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Leslie Riebel

Leslie Riebel

Il fait soleil ce matin mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres.
Marthe est assise dans son rocking-chair et essaie de maîtriser sa respiration. Son cœur bat beaucoup trop vite. Elle a posé ses mains sur ses genoux.. Regarde les veines bleues pulser à ses poignets, les étoiles rousses en semis sur la peau de papier, les doigts tordus.
Ils viennent de partir et jamais elle ne s’est sentie aussi vieille.
Bien sûr, elle sait qu’elle l’est. Ses mains le lui disent depuis longtemps et certains jours plus que d’autres quand l’arthrose les transforme en griffes de douleur.
« - Mais j’ai seulement 80 ans … » a-t’elle crié à son fils Pierre.
« - Ca n’a aucun sens de dire ça, maman. »
« - Mais pour moi, si ! Ma mère est morte à 94 ans, mon père à 92. Dans ma famille, 80 ans, c’est encore jeune. »
Pierre l’a appelée la semaine dernière pour lui annoncer leur venue aux environ de dix heures. Ils ne passent pas souvent chez elle. Elle a été surprise, puis ravie, et comme à chaque fois, pleine d’espoir au sujet de Louise. Louise est toujours tellement mielleuse : « Vous êtes sûre que vous vous sentez bien, mémé Marthe ? » Son air pincé, sa moue réprobatrice crispent les nerfs de Marthe, mais c’est la femme de son fils, et à chaque fois, elle se dit que Louise n’aura pas son petit air méprisant et que leur visite se passera au mieux.
Elle s’est levée tôt. Ses mains se taisent aujourd’hui mais la préparation du thé est longue et fastidieuse.
Elle se demande comment ils auraient abordé la question si elle n’avait pas fait tomber la théière au moment de la poser sur la table. Un brusque éclair de douleur a mordu ses mains qui se sont ouvertes. Explosion, fracas, feu d’artifice de liquide brûlant et de morceaux de porcelaine.
Pour le bouquet final, il a fallu attendre…
Après un bref instant de panique qui laisse Marthe tremblante et paralysée, Louise s’occupe de tout. Les dents serrées, elle fait asseoir Marthe, et ramasse, éponge avec de grands gestes efficaces. Pierre, en retrait, regarde prudemment par la fenêtre.
« Bon, dit Louise en s’asseyant face à Marthe. On était justement venus pour vous en parler… »
Marthe se redresse, le souffle soudain court et regarde Louise fouiller dans son sac et en retirer comme de grandes cartes colorées. « Jetez donc un coup d’œil sur ces brochures, mémé Marthe. »
Marthe baisse les yeux et serre les doigts pour les empêcher de trembler. La douleur hurle maintenant en s’insinuant partout, jusque dans ses coudes. Malgré ses lunettes, elle a du mal à voir les grandes lettres qui dansent puis s’immobilisent. « Résidence pour personnes du troisième âge », lit-elle.
Ils sont partis maintenant et Marthe regarde ses mains. La scène qui a suivi reste embrouillée dans sa tête, elle sait qu’elle s’est levée, qu’elle a crié, qu’elle a jeté les brochures par terre. Pierre a tenté de la calmer mais Louise, furieuse, s’est mise à crier aussi. Marthe n’arrive pas à se souvenir des mots échangés. Elle les voit prendre leurs manteaux et partir, elle voit Louise se retourner, les lèvres serrées, le regard dur. « Nous reviendrons » a t’elle jeté avant de claquer la porte.
Marthe coule un regard vers les brochures, le détourne aussitôt. Elle ne partira pas d’ici. Elle aime cet appartement. Elle se souvient du rire de Raymond la première fois. « L’envolée, quel drôle de nom pour un immeuble » avait il dit.
Marthe se lève et va chercher dans l’armoire son album de photos. Elle caresse un moment la douceur du vieux cuir qui apaise les ruades de son cœur. Elle ouvre l’album, et retient sa respiration, comme si elle plongeait…
…Marthe, 16 ans, lit dans le jardin de ses parents. Le soleil ruisselle sur ses cheveux dénoués, ses bras nus. Surprise par l’objectif, elle a levé les yeux, un demi-sourire sur ses lèvres entrouvertes.
…Marthe, 20 ans, en robe blanche, est aux côtés de Raymond. Son cœur bat dans ses tempes, les grains de riz crépitent autour d’eux.
…Marthe, 25 ans, est assise sur le sable, et serre le petit Pierre contre elle, sa bouche enfouie dans les cheveux fins du bébé, le regard vers l’horizon.

...Marthe, 80 ans, est de nouveau heureuse.

La mer et le ciel se mêlent dans une blondeur rousse, qui envahit tout, et le monde devient sépia.


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Défi
Leslie Riebel


Agathe,
Après toutes ces échauffourées, ces mots (pensés ?) jetés entre nous deux, je prends le taureau par les cornes en t’envoyant cette lettre. J'espère que tu pourras comprendre. Je ne veux pas te parler face à face, peur d'être stoppé par tes remarques et ton étonnement avant même de commencer.
Tu vas être déçue, étonnée, en colère. Tu ne vas pas comprendre, tu vas me détester.
Mon cœur est lourd de ton amertume future.
Je pense que nous avons eu tort de nous mettre ensemble peu de temps après notre rencontre. Cela a tout changé. Au début, tu t’es montrée amoureuse, débordante, prête à tout pour nous deux, créant à chaque rencontre des espaces nouveaux, tu m’as secoué, éjecté de ma zone de confort d’éternel jeune homme sans attaches, poussé dans mes retranchements et j’avoue que ça ne m’a pas déplu.
Au début, ce fut l’extase, à en perdre jugeote et sagesse. On a été fous, exaltés, perchés au-dessus de nos nuages d’amour. Ça a été enchanteur et surnaturel. On a voulu que ça dure, que ça dure et on a cherché un appartement pour ne plus être séparés.
Seulement, dès qu’on s’est calés ensemble dans notre refuge d’amour, la vapeur s’est renversée ! Nos cœurs tout à coup se sont calmés. Etrange phénomène. Tu es devenue plus douce et plus ennuyeuse… Tu as perdu tes accès de fougue, d’ardeur …. Et au fur et à mesure de ces jours à deux, tout est devenu pesant.
J'étouffe.
Les flammes ne sont plus que des cendres.
On a été trop pressés, on y a cru, former un couple nous a semblé couler de source. Les moments de grâce des débuts, le cœur battant, l’âme exaltée, dans les parcs et dans les cafés, nos balades sans but dans les rues nous ont semblé éternels.
Alors, rassembler nos âmes dans le même foyer n’a soulevé aucun doute pour nous deux.
Ce que je peux te révéler et t’avouer, c'est que durant ton absence de quelques jours, le soulagement et le bonheur retrouvé comme des fenêtres ouvertes sur ma légèreté d’avant ont conforté les murmures de mon cœur. D’abord un fort étonnement accompagné de doute (ma tête ne tourne plus rond ?) et tout à coup, une grande clarté sans appel.
Je ne peux pas passer à côté de ce que j’éprouve.
Je ne veux plus m’ennuyer à tes côtés.
Je ne peux que m’envoler.
Mes fenêtres sont ouvertes de nouveau.

Jean
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Défi
Leslie Riebel



Elle jette un dernier regard autour d’elle avant d’entrer dans le sas. Personne n’avait cru qu’elle oserait. Elle qui a peur de tout. Elle boit des yeux cet espace si connu, si rassurant. Elle pense qu’elle ne le reverra jamais et entre.

Le sas est une étoile à dix branches, chaque branche une coque de satin d’un bleu qui lui donne envie de dormir. Elle s’allonge dans l’une d’elle et oublie tout.

Elle n’a pas l’impression de se réveiller. Les sensations sont si étranges. Ce bleu qui lui a donné sommeil fait maintenant partie d’un tout.

Le sas s’immobilise. Elle se lève et regarde autour d’elle. Elle ne respire plus, n’y pense même pas. Ce qu’elle voit est autre.

Elle se met en route, ne sait pas si elle marche ou flotte. Le bleu sommeil s’effiloche peu à peu sur des déchirures rouges qui filent autour d’elle et font battre son cœur. Elle les suit. Les fusées rubis se rassemblent d’un seul coup devant elle pour exploser soudain et c’est comme si une porte s’ouvrait.

Elle est face à un monde auquel elle ne comprend rien, une vallée qui se répète à l’infini, à tous les niveaux. L’horizon n’existe plus, la terre et le ciel non plus.

Elle avance, et là, elle sait qu’elle flotte, qu’elle nage peut-être.

Des myriades de microns de soie lui caressent la peau. Des formes la frôlent, la croisent : coquilles irisées tournoyant sur elles-mêmes, étoiles crépitantes, corolles translucides.

Elle n’a pas peur. Elle se sent juste un peu fébrile. Elle nage. Elle est cette eau qui la porte, qui commence à devenir doucement plus lumineuse, plus brillante.

D’autres formes apparaissent ça et là, serpents sinueux aux ailes vibrantes, oiseaux d’écailles transparentes, gazelles bleues. Une mère ourse et ses petits la dépassent en ondulant.

L’eau devient pétillante de bulles. Elle ne voit plus rien qu’un éblouissement de lumière. Puis cette pluie d’or cesse tout à coup.

Il est là, enfin, à perte de souffle, de regard. Il devient l’horizon qui n’existait plus. Ses tourelles courent à l’infini, lovées dans le nid de ses escaliers. Ses murs oscillent lentement, leurs ancres fichées dans une clairière de nuages de fumée. Dans la mouvance rythmée de ses voiles, le pont-levis s’abaisse sur une volée de marches en verre filé.

Alors, elle sait qu’elle est enfin arrivée.


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Leslie Riebel


Jour J moins 15

Dans 15 jours, je vais prendre l’avion pour la première fois de ma vie. Ce voyage est prévu depuis plus d’un an.
Il y a un an, le nuage noir était loin dans le ciel de ma tête, un nuage pas plus gros qu'un confetti, une légère inquiétude vite éjectée de mon royaume doré. Je suis la reine de la tête dans le sable.
Là, la pluie n’est pas loin, imminence d’eau drue et méchante. Il ne reste plus que des effilochures de bleu dans le ciel de ma tête.
Je sais que l’encre de ma peur va les dévorer.

Jour J moins 14

Au moment de réserver, je m'étais figée devant le dessin de l’avion coupé en deux, dévoilant les sièges numérotés. Ma main a tremblé sur la souris. Près du hublot ? Non, non, j’ai le vertige. Au milieu de la rangée ? Non, non je vais me sentir coincée.
J'ai fermé les yeux, mon doigt a cliqué, au hasard. Place 210.
Mon billet est là, sur le bureau. Il m’obsède. J’empêche mon œil de vriller vers lui. Je pourrais le cacher, mais je n’ose pas.
Je sais de quoi est capable ma peur.

Jour J moins 13

J’allume la télé, les infos. Un copilote a craqué, s’est enfermé dans la cabine de pilotage, a plongé lentement son avion vers le sol. 150 morts.
L’orage a éclaté. Le ciel de ma tête pleure toutes les larmes de ma peur.
Les passagers ont dû comprendre à un moment donné que quelque chose n’allait pas. L’inclinaison de l’avion vers l’avant, les montagnes qui montaient lentement vers eux.
Je ne pars pas. C’est impossible. Je ne peux pas, je ne veux pas mourir.

Jour J moins 12

La pluie a cessé. Tout est trempé, ramolli dans ma tête. Je n’arrive plus à penser, je ne veux plus y penser. 12 jours, c’est encore long. Le bouton rouge sur la télécommande de ma peur, arrêt sur image. Le jour J ne viendra jamais, ou alors dans très longtemps.
Le 15ème jour n’existe pas.

Jour J moins 11

Les voyageurs se rappelleront longtemps cette passagère psychopathe. Tout à coup, elle a commencé à s’agiter au décollage, regardant autour d’elle avec des yeux exorbités, marmonnant des mots incompréhensibles, puis sa panique n’a cessé de croître, à un moment, elle a voulu descendre de l’avion, griffant le hublot en cherchant le système d’ouverture, et à partir de là, il a fallu la maîtriser.
Il faut que je me calme.

Jour J moins 10

Comment en toute logique un avion arrive à ne pas tomber comme une pierre ? Comment ce monstre d’acier peut s’arracher de la terre et voler comme un oiseau ? Et comment moi je vais survivre dans ses entrailles ? Enfermée et confrontée au vide ?
Je ne veux pas y aller.

Jours J moins 9

9 jours.... 216 heures, 12960 minutes, 777600 secondes...
Et si l'avion tombait dans la mer ? Je ne sais pas nager où je n’ai pas pied. Combien de mètres de profondeur, un océan ? À tous les coups, il y aura des requins.
Il parait qu'on meurt avant, la chute vertigineuse de l'avion doit provoquer un arrêt cardiaque. Peut-être qu'on ne s'en aperçoit pas...
Je ne peux pas ne pas y aller.

Jour J moins 8

Il me reste peut être qu'un lundi à vivre, qu'un mardi, et.... Il faut que j’arrête ces pensées obsédantes. Je peux décider que la mousson dans le ciel de ma tête est terminée, je peux souffler sur les nuages.
Je me dis que l’équipage vole des milliers d’heures par an, et que si eux le font, dix heures de vol ne devraient pas me faire peur. Et toutes ces personnes qui prennent l’avion à longueur d’années pour leur boulot et ne sourcillent pas plus que s’ils étaient dans un bus ou un train ? Après tout, eux ils n’ont pas peur.
Je n’ai plus de souffle et les nuages ne bougent pas.

Jour J moins 7

Là où je vais, il fait chaud, très chaud toute l'année. Je regarde ma valise en haut de l'armoire. Dehors, une pluie froide jumelle la pluie dans ma tête. Où sont mes habits d'été ?
J'y penserai demain.

Jour J moins 6

La valise est descendue de l'armoire, elle trône là, menaçante. Je la contourne mais elle attend, elle sait que je vais l'ouvrir. Je la hais.
Je plonge dans le carton des vêtements d'été, je n'aime pas l'été de toute façon. Les tuniques, les pantalons, les débardeurs sont froissés en boule.
Je branche le fer, le cœur comme une pierre.

Jour J moins 5

J'ai téléchargé le formulaire S31125 de la Sécurité Sociale, manquerait plus que je sois malade là-bas. Si j'arrive là-bas. Oui, mais si j'arrive là-bas, il faudra que j'en revienne, que je prenne l'avion de nouveau. Mon cœur n'est plus qu'une petite olive déshydratée.
5 jours nom de dieu, il reste 5 jours.

Jour J moins 4

Le ciel de ma tête pleure toutes les larmes de mon vide intérieur. Je n'arrive plus à penser, ma valise est prête, reléguée dans un coin, il sera bien assez temps d'enrouler mes doigts autour de sa poignée.
Et d'entendre le chuintement sinistre de ses roulettes.

Jour J moins 3

Je n'avais jamais entendu mon cœur, avant. Là, il cogne dans ma tête tout le temps, chaque minute. Tout ce qui fait mon quotidien devient infiniment précieux. Mes yeux boivent avidement chaque détail de ma maison, je caresse le bois du lit, le velours du canapé, j'écoute intensément le grincement de la porte, le goutte à goutte du robinet. Même la dalle descellée dans le jardin où je bute à chaque fois ne m'agace plus.
Je ne veux pas partir, je veux rester là dans ma bulle.

Jour J moins 2

Après demain. Un jour après demain. Deux jours donc. Pas la peine de recompter, de croire que je me suis trompée. C'est clair, c'est simple. Je pars après-demain. 48 heures.... Mon doigt glisse de la calculette. Je m'en fiche du nombre de minutes et de secondes.
De toute manière, je pars.

Jour J moins 1

Demain. Dernière soirée chez moi, dernière nuit. Je ne dors pas de la nuit, pas une heure, pas une minute, pas une seconde, pas une microseconde. J'écoute la pluie marteler ma tête, incessante et inlassable.
Mon cœur bat le tempo avec elle.

Jour J

Le réveil sonne, pour rien. Mon cœur rate la marche, trébuche dans l'escalier de ma peur. Terreur blanche.
Le taxi vient de me déposer à l'aéroport, file d'attente, écho de voix suaves, terminal B. Le dernier endroit sur terre avant de monter dans un avion s'appelle un terminal. Mon cœur dégringole la tête la première.
Je viens de descendre de la navette. Il est là, de profil, son ventre trapu est ouvert, des silhouettes commencent à gravir l'escalier sur roues, posé devant la porte béante. J'avance pas à pas poussée doucement par la foule autour de moi. Il est énorme. Immobile, il m'attend.
J'ai gravi toutes les marches. Je jette un dernier regard autour de moi. Je bois des yeux cet espace si connu et si rassurant. Je pense que je ne le reverrai jamais et j'entre.
Face à moi, une enfilade infinie de sièges, de chaque côté d'un couloir. Place 210.
Mes tempes battent au rythme de mon cœur, mon cœur se débat dans ma tête. Je suis assise immobile. Autour de moi des gens s'installent, ouvrent un journal, ont le nez plongé dans leur portable. J'ai envie de leur hurler qu'ils ne sont pas dans un bus. Une hôtesse passe, me sourit.
Quelqu'un se laisse tomber à côté de moi et cogne mon bras. Je me pousse un peu et je tourne la tête vers cette respiration saccadée qui vient envahir mes oreilles.
C''est une petite fille qui doit avoir 8 ans. Près d'elle, une toute jeune femme, les bras enroulés autour d'un bébé. La petite fille me regarde.
Mes yeux plongent dans ses yeux. Océan de pluie, eau drue et méchante.
Tout s'est calmé autour de nous, les gens sont assis, toutes les places sont prises. Une hôtesse nous souhaite la bienvenue et se met à parler en français puis en anglais, déplie un gilet de sauvetage. La petite fille se met à pleurer.

Tout vient de se calmer en moi. Je prends la main de la petite fille, je lui dis de ne pas avoir peur. Je lui parle sans m'arrêter, je détricote le compte à rebours de mes angoisses. Elle me fixe de ses yeux noyés, mais ses larmes ne coulent plus, elle m'écoute.

L'avion commence à rouler doucement, puis de plus en plus vite. Et il se met à rugir. La petite fille serre ma main. L'asphalte file à toute allure et commence à s'abaisser. L'avion s'incline alors vers le haut, puis redresse son museau et le sol dehors s'éloigne de plus en plus.

Je m'aperçois que j'ai bloqué ma respiration. Je la reprends d'un grand coup au moment même où l'avion se stabilise dans les airs. Son rugissement devient feulement doux. Au-delà du hublot, une blancheur irréelle, merveilleuse. Je réalise qu'on vole au-dessus des nuages.

J'ai envie de rire, comme une folle. Je regarde la petite fille, il ne pleut plus dans ses yeux. Je lui dis "regarde les nuages, on vole plus haut que les oiseaux !"
Alors elle rit avec moi et me dit "Même pas peur !".
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Leslie Riebel

Ma saison préférée n’est pas une saison. Ma saison préférée commence dès les premiers prémices du déclin de l’été.
Eté, je te déteste.
On me regarde souvent comme si j’étais folle. Tout le monde adore l’été. Soleil, liberté, vêtements légers, longues soirées, baignades....
Eté, ton soleil implacable, ta chaleur m’insupportent, tes journées se ressemblent inexorablement, tu m’ennuies, tu me plombes. Tu m’écrases, immuable.
Tu me parais interminable. 271 jours, du 21 juin au 23 septembre. Parfois, tu arrives plus tôt et parfois tu t’éternises.
Il n’empêche.
A un moment donné, imperceptiblement, quelque chose change. Une feuille se détache d’un arbre et descend lentement jusqu’au sol. C’est la première. Elle n’est même pas encore rousse.
Un soir, une fraicheur, légère comme un voile, glisse sur moi et je ferme les yeux.
C’est là que commence ma saison préférée qui n’est pas une saison.
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Défi
Leslie Riebel



On vient de lui livrer et de lui installer son ordinateur. Marie a choisi le même modèle que celui qu’elle utilise au travail. Elle le connaît et ne perdra pas de temps à se familiariser avec un autre programme. Elle est plus qu’impatiente. Elle va enfin pouvoir écrire.

Ecrire… Quel mot magnifique ! Pendant longtemps, Marie a pensé que l’écriture était l’art le plus libre. On peut écrire n’importe où, on a besoin de deux fois rien pour écrire : du papier, un crayon…ou de trois fois rien : du papier, un crayon, une gomme… Quoique…un bureau, une bonne lumière, un endroit calme.. Non ! non ! Du papier et un crayon, ça suffit !

Quel plaisir d’acheter exprès un carnet de papier bien blanc, bien lisse, un crayon à mine tendre, de les glisser dans son sac. D’y penser par moments et de se dire avec à chaque fois le cœur qui rate une marche : « Ce soir, je vais écrire… » Puis, le soir arrive enfin…. Sensualité du papier sous la paume de la main… La page blanche est là, devant elle. Marie pose la pointe du crayon en haut à gauche et…rien. Elle attend, réfléchit, regarde en l’air et soupire. Bon, ce n’est pas le moment. Elle recommencera demain.

Mais demain, elle n’a pas le temps, elle est fatiguée. Après-demain, elle est au téléphone, elle cherche un papier dans son sac pour noter un numéro, prend le carnet, y griffonne. Elle arrache la page, juste une page, il en reste plein pour écrire, ce n’est pas grave… Puis, de jour en jour, les pages s’envolent : une liste de courses, un dessin pour un enfant… Et Marie oublie…jusqu’à la prochaine fois, où comme ça, sans raison, elle se dit : « Je vais écrire » et achète un carnet de papier bien blanc, bien lisse, un crayon à la mine tendre.

Mais cette fois-ci, c’est différent. Marie en est sûre. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Un ordinateur… Ecrire sur traitement de textes…Ce sera facile, elle tapera au kilomètre, elle corrigera plus tard…

Marie est installée devant son écran. Elle clique sur « fichier » puis sous « enregistrer sous », ses doigts frémissent au dessus des touches, position AZERTYUIOP…la page blanche sur l’écran est là devant elle et…rien. Elle attend, réfléchit, regarde en l’air et soupire. Bon, ce n’est pas le moment. Elle recommencera demain.

Mais demain, elle n’a pas le temps, elle est fatiguée. Après-demain, elle allume son ordinateur, crée un fichier « recettes de cuisine », recopie quelques recettes. Puis de jour en jour, d’autres fichiers s’ouvrent, elle s’exerce sur Excel, crée de nouveaux tableaux pour ses comptes, organise un agenda… Et Marie oublie…

Jusqu’au jour où, en flânant, Marie entre dans une librairie. Elle veut acheter le dernier Goncourt pour une amie. Elle s’approche, attirée par le blanc barré de rouge des livres, en prend un, le soupèse, l’ouvre : les pages sont douces sous ses doigts. Marie lit le résumé. C’est le premier ouvrage d’un auteur jusque là inconnu, dont le titre est « La page blanche ».

Alors, Marie va s’acheter un carnet de papier bien blanc, bien lisse, et un crayon à la mine tendre.

Et rêve encore qu’elle va écrire…

Mais la page blanche n’en a rien à faire des rêves de Marie. Elle veut :


Sa force,
son temps,
les battements de son cœur,
son souffle coupé,
ses doigts crispés,
ses pensées frénétiques,
sa rage au ventre,
son exclusivité…


Marie attend, réfléchit, regarde en l’air, soupire… Bon, ce n’est pas le moment. Elle recommencera demain
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Défi
Leslie Riebel


Si vous n’existiez pas....

Freddy Mercury, ton emphase, ta démesure,
Lou Reed, ta voix profonde, sexy
David Bowie, ta désinvolture déjantée, exaltée
Al Jarreau, tes onomatopées jazzy, ton rythme subtil
Barbara, ton mal de vivre déchirant, tes mots délicats
Serge Reggiani, ton élégance italienne, ta profonde douceur
Jacques Brel, tes envolées lyriques, ta sueur
Serge Gainsbourg, ta musique vibrante, érotique

Ben merde, vous êtes tous morts !



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Défi
Leslie Riebel

Notre amour sans démesure
De mots en clair-obscur
De murmure en fêlure
Va vers la rupture

Notre amour sans fioriture
De cris éclaboussure
De froidure en déchirure
Va vers la rupture

Mais rappelle toi
Nos moments de magie
Sur cette mélodie
Les nuits, les jours infinis
De total oubli
Ce désir insoumis
Lentement s’est enfui

Notre amour sans parjure
De mots demi-mesure
De rature en usure
Va vers la rupture

Notre amour sans futur
De cris mauvaise augure
Au fur et à mesure
Va vers la rupture

Mais rappelle toi
Nos moments de magie
Sur cette mélodie
Les nuits, les jours infinis
De total oubli
Ce désir insoumis
Lentement s’est enfui.
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Défi
Leslie Riebel

Je ne savais pas encore écrire mais tu me fascinais déjà. Je prenais du papier, et je gribouillais très vite, en jetant des points par ci par là. J’avais 4 ans, et toi tu étais encore toute petite en moi. Petite soeur...
J’ai appris à lire et tu es devenue mon amie. Je t’ai adorée à travers toutes ces livres. Mon coeur s’emballait à chaque première page, j’étais si impatiente de te retrouver, de me plonger en toi, d’oublier tout jusqu’à la dernière page. Je quittais à regret une histoire que tu m’avais si bien racontée et j’en recommençais une autre, encore et encore, jamais déçue.
Aux premières rédactions, à l’école, tu es devenue moi. Moi aussi, je pouvais faire danser les mots à l’infini. Je pouvais te conduire dans mille chemins, ceux que je voulais, tu ne protestais jamais. J’ai adoré ça.
A 12 ans, j’ai pris un cahier et j’y ai écrit une histoire, ma première histoire. Tu y étais puérile, pas encore formatée, voire mièvre. Mais tu avais un début et une fin. J’ai cru en toi, en moi et j’ai envoyé mon cahier à une maison d’édition. On n’a voulu ni de toi ni de moi.
Tu me faisais tellement rêver... Tu étais une fée, je ne pensais qu’à toi, qu’à ta magie, je voulais être toi tout le temps. Je commençais des débuts d’histoire mais tu te dérobais.
Je grandissais, mes rêves s’effilochaient, tu fuyais petit à petit. Tu faisais de moins en moins partie de mes jours, de mes engouements. De soeur, tu es devenue lointaine cousine. La vie me prenait dans son tourbillon, je t’oubliais.
Je t’ai revue pourtant, de loin en loin, mais ce n’était pas vraiment toi. Ecrits professionnels, e-mails, comptes rendus de réunion, tu me frôlais comme un fantome. Je me surprenais à penser à toi, à regretter notre fusion d’antan. Je me disais que ça pouvait revenir si je le décidais, si je t’appelais avec force. Et je t’oubliais de nouveau.
Tu es toujours là pourtant, quelque part, dans mes rêves, tu es mon évidence pas facile, ma dame aux multiples visages.
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Défi
Leslie Riebel
Première page des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir arrangée à une sauce plus moderne
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Leslie Riebel

Depuis qu’elle est partie, il n’arrive plus à rester seul chez lui. Trop de souvenirs. Elle a pourtant pris toutes ses affaires. Il a pourtant changé les meubles de place, créé un nouveau décor. Mais il a l’impression d’y évoluer dans un monde minéral, la respiration réduite à un filet d’air glacé.
Il rentre chez lui au tout dernier moment, juste pour dormir, dormir juste quelques heures, et encore, quand il y arrive.

Tous les soirs après son travail, il pousse la porte de ce pub. C’est le moment où sa tristesse le libère. Il entoure de sa paume l’arrondi de la poignée en cuivre et entre dans cet univers de lumières mouvantes, de sons dorés, d’odeurs chaudes. Il est chez lui. Il contourne les tables, les banquettes de cuir et va s’asseoir tout au fond, toujours à la même place, là où personne ne le remarque. Et il reste assis là toute la soirée, dans la sourdine des voix, des rires et de la musique FM. Il ne pense plus à elle.

Les garçons de café le connaissent, depuis le temps. Et ne s’étonnent pas de le voir immobile, dans son coin, jusqu’à la fermeture. Il suit des yeux leur danse sinueuse autour des tables, les plateaux à bout de bras, leur retour vers le comptoir pour prendre de nouvelles commandes, ce comptoir dont il ne voit pas grand chose, derrière la grande plante où il est réfugié. Juste de profil, les mains du patron.

Ce soir, tiens, il ne reconnaît pas les mains habituelles. Un des garçons de café doit remplacer le patron. Ses mains dansent au dessus du comptoir, rapides et sûres d’elles. Mouvements en rondeur de la paume autour des bouteilles, de la main qui dévisse, du poignet qui s’incline et se redresse. Envolée légère des doigts pour verser le café, le lait, poser le sucre dans la soucoupe, pianoter sur la caisse enregistreuse. Sensualité autour des pièces et des billets. Et ces mains manient les bouteilles, les tasses. Elles vont et viennent de l’ombre à la lumière. Gestes arrondis, doigts frémissants. Elles recommencent et recommencent. Envol sur le clavier de la caisse, dans une musique muette. Mains émouvantes qui le bouleversent.

Tout à coup, les mains disparaissent. Et reviennent. Mais la magie est partie d’un seul coup, il ne sait pas pourquoi. Ce ne sont plus que des mains pataudes de garçon de café qui remplissent les verres, les tasses, comptent la monnaie, tapent sur la caisse enregistreuse.

Il regarde son verre vide, la soirée se termine, il va devoir rentrer chez lui. Il sent la présence d’un des garçons de café près de lui. Des mains émouvantes s’enroulent autour de son verre, des doigts frémissants prennent le ticket de caisse, les pièces dans la soucoupe. Il reconnaît les mains magiques de tout à l’heure. Il lève les yeux. Le garçon de café est une fille….
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Leslie Riebel

Amour
Bleu
Cinéma
Désir
Ecriture
Famille
Grandir
Humanité
Imaginaire
Jargon
Kiffer
Livres
Musique
Noël
Optimisme
Petite fille
Quiétude
Rêves
Social
Talent
Union
Vérité
Warrior
X (?)
Yoyo
Zénitude
4
2
0
0
0