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MadPenguin

Grenoble / Strasbourg.
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Œuvres

MadPenguin



L’arche du monde se dévoilait déjà au-dessus de l’horizon lorsque j’arrivais aux portes du désert. Je ne savais pas vraiment ce que j’étais venue chercher. Peut-être qu’au fond, une part de moi espérait encore que Llew viendrait m’enlacer par surprise, glisser ses mains froides sous ma tunique et se mettre sur la pointe des pieds pour m’embrasser comme si ces deux dernières années n’avaient jamais existé. Peut-être. Ou peut-être espérais-je que dire au revoir simplifierait les choses, comme une sorte de conclusion que je repoussais encore et encore.
J’avais passé la journée à chercher des excuses. Je m’étais débarrassée de mes dernières affaires, j’avais fait mes adieux sur le chantier et laissé les clés de chez moi au nouveau propriétaire, jusqu’à ce qu’il ne me reste rien d’autre à faire. Alors seulement, je m’étais présentée devant le cimetière.
J’avais hésité à prendre du corail avant de venir. Les gens prenaient toujours du corail dans ces moments-là, mais Llew trouvait ça idiot. J’étais idiote, là, plantée au pied d’un promontoire hérissé de stèles aussi jaunes que la pierre où elle se dressaient, mon petit arbre pétrifié entre les mains. Tout me hurlait de faire demi-tour, j’aurais aimé faire demi-tour, mais il était plus que temps que j’arrête de fuir.
Je pris une profonde inspiration, serrai de plus belle mon corail contre ma poitrine, puis m’engageai entre les tombes comme un spectre des ruines, guidée par un sentier qui sillonnait à flanc de colline jusqu’à surplomber la cité sur ma gauche.
Plus qu’une ville, Limani était une extension du désert. Un empilement d’immeubles où les rues serpentaient comme des canyons, parfois si serrées qu’on s’y glissait plus qu’on n’y marchait. La fumée de charbon y noircissait l’ocre des murs, l’air alourdi par la chaleur et la vapeur y raisonnait sans cesse du ronronnement des moteurs, mais je m’y sentais bien, chez moi. Depuis quatre ans que Llew et moi avions fui ici, j’avais réparé, construit et même dessiné certains bâtiments de ce labyrinthe urbain. Je connaissais ces rues, je les aimais de tout mon être, mais j’y perdais chaque jour un peu plus la raison.
Tout ici me ramenait à elle, que ce soient les soldats patrouillant sous mes fenêtres, les places et marchées chargés de souvenirs, mais surtout de passer tous les jours devant le port spatial. C’étaient les seules choses à dépasser véritablement du désert pour se découper sur l’océan : deux tours évasées à leur base et fendues en leur centre sur toute la hauteur. Deux vaisseaux d'une centaine de mètres de longueur s’y accrochaient comme un rappel constant que Llew aurait dû être à bord.
Avant, la vision des passe-tempêtes m’emplissait d’angoisse à l’idée qu’elle puisse ne jamais redescendre, mais aussi d’une immense fierté en sachant ce qu’elle accomplissait à leur bord. Chaque jour, Llew et son équipage franchissaient le vide du centre de Torre et traversait la haute atmosphère à la frontière de l’espace pour commercer avec le reste du monde. Elle embrassait les cieux. Chaque jour, jusqu’au blocus.
Depuis, le port n’évoquait que la victoire des Drekans.
Je détournai le regard, les dents serrées à m’en faire mal, et me concentrais sur les mouvements de ma jupe battant la poussière jusqu’au sommet de la colline.
Le monument aux aéronautes était sobre, simple paroi creusée à même l’ocre de la pierre et gravée des noms de ceux qui n’étaient jamais redescendus. C’était plus que suffisant. Il n’y avait presque jamais de corps à enterrer de toute façon, et quand c’était le cas on les renvoyait là-haut. Le mémorial comportait déjà des centaines de noms, certains si anciens que le vent et le sable les avaient entièrement poncés. Mon regard courut machinalement sur la partie la plus récente, à droite du bloc, pour en parcourir la liste. Thess Abidaïr, Marco Genet.
Llew Bown.
Je baissai les yeux, mais ne pus les empêcher de brûler à nouveau lorsque je déposais mon morceau de corail au milieu des autres.
Et maintenant quoi ? Son corps avait été incinéré et dispersé en orbite. Il n’y avait rien ici, rien d’autre qu’un nom gravé dans la pierre. Les survivants de son équipage m’avaient affirmé que Shintar gardait une sauvegarde d’elle à présent, là où d’autres me disaient que l’Étrangère la choyait à jamais dans son éternel voyage. J’aurais aimé y croire, mais j’en étais incapable. Llew était partie. Et pourtant, je restais plantée là, tête baissée et les ongles enfoncés dans les paumes à m’en faire saigner.
J’inspirai profondément, avant de prendre la parole d’un souffle à peine audible, sans vraiment savoir pourquoi.
— Je quitte Limani, fis-je en évitant de regarder son nom sur le mur. Ça va faire deux ans que tu...
Ma voix se brisa. Je serrai les dents, mais me forçai à reprendre, la gorge serrée.
— J’ai essayé. Je te jure que j’ai essayé, mais j’y arrive pas. J’arrive pas à oublier, j’arrive pas à te venger, je… J’arrive à rien.
Je pouvais presque l’entendre me hurler qu’elle se fichait d’être vengée et que tout ce qui comptait c’était que je refasse ma vie. Je l’entendais tous les jours.
— T’as raison, admis-je enfin. J’ai une dernière chose à faire ici, mais après je m’en vais. Les survivants de ton équipage ont parlé de moi à tes cousins. Ils m’ont offert une place à bord de leur dirigeable en réponse, et j’ai accepté. Je ne sais pas vraiment où je vais, mais ça sera toujours mieux qu’ici.
La brise marine me caressa le visage, jouant avec mes cheveux défaits et la fourrure de mon col.
— Je t’ai emprunté ta veste, et j'ai confié ton dermographe à un de tes amis pour pas les vendre. Par contre je dû me débarrasser de ta collection de théières, désolée. Il m’a fallu trois jours rien que pour refourguer ces horreurs.
Je ris à moitié en imaginant sa bouille outrée, mais m’étranglai alors que mes yeux brûlaient à nouveau.
— Je dois y aller, soufflai-je. Je ne sais pas si je reviendrais un jour alors je…
Ma voix se brisa à nouveau, mais je serrai les dents et relevai une dernière fois les yeux sur son nom.
— Je t’aime, Llew.
J’attendis encore quelques instants une réponse qui ne pouvait venir, puis me détournai avec un profond soupir. Je m’essuyai les yeux du revers de la manche, plongeai les mains dans les poches de ma veste en cuir, et repris le chemin de la ville avec la brise pour seule compagne.
*
Cachée dans l’ombre d’un immeuble, la tête appuyée en arrière contre la pierre du mur, je laissai mes yeux courir sur le reste du monde. À cette heure-ci, on n’en devinait qu’une simple bande sombre, courbée sur les bords et enjambant le ciel d’est en ouest, mais bientôt le soleil se coucherait de notre côté pour se lever là-haut. Alors seulement, océans et continents peindraient le ciel de leurs couleurs, et les cercles internes se dévoileraient dans toute leur splendeur.
Mon regard se perdit vers l’est, par-delà les toits de la ville, là où la base de l’arche s’illuminait déjà. Le bleu des mers s’y disputait à l’ocre du désert et le gris des montagnes à la pâleur des nuages. J’avais l’impression de connaître par-cœur ces terres tant j’avais passé des heures à les contempler étant gamine, et tant Llew me les avait décrites. Un timide sourire m’étira les lèvres. Bientôt, je verrai ces paysages de mes propres yeux. Bientôt. Après avoir aidé au moins une fois.
Mon sourire s’effaça face à un bruit reconnaissable entre mille. Des chocs lourds, métalliques, réguliers, bientôt suivis d’un chuintement de moteurs. Chaque écho m'envoyait des frissons glacés le long de l’échine, mais je me forçai à m’activer pour ne pas y penser. Je cachai mes cheveux bien trop visibles sous un foulard, lançai un dernier regard vers l’arche au-dessus de ma tête, puis pris une dernière inspiration avant de m’engager dans l’avenue.
Le bas de ma jupe balaya le sable sur une terre que la lumière, aussi rasante qu’aveuglante, peignait d’ombres folles. Celles des bâtiments, déjà. Des immeubles de pierre ocre, bas, serrés, tout en courbes et plans inclinés pour ne laisser aucun point d’arrêt aux vents charriés tant par la terre que par l’océan. Ensuite celles des hommes, quelques passants, trois soldats et surtout la demi-douzaine de prisonniers pour qui j’étais là. Et enfin, venait la machine.
La silhouette noire du mécapède dansait sur l’horizon en une pâle imitation de la démarche humaine. Chaque pas de la mécanique, chaque oscillation de la cabine perchée au-dessus du sol et des canons rangés de part et d’autre, résonnaient avec ce qui était peut-être mes plus anciens souvenirs. Certains se souvenaient du visage de leurs parents. Moi je voyais les machines.
Seuls, les prisonniers auraient pu perdre les soldats dans le labyrinthe de ruelles, mais avec le blindé, ils n’avaient aucune chance de quitter l’avenue en vie.
Je baissai la tête et enfouis un peu plus les mains dans les poches de ma veste, mais ne pus les empêcher de trembler. Le contact froid d’un objet métallique rendu moite par la sueur ne me rassura pas vraiment alors que je passai à la hauteur des soldats. Deux des hommes en tenues de combat couleur sable m’ignorèrent. Le troisième me détailla de bas en haut. Je maquillai un rictus de haine en un sourire poli, puis continuai mon chemin en sentant son regard couler sur mon dos.
Les prisonniers me remarquèrent à peine, à l’exception d’un vieil homme. L’architecte aux traits aussi fins qu’usés par les privations, qui écarquilla les yeux en me voyant passer. Il fit lentement non de la tête, mais je continuais à la dévisager jusqu’à ce qu’il détourne le regard pour commencer à faire passer le message, les lèvres pincées par la honte.
La honte... J’aurais dû avoir honte, pas lui. Lui avait essayé de faire quelque chose. Moi, je ne faisais que fuir. J’avais fui ici quand Relion avait brûlé, fui quand les amis de Llew avaient voulu la venger, et je fuyais encore lorsqu’un empire du bout du monde raflait ceux qui osaient lui résister. J’aurais quitté la ville sans jamais me poser de questions s’ils ne l’avaient pas pris lui.
Pendant quatre ans, il m’avait enseigné tout ce qu’il savait. Sans lui, rien de ce que je griffonnais sur papier ne serait sorti du sol, et je comptais bien payer ma dette avant de partir.
Le sol trembla sous mes pieds lorsque le mécapède passa à ma hauteur dans un fracas de métal, quelques mètres à peine sur ma gauche. À cette distance, je pouvais entendre les ratés des moteurs et les grincements des vérins, voir l’acier rongé par le sable et les impacts balles qui criblaient le blindage. Autant de défauts qui me raccrochèrent à la réalité. Ce n’était pas le monstre que j’avais imaginé étant petite, mais une machine bricolée qui ne marchait que grâce à un pilote bien humain. Un pilote qui allait bientôt avoir une très mauvaise surprise.
Mon cœur cogna plus que jamais dans ma poitrine lorsque mes doigts se crispèrent sur le détonateur au fond de ma poche.
Les prisonniers devaient s’être passé le mot désormais. Même s’il ne savait pas ce que j’avais en tête, mon maître se tenait certainement prêt à décamper à la moindre ouverture. Il ne me restait plus qu’à attendre. Attendre que le mécapède avance jusqu’à l’angle de deux bâtiments surs lesquels j’avais travaillés. Attendre qu’il se tienne juste au-dessus de sous-sols que je connaissais mieux que ma poche.
Le blindé n’était plus qu’à quelques mètres du piège lorsqu’une troupe de soldats surgirent d’une rue au pas de course. Tétanisée, je vis quatre hommes harnachés dans leurs exosquelettes rouillés avancer vers moi, me dépasser, puis continuer leur route vers le convoi. Mon cœur essaya de descendre dans ma poitrine alors que le peu de confiance que j’avais s'évanouissait.
Les soldats étaient encore derrière le mécapède, la poussière de l’explosion masquerait la fuite des prisonniers, mais s’ils avançaient encore, ils seraient pris avec la machine. Le pilote du blindé survivrait à une chute de trois mètres dans les sous-sols. Eux, non.
Mes doigts se bloquèrent sur le détonateur. Je repensai à Llew, à ma famille, à tout ce que les Drekans m’avaient pris, mais restais incapable d’appuyer alors que les hommes continuaient leur route vers le blindé. Mes épaules s’affaissèrent. J’étais prête à abandonner lorsque j’aperçus à nouveau le crâne dégarni de mon vieux professeur enchaîné devant la machine.
Mon sang ne fit qu’un tour. Je me baissai, ramassai la première pierre qui passait à ma portée et la lançai de toutes mes forces vers les soldats. L'un des soldats tituba en avant, touché à l’épaule. Ses équipiers s’arrêtèrent comme un seul homme, trois fusils se braquèrent sur moi, mais le mécapède fit encore un pas en avant.
Mon pouce écrasa le détonateur.
Un grondement sourd couvrit les appels des soldats lorsque le sol s’ouvrit.
Il y eut peut-être des cris. Peut-être aussi qu’on m’interpella. Je ne sais plus. Je ne me souviens que de l’explosion. La détonation me vrilla les tympans, la rue toute entière s’emplit d’une tempête de poussière, mais rien ne parvint à masquer l’image du mécapède basculant en avant pour disparaître dans les souterrains.
Je profitai de la panique pour prendre mes jambes à mon cou et m’enfonçai dans un dédale de ruelles pour fuir cris et coups de feu.
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MadPenguin


Raan n’était pas très exigent. Du moment que c’était à peu près mort et que ça avait moins de huit pattes, il avalait presque n’importe quoi, mais il fallait admettre que certaines viandes passaient mieux que d’autres. Le zombie, au hasard, avait des qualités culinaires pour le moins discutables. Le goût en lui-même n'avait déjà pas grand-chose d'enthousiasmant, mais le vrai problème venait du côté flasque et filandreux de la chose.
Voilà le genre de remarques qui passaient par l’esprit de Raan alors qu'une grand-mère à demi camée essayait toujours de le griffer malgré les trente-deux dents impeccablement brossées qu’il venait de lui enfoncer dans la nuque. Il la repoussa d’un coup dans le ventre et fit lui-même quelques pas en arrière le temps de reprendre son souffle et de s’essuyer la bouche du revers de la manche.
La mamie, quant à elle, était plutôt perplexe. Oh ça faisait bien longtemps que le monde avait cessé de tourner rond à ses yeux, mais tout de même, elle restait persuadée que l’acte de morsure n’était pas censé se produire dans ce sens-là. Un zombie qui mordait un humain c’était dans l’ordre des choses, mais l’inverse, de mémoire de zombie, c’était du jamais vu.
Les jeunes d’aujourd’hui ne respectaient décidément plus rien.
Pendant que les restes d’humanité de la mamie dévisageaient son agresseur en se disant qu’un grand garçon de son âge ferait mieux de se couper les cheveux plutôt que de s’en prendre à d’honnêtes zombies, Raan hésitait.
La grand-mère l’avait pris par surprise alors il avait mordu sans réfléchir. Mais maintenant que c’était fait, il se demandait si elle n’allait pas redevenir humaine. Ça aurait presque été logique après tout, un humain mordu par un zombie devenait un zombie, alors pourquoi un zombie mordu par un humain ne redeviendrait-il pas humain ? Malheureusement pour lui, la biologie possédait de nombreuses qualités, mais l’ironie n’en faisait visiblement pas partie.
Homme et macchabé échangèrent un regard étonné, haussèrent les épaules, puis revinrent à leurs rôles respectifs.
Soyons clairs, sans dentier, la vieille était tout sauf une menace sérieuse. Au pire la morsure ressemblerait à une tentative de fellation maladroite. Mais tout de même, une grand-mère chargeant tous ongles dehors offrait une vision saisissante à laquelle Raan mit fin d’un coup de perche à perfusion.
La créature roula à terre et il s’assura qu’elle y reste cette fois-ci pour de bon à grand coup de chaussures calibre quarante-deux. Sa besogne achevée, il balança sa perfusion pour se trainer à travers le couloir en pestant contre les zombies, le troisième âge et les zombies du troisième âge, puis retourna dans le hall où son acolyte était aux prises avec le reste des pensionnaires de la maison de retraite.
Ces dernières années, Raan avait à peu près tout vu. Du massacre sanglant à la bataille rangée en passant par tous les stades intermédiaires du carnage, mais rien ne l’avait préparé à la lutte épique d’un homme seul contre une armée de grabataires à demi-décédés.
Kiu, son compagnon d’aventures, était un type en or. Un homme au grand cœur, un charisme tout en douceur, une force de la nature cachée sous des airs de nounours barbu. Kiu, c’était le genre de mec qui n’aurait jamais fait de mal à personne, jusqu’à ce qu’on essaye de lui piquer son sandwich. Après ça, il se transformait en virtuose de la machette.
Il ne taillait pas vraiment ses adversaires en pièces, il dansait et des morceaux de zombies tombaient autour de lui. C’était beau, net, précis, et avec beaucoup de fioritures. Raan lui-même prit le temps d’apprécier le spectacle, avant que les appels mêlés d’insultes de son compagnon ne le poussent à se joindre à la fête.
Plus grand que Kiu, Raan était un type tout en longueur tellement maigrichon qu’il n’en avait qu’un seul côté. Du genre qu’on aurait plus vu dans un service informatique que dans une nouvelle postapocalyptique. Mais Raan, c’était avant tout des cheveux. Des cheveux d’ailleurs fort soyeux, en décalage complet avec une personnalité qu'on pouvait qualifier de tout sauf soyeuse.
Il dégaina son meilleur ami : Fifi, pistolet de son état, avant de s’avancer dans la salle avec un air faussement contraint. Il abattit le papy qui essayait d’enfoncer ses gencives dans le mollet de Kiu, puis s’occupa des autres avec un sourire carnassier.
Raan aimait bien le massacre. Pour lui, une bonne journée se mesurait en nombre de zombies criblés de balles. Il n’y avait pas particulièrement de raison à ça. Pas d’histoire tragique de famille massacré ou d’ex-petite amie zombie lui ayant brisé le cœur au point de vouer une haine féroce à l’espèce tout entière, non.
C’était juste fun.
Il fut presque déçu quand le dernier monstre retomba devant lui en pièces détachées, façon kit Ikea sans notice de montage.
Kiu s’assura que tous leurs adversaires étaient bien à terre, avant d’enfin revenir à lui. Se défendre était une chose. Constater le carnage qu’on laissait derrière soi en était une autre que Kiu n’avait jamais vraiment réussi à accepter. Il appuya les mains sur les genoux et inspira profondément, tant pour reprendre sa respiration que pour calmer les tremblements qui lui agitaient les bras. Le regard rivé au sol, il fit ce qu’il pouvait pour éviter les corps démembrés autour de lui, mais ses chaussures maculées de sang le ramenèrent bien vite à la réalité.
Pourquoi fallait-il toujours que ça finisse en bain de sang ?
Il voulait juste voir ce qu’étaient devenus les propriétaires du petit camion arrêté devant la maison de retraite. Juste s’assurer que tout allait bien pour eux. Il les avait trouvés morts dans la cuisine, à moitié dévorés par les infirmiers. L’image lui donna un haut le cœur. Il secoua la tête, avant de se redresser pour affronter le monde réel.
La première chose qu’il vit était Raan, occupé à plonger ses doigts dans les impacts de balle en chantonnant.
— … et trois, et quatre et cinq. L’a dû regarder Fifi de travers celui-là.
— Mec, soupira Kiu, je t’ai déjà dit d’économiser tes balles.
— Et moi je t’ai déjà que Fifi n’a pas besoin de balles. Fifi fonctionne à la haine pure.
Ce qui était rigoureusement exact. Fifi avait vu le jour sous la pointe d’une pioche l’ayant arraché à la terre mère. Miné, extrait, fondu, purifié, martelé, forgé, transformé en machine à tuer, Fifi avait forgé sa haine pour le monde dans les flammes des usines et des champs de bataille. Qui pouvait se douter qu’un si petit bloc de métal pouvait receler autant de rancœur ?
Et pourtant, Fifi débordait de tellement de haine que celle-ci se manifestait sous forme de projectiles aussi réels que hargneux.
Kiu soupira. Pour sa part, il soupçonnait Raan d’attendre que personne ne regarde pour recharger en cachette.
Il le dévisagea un moment avant de remarquer sa bouche en sang.
— T’es blessé ? fit-il d’un ton inquiet.
— Nan, j’ai mordu un zombie.
— Mordu un…
Venant de n’importe qui d’autre, il aurait pris ça pour une blague. Venant de Raan, il ne put qu’accepter.
— J’arrive pas à savoir si c’est de courage ou de l’inconscience, soupira-t-il.
— Ça change quelque chose ? Et faut que t’arrête avec ça.
— Quoi ? dit-il avec un haussement de sourcil.
— Ça.
— Mais quoi ? répliqua-t-il, à deux doigts de l’énervement.
— Mais ça ! Les dit-il, répliqua-t-il, soupira-t-il, tu te crois où ?
Kiu s’apprêta à répliquer, avant de remarquer qu’il rajoutait effectivement des mots inutiles dans ses phrases.
— C’est quoi ce bordel ?
— À tous les coups c’est de sa faute, dit Raan en me pointant du doigt.
— J’avoue, t’es qui toi ?
Moi ?
— Ouais toi. Ça te prend souvent de suivre de gens comme ça ?
Mais je… Enfin vous n’êtes pas censés me voir normalement.
— Ah donc en plus c’est un voyeur, de mieux en mieux, soupira RaaaaaAAAA ET ARRÊTE ÇA !
Raan fulminait, les poings serrés le long du corps. Kiu en revanche, semblait plus perplexe.
— D’où tu sors ?
Je suis le narrateur. C’est moi qui raconte votre histoire.
— Et ça recommence…
— Juste pour être sûr, fit Kiu d’un ton inquisiteur. De quel genre d’histoire on parle là ?
D’une nouvelle.
— Ah ça c’est nouveau.
— Ouais ouais ouais, soupira Raan. On sait déjà tous comment ça va finir.
Comment ça ?
— On était acteurs avant, expliqua Kiu. On s’est fait enfler sur toute la ligne, le studio a fait faillite et on est restés coincés dans ce monde de merde. Ah et en plus on a pas été payés. Du coup je t’avoue que cette histoire de nouvelle ça m’emballe moyen.
Raan s’apprêtait à enfoncer le clou, quand un bruit sourd lui fit tourner la tête. Quelque chose bougeait dans les toilettes.
— C’est quoi cette merde encore ? soupira Kiu.
À contre-cœur, il se mit en route vers la porte, machette en main. Raan me lança un regard mauvais accompagné d’un doigt accusateur.
— Si un coup tordu de ta part, je t’éclate.
Je m’abstins de répondre et suivit Kiu vers les toilettes. Il poussa la porte d’une main pour lancer un coup d’œil à l’intérieur. Tout était sombre. Trois cabines, deux lavabos. Quelques traces de sang. Deux des portes étaient défoncées depuis bien longtemps. La troisième grinça d’un ton suspect.
— Je sais pas qui t’es, commença Kiu, mais si t’es humain je te conseille de sortir.
Pas de réponse. Même le silence paraissait trop silencieux pour être honnête. D’une main, Kiu dégaina sa lampe torche, troqua sa machette contre un revolver, puis s’avança dans la pièce le plus silencieusement possible. Raan suivit, Fifi en main, et les deux hommes vinrent se placer de part et d’autre de la cabine suspecte. Kiu leva trois doigts, et commença à décompter silencieusement.
Trois.
Kiu raffermis sa prise sur son arme en ignorant le sourire dérangeant de Raan. Fifi gronda.
D…
La porte s’ouvrit timidement.
Incrédules, Kiu et Raan se penchèrent simultanément vers l’intérieur et durent baisser les yeux pour découvrir une bouille ronde, une longue natte blonde à demi-défaite et deux yeux bruns plissés face à la lumière de la torche répondant au doux nom de Sarah. Huit ans.
Raan écarquilla les yeux.
— C’est mort.
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Questionnaire de l'Atelier des auteurs

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