait-elle regretté son geste ? Dans un premier temps, il fallait la sauver, il lui poserait toutes ces questions quand son état serait stabilisé. Il devait tout de même faire part de ses doutes au personnel soignant afin que Callie soit surveillée de près et ne tente pas autre chose. L’empoisonnement à la ricine reste quelque chose de rare et, habituellement, il faut inspirer et expirer plusieurs minutes le poison pour qu’il soit mortel. L’ingérer était risqué également mais heureusement pour Callie, ce n’était pas le mode d’administration le plus dangereux. Le Dr Matula ordonna qu’on mette Callie sous nébulisateur. Il n’était pas très sur du résultat car le traitement n'avait été testé que par l’INSERM. Cependant, il ne voyait pas d’autre possibilité. Il fallait, pour soigner Callie, qu’il puisse déposer les anticorps contenus dans le nébulisateur, directement sur les alvéoles des poumons afin de stopper les dégâts que le poison avait déjà commis. Callie resta quelques temps avec l’appareil collé sur son nez et sa bouche. Elle souffrait énormément et ne comprenait absolument pas ce qui avait bien pu arriver.
Le Dr Matula devait prévenir la police. Il fallait que des agents puissent se rendre chez Callie pour inspecter les lieux et se saisir du poison. La fouille de sa maison leur permettrait peut-être de comprendre comment cet empoisonnement avait été rendu possible. Il hésitait, il était surement plus judicieux d’attendre quelques heures que Callie se sente assez bien pour leur parler. Il allait attendre. Quelques heures ne changeraient rien à la situation et Callie était bien surveillée désormais.
Le traitement fit effet très rapidement, ingéré le poison était moins efficace. Callie avait comme un goût de noisette dans la bouche. Elle n’arrivait pas à se souvenir quand cela avait commencé.
Le Dr Matula, les bras croisés sur son torse, regardait Callie comme une criminelle. Il n’éprouvait aucune empathie pour ces personnes qui osait aller à l’encontre de la volonté de Dieu. Un regard accusateur qui rendait Callie fébrile.
« Mlle Courtois, Callie si vous permettez, pouvez-vous me dire pourquoi vous avez décidé de manger des fruits toxiques » ?
Callie était interloquée, des fruits toxiques ? Mais de quoi pouvait bien parler ce médecin ? Pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ? Elle rassembla ses esprits pour répondre enfin :
« De quels fruits parlez-vous docteur ? Je n’ai rien avalé depuis hier soir, excepté un thé au citron et des biscuits à la noix de coco. Pourquoi voudriez-vous que je mange des fruits toxiques ? Et de quels fruits parlez-vous ? »
« Callie, votre analyse d’urine montre très clairement que vous avez ingéré de la ricine, quatre à cinq graines pour être précis, vous voyez les arbustes près de la place du marché » ?
Callie cligna des yeux comme pour faire disparaitre le médecin et l’hôpital tout entier. Il devait s’agir d’un cauchemar. Elle ne pouvait tout simplement pas passer de la plus belle soirée de sa vie avec Paul à cette situation grotesque.
« Docteur, vous êtes bien sur que j’ai été empoissonnée » ?
« Callie, la ricine est un poison puissant lorsqu’il est inhalé. Heureusement, vous avez l’idée saugrenue de l’ingérer, ce qui en a diminué les effets mais vous devez-me dire quelles raisons vous ont poussées à faire un tel geste ? Vous devrez être suivie par l’un de nos psychologue pour qu’il s’assure que votre état psychologique vous permet de rentrer seule chez vous quand vous serez complètement sur pied. Vous comprenez » ?
« Docteur, je me répète mais je n’ai pas mangé ces fruits dont vous parlez. Et si je suis malade, alors mon ami Paul doit l’être également puisque nous avons partagé le même repas. »
« Callie, qui est ce Paul ? Pouvez-vous nous dire où il réside ? Si vous n’avez pas mangé volontairement ces fruits alors quelqu’un à cherché à vous tuer. »
Callie sentait son cœur battre si fort qu’elle avait la sensation qu’il allait sortir de sa poitrine. Elle en était intimement persuadée, Paul avait mangé et bu exactement la même chose qu’elle et c’est elle qui avait préparé les assiettes. Jamais il ne lui aurait fait du mal, l’idée était absurde.
« Docteur, quel goût à ce poison, si il en a un » ?
« Si je devais le décrire, bien que je n’en ai évidement jamais mangé, je dirais un léger goût de noisette. »
Callie en sentait encore le goût sur sa langue, il fallait absolument qu’elle se souvienne du moment où cette impression avait commencé. Ce n’était pas la veille, elle en était certaine mais plutôt ce matin.
« Docteur, vous devez contacter Paul et lui raconter ce qui m’est arrivé. Je veux être certaine qu’il se porte bien et j’ai absolument besoin de lui parler. Je vous confirme que je n’ai mangé aucun de ces fruits volontairement et que j’ai commencé à avoir ces douleurs insoutenables vers 17h30. »
« Dans ce cas, vous avez du absorber le poison entre 10h et 11h du matin. C’est le délai avant que les premiers effets fassent leur apparition. »
Le Dr Matula en était sur maintenant, il devait contacter sans tarder la police de Collioure.
L’inspecteur Boujol, fraichement muté de Toulouse, répondit dès la première sonnerie. La vie de flic dans ce village était ennuyeuse à mourir et il attendait avec impatience une enquête qui pourrait lui redonner goût à son métier. Ici, pas de meurtre, peu de vols et à peines quelques cas d’ivresse sur la voie publique, lors des rassemblements des artistes. Très souvent, des poètes ratés qui cherchaient l’inspiration avec de la Mentheuse ou du Vermouth. Rien de très croustillant ni de très palpitant. L’inspecteur Boujol était un homme de taille moyenne, la peau mate et les yeux d’une couleur très particulière. Il avait ce petit accent craquant du sud de la France qui faisait encore rire ses collègues mais il était très respecté pour son professionnalisme et son taux d’élucidation d’enquêtes. Pas très épais et des tatouages à divers endroits, il dénotait quelque peu de la police locale.
Le docteur Matula lui exposa les faits tels qu’il les connaissait et cela ne suffisait pas à rallumer la flamme de l’enquêteur. Mais bon, il devrait se contenter de ça et cela restait plus intéressant que tous les appels qu’il avait reçus jusqu’ici. L’inspecteur Boujol dépêcha l’agent Bernier et ils se rendirent directement au domicile de la victime. L’inspecteur Boujol préférait toujours voir la scène de crime même si on ne pouvait pas réellement la qualifier de cette façon avant de s’entretenir avec les éventuels témoins ou la victime rescapée, dans ce cas précis. Callie voilà comment elle lui avait été présentée. La maison se trouvait dans un quartier tranquille de l’allée des tilleuls, pas très loin du bord de mer. Un meilleur choix pensa-t-il que son ridicule appartement rue du soleil matisse. Il était parti précipitamment de Toulouse et s’était contenté de la première habitation disponible. Sans femme ni enfant, ça n’avait finalement que très peu d’importance. La maison était ouverte, les ambulanciers n’avaient pas pris le temps de fermer à clef. L’état de la victime devait être sérieux et Callie devait être seule à son domicile. Ils entrèrent dans la maison et furent frappés par la propreté et surtout par le style épuré de la décoration. Bien loin de l’appartement de l’inspecteur Boujol, dont le sol était jonché de multiples vêtements et la table de la cuisine, parsemés de vieux cartons de pizzas et de canettes de bières vides. Finalement, cela allait rendre les recherches plus faciles. Il ne serait pas compliqué de repérer le moindre indice qui dépasserait ici où là. L’agent Bernier inspecta la salle de bain. La cuvette était relevée. Callie avait certainement eu besoin de vomir mais les toilettes étaient propres. Rien à signaler dans cette pièce. L’inspecteur Boujol s’était rendu immédiatement dans la chambre, son regard fut spontanément attiré par une feuille de papier, sortie de son enveloppe, sur la table de chevet. Il ne pu s’empêcher de lire la lettre qui disait :

Callie,
Tu sais comme je mets un point d'honneur à l'honnêteté et combien je ne peux cacher mes sentiments. Cette soirée passée ensemble m'a beaucoup plu je ne m'en cache pas. Cependant, en rentrant chez moi, je me suis vite aperçu que cette "magie" était rompue. Peut-être était-elle due à cette distance, au mystère ou que sais-je. Aujourd'hui, je me suis rendu compte que s'aimer sans se voir est en fait impossible et que cela n'était finalement pas fait pour moi. J'ai cru que cette flamme, présente dans nos lettres, continuerait de bruler mais ce n'est pas le cas, en tout cas pas pour moi. Peut-être qu'au fond nous avons juste fait fausse route dans cette relation et imaginer que nous pourrions être amoureux mais qu'en réalité, tout n'était qu'illusion. Voilà pourquoi aujourd'hui il vaut mieux que nos routes se séparent et que nous reprenions notre vie, là où elle s'est arrêtée, avant le confinement. La rupture me semble être la bonne solution, de toute manière, nous n'avons pas vraiment eu le temps de nous attacher, ni de construire quoi que ce soit. J'ai préféré t'écrire cette lettre de séparation pour t'expliquer ma décision de te quitter. J'espère que tu comprendras ma décision mais la vérité vaut mieux que le mensonge. Aujourd'hui, nous prenons des chemins différents et cela n'enlève rien aux sentiments que j'ai éprouvé pour toi durant notre longue correspondance. Ils étaient réels mais, contrairement à l'idée que j'avais pu m'en faire, ils se sont envolés.
Bonne route à toi Callie.
Paul.

Elle était signée Paul. A première vue, Paul ne semblait pas partager les sentiments de Callie. Etait-ce une raison suffisante pour tenter de se suicider ? L’inspecteur Christophe Boujol ne croyait pas en cette hypothèse. Il ne fallait pourtant pas la mettre de côté.
L’agent Bernier s’était ensuite rendu dans la cuisine à la recherche du poison que Callie avait ingéré. Aucune trace de ricine dans les placards. Il ouvrit le lave vaisselle et y trouva uniquement deux tasses et deux petites cuillères. Callie était sacrément organisée. Elle avait raconté que son dernier repas datait de la veille au soir et pourtant aucune assiettes, ni couverts. Tout avait soigneusement été lavé et rangé. Mais pourquoi deux tasses dans ce cas ? Callie était censée vivre seule. Avait-elle reçue de la visite le matin même ? Ce détail chagrina l’agent Bernier qui en fit immédiatement part à l’inspecteur Boujol. Christophe sortit les tasses du lave vaisselle pour les regarder de plus près. Elles avaient été rincées mais il restait un résidu au fond de l’une d’elle. Il l’empaqueta dans un sachet en plastique, il la ferait analyser plus tard. La maison avait été passée au peigne fin et ils n’avaient pas trouvé grand-chose à se mettre sous la dent. Il allait falloir interroger Callie pour obtenir plus d’informations.
Lucie était rentrée directement chez elle après sa courte visite à Callie. Elle avait entendu, quelques heures plus tard, la sirène d’une ambulance et sa curiosité aiguisée la démangeait. Elle avait passé son après-midi couchée sur un transat à regarder la mer agitée ce jour là. Elle s’était plongée dans la lecture d’un des romans de Paul qu’elle avait lu et relu au moins dix fois déjà mais elle était captivée par le style unique de l’écrivain. Elle se prenait à rêver que, bientôt, elle pourrait lire son prochain livre et elle s’était réjouie à cette idée.
L’inspecteur Boujol sentait que cette affaire ne serait pas aussi simple que les autres. Sans savoir pourquoi, il avait récupéré la lettre trouvée sur la table de nuit et l’avait enfouie dans un sachet plastifié pour en parler à Callie. Quelque chose dans les mots qu’il avait lu retenait encore son attention et prouvait peut-être la culpabilité de ce Paul.
L’inspecteur Boujol était du genre efficace et qui ne comptait pas ses heures. Une enquête résolue était pour lui un challenge réussi et sa carrière il l’avait bâti sur sa rapidité à élucider tout genre de mystères. Pour une fois que Collioure lui offrait une perspective intéressante, il allait se donner à fond. Il déposa l’agent Bernier au poste, il voulait interroger Callie seul. La jeune femme de l’accueil lui indiqua le numéro de chambre et il s’y rendit sans plus attendre. Callie était allongée, le teint pale, couverte d’un léger drap de coton blanc. Il faisait chaud en cette saison et le tissu rêche ne devait pas être agréable sur sa peau. Il fut immédiatement saisi par sa beauté et l’éclat de ses beaux yeux verts. Il ne pouvait pas se permettre de lui laisser entrevoir ses émotions, il reprit donc son sérieux en un éclair.
« Inspecteur Christophe Boujol » se présenta-il sans savoir pourquoi cette fois, il avait ajouté son prénom. Après tout, plus elle serait en confiance et plus il aurait d’informations facilement.
« Callie, c’est bien cela ? Le docteur Matula qui s’occupe de vous, nous a confié ce qui était arrivé et il nous affirme que vous n’avez absolument pas cherché à vous suicider en ingérant de la ricine. Je dois vous dire que j’ai fouillé votre domicile, ce qui est la procédure classique dans ce genre d’affaire et j’ai trouvé, sur votre table de chevet, un courrier d’un certain Paul qui me laisse quelques interrogations. »
Callie était encore embrouillée, La ricine n’avait pas encore été complètement évacuée de son organisme et elle se sentait encore un peu nauséeuse.
Elle ne fut pas choquée que ce policier soit entré dans sa maison mais comment avait-il pu trouver les lettres de Paul qu’elle cachait dans le double fond du tiroir de son bureau en acajou ? Et pourquoi avait-il choisi une lettre en particulier ? Callie essayait de se sortir de cet état de torpeur et cela lui demandait beaucoup d’efforts. Après quelques minutes, elle se tourna vers l’inspecteur.
« Inspecteur Boujol, vous avez déjà lu la lettre et je ne sais pas de quel courrier vous parlez alors pourriez-vous me la lire s’il vous plait. Je ne crois pas être encore en mesure de le faire moi-même. »
L’inspecteur accepta, il alla s’asseoir sur le petit fauteuil à coté du lit de Callie et lui fit la lecture.
Les traits de Callie se figèrent et le sanglot qui sortit de sa bouche fut déchirant. L’inspecteur mit cette réaction sur le coup de l’empoisonnement et des médicaments qui lui avaient été administrés. Si Callie réagissait de cette manière, alors qu’elle devait déjà avoir lu ces mots plusieurs fois, qu’avait-elle été capable de faire à la première lecture. Finalement, l’hypothèse du suicide était certainement bonne même si la déception se lisait sur le visage de l’inspecteur. Il savait qu’il n’avait pas le droit de penser cela mais lui, c’est une bonne vieille affaire de tentative d’homicide dont il avait besoin.
L’inspecteur Boujol attendait les résultats des tests qui devaient être effectués sur la tasse récupérée chez Callie. Décidemment, attendre ne faisait pas partie de ses qualités. Callie lui avait parlé d’un certain Paul et celui-ci ne pouvait être contacté par téléphone alors il allait lui rendre une petite visite de courtoisie. Après tout, il restait suspect et Callie avait expressément demandé, avant de connaitre le contenu de la lettre trouvée chez elle, qu’on le prévienne pour ce qui lui était arrivée.
L’adresse en poche, il préféra se déplacer à pieds, en longeant la plage. Cette ballade serait plus agréable et l’ennui le gagnait à nouveau. Il remarqua que les rues de Callie et Paul se situaient non loin l’une de l’autre. Il espérait qu’un jour, il ait la chance de faire lui aussi ce type de rencontre. Il appuya longuement sur le bouton de la sonnette, caché sous la végétation près du portail et fer forgé noir, qui avait du être repeint récemment. Le confinement avait permis de réaliser les menus travaux qu’on remet toujours à demain. Paul, les cheveux hirsutes, entrouvrit légèrement le portail. Il devait dormir, pensa l’inspecteur.
« Inspecteur Boujol » se présenta-t-il promptement. « Je suis désolé de vous déranger, mais votre amie Callie m’a demandé de vous rendre visite ».
« Callie ? Que se passe-t-il » ?
« Elle est actuellement hospitalisée dans le service de médecine générale de l’hôpital de Collioure, suite à un empoisonnement alimentaire ».
Après tout, ce n’était pas vraiment un mensonge puisque Callie avait bien ingéré de la ricine.
Les traits de Paul se crispèrent et ses poings, toujours agrippés à la barre de fer transversale du portail, devinrent blancs.
Christophe savait que la nouvelle l’avait dévasté. Mais était-ce parce qu’il s’inquiétait réellement pour elle ou un regret à l’idée de ne pas avoir réussi à la tuer ? Sa lettre n’était certes pas très agréable mais on ne pouvait y voir une forme de rage ou d’agressivité. C’était une banale rupture tout au plus.
« Comment va-t-elle » ? Demanda Paul.
« Plutôt bien, soyez sans crainte, l’antidote fait doucement effet et ses jours ne sont plus en danger. Elle devra certainement rester quelques jours là bas, une semaine tout au plus ».
« Comment s’est-elle empoisonnée ? Savez-vous ce qu’elle a pu manger ? Nous étions ensemble hier soir et avons partagé notre repas et comme vous pouvez le constater, je me porte très bien. Excusez mon aspect général, mais je suis écrivain et j’ai passé la nuit entière sur mon roman ».
« Je ne peux vous donner plus d’informations sur ce qui est arrivé à Callie, mais vous pourrez-vous rendre à l’hôpital quand nous aurons terminé de discuter, si vous le souhaitez ».
« Ne serait-il pas possible que j’y aille dès maintenant et que nous reportions cette conversation à plus tard dans la journée. Je veux m’assurer que Callie va bien ».
« Non Paul, je peux vous appelez Paul » ?
« Cela ne me pose pas de problème, c’est mon prénom en effet. Pardonnez ma remarque mais je suis sur les nerfs après ce que vous venez de me dire ».
« Passons, je dois vous avouer que je ne suis pas venu uniquement pour vous prévenir mais aussi pour vous interroger. Pourquoi avez-vous cherché à rompre avec Callie au lendemain d’une soirée qu’elle ma décrite comme idyllique » ?
« Rompre ? Mais qui vous a dit une telle bêtise ? Callie est la plus belle chose qui me soit arrivée depuis de nombreuses années. Elle représente tout ce que je recherche chez une femme. Elle est belle, intelligente, drôle et elle m’inspire comme je ne l’ai jamais été. Regardez ma tête, je n’ai pas quitté mon écran de la nuit et chaque mot que j’écrivais, c’est elle qui me les dictait. Vous comprenez Inspecteur Boujol ? Je l’aime et je suis au plus mal de savoir qu’elle est actuellement à l’hôpital et que je perds un temps précieux à parler avec vous. Pardon, vous n’êtes pas désagréable mais vous devez comprendre que j’ai mieux à faire à cet instant ».
« Paul, nous avons trouvé votre dernière lettre chez Callie. Elle m’a dit ne jamais avoir vu ce courrier avant que je ne lui emmène à l’hôpital aujourd’hui mais je pense que son cerveau a tout simplement fait un blocage et que c’est même peut-être votre courrier qui l’a poussé à ingérer de la ricine. »
Et merde, pensa Christophe, je ne devais pas lui faire part de cet élément de l’enquête. Mais bon, il ne fait aucun doute que Callie, si elle accepte de le voir, lui racontera tout.
« Mon courrier ? De la ricine ? Un suicide » ?
Autant de questions qui tourmentaient Paul et le rendait complètement impuissant. Certes, il ne connaissait Callie qu’à travers ses écrits et d’une seule et unique soirée, mais jamais celle qu’il aimait n’aurait tenté d’intenter à ses jours. Et quelle lettre ?
« Avez-vous ce courrier inspecteur ? Et puis-je y jeter un œil » ?
« Bien entendu ».
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Auréliedelphine


Paul déplia la feuille blanche. Il regarda immédiatement la signature et il était écrit Paul. Mais ce n’était pas son écriture, il en était certain. Une pâle imitation de son écriture cursive au mieux. Les L étaient bien allongés comme les siens et la queue des A, un peu courte mais il n’avait pas écrit ces mots. Paul commença à lire. Chaque mot faisait battre son cœur un peu plus vite, chaque mot était un poignard qu’on enfonçait un peu plus profondément dans sa poitrine. Il pensait à Callie, qui avait du souffrir en lisant chaque ligne. Comment aurait-il pu écrire toutes ces horreurs après une telle soirée avec elle. Et pire encore, comment avait-elle pu croire ne serait-ce qu’un instant qu’il avait été capable d’écrire cela. Cette lettre, en plus d’un contenu injustifiable n’avait aucun style. L’auteur avait essayé de lui ressembler mais ce n’était pas lui.
« Inspecteur, je peux jurer sur ce que j’ai de plus cher, que je n’ai jamais écrit le moindre mot de cette lettre, jamais je n’aurais pu dire de telles choses à Callie. Je vous l’ai dit, je l’aime. Faites vos trucs de policier. Demandez une analyse de la calligraphie et comparez cette écriture à la mienne et vous saurez qu’elle n’est pas de moi ».
Christophe était pensif. Callie disait ne pas avoir vu cette lettre avant et Paul ne pas l’avoir écrite. Cette enquête commençait à prendre un tout autre sens et surtout, elle devenait intéressante.
« Paul, m’autorisez-vous à fouiller votre domicile à la recherche de ricine vous vous en doutez bien » ?
« Evidemment vous ne trouverez rien chez moi Inspecteur ».
Christophe inspecta tout d’abord le jardin, à la recherche d’un arbuste aux feuilles violacées, similaires à celle d’un chêne. Comme il s’en doutait, il n’y en avait pas. Seulement du jasmin, des rosiers et de la lavande.
La fouille minutieuse de la maison ne donna rien de plus.
« Paul, vous buvez du thé » ?
L’inspecteur aurait préféré une bonne bière mais il avait besoin d’une réponse à cette question.
« Oui, vous en voulez un ? Uniquement menthe-citron ».
L’inspecteur avait encore une dernière question à poser à Paul.
« Paul avez-vous bu ce matin un thé avec Callie à son domicile » ?
« Non, nous ne devions pas nous voir aujourd’hui et comme je vous l’ai dit, j’ai écrit toute la nuit et Callie devait travailler sur un dossier important pour un jeune handicapé suite à un accident ».
« Très bien Paul, dans ce cas, je ne vous retiens pas plus longtemps. Je dois également me rendre à nouveau à l’hôpital afin de lui demander avec qui elle a pris le thé ce matin même ».
L’inspecteur voulait en premier lieu, récupérer les résultats d’analyse des résidus dans la tasse et il demanderait à ce qu’on relève également d’éventuelles empreintes sur le récipient. La tentative de suicide ressemblait de plus en plus à une tentative de meurtre et cela lui plaisait beaucoup.
Paul s’habilla à la hâte et coiffa ses cheveux rapidement en arrière. Il devait voir Callie au plus vite et surtout lui dire qu’il n’avait jamais écrit cette fichue lettre.
Callie était encore très pale, les traits tirés, les cheveux en bataille sur un oreiller de fortune. Il poussa la porte de la chambre 18, que l’accueil lui avait indiqué. Callie détourna le regard et n’ouvrit pas la bouche. Paul comprenait sa réaction. Comment aurait-il lui-même accepté une telle lettre après un si bon moment passé ensemble ?
« Callie, regarde-moi s’il te plait. Ou ne me regarde pas mais écoute-moi.
L’inspecteur Boujol m’a prévenu il y à une heure à peine de ton hospitalisation et des circonstances qui t’ont amenées ici. Tu dois me croire Callie, cette lettre qu’on-t-a lu … Je ne l’ai pas écrite. Je t’aime. Je n’ai pas pu te le dire si clairement hier soir mais je t’aime. Plus que tout au monde. Je sais que c’est incompréhensible et que je semble coupable mais je n’en ai pas écrit un mot. J’ai demandé à l’inspecteur qu'il fasse effectuer une analyse calligraphique. Si tu ne peux pas me croire, tu feras surement confiance à la science. Callie, je t’en prie, dis quelque chose. »
Callie tourna enfin son regard, plein de larmes vers Paul, qui se rapprocha doucement d’elle.
« Callie, dis-moi que tu me crois. Dis-moi que tu me connais suffisamment pour sentir au fond de toi que ces mots ne sont pas de moi. »
« Je te crois Paul et moi aussi je t’aime ». Elle murmura ces trois mots dans un souffle.
« Mais si ce n’est pas toi, qui l’a écrite » ?
« Callie, je ne sais pas mais dis-moi que tu n’as pas voulu te suicider à cause de ces horreurs. Je me sens si responsable ».
« Non Paul, à toi de me croire maintenant quand je dis que je n’ai pas avalé volontairement ce poison. Quelqu’un a écrit cette lettre et c’est surement cette même personne qui a essayé de me tuer ».
« Mais pourquoi » ? Enchaina Paul.
L’inspecteur Boujol, debout depuis plusieurs minutes devant la porte 18, choisit ce moment pour entrer et prendre la parole :
« Callie, Paul, je pense qu’il s’agissait d’une mise en scène minable pour faire croire à un suicide. Mais pourquoi tenter de vous tuer Callie ? Ca c’est encore un mystère. Avez-vous une idée ? Quelqu’un qui pourrait vous en vouloir assez pour passer à l’acte » ?
« Non inspecteur, je ne vois personne, je suis désolée », et elle fondit en larme sous le poids de la peur qui la comprimait et des douleurs atroces que les spasmes lui infligeaient encore.
« Callie, encore une question », marmonna l’inspecteur. « Pouvez-vous me dire qui était la personne avec qui vous avez bu un thé ce matin » ?
Entre la douleur, la peur et la déception, elle n’avait plus du tout pensé à ce petit déjeuner impromptu.
« Une femme, une belle brune, tu te souviens Paul ? Je t’en avais parlé dans l’une de mes lettres … C’est la fille qui avait remplacé mon facteur tombé malade. Elle s’est présentée à ma porte en me demandant si je me souvenais d’elle. J’ai immédiatement fait le rapprochement avec la fille qui m’avait apporté la lettre de Paul pendant le confinement. Inspecteur vous ne pourrez certainement pas comprendre mais ces lettres étaient devenues toute ma vie. Elles contenaient mes espoirs, ma joie et tant d’amour. J’ai voulu la remercier pour l’immense service qu’elle m’avait rendu et je l’ai invité à se joindre à ma table pour partager un thé et des petits gâteaux ».
« Callie, nous avons fait analyser les résidus dans l’une des tasses et attendons les résultats mais je crois qu’il va vous falloir vous rappeler des moindres détails concernant cette jeune femme. Il se peut que ce soit elle qui ait tenté de vous empoisonner ».
Callie était maintenant en état de choc. Pourquoi une femme qu’elle ne connaissait pas et qui avait prit le risque en plein confinement de lui transmettre son courrier, aurait ensuite tenté de la tuer ? Ce n’était pas logique et le cerveau de Callie ne parvenait pas encore à fonctionner à son plein régime.
« Callie, nous allons avoir besoin d’une description détaillée de cette femme ainsi que le récit de tout ce dont vous avez discuté ensemble. A quelle heure est-elle arrivée » ?
Callie rassemblait difficilement ses souvenirs.
« Vers 10h30 je crois, et elle est restée moins d’une heure. C’est une très belle brune aux longs cheveux brillants. Svelte, avec une poitrine assez provocante ».
L’inspecteur apprécia le portait.
« Avez-vous d’autres informations sur cette femme » ?
Callie se forçait a fouiller dans sa mémoire. Elle ne pensait qu’à Paul ce matin et n’avait pas prêté trop d’attention à sa visiteuse.
« Oui, elle m’a confié habiter une maison en bord de mer. Elle aime la lecture et les artistes je crois. Elle connait assez bien Collioure ».
Cette femme pouvait correspondre à des milliers d’autres dans la région.
« Elle s’appelle Sophie Pauli, oui c’est ça ».
Sophie Pauli, Christophe doutait fortement que le patronyme fut le bon. L’empoisonnement avait été prémédité et elle avait utilisé une plante, présente partout, pour éviter que la police puisse remonter jusqu'à elle. Cette fille était intelligente, minutieuse, précise et déterminée. Exactement son type de femme.
L’analyse calligraphique et des possibles empreintes sur la tasse pourraient peut-être lui fournir une piste.
Lucie était dans une colère noire, elle s’était renseignée sur la sirène d’ambulance qu’elle avait entendu et savait maintenant que Callie était à l’hôpital et surtout qu’elle était vivante. Comment avait-elle pu rater son coup. Elle avait écrasé assez de ricine pour tuer un cheval et Callie n’était pas très grosse. Elle avait même perdue du poids depuis leur dernière rencontre au marché. Elle avait bien lu que le poison était plus dangereux en inhalation mais ingéré, il restait mortel. Son plan sans faille avait échoué mais au moins, la police ne remonterait pas jusqu’à elle. Elle avait enfilé des gants en latex quand elle avait versé le poison dans la tasse de Callie. Elle n’avait donné que très peu d’éléments personnels pendant leur brève discussion et elle s’était débarrassée de la fiole contenant la ricine, en là jetant à la mer sur le trajet du retour. Agacée par l’échec, mais rassurée, elle se replongea dans l’un des livres de Paul. Il fallait qu’elle se change les idées et qu’elle réfléchisse à ce qu’elle allait faire maintenant.
L’inspecteur Boujol avait contacté le laboratoire pour faire pression et obtenir les résultats plus rapidement. Les résidus au fond de la tasse était bien ceux du poison utilisé pour tuer Callie, mais aucune empreinte excepté celles de la victime. Au moins, on pouvait relier la femme aux cheveux bruns à la scène de crime. Les tests calligraphiques allaient prendre un peu plus de temps.
Paul était debout, au pied du lit de Callie médusé par ce qu’il venait d’entendre. Il ressentait une sensation étrange. Celle de passer à côté d’un élément crucial. Il ne parvenait pas à savoir si c’était la lettre ou bien la description de cette femme qui le perturbait. Il avait comme un étrange pressentiment et il devait en avoir le cœur net. Paul embrassa Callie tendrement sur le front, sortit de l’hôpital et alla s’asseoir sur l’un des petits bancs, dont la peinture était écaillée, dans le parc sous la fenêtre de la chambre de Callie. Paul sortit son téléphone portable. Il avait du réseau ici, contrairement à chez lui. Il ne l’avait pas souvent utilisé mais il composa rapidement le numéro de téléphone de Lucie. Quelque chose le poussait à le faire. Elle décrocha rapidement. D’un ton trop enjoué, elle le salua et lui demanda de ses nouvelles.
Paul écourta les politesses.
« Lucie, où es-tu actuellement » ?
« A la maison pourquoi ? Tu es bizarre Paul ».
« Tu n’es pas venue à Collioure » ?
« Mais non pourquoi cette question ? Tu ne me crois pas ? Je peux te passer maman si tu veux ».
Lucie respirait trop vite, il fallait qu’elle se calme et surtout, il fallait que Paul la croie.
« Non, pardon, excuses-moi, les choses ne tournent pas rond en ce moment. Je suis un peu perdu. Oublies cet appel. Je suis désolé de t’avoir dérangée ».
« Paul, attends, tu ne me déranges jamais tu sais. Je n’ai pas répondu à ta lettre car j’ai compris que tu avais besoin de mettre un peu de distance entre nous et je voulais que tu te consacres à l’écriture mais je suis là, si tu as besoin de moi. J’espère que tu le sais » ?
« Oui Lucie, je sais. Merci de ne pas avoir cherché à me contacter. Je t’apprécie beaucoup mais j’ai quelqu’un dans ma vie aujourd’hui et je l’aime comme je n’ai jamais aimé auparavant. Tu as été tellement compréhensive, je ne pourrais jamais assez te remercier. Je veux que tu saches que j’ai débuté mon nouveau roman et que ton nom figurera sur la page des remerciements. C’est le moins que je puisse faire ».
« Paul, dis-moi ce qui ne va pas ».
« Je n’ai pas le temps de te parler maintenant, je dois te laisser, mais merci encore ».
Paul raccrocha et, au bout de la ligne, Lucie se félicita d’avoir été aussi convaincante. Paul ne devait pas savoir qu’elle était à Collioure, ni qu’elle ne voulait pas voir son nom cité sur la page des remerciements. Elle voulait être sa muse, être celle sans qui, il n’était plus capable d’écrire.
Paul était rassuré d’avoir eu Lucie en ligne et de la savoir encore à cent kilomètres de lui. C’était mieux ainsi.
Pourtant, quelque chose le tourmentait encore, il passait à côté d’un élément important et il ne pouvait pas se détacher de cette idée.
Paul retrouva Callie dans sa chambre et l’enlaça tendrement. Savoir que quelqu’un lui en voulait assez pour tenter de l’empoisonner le rendait malade. Elle ne rentrerait pas chez elle à sa sortie de l’hôpital, elle emménagerait chez lui, au moins le temps de sa convalescence, qu’elle le veuille ou non.
Paul resta avec Callie encore quelques minutes après l’horaire des visiteurs. Puis, quand elle s’endormi enfin, il attrapa sa veste en cuir, accrochée au dossier du fauteuil, et rentra chez lui.
L’inspecteur Boujol avait rentré le nom de Sophie Pauli dans toutes les bases de la police mais rien n'en ressortait. Cette identité ne figurait pas dans leurs fichiers. Il avait pourtant étendu ses recherches à l’ensemble du territoire national. Et rien. Il avait ensuite décidé de chercher sur tous les logiciels disponibles au commun des mortels : Google, facebook, whats app …, mais toujours rien. Comme il s’en doutait, Sophie Pauli n’existait pas ou elle était vraiment bien cachée. Un détail retenait son attention pourtant. Si le patronyme n’existait pas et s’il avait été inventé, était-ce un hasard que le nom de famille choisi par cette femme contienne le prénom de l’ami de Callie ? Non, ça ne pouvait pas être une coïncidence. Cette femme connaissait certainement Paul et cela avait forcément un lien avec la tentative d’empoisonnement de Callie. Il avait épuisé toutes ses pistes. Le seul espoir qu’il lui restait pour mettre la main sur l’assassin, c’était cette analyse calligraphique et il faudrait encore attendre plusieurs jours pour avoir les résultats. De plus, cela ne constituerait pas une preuve formelle devant un tribunal. La Calligraphie n’était pas considérée comme une science exacte et était remise en cause par de nombreux spécialistes. Il se consolait en se disant qu’au moins, il aurait une piste exploitable et trouverait, par la suite, des preuves plus tangibles. Mais plus les heures passaient, plus les preuves s’amenuisaient. Les premiers jours d’une enquête sont les plus fructueux, c’était la base de son métier.
Paul n’arrivait pas à dormir et écrire était devenu impossible. Toutes ses pensées étaient tournées vers Callie et son esprit lui criait de réfléchir. Il devait parler à l’inspecteur Boujol de ses soupçons, sinon il allait devenir dingue. Il valait mieux donner une fausse piste aux enquêteurs plutôt que de garder ça pour lui. Il sortit de sa maison et marcha jusqu’à la place du marché pour avoir un peu de réseau. Il composa le numéro de téléphone du commissariat, qui accepta de lui fournir celui du portable de l’inspecteur Boujol. Christophe avait été très clair à ce sujet. Il voulait pouvoir être contacté, à tout moment, par toute personne qui aurait des informations sur une affaire en cours. Il répondit immédiatement. Paul se présenta rapidement et lui expliqua qu’il avait besoin de le rencontrer rapidement afin de discuter d’une hypothèse qui envahissait sa tête toute entière. L’inspecteur accepta aussitôt, il n’avait rien d’autre à faire et son métier, c’était toute sa vie. Après tout, c’était l’occasion de boire ce thé qu’ils n’avaient pas encore partagé. L’inspecteur Boujol proposa de se rendre au domicile de Paul, un peu plus tard dans la soirée. Il avait quelques détails à régler avant. Il voulait s’entretenir avec le Dr Matula et s’assurer qu’il ne détenait pas d’autres informations, qui pourraient faire avancer l’enquête qui piétinait.
Callie s’était très rapidement réveillée après le départ de Paul. Un sentiment d’insécurité la submergeait. Elle, si forte, se sentait paralyser par la peur. L’image de cette femme hantait son esprit. Qui était-elle vraiment ? Juste un hasard sur sa route ? Elle n’y croyait plus. Beaucoup trop de choses étaient dues au hasard depuis cette première lettre reçue par erreur. Quelque chose clochait et elle n’arrivait pas à savoir quoi. Elle attrapa son portable et, tout comme l’inspecteur, chercha à retrouver cette femme sur les réseaux sociaux. Mais, aucune trace d’une certaine Sophie Pauli. La nuit de Callie fut peuplée de cauchemars et elle fut heureuse quand le soleil se leva enfin au matin.
Paul prépara du thé citron-menthe dans sa petite cuisine. L’eau dans la bouilloire serait bientôt assez chaude et ses petites boules à thé étaient déjà prêtes à infuser. Il n’aimait pas les sachets industriels, ils rompaient avec le charme du thé et n’avaient pas le même goût. C’était peut-être une idée préconçue mais c’était la sienne. L’inspecteur regardait Paul et pouvait sentir toute la détresse qui le ravageait. Lui qui n’était pas très sentimental, senti apparaitre un manque en lui. Il n’enviait pas leur situation actuelle mais l’amour qu’ils se portaient.
Paul versa l’eau fumante dans deux grandes tasses en porcelaine que sa mère adoptive lui avait acheté. Il y disposa les boules à thé et les laissa quelques minutes, pour une meilleure infusion. Pendant toute la préparation, les deux hommes n’échangèrent aucun mot. Puis Paul alla finalement s’asseoir sur la chaise en bois, faisant face à celle de l’inspecteur.
« Paul, vous m’avez dit vouloir me faire part de vos doutes sur l’affaire, je vous écoute ».
« Ecoutez inspecteur, vous allez surement penser qu’il s’agit des divagations d’un écrivain plein d’imagination mais, s’il vous plait, écoutez-moi attentivement et essayez de donner un peu de crédit à mon histoire. Il y a quelques mois, avant de débuter une correspondance avec Callie, j’étais en couple avec une certaine Lucie Farmer, qui habite à une centaine de kilomètres de Collioure. Notre histoire n’était pas parfaite, je n’étais pas amoureux, je le sais aujourd’hui mais je l’appréciais beaucoup. Lucie aimait l’écrivain et non l’homme que je suis mais je m’en contentais car elle croyait en moi et en mes romans. Quand le confinement a débuté, je lui ai écrit une lettre, mais cette lettre, c’est Callie qui l’a reçu par mystère et nous avons débuté ainsi cette correspondance, qui nous a amené à une belle histoire d’amour. J’ai écrit à Lucie ensuite pour lui dire la vérité sur ce qui m’arrivait et elle ne m’en a pas voulu mais n’a jamais répondu à mon courrier. Elle correspond parfaitement à la description que Callie a faite de cette femme brune avec qui elle a pris le thé, le matin de son empoisonnement. Quand le doute est devenu trop fort, je lui ai téléphoné et elle m’a dit qu’elle n’avait pas bougé et qu’elle était toujours chez ses parents. Quand elle m’a proposé de parler à sa mère, sur le coup, j’ai refusé et mes doutes se sont évanouis, mais seulement quelques heures. Elle venait assez souvent à Collioure pour me rendre visite. Elle ne restait jamais bien longtemps et je l’hébergeais à la maison mais je me demande si elle ne m’a pas menti et si elle n’est pas à Collioure depuis le début du confinement ».
« Paul, si vous pensez que votre ex a tenté de tuer Callie, quelle raison aurait-elle eu de faire cela ? Pensez-vous qu’elle soit assez jalouse pour commettre un tel acte ? Excepté la description, avez-vous autre chose qui porte à croire qu’elle puisse être coupable » ?
« Inspecteur, la lettre que vous m’avez montré, avez-vous eu les résultats de l’analyse calligraphique ? J’ai en ma possession plusieurs courriers écrits par Lucie ici, et le style est vraiment ressemblant. De plus, elle a avec elle de nombreuses lettres que je lui ai écrites et elle aurait pu facilement imiter mon écriture. Je suis conscient que sans mobile, c’est comme ça que vous dites dans votre jargon, ma théorie est improbable et je sais que je n’ai aucune preuve, mais pensez-y. Ne pourriez-vous pas localiser son téléphone portable et prouver qu’elle est ici à Collioure » ?
« Paul, je ne pense pas que vous êtes fou, simplement, nous ne pouvons pas demander une localisation de son téléphone sans indice la reliant à cette affaire. Si nous comparons les lettres de Lucie à cette dernière et, qu’en effet, les experts valident qu’il s’agit de la même personne, je serai à même de demander sa localisation. En attendant, je pourrai au moins me rendre chez ses parents et vérifier qu’elle est sur place. A moins que … Si vous avez une photo de Lucie, Callie pourra alors formellement l’identifier et nous la rechercherons ».
« Je n’ai pas de photo inspecteur, Lucie a toujours détesté se voir sur un cliché. Ses parents, depuis l’âge de 12 ans, n’en ont même pas et elle est bien présente sur les réseaux sociaux et des groupes d’écriture mais elle n’a jamais publié une seule photo d’elle ».
Décidemment, entre une Sophie Pauli introuvable et une Lucie farmer qui joue les fantômes, cette enquête devenait de plus en plus excitante aux yeux de l’inspecteur Boujol.
Son thé terminé, l’inspecteur Boujol avait très envie d’une cigarette. Foutue addiction mais il se limitait à cinq par jour depuis plusieurs années. Paul l’accompagna dehors et en alluma une également. Il ne fumait plus depuis des années, mais gardait toujours un paquet de secours pour les moments difficiles comme celui là. Il faisait nuit et les étoiles brillaient de mille feux. Les deux hommes fumèrent leur cigarette dans un lourd silence, sans même se regarder. Tous les deux trouvait un certains réconfort dans cette nuit étoilée, bien que leurs pensées soient si opposées. Christophe remerciait le ciel de lui avoir enfin envoyé un signe, lui prouvant que son départ de Toulouse était une bonne chose et Paul lui reprochait de lui soumettre une telle épreuve, après seulement une soirée de bonheur avec Callie. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. C’est la stricte loi de l’équilibre.
Christophe se leva très tôt, sirota un café et sortit son 4X4 du garage. Il voulait se rendre chez la fameuse Lucie au plus vite et il y avait beaucoup d’embouteillage en cette saison sur l’autoroute qu’il fallait emprunter sur cinquante kilomètres. Il avait repéré le trajet en rentrant de chez Paul, sur une vieille carte routière délavée. Son vieux Jumpy n’était pas équipé d’un GPS et il ne voulait pas utiliser sa voiture de fonction pour ne pas affoler Lucie et sa famille, dans le cas où l’hypothèse de Paul se révélerait complètement farfelue. Il avait quand même réussi à la convaincre de vérifier la présence de Lucie au domicile de ses parents. La jalousie pouvait constituer un excellent mobile, Christophe l’avait pratiqué maintes et maintes fois au cours de sa carrière, mais rien ne laissait présager ce trait de caractère chez Lucie. Paul lui avait dit que, pendant leur aventure, elle n’était pas venue souvent et ne restait pas très longtemps. Paul n’ayant pas le téléphone chez lui, leurs échanges se résumaient finalement à quelques lettres. Les mots de Lucie ne transpiraient pas une consumante passion mais plutôt un certain attachement à l’écrivain. Pour Christophe, Lucie ne semblait pas assez éprise, ni même possessive, pour tuer par amour ou par jalousie. Mais puisque les résultats de la calligraphie n’arriveraient que dans deux jours, vérifier cette hypothèse l’occuperait quelques heures.
Le trajet fut plus long que prévu, entre les embouteillages, les nationales où il n’avait pas pu doubler les poids lourds et le temps qu’il avait mis à trouver une place de parking. Lucie habitait la célèbre ville de Carcassonne, perchée en haut d’une colline et célèbre pour sa citadelle médiévale. Ville très touristique du fait de ses remparts, les trois parkings souterrains étaient bondés à cette époque de l’année. L’inspecteur Boujol n’était pas du genre à préparer un beau discours mais plutôt intuitif, il improvisait toujours très bien. Il tambourina à la porte quand il remarqua l’absence de sonnette. La maison semblait grande et bien entretenue. En centre ville, elle devait valoir une blinde. Une vieille dame, les cheveux blancs et frisottant, lui ouvrit la porte. Apparemment, il n’était pas à la bonne adresse. Puis il entendit une voix lointaine crier : « mamie chou, qui est là » ?
Mamie chou, original ! Finalement, il était peut-être au bon endroit et venait d’entendre la voix de Lucie. Comme la vieille dame ne répondait pas, une autre tête apparut à dans l’embrasure de la porte. Une femme, plus jeune, mais pas assez pour correspondre à la description de Lucie. Elle était grande, mince, la cinquantaine avec de beaux yeux noisettes. Elle avait du être belle, mais sa paire de lunettes vieillotte et ses vêtements amples et bariolés, ne le laissaient qu’entrevoir.
« Inspecteur Boujol de la police de Collioure, j’aurais souhaité parler à Lucie Farmer ».
La femme repoussa légèrement ses lunettes sur son nez comme pour mieux me contempler. Elle avait un petit sourire moqueur, qui ne présageait rien de bon.
« Monsieur l’inspecteur, je crains que vous ne vous soyez déplacé pour rien. Ma fille Lucie n’est pas à la maison depuis plusieurs jours. Elle est partie avec notre voiture et sa petite valise rouge sans un mot d’explication alors que nous étions encore tous confinés. J’ai essayé de l’en dissuader mais vous ne connaissez pas ma fille. Quand elle a une idée dans le crâne, impossible de la faire changer d’avis. C’est une gentille gamine mais elle n’en a toujours fait qu’à sa tête ».
« Mme Farmer, vous ne savez vraiment pas où elle a pu aller » ?
« Surement rejoindre son satané écrivain. Encore un bon à rien qui se croit meilleur que les autres. Ma fille s’acoquine toujours avec des artistes qui n’ont pas un sous. Elle ne comprend pas que notre fortune les attire. Je crois que c’est sa façon à elle de s’extraire de notre monde ».
« Mme Farmer, quand vous dites son écrivain, vous parlez de Paul, son ex petit ami » ?
« Et oui, qui d’autre ? Ca fait plus d’une année qu’elle fricotte avec ce boulet alors que nous passons notre temps à le lui interdire. Paul n’a même jamais mis les pieds chez nous. Et, croyez-moi, ils ne se voyaient pas beaucoup ».
« Mme Farmer, saviez-vous que Paul et Lucie avaient rompus » ?
« Rompus ? Mais vous ne savez pas comme vous me faites plaisir avec cette nouvelle. Ce n’était pas trop tôt. Elle a peut-être enfin réalisé que ce garçon ne lui apporterait rien de bon. Ecrivain ! Il n’est même plus capable d’écrire une ligne depuis son dernier bouquin qui, soit dit en passant, était vraiment médiocre. Je me suis toujours demandée ce qui pouvait autant fasciner Lucie dans ces romans Arlequin. Mais que voulez-vous, à 25 ans on est naïve et pleine de rêve ».
« Mme Farmer, Lucie n’est pas chez Paul, je peux vous l’assurer. Avez-vous eu de ses nouvelles depuis sont départ précipité » ?
« Aucune, maintenant je suis désolée mais je vais devoir vous laisser. Mamie Chou a quelques soucis de santé et nécessite toute mon attention. Je vous souhaite bien du courage pour remettre la main sur Lucie. Elle est surement à la recherche d’un nouvel artiste à aduler comme d’habitude ».
La porte se referma, laissant l’inspecteur Boujol en pleine réflexion. Lucie n’était donc pas à Carcassonne mais rien ne la situait à Collioure non plus.
Il reprit la route et ce retour lui parut encore plus long que l’allée car il n’avait obtenu aucun début de preuve.
Paul était retourné à l’hôpital pour rendre visite à Callie. Ne pas la voir était un supplice. Il ne lui avait pas parlé de ses doutes qui accablaient Lucie et il ne le ferait pas, tant qu’il ne saurait pas ce qu’avait appris l’inspecteur, lors de sa visite à Carcassonne. Il ne servait à rien de lui faire espérer que l’enquête avançait, pour ensuite anéantir ses espoirs. Callie était magnifique et semblait aller mieux déjà. Elle avait enfilé des vêtements et s’était très légèrement maquillée. Sarah avait du lui rendre visite. Il s’approcha doucement du fauteuil où elle était assise, un livre entre les mains. Il reconnu immédiatement la couverture, c’était son livre : « Du vent dans les voiles ». Il la regardait tendrement et essayait d’imaginer à quoi elle pouvait bien penser en lisant ces lignes. Il espérait que l’ouvrage lui plairait et qu’elle ne l’associerait pas à Lucie. Elle ne devait pas s’interférer entre eux, de quelques manières que ce soit. Callie leva les yeux sans bouger la tête et il fut immédiatement plongé dans son regard vert. Elle lui fit signe de s’approcher, se leva quand il arriva à sa hauteur et l’enlaça tendrement. Il avait envie de sa bouche. Il ne l’avait pas embrassée lors de sa précédente visite. Entre son état de santé et cette lettre absurde, le moment était mal choisi. Il l’embrassa, un baiser tendre que la passion emporta avec elle. Ils n’étaient plus dans cette chambre aseptisée, pendant un instant, ils étaient de nouveau sur cette plage éclairée par la douce lueur des étoiles et ils pouvaient entendre le cliquetis des vagues. Attendre, attendre, il n’aurait peut-être pas du. Il avait tellement envie d’elle et il sentait qu’elle ressentait la même chose. Mais il attendrait qu’elle sorte, qu’elle retrouve ses forces pour l’aimer de tout son être. Callie avait de grosses cernes sous les yeux qui le ramenèrent à la dure réalité. Elle devait être dévorée par la peur et n’avait pas trouvé le sommeil. Il aurait aimé la réconforter, lui dire que le calvaire prendrait bientôt fin mais il ne pouvait pas se le permettre. Pas à ce stade.
Lucie perdait pieds, son plan n’avait pas abouti et elle ne savait pas comment réagir maintenant. Callie était hospitalisée et elle allait mieux de jours en jours. Bientôt, elle pourrait sortir et elle filerait le parfait amour avec Paul. Elle ne pouvait plus lui rendre une visite inopinée, la police devait avoir des doutes sur son identité. Et même s’ils n’avaient pas de preuve, le témoignage de Callie serait accablant. Elle avait besoin de prendre l’air, cette maison devenait un peu plus petite chaque jour. Elle enfila ses tennis, un imperméable léger à capuche et se dirigea vers la plage. Marcher dans le sable lui faisait du bien. Le bruit des vagues était rassurant, elles emportaient avec elles tous ses soucis et toutes ses interrogations.
Paul ne pouvait pas rester plus longtemps avec Callie, l’infirmière devait lui faire ses soins et vérifier que sa gorge n’avait pas gardé de séquelle avec l’absorption du poison. A contre cœur, il quitta la pièce dans une petite mou boudeuse qui fit éclater de rire Callie. Même l’infirmière avait souri et ajouté : « Ne vous inquiétez pas, je vous la rends bientôt ».
Paul n’avait pas envie de rentrer chez lui et se retrouver seul. Il alla chercher Gandi et décida de faire une ballade sur la plage. Il aurait bien opté pour un peu de surf mais les vagues n’étaient pas très attirantes aujourd’hui et Gandi avait besoin de se dégourdir un peu. Il marchait depuis quelques minutes quand il aperçu une femme en imperméable bleu et blanc. Il ne pouvait pas vraiment la décrire car elle portait une capuche mais il pouvait voir dépasser quelques mèches, d’une longue chevelure brune. Paul eut un pincement au cœur. Et si c’était Lucie ? Il n’avait toujours aucune nouvelle de l’inspecteur. Elle était peut-être réellement à Collioure ? Paul activa le pas pour se rapprocher de la femme qu’il apercevait au loin mais elle se mit à courir. Rien d’étrange puisque des tas de gens arpentaient toujours cette plage pour leur jogging quotidien. Pourtant, il était inexorablement attiré vers elle. Il n’était pas habillé pour ça, avec son jean trop serré, mais il commença à courir également. De grandes enjambées avec une seule idée en tête : la rattraper. Paul n’était pas un grand sportif et le souffle lui manquait mais il devait connaitre l’identité de cette femme. Il fit un effort surhumain pour ne pas s’arrêter mais elle était toujours loin devant lui et accélérait la cadence. A bout de souffle, une douleur dans la cheville, il fut contraint de se stopper net. C’est à ce moment qu’il vit la jeune femme s’arrêter également et entrer dans une maison du bord de mer. Gandi était en pleine forme, il regardait son maître la queue frétillante en le narguant. Paul savait qu’il aurait du s’entrainer plus. S’il voulait accompagner Callie, il devrait faire des efforts. La jeune femme hantait son esprit. Il hésitait réellement à frapper à sa porte mais décida finalement de s’approcher de la maison pour repérer les lieux et de faire part de cette intuition à l’inspecteur Boujol. Il ne serait pas difficile pour un policier de découvrir l’identité du propriétaire de la maisonnette aux murs roses.
Paul ne voulait pas effrayer la jeune femme, au risque de la faire fuir si c’était bien Lucie et il le pensait vraiment. Paul sortit son portable de la poche intérieure de sa veste en cuire noire, elle n’était pas toute neuve et avait subi, elle aussi, les effets de l’air marin. Le cuir usé le rassurait. Tout comme lui, elle était marquée par les effets du temps et avait vécu multiples histoires. Des bonnes et des mauvaises comme aujourd’hui mais c’est ce qui faisait ce qu’elle était devenue. Malgré les embûches sur son chemin, il aimait à penser qu’il aurait des jours meilleurs avec Callie et que la petite rousse aux yeux clairs, dont ils avaient parlé naitrait de leur amour. Paul composa de mémoire le numéro de téléphone de l’inspecteur Boujol. Il voulait des réponses et surtout, partager ses doutes avec Christophe. Lui saurait quoi faire, alors que Paul se sentait démuni. Il tomba sur le répondeur, peut- être que l’inspecteur était encore sur la route du retour. Il rappela une seconde fois et Christophe répondit à la première sonnerie. Il était en voiture et avait activé le bluethooth, son 4X4, bien qu’un peu ancien, avait été équipé de cette option. Dans l’habitacle résonnait la voix de Bob Marley, que Paul reconnu très vite. Décidemment, cet inspecteur l’étonnait de plus en plus. Christophe coupa le son. Il entendait à la voix vibrante de Paul, que quelque chose d’important était arrivé. Ce n’était pas de la tristesse, Callie devait donc reprendre du poil de la bête, mais plutôt de l’excitation.
« Que se passe-t-il Paul » ?
« C’est plutôt à moi de vous poser cette question non ? J’attends de vos nouvelles depuis des heures. Mais je vais commencer. Vous allez surement penser que je suis fou encore une fois mais voilà. En sortant de l’hôpital, je suis allé me promener sur la plage, où je suis toujours d’ailleurs. J’ai aperçu une femme au loin, qui portait une capuche et j’ai tenté de la rejoindre mais elle est entrée dans un maison du bord de mer. Inspecteur, je suis intimement persuadé que c’était Lucie. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi, je n’ai même pas vu son visage mais je le sais ».
« Paul, j’ai rencontré la mère et la grand- mère de Lucie à Carcassonne. Lucie a quitté la maison familiale en plein confinement et sa famille ignore où elle s’est rendu. Sa mère n’a pas été très coopérative et elle m’a presque fichu dehors. Je n’ai même pas pu lui demander où Lucie, excepté chez vous, pouvait se trouver si elle était allée à Collioure comme je le pense ».
« Inspecteur, je suis certain qu’elle est ici, dans cette maisonnette aux murs roses et je n’ai pas voulu y aller de peur de la faire fuir. Ne pouvez-vous pas vérifier qui est le propriétaire » ?
« Bien sur que si, donnez-moi l’adresse et je lance immédiatement la recherche dans les serveurs de la police. Cette information devrait être facile à trouver mais, en attendant, surtout ne faîtes rien. Vous avez eu raison de me contacter. Si elle est inquiète, elle partira et nous n’avons pas encore assez de preuves. Tant que nous n’aurons pas le retour des experts calligraphiques, nous n’avons qu’un résidu de poison dans une tasse et les dires de Callie, qui n’a pu encore identifier Lucie. Vous comprenez Paul, ne faîtes rien. Nous savons que Lucie peut être dangereuse et vous ne savez pas ce qu’elle serait capable de faire si elle se sentait piégée ». Il n’eut pas le temps de répondre avant que l’inspecteur Boujol ne raccroche. Paul avait fait quelques recherches pour un roman policier qu’il avait écrit et il savait que la calligraphie n’était pas une science exacte et pouvait être jugée irrecevable devant un tribunal. Paul avait une idée mais il savait qu’elle était risquée, pourtant, il était prêt à tout pour sortir Callie de cette histoire sordide. Il se sentait tellement coupable, si c’était bien Lucie qui avait tenté de la tuer, c’était forcément parce qu’elle était proche de lui. Il s’en voulait de lui avoir parlé de Callie dans cette lettre. S’il n’avait rien dit, ils n’en seraient pas là aujourd’hui. Alors, il allait tenter le tout pour le tout et tant pis si, pour ça, il devait se mettre en danger. Paul, indécis, marcha lentement en direction de la petite maison. Il fallait qu’il sache maintenant, et pas le temps d’attendre les investigations de la police, qui pourraient prendre des heures voir des jours. Il frappa timidement à la porte. Lucie, choquée mais souriante, lui ouvrit immédiatement.
« Paul, mais que fais-tu là ? Moi qui voulais te faire la surprise, je suis tellement déçue ».
Les premiers mots de Lucie l’avaient complètement désarçonné. Avait-elle répété ce discours en pensant que cette rencontre pouvait arriver ou, était-elle tout simplement honnête ?
« Lucie, j’avais bien cru te reconnaitre
sur la plage tout à l’heure. Je suis tellement heureux de te voir. Je sais que j’ai du te blesser quand je t’ai dit que c’était fini entre nous, mais je tiens encore beaucoup à toi. Je ne te remercierais jamais assez pour tout ce que tu as apporté à ma carrière. Et, c’est grâce à la lettre que je t’ai écrite, que j’ai rencontré Callie. Tu es mon ange gardien en quelque sorte ».
Paul choisissait ses mots avec soins. Il devait la mettre en confiance mais aussi l’agacer en lui parlant de Callie. Cela faisait partie intégrante de son tout nouveau plan. Elle devait l’inviter à entrer, c’était crucial.
« Mon Paul, enfin, pardonnes-moi pour le choix des mots, c’est justement pour cette raison que je suis ici ».
Lucie ne mentait pas, tout le monde sait que la meilleure façon de mentir, c’est de glisser des vérités pour paraitre crédible.
« Je suis venue à Collioure pendant le confinement et j’ai eu beaucoup de chance d’y parvenir mais j’avais besoin de me rapprocher de toi. Je voulais pouvoir sonner à ta porte et t’annoncer une excellente nouvelle. Je sais que tu es en stand by dans l’écriture de ton roman, mais j’ai contacté ta maison d’édition et ils sont prêts à patienter encore quelques mois, pour que tu leurs fournisses tes premiers chapitres ».
Paul savait qu’elle mentait cette fois. Elle devait ignorer que son syndrome de la page blanche s’était évanoui depuis sa correspondance avec Callie et qu’il avait déjà envoyé quelques chapitres aux éditions du Panthéon. Pourtant, il devait entrer dans son jeu et gagner contre cette manipulatrice.
« Lucie, tu n’aurais pas un petit thé à me proposer ? Tu me connais tellement bien. Tu as certainement un peu de menthe-citron dans tes placards ? Il faut que je te parle de mon nouveau roman. Tu es la seule dont l’opinion compte pour moi quand il s’agit d’écriture ».
Lucie hésita quelques instants mais, après tout, elle n’avait pas laissé la moindre preuve chez elle et le rembarrer lui paraitrait étrange. De plus, elle mourrait d’envie de connaitre le thème du prochain romain de son écrivain.
« Entres Paul ! Tu sais que j’ai toujours du temps et du thé pour toi ».
Paul avait gagné la première bataille mais le combat était loin d’être terminé. Il entra et elle lui proposa de s’asseoir dans le vieux sofa en tissu marin délavé. Il s’exécuta sans rechigner. Il aurait préféré la table de la cuisine mais ce n’était pas le moment de faire le difficile. Lucie apporta le thé. Pendant un instant, il se demanda si, lui aussi, elle allait tenter de l’empoisonner. Il savait maintenant, que la ricine avait un léger goût de noisette, il le sentirait immédiatement. Pour commencer, il fallait qu’il lui parle de son livre. C’était le meilleur moyen de faire diversion, sans préciser qu’il avait déjà envoyer quelques chapitres à son éditeur pour ne pas éveiller ses soupçons.
« Lucie, je comptais justement te contacter dans quelques jours. J’avais besoin de ton expertise littéraire. J’ai écrit quelques chapitres de mon nouveau roman. C’est une histoire d’amour, qui se passe ici à Collioure. Encore une fois, tu as été ma muse, mon inspiratrice. Que ferais-je sans toi » ?
Paul n’hésitait pas à lui passer de la pommade, même si chacun des mots qu’il prononçait, lui arrachait le cœur. Callie était sa muse, Callie était sa vie et c’est uniquement pour elle, qu’il faisait tout ça. Lucie buvait ses paroles. Elle savait que ce roman parlerait d’amour, elle savait que Callie serait son inspiratrice, mais elle savait aussi que ce livre, c’est grâce à elle qu’il l’écrivait et elle en connaissait déjà la fin. C’était tellement bon d’échanger avec Paul sur son roman, comme au bon vieux temps. Elle sentait une joie intense la traverser de part en part.
« Paul, je suis si heureuse que tu ais retrouvé l’inspiration. Ce roman sera le meilleur de toute ta carrière, j’en suis persuadée. Je suis sure que les personnages principaux sont inspirés de ta propre vie. Paul et Callie … Quoi de mieux que de se baser sur des faits réels pour écrire sa plus belle histoire » ?
Paul ne savait plus quoi penser. Aucune haine dans les mots de Lucie, aucun reproche concernant l’amour qu’il portait à Callie. Au contraire Lucie semblait sincère et tellement enjouée à l’idée qu’il puisse écrire de nouveau. Paul savait qu’il devait la pousser dans ses retranchements, s’il voulait en obtenir quelque chose de probant.
« Lucie, oui en effet, encore une fois tu as vu juste. C’est en effet un plaisir d’écrire un livre quand il est inspiré de sa propre vie et c’est à toi que je le dois. Tu ne dois pas le savoir, mais Callie est hospitalisée actuellement, dans une petite chambre du 4eme étage. Une malencontreuse mésaventure. La pauvre s’est empoisonnée avec une plante je crois, qui pousse ici comme du liseron. Heureusement, elle se porte beaucoup mieux et devrait quitter cette minuscule et sordide chambre d’ici quelques jours. Plus de peur que de mal. Elle ne se souvient pas très bien de ce qui est arrivé et j’avoue que nous nous demandons tous comment elle a pu ingérer ce poison mais Callie veut tourner la page et oublier tout ça, alors elle va très certainement décider de laisser l’enquête au point mort et de ne pas embêter les services de police inutilement. Après tout, nous ne sommes pas certains qu’elle ait avalé ce poison, elle a très bien pu l’inhaler en se promenant vers la place du marché ».
Lucie avait ouvert grand ses oreilles. La police n’avait donc pas de suspect et Callie préférait oublier toute cette histoire. Finalement, tout ça tournait à son avantage. Paul savait qu’il mentait très bien. Son imagination lui était d’un grand secours. Il devait se fier à l’écrivain et non à l’homme.
« Paul, je suis tellement désolée pour Callie, elle a du beaucoup souffrir mais heureusement, elle va bien et j’en suis rassurée. Je pense rentrer à Carcassonne maintenant que j’ai pu te rencontrer, même si je ne pensais pas que cela aurait lieu de cette façon. Tu pourrais m’envoyer tes premiers chapitres que j’y jette un coup d’œil avant que tu les envoies à ton éditeur. Ca me ferait tant plaisir, tu sais à quel point ta plume me touche. Ce serait une belle façon de nous dire au revoir ».
Adieu, pensait Paul, il fallait qu’il sorte cette folle de sa vie et de celle de Callie une bonne fois pour toute. Son plan avait fonctionné. Il avait vu cet éclair dans les yeux de Lucie, cet éclair qui lui permettait de savoir, que la prochaine étape, était désormais enclenchée. Il n’avait rien repéré d’anormal dans la maison et il ne pouvait pas fouiller. Il devait maintenant quitter les lieux au plus vite et contacter l’inspecteur Boujol, qui allait très certainement lui passer le pire savon de toute son existence. Il devait également se rendre au plus vite au chevet de Callie. Il avait besoin de lui parler sans plus attendre.
« Lucie, avec plaisir, je te transmettrais mes chapitres par courrier à Carcassonne et j’ai vraiment hâte d’avoir ton avis. Il compte tellement pour moi. Je vais devoir te quitter même si, malheureusement, cette rencontre fut trop brève mais je dois sortir Gandi. Tu le connais … Il a besoin de grand air sinon il devient insupportable et saccage ma maison. J’espère avoir l’occasion de te revoir bientôt et je te dédicacerai mon nouveau roman dès qu’il sera achevé. Je te dois bien ça ».
Paul se leva, inspecta les alentours le plus discrètement possible, il salua Lucie d’un petit signe de la main. Il répugnait l’idée de devoir avoir un contact physique avec cette psychopathe. Il n’avait toujours rien pour prouver sa culpabilité, mais bientôt, le piège se refermerait irrémédiablement sur elle et il espérait être aux premières loges, pour observer sa chute. Lucie se leva et le salua également. Elle n’avait pas besoin de le toucher, elle ne voulait que tenir son dernier ouvrage dans ses mains, et la dédicace ne serait que justice. Lucie était rassurée, elle avait joué son rôle à merveille et avait obtenu les informations dont elle avait besoin. Elle n’avait plus, maintenant, qu’à agir et vite. Paul ne lui avait pas parlé de la lettre de rupture. Callie avait dû la déchirer et la jeter, folle de rage. Dans l’état où la ricine avait du la mettre, si elle en avait parlé à Paul, il avait du penser qu’elle délirait et, sans lettre, pas de preuve. Lucie était fière d’elle, elle avait orchestré son plan avec tant de précision. Et même si la lettre finissait par réapparaitre, elle savait que la calligraphie ne constituait aucunement une preuve irréfutable et son imitation de l’écriture de Paul était digne d’un faussaire.
Paul se rendit à l’hôpital, il n’avait jamais réellement pensé à sortir Gandi. C’était un bon chien et il l’attendrait patiemment pour sa sortie journalière. Lucie n’était qu’une hypocrite sans cœur et elle n’avait jamais eu le moindre geste tendre pour ce chien. La porte de la chambre de Callie était ouverte et elle n’y était pas. Il ne l’avait pas non plus croisée dans le couloir . Un sentiment de peur le prit de court. Ses vêtements étaient toujours accrochés aux deux cintres, qui se battaient en duel dans la penderie, si on pouvait en parler en ces termes. Paul paniquait, il avait été rapide pourtant. L’infirmière pénétra dans la chambre. Elle le regarda avec un sourire malicieux. « Votre Callie a repris des forces et le Dr Matula lui a donné l’autorisation de prendre un peu l’air.
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Auréliedelphine


Elle est dans le parc de l’hôpital et je crois qu’elle a de la visite ».
Paul ne prit pas le temps de répondre. Il couru aussi vite que ses jambes le lui permettait et manqua de renverser un patient qui trainait sa perfusion dans les couloirs. Il ne s’excusa même pas et traversa les interminables couloirs, sans même prendre le temps de respirer. Mais qu’avait-il fait ? Callie était en danger à cause de lui. Il ne pourrait jamais se pardonner s’il lui arrivait encore quelque chose. L’ascenseur était occupé et il ne pouvait pas patienter. Il fit voler les portes battantes menant aux escaliers. Elles étaient lourdes et il sentit une douleur sourde lui assaillir l’épaule. Tant pis, c’était sa punition pour avoir été si sur de lui. Il dévala les marches quatre à quatre. Il était au 4ème étage et le temps pressait. Quand il fut enfin à l’extérieur, il prit quelques secondes pour reprendre son souffle et scruter tout autour de lui. Il y avait du monde dans le parc. C’était surement l’heure de la récréation des malades. Comment Callie était-elle habillée ? Il n’avait pas pris le temps de regarder les vêtements manquants dans la penderie. Il mit moins de deux minutes à la trouver assise aux pieds d’un arbre. Une femme se tenait debout, devant elle, mais elle était blonde et plus ronde que Lucie. Il poussa un soupir de soulagement et sa douleur à l’épaule se réveilla instantanément. Paul ne pensait qu’à rejoindre Callie et à la prendre dans ses bras, pour ne plus jamais la quitter mais il devait d’abord avouer son erreur à l’inspecteur Boujol. Il avait voulu jouer les caïds mais il n’avait pas les épaules assez solides pour ça.
« Inspecteur Boujol, c’est Paul ».
Christophe n’eut même pas le temps de répondre. Il ressentait de l’angoisse dans cette voix.
« Je ne vous ai pas écouté, je suis désolé. L’occasion était trop belle et je devais savoir si cette femme était bien Lucie. Je me suis rendu chez elle et nous avons bu un thé. Oui, je sais, dis comme ça, c’est très étrange. Elle m’a dit être arrivée pendant le confinement, ce qui corrobore bien les déclarations de sa mère. Apparemment, elle voulait me faire une surprise. Seulement, elle ment. Elle dit avoir contacté mon éditeur pour m’obtenir un report, mais j’ai déjà envoyé mes chapitres aux éditions du Panthéon. Elle n’avait aucune raison de venir à Collioure, surtout en l’état actuel des choses. Je pense qu’elle a tenté d’empoisonner Callie mais je n’arrive pas à savoir ce qui l’a poussé à faire ça. Elle n’est pas jalouse de mon histoire d’amour, au contraire, elle est contente que cela m’ait donné l’inspiration nécessaire pour l’écriture de mon roman. Je ne comprends rien, mais cette fille est folle. J’ai fait une énorme bourde. Je lui ai dit que Callie allait bien et qu’elle sortirait de l’hôpital dans quelques jours. J’ai peur qu’elle tente de s’en prendre à nouveau à elle. Callie n’est pas encore au courant. Avez-vous assez d’éléments pour convoquer Lucie au poste et l’empêcher de nuire » ?
« Paul, nous n’avons pas d’empreinte sur la tasse. Nous savons avec certitude que Callie à partagé son petit déjeuner avec une belle brune mais elle ne peut pas l’identifier. Je viens d’obtenir les résultats de la calligraphie et les experts sont incapables de relier l’écriture de la lettre de rupture, à celles écrites par Lucie. Vous êtes entré dans la maison et avez ruiné toutes nos chances de trouver quelque chose. Maintenant que Lucie sait que vous l’avez découverte, elle va faire disparaitre toutes les preuves, si ce n’était pas déjà fait. Nous ne pouvons même pas la forcer à rencontrer Callie, en face à face, pour qu’elle l’identifie. Je ne sais pas quoi vous dire Paul, mais nous sommes dans l’impasse. J’ai fait des recherches sur le propriétaire de la maison rose. Elle appartient à sa grand- mère, qui est rentré à Carcassonne pour la période de confinement ».
« Inspecteur, dîtes-moi ce que je peux faire pour me rattraper, je ne peux pas rester là à attendre que peut-être Lucie recommence à s’en prendre à Callie. Elle sait où elle se trouve maintenant ».
« Paul, calmez-vous et surtout ne dîtes rien à Callie. Finalement votre impair va très certainement nous servir. Faîtes moi confiance et arrêter de jouer les zorro ».
Paul avait eu l’impression d’être un enfant, qu’on gronde quand il a fait une sottise. C’était désagréable, mais il espérait qu’un jour, lui aussi, pourrait gronder sa fille, celle qu’il aurait avec Callie, quand toute cette histoire serait terminée. Paul en avait presque oublié la jeune femme blonde qui s’entretenait avec Callie. Elles étaient assises côte à côte maintenant et riaient. Il s’approcha lentement, pour ne pas laisser paraitre son angoisse. Il salua la jeune femme et se baissa pour embrasser Callie.
« Paul, je suis si contente de te voir. Tu as vu, je peux me promener maintenant. Je te présente Sarah, ma sœur dont je t’ai déjà parlé ».
« Oh Sarah » ! S’exclama Paul. "Callie m’a tellement parlé de vous. Je suis très heureux de faire votre connaissance, même si les circonstances ne sont pas des plus agréables. La ressemblance est frappante. Si vous n’étiez pas blonde, on pourrait presque vous prendre pour des jumelles ».
« Merci », répondit Sarah. « C’est un beau compliment, on ne voit donc pas les trois années qui nous séparent, vous êtes un gentlemen Paul. C’est bien ça Paul » ?
Callie éclata de rire, elle avait fait à sa sœur une description si précise de son homme, qu’elle ne pouvait pas se tromper. Les voir tous les deux, la comblait de joie. Elle en aurait presque oublié où elle se trouvait.
« Vous êtes encore plus charmant que je ne le pensais. Je suis heureuse que Callie est enfin trouvé quelqu’un à aimer vraiment ».
Callie rougit en entendant les paroles de sa sœur mais ne chercha pas à démentir. Oui, elle aimait Paul, plus que tout au monde et elle voulait que tout le monde le sache. Ils passèrent deux longues heures ensembles, assis sous ce peuplier à parler de tout et de rien. Paul parvenait presque à oublier l’épée de Damoclès qui planait au dessus de leurs têtes. Sarah était vraiment charmante et il ne serait pas difficile de se lier d’amitié avec elle. Callie l’aimait tellement, sa famille devait être formidable et avec un peu de chance, il la partagerait avec elle. Cette idée le réjouissait, lui, qui n’en avait pas vraiment eu. Il se faisait tard et Callie devait retrouver sa chambre. Paul appréhendait ce moment mais il ne pouvait rien dire. Cette fois, il respecterait les ordres de l’inspecteur. Il pouvait se fier à lui, c’était un très bon dans son domaine.
Lucie réfléchissait à deux cent à l’heure. Son cerveau était en surchauffe. Elle n’était plus très loin du point de rupture quand elle comprit enfin ce qu’elle devait faire. Lucie aurait préféré utiliser un poison comme le curare ou l’arsenic, pour être sure du résultat, mais ces substances étaient bien trop difficile à trouver, en si peu de temps. Il fallait qu’elle le fasse maintenant, pendant que Callie était encore à l’hôpital, même si agir avec le personnel soignant dans les lieux, allait s’avérer compliqué. Elle avait finalement opté pour un poison beaucoup plus simple à se procurer : le cyanure, sous sa forme la plus naturelle. Lucie avait acheté deux kilos de cerises bien rouges au marché. Elle les avait dénoyautées, extrait l’amande de la coque et avait utilisé un pilon pour bien les écraser. Au vu de la corpulence de Callie, une quinzaine de noyaux devraient être largement suffisant. Elle savait que ce poison était réputé pour son goût d’amande, si reconnaissable et, pour pallier à cela, elle avait concocté une jolie tartelette en respectant la recette du Namendier, si célèbre en Espagne et bien épais et avait mélangé la poudre de cyanure dans sa préparation. Callie ne se rendrait compte de rien et elle serait déjà loin quand elle engloutirait le dessert. Son plan était infaillible. Elle attendit 18h pour se rendre à l’hôpital. Elle avait dans son cabas, une petite salade de crudités, un écrasé de pomme de terre banale et pas trop salé ainsi qu’un steack haché trop cuit, dans une boite hermétique, afin d’en conserver la chaleur, un petit cube de tartare individuel, un morceau de pain ridicule et la tartelette façon Namendier. Aucun doute, elle avait réalisé un plateau repas digne d’un centre hospitalier. Lucie portait un foulard sur la tête et avait relevé ses cheveux. Ses yeux étaient camouflés par de grosses lunettes de soleil noires dont les carreaux étaient teintés. Elle avait enfilé une tunique large, pour dissimuler ses formes voluptueuses et un pantalon en lin informe. Lucie passa devant l’accueil, sans jeter un œil au personnel en place. Elle n’eut pas de mal à trouver au sous sol, le local où s’entassait les blouses qui devaient partir pour la teinturerie. Lucie se saisit de l’une des moins sales et l’enfila rapidement. Elle enfourna ses vêtements au fond de son sac, elle ne devait laisser aucune trace de son passage. Elle portait une paire de tennis blanche, qui devraient passer inaperçues. Elle savait qu’il lui fallait agir vite et ne pas s’attarder, même si elle aurait voulu voir Callie avaler son gâteau goulument et peut-être même, pouvoir observer les effets de son travail. Elle remonta rapidement les étages en passant par les escaliers. Elle avait moins de risque de croiser quelqu’un, les gens étaient si feignants à notre époque. Elle savait que Callie se trouvait au 4ème étage. Paul, cet imbécile, le lui avait dit. Il ne lui restait plus qu’a subtiliser un des plateaux repas servis aux patients, à remplacer son contenu et à le déposer sur la tablette amovible de la chambre de Callie, sans qu’elle ne la voit. Elle trouva facilement un plateau et une cloche en plastique pour couvrir l’assiette. Elle avait bien prit soin de choisir, dans sa vaisselle, une banale assiette blanche, qui n’éveillerait pas l’attention. La chambre de Callie était ouverte. Elle dormait paisiblement, presque entièrement recouverte par ces draps blancs rugueux et désagréables, que Lucie avait eu l’occasion d’expérimenter. Seules quelques mèches de cheveux dépassaient et recouvraient son oreiller. Lucie reconnaissait bien cette couleur lavasse qui était un atout pour Paul. Elle entra, sans faire de bruit, et vérifia le bloc, accroché au pied du lit de sa victime. C’était bien elle, aucun doute. La tablette, où les aides soignantes déposaient les repas, était du côté fenêtre à l’opposé de la pièce. Lucie marchait sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller Callie. Elle arborait un petit rictus sadique qui reflétait parfaitement sa folie. Elle déposa le plateau délicatement. Elle aurait tout donner pour assister au spectacle qui allait suivre mais Callie la reconnaitrait à coup sur et tous ses espoirs tomberaient à l’eau. Elle s’attarda quelques instants pour graver cette image de la victoire dans son esprit tordu. Elle regarda par la fenêtre qui donnait sur le parc. Elle s’imaginait, adossée à ces grands arbres, le dernier roman de Paul entre les mains, et cette idée la faisait frémir. Etrangement, elle était proche de l’orgasme. Elle devait quitter cette chambre et cet hôpital maintenant. Paul lui annoncerait la triste nouvelle dans sa prochaine lettre. Carcassonne, c’était plus sur pour elle et c’est là bas que Paul avait promis de lui envoyer les premiers chapitres de son roman. Best Sellers, pensât-elle. Elle se retourna doucement et fut prise de terreur. Assise sur le lit, une arme à la main, se trouvait une jeune flic aux cheveux indescriptibles. Ce n’était pas Callie et elle était prise au piège.
« Les mains en l’air, je veux voir vos mains toute suite. Ne bouger pas ou je n’hésiterais pas à tirer ».
Lucie était stupéfaite, sa vie volait en éclats et elle, si minutieuse, n’avait rien vu venir.
« Qui êtes-vous ? Et que faites-vous dans cette chambre » ?
La jeune flic avait un aplomb remarquable. Elle avait soulevé la cloche, pendant que Lucie lui tournait le dos, et avait vite compris ce qui se jouait ici. Cindy Brumer avait un œil de lynx et avait réussi le concours de la police, première de toute sa promotion. Elle avait une mémoire visuelle impressionnante et c’est pour cette raison, qu’on l’avait choisit pour jouer le rôle de Callie dans ce lit d’hôpital. Elle avait adoré cette idée. Elle qui n’avait jamais l’occasion d’utiliser ses multiples talents dans ce petit village de Collioure, avait saisit l’occasion de montrer ce dont elle était capable. Première erreur, il n’y avait pas de verre sur le plateau. Deuxième erreur, l’assiette était certes blanche, mais loin d’être identique à celles utilisées ici. Et troisième erreur, et pas des moindres, après cet empoisonnement, Callie devait éviter tout aliment qui perturberait son système digestif et ce gâteau, bien que paraissant succulent, ne lui aurait jamais été servi.
« Qui êtes-vous », répéta l’agent Cindy Brumer.
La pauvre ne portait qu’une simple chemise de nuit et ne se sentait pas très à son aise. Elle appuya sur la sonnette d’urgence accrochée au dessus du lit et fut immédiatement rejoint par l’inspecteur Boujol et l’agent Bernier. Lucie était coincée et elle ne pouvait pas fuir. Elle voyait sa vie défiler devant ses yeux et savait que la prison serait sa future demeure. Si elle faisait disparaitre le Namendier, la police n’aurait toujours aucune preuve contre elle. Mais c’était impossible, elle se trouvait toujours près de la fenêtre et Callie ayant été suspectée de tendances suicidaires lors de son arrivée, pas moyen de l'ouvrir. Lucie sentait la rage monter en elle. Ses yeux étaient maintenant injectés de sang. Elle revoyait tous ces centres psychiatriques, où on l’avait internée de force, tous ces traitements qu’on lui avait fait subir. Elle revoyait la camisole dans laquelle on l’avait laissée des heures, pour qu’elle se calme, et ne blesse personne. Elle n’y retournerait pas, ce n’était pas une option. Elle avait échoué, Paul n’écrirait jamais ce best Sellers si Callie était encore en vie. Il écrirait une banale histoire d’amour ennuyeuse à mourir, digne d’un Arlequin et elle ne pouvait pas le permettre. Prise de démence, elle se jeta sur le gâteau et l’avala sans mâcher. Même si elle ne l’avait pas vu de cette façon, Paul aurait sa fin tragique et il écrirait ce livre, qu’elle ne pourrait jamais lire.

Callie et Paul étaient allongés près d’un ruisseau, à même le sol, et admiraient la nature verdoyante. Au loin, ils apercevaient la forêt. Une magnifique étendue de chênes et de platanes. Paul tenait entre ses mains, son dernier roman qu’il avait pris le temps d’écrire tranquillement, pour profiter de sa somptueuse Callie. "La plume du destin" avait atteint un record de ventes. Il était premier sur la liste des meilleurs romans policiers. Un best Sellers, le premier de sa carrière. Paul faisait la lecture à Callie, qui ne pouvait détacher son regard du petit couffin en osier, posé juste entre eux. Claire, leur petite rousse aux yeux verts, gazouillait gentiment en écoutant la voix suave de son père.
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