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Wen

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Œuvres

Wen

Sans doute est-ce la pluie, en se heurtant au bois vermoulu des volets, qui la tient éveillée. Si régulière, qu’elle semble faire le tour du cadran dans une course interminable contre le temps. Le tic-tac des gouttelettes qui s’écrasent, le tic-tac de la mort. C’est du pareil au même. Quand le temps se gâte, et que tombe une averse, ce sont les larmes des disparus qui ruissellent sur le monde des vivants. Le ciel s’ouvre et leur pleurs dégoulinent sur les maisons, inondent les jardins, pénètrent la terre qu’ils ont foulé autrefois. De temps en temps un éclair zèbre les ténèbres. C’est le cupidon de l’outre-tombe qui choisit le suivant, le prochain à rejoindre l’au-delà. Grand-mère tenait toujours à ce qu’elle s’abrite d’un parapluie lorsqu’elle sortait par mauvais temps. Sa crainte n’était non pas qu’elle attrape froid, mais que certains de ses aïeuls la reconnaissent de la haut, et tentent de lui décocher une flèche. Qu’en pense grand-mère, à présent, maintenant qu’elle appartient au royaume des ectoplasmes ? L’attend-t-elle, impatiemment, ses yeux bleuis par la cataracte glissant sur les nuées de parapluies, à la recherche de sa petite-fille ? Elle l’accueillerait avec une tiare, un sceptre, et un manteau d’hermine, sûrement, et une fois remise de ses émotions, la vieille âme lui tendrait une tasse de chocolat chaud, si tant est que cette boisson existe là-bas. Il paraît que les morts oublient la souffrance que l’on a de passer de vie à trépas. Loin de la rassurer, la jeune fille est persuadé qu’en ce cas, rien n’empêche ces derniers de précipiter leur proche dans la tombe. Sûrement que la joie des retrouvailles leur paraît suffisant comme prétexte. À chaque instant, Grand-mère lui manque, mais elle espère de tout cœur que les rainures entre les volets sont assez étroites pour la prémunir de sa curiosité. Elle ne veut pas sentir son regard quand elle dort…
— Pst…
C’est la fille Maujean qui l’appelle. Clémentine de son prénom. Le tohu-bohu de la tempête, à l’extérieur, a dû la réveiller. Car elle s’était endormie, plusieurs heures plus tôt, à peine la lumière éteinte. De cela, elle en est certaine. Ses ronflements emplissaient la chambre comme le vieux radiateur à gaz qui ronronne en hiver, dans la cuisine. Maujean, c’est le genre de fille à lécher son assiette, et à éructer pour faire rire les autres cradingues avec qui elle est copine.
L’orphelinat compte exactement douze chambres doubles, et sept triples. Si elle avait plus de chance, elle serait tombée dans celle de Pauline et Zoé, ses meilleures amies. Mais la chance a décidé de la quitter le jour du décès de grand-mère, et ne semble pas vouloir pointer le bout de son nez, depuis. Se coltiner la Clémentine n’est pas si affreux. Juste un peu agaçant, quand elle chante de sa voix nasillarde, ou se met en tête de lui couper les cheveux.
— Pst… Hé, Meunier, tu dors ?
Ou quand elle entonne le même jeu de mots usité, pour la réveiller. Mais la jeune orpheline ne dort pas cette nuit…
— Plus maintenant. Merci bien.
Le silence, puis les ressorts du sommier, à côté du sien, se mettent à grincer, alors que Clémentine se redresse dans son lit. Elle ne prend pas la peine de se retourner pour l’observer. Elle sait déjà que sa compagne est assise en tailleur, les draps rabattus en boule à ses pieds, ses cheveux châtains à moitié libérés de leur longues nattes rousses.
— J’ai fait un cauchemar, Meunier.
Comme toutes les nuits, a-t-elle envie de lui répondre. Mais Grand-mère ne l’a pas élevée ainsi.
— Essaye de te rendormir. C’était pas réel.
— Je peux pas. C’est encore cette malle, dans les appartements de la vieille Colette. Je suis sûre qu’elle cache un cadavre à l’intérieur.
Cette fois, elle se retourne sur son matelas, en tirant sur la courte pointe effilée pour ne pas se découvrir. Il fait particulièrement froid, cette nuit.
— Pourquoi Tata ferait une chose pareille ? Tu as fait un mauvais rêve, c’est tout.
Le visage de Clémentine est blême dans l’obscurité. Elle ne lui a jamais vu un air aussi grave. Pourtant Colette se montre plutôt gentille avec les enfants de l’orphelinat, surtout avec les plus jeunes. C’est une vieille fille un peu grincheuse, mais tout le monde le serait après avoir passé la majeure partie de sa vie seul dans un manoir décrépi. Avant que celui-ci ne soit transformé en établissement pour gamins abandonnés, elle y habitait déjà. Maintenant, elle tient à la fois le rôle de gouvernante et de nourrice. Les dons ne sont pas suffisants pour s’offrir les services d’une nounou à plein temps. Certaines pensionnaires, les plus grandes, racontent que l’argent ne manque pas, qu’il prend juste la mauvaise direction. Directement dans les poches du directeur.
Les grands yeux bruns de Clémentine papillonnent. Une lueur inquiétante s’est allumée dans sa pupille.
— Je l’ai vu, Meunier, c’est le majordome.
Elle a prononcé cette phrase dans un souffle, et, maintenant, elle la toise, attendant une réaction de sa part. Ce qu’elle dit ne peut être vrai. Elle la fait marcher.
— Tu te moques de moi, Maujean. Je sais que c’est…
Un coup violent porté au niveau des fenêtres, les fait sursauter. Elles s’immobilisent, muettes, en tendant l’oreille.
Le bruit se répète. C’est la main décharnée du rosier grimpant qui doit toquer. Ses branches, dés l’automne, ressemblent à un squelette humain à qui on aurait ôté la tête. Madame Charpe, l’intendante, n’a jamais accepté de le tailler. Elle aime son côté sauvage, et, tout autant, sa façon d’effrayer les enfants.
— Tu vois… toi aussi tu as peur, souffle Clémentine avec un sourire victorieux. Alors tu m’accompagnes ?
— Où ça ?
Elle lève les yeux au ciel, dans une imitation parfaite de madame Imbert, leur professeur de français.
— Il faut qu’on trouve cette malle ! Si tu ne veux pas me suivre, j’irai toute seule.
— Tu es devenue folle ? C’est hors de question.
Clémentine bondit de son lit. Son terrifiant cauchemar semble s’être évanoui aussi rapidement que le souffre embrasé d’une allumette. Avec son petit menton dressé en air de défi, elle paraît déterminée à faire de cette nuit le théâtre d’une opération héroïque. Inutile de la raisonner, elle part en campagne.
— Que tout le monde se le dise : Emma Meunier est une peureuse.
— Et moi, je parie que tu n’auras pas encore traversé le couloir, que tu reviendras en vitesse te cacher sous les draps.
La mâchoire de Clémentine gagne encore en hauteur, alors que son attitude bravache redouble.
— Qui vivra verra.
Ces mots procurent à la jeune Emma une sensation glacée le long de son dos. Refusant de laisser entrevoir son malaise, elle détourne le regard en direction de la fenêtre. Juste à temps, pour distinguer une sorte de voile blanc passé derrière les volets. Elle se tétanise. Qu’est-ce que c’était ?
On aurait dit une fumée épaisse prenant la forme d’une silhouette. Quelqu’un vient-il de raviver le foyer dans la cheminée de la salle commune ?
Ses mains moites s’agitent en chiffonnant ses draps. Bientôt, Clémentine quittera la chambre et l’abandonnera toute seule, ici. Elle n’y avait pas pensé.
— Dernière chance, claironne celle-ci, en reculant vers la sortie, revêtue d’un peignoir en laine.
— Attends ! Je viens avec toi.
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