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JulienDregor

Julien Dregor a grandi en Belgique, dans la région liégeoise. Les mots, la langue française et les langues en général l'ont toujours accompagné. Après un parcours scolaire belge, il entreprend des études de philologie romane en Allemagne, dans le cadre desquelles il fait la connaissance des grands auteurs classiques français et espagnols. Parlant couramment l'allemand, il s'intéresse également à la littérature d'Outre-Rhin.

Julien Dregor écrit des textes de chansons depuis près de quinze ans, qu'il met modestement en musique. Il s'est lancé dans l'écriture d'un roman policier en 2014, auto-édité en 2016. Aujourd'hui, il travaille à son deuxième roman et écrit des nouvelles de temps en temps.

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œuvres
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défis réussis
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"J'aime" reçus

Œuvres

JulienDregor

Le shérif avançait d'un pas sûr et décidé vers le bungalow. Son enquête commençait à peine, mais son instinct lui assurait qu’il était sur la bonne voie. Grâce à sa mémoire photographique, il se remémora sans peine la discussion qu’il avait eue avec madame Waterfield quelques heures auparavant. Sa fille était partie le week-end précédent chez son petit ami et n'en était jamais revenue. Elle n'avait jamais rencontré le jeune homme, mais connaissait son nom et savait qu'il étudiait l'informatique par correspondance. Ces informations avaient suffi à l'enquêteur pour dénicher son adresse. Arrivé devant la porte, il ouvrit la moustiquaire et frappa bruyamment à la porte.
— Monsieur Dryer ? Shérif Riverpeace. Ouvrez, s'il vous plait.
La porte s'entrouvrit et le shérif aperçut la silhouette maigre de l'étudiant. Il devait mesurer un mètre quatre-vingts et pesait tout au plus soixante kilos. Des cheveux mi-longs, gras et bouclés lui retombaient sur le visage. Il dégageait une odeur nauséabonde, un mélange de transpiration et de relents d’estomac. De toute évidence, cet adulte pubertaire n'avait pas vu la moindre goutte d'eau depuis plusieurs jours. Le shérif imaginait mal un tel individu entretenir une relation intime avec une jeune fille, mais des choses plus étranges s'étaient déjà produites. Il remarqua en outre chez son interlocuteur une respiration bruyante et essoufflée. Ses yeux balayaient son champ de vision de droite à gauche sans parvenir à fixer quoi que ce soit. Cet homme était effrayé.
— J'aurais quelques questions à vous poser. Vous avez une minute ?
En prononçant cette phrase qu'il ressassait cinquante fois par jour, le représentant de la loi était loin d'imaginer où cet interrogatoire allait l'emmener et que cette enquête s'avérerait être la plus extraordinaire de toute sa vie. Steve Dryer acquiesça d'un hochement de tête, ouvrit la porte pour faire entrer le policier et la referma derrière lui. Il désigna du regard une chaise dans la cuisine, ce que Riverpeace interpréta comme étant une invitation à s'asseoir. Il prit place tandis que l’étudiant inspectait les alentours par les fenêtres.
— Monsieur Dryer, quand avez-vous vu Sarah Waterfield pour la dernière fois ?
— Désolé. Je n'ai rien à vous proposer. Je ne peux même pas vous offrir un verre d'eau.
— Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas soif.
— Je n'ai plus une seule goutte d'eau. J'ai fermé tous les robinets, et j'ai jeté toutes les réserves que j'avais.
Le shérif avait mis l'étrange comportement de son interlocuteur sur le compte d'une frayeur ou d'une phobie quelconque, mais à la réflexion, il était mûr pour l'asile. Comment pouvait-il espérer survivre dans cette contrée aride sans boire la moindre goutte d'eau ?
— Ce n'est pas grave. Je vous dis que je n'ai pas soif. Vous n'avez pas répondu à ma question. Quand avez-vous vu Mademoiselle Waterfield pour la dernière fois ?
— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Elle est morte.
Le jeune homme avait parlé d'une voix à peine audible en direction de la fenêtre, son regard toujours rivé vers l'extérieur. Qu'avait-il dit ? Le shérif n'était pas certain d'avoir compris.
— Pardon ?
Le jeune homme tourna la tête et regarda le policier droit dans les yeux.
— Elle est morte, répéta-t-il à haute voix, sur un ton presque agressif.
— Que s'est-il passé ?
Dryer se força à contrôler sa peur et parvint à s'asseoir face à l'enquêteur.
— C'était il y a trois jours. Il faisait chaud, alors elle a proposé d'aller se baigner. Elle avait découvert un lac non loin d'ici. Une trentaine de kilomètres vers le sud. Une demi-heure en voiture.
Le shérif s’interrogea sur le crédit qu’il devait accorder aux dires du jeune homme visiblement dérangé. Au sud, le désert s'étendait sur des centaines de kilomètres. Il était peu probable de trouver ne serait-ce qu'une flaque d'eau. Que dire d'un lac dans lequel on pourrait se baigner ?
— Moi, j'étais pas trop pour. J'ai toujours eu peur de l'eau. Je ne sais pas nager, mais d’un autre côté, je n'ai jamais rien pu lui refuser. On y est allés tous les deux, avec ma voiture. C'était vrai, l'endroit était paradisiaque. Une immense étendue d'eau au milieu du désert de l’Arizona. On était seul au monde. On s'est couché par terre et on s'est embrassé. C'était romantique. Puis elle a voulu se baigner…
L'expression nostalgique qui avait illuminé ses traits durant quelques secondes disparut pour laisser place à la tristesse et à la culpabilité.
— Elle a essayé de m'entraîner dans l’eau, mais, comme je l'ai déjà dit, je ne sais pas nager. J'ai paniqué, j'ai crié et finalement, elle y est allée toute seule.
Un silence dramatique s'installa. La gorge du jeune homme se noua à l'évocation de ce souvenir douloureux. Le shérif lui laissa le temps de formuler ses idées.
— La dernière chose que j'ai entendue, c'est le cri strident qu'elle a poussé quand quelque chose l'a tirée vers le fond.
Riverpeace le considéra d'un air incrédule.
— Qu'avez-vous fait ?
— C'était bizarre. J'ai couru vers le lac. L'eau était très claire et je pouvais la voir. Elle ne se débattait pas. Elle ne coulait pas, mais elle ne remontait pas non plus. Elle était juste figée sous la surface. J'ai essayé de l'attraper. J'ai plongé la main, mais dès que mes doigts ont touché l’eau, j’ai senti quelque chose qui m’entraînait. J'ai juste eu le temps de retirer la main.
— Et ensuite ?
— Je me suis enfui. J'ai couru vers la voiture et je suis revenu ici. Je me suis enfermé et j'ai évité tout contact avec la moindre goutte d'eau.
— Vous n'avez pas soif ?
— Si.
— Je vois. Pourquoi n'avez-vous pas prévenu la police ?
— Je ne sais pas. J'y ai pensé, mais… J’avais honte de l'avoir abandonnée, et j'avais peur qu'on ne me croie pas. Et puis, …
— Oui ?
— Je l'ai revue plusieurs fois depuis.
— Qui ?
— Sarah.
— Vous avez dit qu'elle était morte.
— Ce que j'ai vu n'avait rien de vivant, mais elle rôde autour de la maison. Elle est toujours trempée, et je ne la vois jamais que quelques secondes, mais elle est là, j’en suis sûr. Elle m'en veut de l'avoir abandonnée.
Des larmes dans les yeux, Steve Dryer tourna la tête vers la fenêtre et fut instantanément envahi par une frayeur indescriptible.
— Là, cria-t-il en se jetant sur le sol, vous la voyez ? Dehors.
Le shérif inspecta les environs, mais ne décela rien d'anormal.
— Désolé, je ne vois rien. Vous avez dû faire erreur.
— Vous croyez que je suis fou, c'est ça ?
— Ce n'est pas mon rôle de vous juger.
Le shérif Riverpeace prit congé de son hôte et retourna vers sa voiture. Il s'installa au volant et tenta d'éclaircir la situation. Le jeune Dryer avait visiblement vécu un traumatisme qui lui avait fait perdre la raison. Il avait besoin d'aide, c'était indéniable. S'il n'avait rien bu depuis trois jours, sa vie était en danger. La déshydratation était peut-être la cause des hallucinations dont il était victime, mais cela n'expliquait pas comment une jeune femme avait pu se noyer dans le désert. La seule théorie que le shérif pouvait émettre en ce moment était que le jeune homme avait tué sa petite amie, mais que, sous l'effet de la culpabilité et du manque d'eau, son subconscient s'était formé une réalité alternative dans laquelle son rôle était moins équivoque. La consommation de drogue n'était pas non plus à exclure. Bien sûr, toute ces théories devraient être confirmées par un spécialiste en psychologie, ainsi que par un examen toxicologique.
Il contacta la centrale par radio et demanda des renforts, ainsi qu'une assistance médicale. Une demi-heure plus tard, une ambulance arriva, escortée par deux voitures de patrouille. Deux adjoints du shérif enfoncèrent la porte et maitrisèrent le suspect tandis qu'un infirmier lui injectait une dose de tranquillisant. Il se retrouva en deux temps trois mouvements attaché sur la civière de l'ambulance qui prit aussitôt la direction de l'hôpital le plus proche.
Le shérif fit tourner la clé de contact et le moteur gronda. Il allait les suivre lorsque, du coin de l'œil, il remarqua une apparition étrange dans le rétroviseur. Une femme aux longs cheveux noirs. Il tourna la tête pour l'observer directement, mais le temps de se retourner, elle avait déjà disparu. Commençait-il lui aussi à avoir des hallucinations ? Se pouvait-il que Steve Dryer ait eu raison ?
Il devait en avoir le cœur net. Il marqua un virage à cent quatre-vingts degrés et, prenant la direction opposée à celle empruntée par l'ambulance, il se dirigea à toute vitesse vers le sud. Au bout de trente kilomètres, il s'arrêta, descendit de son véhicule et observa les environs. Rien. Qu'avait-il espéré voir, de toute façon ? Un lac en plein désert ? C'était ridicule. Il n'y avait rien. Un sol aride et rocheux à perte de vue dans toutes les directions. Quoique. Il distinguait au loin quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. Il se précipita dans la voiture et en retira la paire de jumelle qu’il conservait sous le siège conducteur. Il chercha des yeux l'endroit où se trouvait ce qu'il pensait être un cactus ou un obstacle quelconque. À travers les vers grossissants des lunettes d'approche, il distinguait clairement le corps superbe de la jeune femme qu'il avait entraperçue dans son rétroviseur. Elle le regardait, immobile. Elle avait en effet de long cheveux noirs et portait pour seuls vêtements un tee-shirt trop court, ainsi qu'une petite culotte. Mais le plus étrange était que cette femme était trempée. De l'eau dégoulinait le long de ses cheveux et de ses bras. Malgré les quarante degrés qui régnaient dans cet environnement aride, ni son corps ni ses cheveux ne séchaient.
Riverpeace regagna le volant de sa voiture et suivit la direction que lui indiquait la créature. S'agissait-il de Sarah Waterfield ? Avait-elle survécu ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit. Il essayait de trouver la théorie à laquelle tous les faits colleraient, mais peine perdue. Soit Steve Dryer avait laissé sa petite amie pour morte dans le désert et elle avait survécu, soit il avait dit la vérité. Mais la première supposition n'expliquait pas pourquoi elle était toujours trempée après trois jours de chaleur intense, ni même comment Riverpeace avait pu la voir deux fois à plus de trente kilomètres de distance. La deuxième possibilité impliquait un facteur paranormal qui aurait pu, certes, expliquer certaines choses mais que l'esprit rationnel du shérif refusait de prendre en considération.
Soudain, l’enquêteur s'arrêta net. Il venait de voir le lac dont avait parlé Dryer. Il quitta son véhicule et courut vers l'improbable étendue d'eau. C'était impossible. Il n'y avait pas la moindre trace de végétation aux alentours. Pas plus que de Sarah Waterfield d'ailleurs. Où était-elle ? Elle l'avait guidée jusqu'ici, elle ne pouvait pas avoir disparu. Il se pencha au-dessus de l'eau et remarqua à quel point ce lac était curieux. Il était incapable d'en estimer la profondeur. Il distinguait une surface très claire, mais là où il aurait dû voir un fond de sable fin, il ne discerna qu'une zone d'ombre semblable aux abysses, ces fonds marins si profonds que la lumière du soleil ne peut les atteindre. Il longea le lac sur une centaine de mètres, cherchant des yeux un endroit où le fond serait visible. En vain. Cette étendue d'eau s'apparentait plus à un bassin artificiel qu'à un phénomène naturel. Certes, sa forme arrondie et aléatoire confirmait la thèse de l'origine naturelle, mais le fait que les bords coulaient à pic sur toute la périphérie la réfutait.
Quelque chose remua dans l'eau et attira l'attention du shérif. Des cheveux. De longs cheveux noirs qui ondulaient sous la surface. Sarah Waterfield était là, exactement comme l'avait décrite Steve Dryer. Sans réfléchir à l'absurdité de la situation et ne suivant que son instinct protecteur face à une dame en détresse, il plongea la tête la première. La frayeur le saisit : au lieu de remonter à la surface, une force invisible le maintenait sous l'eau. Il retenait toujours sa respiration, mais la panique l'envahit. À grand renfort d'amples mouvements de bras et de jambes, il nagea vers le haut, tentant de vaincre un courant imperceptible. Rien. Il n'avançait pas d’un centimètre. Tous ses efforts n’eurent d'autre effet que de l'épuiser encore plus vite. Bientôt, le manque d'oxygène se fit sentir. Il ne pouvait retenir sa respiration plus longtemps. Il allait mourir. C'était inévitable et il devait l'accepter. Il ferma les yeux, ouvrit la bouche et laissa l'air contenu dans sa cage thoracique s'échapper.
L'eau emplit ses poumons, s'infiltrant par la bouche et par le nez. Par un procédé chimique spontané, les molécules d'eau se décomposèrent. Les atomes d'hydrogène se transformèrent en atomes d'oxygène et se recomposèrent en molécules d'air respirable qui alimentèrent le corps du shérif. Le processus s'inversa lors de l'expiration. Les atomes de carbone dont l'air vicié était chargé se transformèrent en atomes d'hydrogène qui se réorganisèrent en molécule d'eau qui furent expulsées vers l'extérieur.
Le shérif n'en revenait pas. Il respirait sous l'eau. Mais ce ne fut pas la seule conséquence à laquelle il dut faire face. En utilisant son système respiratoire, l'eau était parvenue à infiltrer son sang, et ainsi tous ses organes vitaux, y compris le cerveau. Riverpeace sentit une connexion s'établir entre lui et son environnement aquatique. C'était un sentiment indescriptible. C'était comme si l'eau était vivante et essayait de communiquer. Une relation symbiotique entre l'eau et l'être humain. Pas seulement ces eaux-ci. Toute l'eau de la planète n'était en fait qu'une seule conscience dotée de perception. Riverpeace ressentait l'engourdissement des eaux gelées des pôles, la sensation de légèreté des gouttes s'évaporant vers les nuages, la tension électrique des nuages orageux et la chute vertigineuses des pluies torrentielles. Il ressentait le courant du Gulf Stream, et le léger chatouillement agréable produit par chacun des êtres vivants se tortillant dans l'immensité des océans. Mais il ressentait aussi le dégout que l'eau éprouvait à chaque marée noire. Cette sensation nauséeuse produite par les radiations des déchets nucléaires que l'homme préférait immerger pour ne plus avoir à s'en préoccuper. Le shérif percevait aussi bien la paix et la tranquillité des lacs de forêt que l’horreur de chaque cloaque et de chaque fosse septique. Mais l'eau avait désormais trouvé le moyen de se défendre. Elle avait appris à se mouvoir, à se contrôler. Elle était parvenue à se frayer un chemin jusqu'à une région hostile. Goutte après goutte, elle s'était accumulée dans ce désert, à une profondeur suffisante pour survivre. Elle était parvenue à contrôler son évaporation et avait réussi à éroder ses limites extérieures. Elle concentrait toute sa volonté sur cet environnement limité qu'elle utilisait comme laboratoire. Elle expérimentait. Elle explorait sa conscience et repoussait sans cesse les limites de son champ d'action. Bientôt, elle pourrait contrôler les rivières, les mers et enfin les océans.
Le shérif Riverpeace ouvrit les yeux. Sarah Waterfield nageait devant lui. Ils étaient les premiers. Les premiers représentant d'une nouvelle espèce. Une civilisation hybride, faisant le lien entre les milieux terrestres et aquatiques. D'autres suivraient.
* * *
L'adjoint du shérif pénétra dans la chambre d'hôpital de Steve Dryer. Le shérif Riverpeace avait disparu depuis trois jours et le jeune homme semblait être la dernière personne à lui avoir adressé la parole.
— Monsieur Dryer ? J'aurais quelques questions à vous poser. Vous avez une minute ?
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JulienDregor

Le commissaire madrilène prit une longue inspiration avant d’entrer dans la pièce, un peu comme un comédien avant de monter sur scène. Au centre était assis le suspect, vêtu d'un costume sombre et arborant un crucifix d'argent autour du cou. Son visage portait les marques profondes des années. Sous la blancheur de ses cheveux, on devinait une histoire aussi ténébreuse que la dictature franquiste. Le commissaire ne se laissa pas pour autant apitoyer. Victor Alcantillo Malvendrá sera reconnu coupable, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.
L’enquêteur posa un classeur sur la table et s'assit face au suspect. Il le fixa, silencieux. Il était aussi expérimenté aux échecs que dans l'art de l'interrogatoire et, dans un cas comme dans l'autre, il préférait toujours laisser l'initiative à l'adversaire. À combien de reprise un prévenu s'était-il compromis par une ouverture irréfléchie ? Certes, le commissaire était conscient du fait que le vieil homme ne se laisserait pas intimider par le manque de conversation. Il n'avait pas encore prononcé le moindre mot depuis son arrestation. Néanmoins, le commissaire n'envisageait pas de changer de méthode. Un silence funèbre presque palpable s'installa entre les deux hommes.
Pour démontrer au vieil homme qu'il était déterminé à attendre le temps nécessaire, le commissaire s'empara du classeur posé sur la table et relut les faits qui avaient amené le vieillard dans cette salle d'interrogatoire. Un gardien du musée « Reina Sofia » l’avait surpris avalant les pages d'un livre qu'il arrachait au fur et à mesure, assis à côté du corps sans vie d'António Ojillos Bendicio et adossé au célèbre tableau de Picasso « Guernica ». Selon sa déposition, le gardien s'était absenté et avait constaté la scène à son retour. Il avait alors appelé la police et retiré le livre des mains du tueur. Les caméras de surveillance avaient confirmé ses dires. D'ailleurs, elles avaient également filmé le crime. La victime et son meurtrier s'étaient retrouvés devant la fresque de Picasso. Après une courte discussion, Ojillos avait désigné certains détails du tableau et exhibé de sa poche un vieux livre rouge. La colère s'était alors emparée de Victor Alcantillo. Malgré son âge avancé, l'octogénaire avait étranglé à main nue son interlocuteur.
Comme Alcantillo persistait à se taire, le commissaire exhiba l'ouvrage aux pages arrachées. Il s'agissait d’un journal de 1937, écrit par un certain Juan Ojillos Vascos. Celui-ci avait vécu au Pays Basque et relatait le quotidien de la guerre civile. Alcantillo avait commencé à arracher les pages à partir du 24 avril, soit deux jours avant le bombardement de Guernica. Le récit reprenait après un vide de deux mois. Que s'était-il passé entre avril et juin 1937 qui puisse expliquer un meurtre trois quart de siècle plus tard dans un musée de la capitale espagnole ?
Le commissaire commençait à perdre patience. Il posa les clichés que les enquêteurs avaient pris de la victime, obligeant son interlocuteur à les regarder. Pas la moindre réaction. Il devait prendre l'initiative.
─ Señor Alcantillo, connaissez-vous cette personne ?
Le vieil homme baissa les yeux pour regarder les photos, mais les releva aussitôt et se tut de plus belle.
─ Señor Alcantillo, nous pouvons prouver que vous avez assassiné de sang-froid Antonio Ojillos. Si vous persistez à ne rien vouloir dire, vous irez en prison où, vu votre âge avancé, vous mourrez probablement. Si vous aviez une raison de vouloir la mort de ce jeune homme, donnez-la moi, cela peut jouer en votre faveur.
Victor Alcantillo Malvendrá persista à s'emmurer dans sa cage de silence. Le commissaire déposa le petit journal rouge sur les photos.
─ Cela a avoir avec ce livre ? Il renfermait une information que vous vouliez garder secrète ?
Un léger vacillement des sourcils du vieillard confirma que le commissaire était sur la bonne piste. Le commissaire frappa du poing sur la table et haussa le ton.
─ Comment un événement datant de 1937 peut-il justifier le meurtre d'un homme qui n'était même pas né à cette époque ? Vous-même, vous n'étiez qu'un enfant en 1937.
Le commissaire marqua une pause, empoigna son portable et appela un de ses subordonnés.
─ Jetez un œil aux archives. Vérifiez si le nom Alcantillo apparaît quelque part, en rapport avec le bombardement de Guernica le 26 avril 1937.
Une ombre qui n'échappa pas au commissaire traversa le visage du vieillard. Cette vérité qu'il tentait de garder secrète risquait d'éclater au grand jour et malgré le masque de neutralité émotionnelle qu'il s'était imposé, il ne parvenait pas à dissimuler complètement sa peur.
La sonnerie du téléphone résonna dans la pièce. L'enquêteur lut le SMS qui venait de lui parvenir, puis s'adressa au suspect.
─ Fernando Alcantillo Lopez. Votre père, n'est-ce pas ? Il est mort à Guernica, sous les bombes allemandes. C'est de lui qu'il était question dans le journal d'Ojillos ?
Alcantillo se mordit la lèvre.
─ C'était une époque de tension extrême. En général, tout le monde avait quelque chose à se reprocher, votre père probablement aussi.
Une goutte de transpiration perla sur le front du suspect.
─ Si vous avez tellement peur que cela se sache, cela doit être grave. Vol ?
Alcantillo leva les yeux et rencontra ceux du commissaire d'un air provocateur. Non. S'il regagnait en assurance, cela signifiait que le commissaire s'éloignait de la vérité.
─ Viol ?
Le vieil homme baissa le regard et serra les poings autour du crucifix qu'il portait autour du cou.
─ Meurtre ?
L'homme marmonna une prière entre ses dents. Un filet de sang s'échappa de ses mains, tant il serrait la croix en argent. Le commissaire haussa la voix.
─ Votre père a-t-il joué un rôle dans le bombardement ? C'est ça qu'Ojillos avait découvert et consigné dans son journal ? Et quand son petit-fils vous y a confronté, vous l'avez étranglé ?
─ Non.
Alcantillo s'était levé en hurlant.
─ Je vous interdis d'insulter sa mémoire. Mon père était un saint homme.
Ce furent les premiers et les derniers mots qu'il prononça. Après cette excitation soudaine, il fut pris d'une vive douleur dans la poitrine. Le commissaire appela tout de suite une ambulance, mais il était trop tard. L'interrogatoire avait eu raison de son cœur usé et fragile, mais le commissaire était persuadé que l'homme s'était vu exaucer son souhait le plus cher : emporter son secret dans la tombe pour préserver la mémoire de son père.
Plus tard, alors qu'il rédigeait son rapport sur la mort du suspect, un des enquêteurs entra brusquement dans son bureau.
─ Chef, j'ai découvert quelque chose.
Il tendit à son supérieur une liseuse électronique. Le commissaire s'en empara et analysa la couverture affichée sur l'écran. « Mémoires », de Juan Ojillos Vascos. Il tourna les pages virtuelles et commença la lecture. Une impression de déjà-vu l'envahit dès les premiers mots. Il s'agissait bien du journal dont Alcantillo avait dévoré le contenu. Il considéra son subordonné d'un air interrogatif.
─ Les miracles de l'autoédition. Aujourd'hui, n'importe qui peut publier un livre, surtout un livre numérique. Ça ne m'a coûté que quelques euros de le télécharger.
Le commissaire chercha la date du 24 avril et immergea dans une histoire vieille de près de quatre-vingts ans. Un crime impuni, camouflé par un des épisodes les plus sombres de la guerre civile espagnole. Juan Ojillos Vascos, en visite chez son ami et son épouse, avait été témoin de la manière dont ceux-ci avaient été assassinés. Fernando Alcantillo Lopez, le père du suspect, à la tête d'une horde de fascistes, avait violé la maitresse de maison avant d’exécuter le couple républicain. Ojillos, caché, n'avait osé intervenir. Ojillos avait quitté Guernica sur le champs et s'était rendu à Paris, où il avait rencontré Picasso. Les deux hommes avaient sympathisé. Ojillos lui avait raconté le crime dont il avait été témoin, tandis que Picasso lui avait parlé de son projet de peindre une fresque gigantesque représentant la barbarie humaine. Entretemps, la nouvelle du bombardement de Guernica était parvenue jusqu'à la capitale française. Ce jour-là, le peintre expressionniste fit une promesse au Basque, celle de fustiger le meurtrier dans son « Guernica ». La barbarie a plusieurs visage et les crimes dus à la montée des extrémismes est aussi condamnable que l'éradication d'un village nord espagnol. Dans son journal, Ojillos ne détaillait pas de quelle manière Picasso s'y était pris, cependant il y consignait la satisfaction qu'il avait éprouvée en découvrant que le maître avait tenu sa promesse.
Le lendemain, le commissaire se rendit au musée « Reina Sofia ». Il inspecta le tableau longtemps avant que le détail qu'il cherchait ne lui saute aux yeux : la main du corps représenté dans le coin inférieur gauche était marquée. Ce que le commun des mortels avait pris jusque-là pour les plis naturels de la paume étaient en réalité des lettres. « AL ». Alcantillo Lopez. En y regardant de plus près, les initiales parsemaient le tableau. Juan Ojillos Vascos avait raison : Picasso avait tenu parole.
Le commissaire était en possession de toutes les pièces du puzzle. António Ojillos Bendicio devait avoir fait part à Victor Alcantillo Malvendrá de son intention de publier les mémoires de son grand-père. Comme la réaction qui avait mené à son arrêt cardiaque en témoignait, celui-ci ne supportait pas qu'on salisse le nom de son père. Selon toute évidence, il avait grandi dans la certitude qu'il s'agissait d'un homme intègre, un saint homme. Hors de question pour lui d'accepter une réalité selon laquelle son père était un vulgaire criminel et encore moins de laisser quiconque la diffuser. En assassinant Ojillos et en avalant les pages du petit livre rouge, il avait cru ensevelir à jamais la vérité, sans savoir qu'il était déjà trop tard.
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JulienDregor
Un dialogue entre Donald Trump et Vladimir Poutine, inspiré par une tirade très connue : http://dardel.info/Textes/Cyrano.html
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Questionnaire de l'Atelier des auteurs

Pourquoi écrivez-vous ?

J'aime les mots. C'est une passion. Écrire me fait du bien et j'adore coucher les phrases sur le papier. En général, ça me vient assez facilement.

Listes

Avec Les Lames d'Argent : Gwenda...
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