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Xavier Bouchard Paquin

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Xavier Bouchard Paquin

Bonjour cher lecteur et lectrice,
Je me permets ici un petit préambule pour t’expliquer le fonctionnement, quoique assez simple, du récit auquel tu t’apprêtes à participer.
En hommage à la collection des Romans dont vous êtes le héros (ou encore plus récemment le film Bandersnatch sur Netflix) je propose ici le même principe d’histoire, un hybride entre jeu et lecture, où tu seras à la barre de la narration, mais à l’échelle de Scribay !
À un rythme que je tenterai de garder constant, Schäfertown te sera délivré par courte séquences d’environ 2 pages (sauf la première partie) se soldant toujours par la présentation de plusieurs choix d’actions. Ton rôle est de tout simplement choisir l’action que tu voudras que mon personnage (un je figuratif) entreprenne, via l’un de tes précieux commentaires. Advenant des égalités entre deux ou plusieurs choix, c’est le hasard qui tranchera.
Mon but est ainsi de créer un terrain de jeu littéraire, dans lequel vous et moi s’échangerons, pour créer une histoire interactive unique.
Compris ? Je suis sûr que oui !
Tu as hâte ? Moi oui!
O.K.? GO!
______________________
SCHÄFERTOWN
Récit dont je suis votre héros
Le soleil était couché depuis plusieurs heures et l’électricité, à l’échelle de la majorité de Schäfertown, n’alimentait plus aucun lampadaire depuis longtemps. La chaussée que je traversais, parsemée de détritus emprisonnés sous la glace, se faufilait aux travers les bâtiments abandonnés. Les façades limitrophes des logements et des commerces datant du XXIème siècle se juxtaposaient les unes aux autres sans espace entre elles. Parallèles jusqu’à l’infini. Elles semblaient suivre les courbes et les pentes d’une seule et même rue et devenaient deux longues murailles ininterrompues, érigées de chaque côté de moi, condamnant à une ligne droite éternelle… Plusieurs de leurs devantures offraient des fenêtres calfeutrées par du bois et des plastiques, des briques en piètre état, ou donnaient directement à l’intérieur d'appartements éclairés par quelques chandelles à l’aspect aussi médiocre que le reste des logis ainsi révélés. Des individus seuls ou groupés, sans abri pour la plupart, étaient couchés un peu partout sur des matelas ou à même les sols effrités des constructions. Leurs maigres dos étaient fouettés par le vent sec qui s’infiltrait entre briques et charpentes usées, dans un vacarme ahurissant et qui ne semblaient jamais s’arrêter. L’ensemble des infrastructures et ses dédales de béton fusionnaient devant mes yeux fatigués pour ne devenir qu’une seule et unique forteresse. Immense, puante. Aussi immense et puante qu'on puisse l'imaginer pour un labyrinthe peuplé de morts. Une ville de cadavres pourtant toujours vivants.
Normalement plongée dans un vacarme continuel de cris et de plaintes, Schäfertown, ce soir-là, semblait presque dormir. Je n’entendais qu’un couple chuchoter au loin et encore plus faiblement, les appels d’un ou d'une prostituée à quelques rues de là. Sinon rien, le silence. La nuit étendait ses lourds bras sur l’ensemble du quartier et exerçait sur mon esprit un trouble plus pesant que ne l’aurait fait ses bruits habituels. Je grelotais sous le vent et ne pouvais m’empêcher de penser que les bourrures de journaux placées sous mon mince manteau ne seraient visiblement pas suffisantes pour tenir l’hiver qui approchait. Un hiver qui depuis des années surgissait toujours plus tôt et dont les températures étaient immanquablement plus extrêmes chaque saison. L’image réconfortante d’une des salles privées du Carlton’s Casino pointa à mon esprit. Je l’ignorai, au mieux de mes capacités… et continuai mon chemin. La millième rue de cette longue marche nocturne s’ouvrit enfin sur un petit parc qu’une vieille herse de métal entourait. Soutenue par l’horizon : apparaissait finalement ma destination. Du moins, je la déduisis comme telle, puisqu’elle était le seul édifice visible en cet emplacement que m’avait désigné Jacob. Immobile à l’entrée du parc, seul accès à la bâtisse transversalement pointée vers le ciel, je ne voyais aucune lumière pour indiquer un quelconque point de rencontre. La seule information disponible était la vieille affiche accrochée sur la grille qui indiquait : « Hôpital Psychiatrique de Sainte-Emmanuelle. »
J’étais très loin de mon abri-maison. Bien que j’étais l’investigateur, cette distance excessive avait faillit me faire abandonner l'ensemble du projet… Mais, comme Jacob avait conclu: « c’est trop tard my friend ! Les shits sont déjà commencés ! » Il avait disparu ensuite dans ce nuage de fumée qui accompagnait inévitablement sa vieille pipe brune, toujours suspendue à ses lèvres. Je ne lui avais pas parlé depuis… cela faisait déjà plusieurs jours… Jacob était ce que j’avais de plus proche ici. Presque un ami. Lorsque je cherchais une sortie à la funeste déchéance qui accompagnait mes premiers mois à Schäfertown, que j’avais cogné à toutes les portes, que j’avais écouté toutes les allégations religieuses et idéologiques imaginables ou inimaginables, et que j’avais distillé mon âme à rechercher un sens à ce restant de vie que j’avais, lui ne m’avait jamais tourné le dos ! Au contraire. Il m’avait encouragé ! Moyennent des aubaines sur ses drogues et son alcool, il m’avait guidé sur le chemin des vertus suprêmes. C’était lui qui, à ma demande, avait orchestré cette transaction. Son silence s’ajoutait au silence ambiant de la ville… Mon esprit peinait plus difficilement chaque jour à rester lucide. À rester accroché au réel. Pourvu que le Commutateur m’apporte enfin un réel salut!
J’entrepris d’avancer sur le pavage de dalles qui traversait le parc. Une vieille balançoire et deux bancs de bois pointaient au travers les buttes de neige presque fondues d’où apparaissaient les arbustes et les herbes mortes de la propriété. Le printemps tirait sur sa fin, mais la nature était encore loin de sa courte renaissance. Alors que je posais un pied sur la première dalle, un craquement brusque me fit sursauter ! Malgré mon minutieux balayage des quelques installations, je n’aperçus rien pour justifier ou infirmer ma peur qui monta aussitôt d’un cran. Je décampai sans un regard en arrière jusqu’aux portes en haut de l’escalier.
Les deux grandes portes en chêne restèrent fermées malgré mes nombreuses tentatives pour les ouvrir. Le gel des poignées mordit l’intérieur de mes paumes que j’enfouis aussitôt dans les poches de mon pantalon. Je reculai de quelques pas pour mieux réfléchir à mes prochaines actions. Les portes semblaient condamnées depuis des années… Où devais-je acheter le Commutateur si ce n’était ici ? J’aurais bien aimé avoir un iVision: ces nouveaux cellulaires minuscules qui se portaient sur une simple lentille cornéenne. Une fois apposé sur l’œil, le nano-téléphone pouvait s’activer à tout moment au désir de l’individu, pouvait se connecter à un réseau ou à internet, pouvait établir des connexions vidéo ou audio avec quiconque disposant du même produit et offrait une multitude d’applications ou de jeux. Un filtre d’informations live s’ajoutait tout simplement au regard de l’utilisateur. La fine pointe de la technologie en matière de communications humaines ! C’était d’ailleurs un ingénieur humain qui avait clandestinement adapté cette technologie de base propre aux A.I. pour la rendre accessible aux biologiques. Ou plutôt, bien évidemment, pour nous la vendre ! On devait l’acheter à un prix faramineux et puisqu’il fallait le changer chaque année (sinon il infectait l’œil) son coût se devait d’être repayé éternellement… Seuls les plus riches en possédaient un. Ce n’était pas mon cas.
Un jeu d’ombres sur la gauche me sortit de mes réflexions. Un mince faisceau de lumière semblait reluire en relief de la devanture. Cela pouvait indiquer une possible alcôve… ou un simple fumeur nocturne. Je parcourus la courte distance en logeant le mur de l’ancien hôpital et tombai contre une porte de métal. Le renfoncement était si peu profond qu’il n’offrait aucune protection contre le vent qui sifflait toujours. On avait simplement détruit le mur et encastré une porte épaisse au pied de la façade. J’ignorais ne serait-ce que si elle s’ouvrait réellement. Sa surface lisse et rouge était munie d’un œil magique percé à la hauteur appropriée et plus bas, entre la taille et les genoux, elle était dotée d’une large trappe qui pouvait pivoter sur son axe médian et s’ouvrir d’un côté comme de l’autre. Au-dessus de moi, incrusté dans le toit de béton, les contrebandiers avaient installé une ampoule jaunâtre qui pendait, uniquement soutenu par son fil électrique. Malgré la faiblesse cette lumière, je ne pouvais rester face à elle longtemps… il fallut quelques secondes pour m’accoutumer.
Je doutais de tout : la véracité du contact, la sécurité de l’endroit, mais aussi de la valeur totale des objets que j’apportais pour atteindre le prix demandé… Je cognai trois coups timides. Aucune réaction. Et si ce qu’on me donnait se révélait un faux ? J’ignorais jusqu’à l’aspect physique du Commutateur. Peut-être serait-ce même une arnaque doublée d’un guet-apens ? Le montant exigé pour la transaction représentait l’entièreté de mes possessions et si j’en étais dérobé, plus rien ne me retiendrait vraiment ici-bas. La peur et la colère me submergèrent et ce fut mon pied droit qui cogna les trois coups suivants contre la porte. Ceux-ci résonnèrent longuement sans réponse…
Après un temps où seul le tintement métallique de la porte continuait de vibrer, j’entendis une chaise racler le sol et quelqu’un se lever de l’autre côté de la porte. Ses pas trainaient lourdement au sol et s’accompagnaient d’un faible grondement occasionné par l’entrechoquement de bouteilles vides qui semblaient partout sur son passage. La lumière provenant de l’œil magique fut obstruée et une respiration rauque finalement perceptible de l’autre côté de la porte me répondit.
- Vous n’avez rien à faire ici. Nothing. Foutez le camp !
- Je suis censé rencontrer… quelqu’un. Ici.
L’individu répéta mes paroles à ce que je présumais être ses comparses et un feu nourri de rire éclata. Le sien était décidément le plus méchant de tous… Une abondante quinte de toux cassa son élan… Il dû prendre un moment pour retrouver son souffle, puis, se racla la gorge, cracha et débuta sa raillerie :
- Ah ouais ? Moi aussi j’attends quelqu’un. Ça tombe bien… Moi, c’est une une putain de belle grande rousse avec une bouche de déesse… Tu ne l’aurais pas vue ? La cerise sur le sundae dans tout ça, c’est qu’elle ne charge pas plus chère que…
- Je ne suis pas ici pour… ça.
- Eh ben pourquoi t’es là connard ? Dis le moi, ou je sors t’éclater le crâne !
- C’est Jacob… Jacob Libb qui vous a contacté. Pour moi.
- Hum… De la bande à « Pittbull » ?
- Oui.
- Un Commutateur ?
- Oui.
- Tu sais qu’on raconte que c’est une arnaque ça mon gars ?
- Peut-être.
- Tu sais aussi que c’est vingt milles balles ?
- Oui.
- …
- Alors ?
- Bon ! Allez… Connecte-toi qu’on règle ça.
- Me connecter ?
- Connecte-toi et transfère-moi l’argent !
- Non…
- Eh ben… d’habitude, les gens qui ont les moyens de se payer un Commutateur, ils ont aussi le cash pour un iVision… Mais bon, si t’as pas l’argent…
- L’argent n’est nullement en cause… Je n’ai aucune envie de voir débarquer la police ou encore la milice.
- Fais attention à ce que tu dis crétin ! Si tu crois qu’on est de mèche avec eux…
- Je n’insinue rien… Je sais seulement que dès l’instant ou j’ouvrirai mon appareil, l’État détectera automatiquement mon emplacement. Ce que je ne désire absolument pas. De toute façon, je paye comptant. J’ai de l’argent et des bijoux qui devraient…
- Qui devraient ?
- Montre-moi le Commutateur. Avant.
- Si tu te connectais… tu le verrais et moi je…
- PAS DE CONNECTION!
- Ça va, ça va…
Le bandit se retira pour converser avec les autres. Après un moment de flottement rempli d’impatience, de ma part du moins, je laissai expirer un tonitruant soupir auquel il répondit par quelques sacres tout aussi bruyants. Je ne m’étais pas attirés tous ces problèmes pour abandonner et rebrousser chemin bredouille. Je l’entendis fouiller avant de revenir au seuil de la porte.
- Bon. J’ai pas envie de me faire baiser aujourd’hui… Pas par toi en tout cas. Alors, voilà ce qu’on va faire : une fois le Commutateur initialisé, il faut entrer un code pour terminer l’installation. Tu piges ? Alors dans un premier temps, tu vas me refiler les bijoux que tu crois valoir…
- Dix milles.
- Dix milles ? Rien qu’en bijoux ? Putain mon gars… T’as dévalisé une banque ?
- Je l’ai gagné… Au jeu.
- Ouais ouais… Au jeu… je l’ai jamais entendu celle-là. Écoute au fond je m’en branle pas mal d’où vient ton argent ! Refile-moi les bijoux. En échange je vais te remettre le bidule. Pendant qu’il va booter, tu vas passer l’argent et nous on va évaluer tout ça. Après, si tout c’est bien passé on te donne le code. Do we got ourselves a deal ?
- Oui… Mon gars !
Il grogna. Je vidai les bijoux dans l’ouverture penchée vers moi. Une large masse entremêlée de colliers, bracelets et bagues en or et en argent cognèrent le fond de la trappe. Je pu remarquer, lors de la brève apparition de celle-ci, que la main droite du vendeur, originalement biologique, avait été reconstruite avec des prothèses humes pour plusieurs de ses doigts et pour une partie de son poignet… Peut-être même pour le reste de son bras… Étais-je face à l’un de ses fanatiques convaincus de pouvoir rejoindre les humes à la tête de l’évolution humaines ? Toujours de nouvelles inquiétudes…
Quelques secondes plus tard, il poussait la trappe qui contenait un rectangle noir aux coins arrondis d’environ 10 centimètres de long et garni d’un petit écran à cristaux liquides verts. Était-ce ce à quoi devait ressembler le Commutateur ? À l’extrémité de droite, deux boutons ronds (un jaune et un vert) ressortaient de la surface de plastique bon marché. Il était si mince… et… léger.
- Allume-le… Maintient le bouton vert.
- Et après ?
- Allume-le ! On verra après.
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COMMUTATOR 0317
2116.14.05
02 :33 am
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LANGUAGE ?
-French
English
Binary
Quantum
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Je parlais français, me débrouillais en anglais, puisque langue officielle de l’État, mais je n’avais jamais appris le binaire. Sans parler du quantique qui était incompréhensible pour le cerveau humain… Le choix se révéla donc simple. Le tiret descendait à chaque pesée du bouton jaune et effectuait une boucle parmi les choix. Le vert devait servir à sélectionner. J’étais fasciné par le minuscule morceau de plastique…
- Y’a quelqu’un !?
- Euh… Oui ? Oui.
- T’es retardé ou quoi !? Allez ! Mets l’argent qu’on compte all that !
Je m’exécutai en vidant l’autre compartiment de mon sac. Presque sans m’en rendre compte, je jetais des dizaines de liasses d’argents. Je fixais toujours la machine dans mon autre main… Obnubilé. Un si minuscule objet se devait de réellement me révéler ma destinée?
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Initialisation… 01%
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Les rumeurs sur l’objet mythique partaient dans toutes les directions : certains disaient qu’il était censé mener son utilisateur jusqu’au salut de son âme, d’autres, que c’était la porte d’entrée vers d’autres dimensions, certains vantaient son pouvoir de guider vers le désir le plus profondément enfoui en nous, alors que les derniers déclaraient haut et fort une conspiration de l’État ou d’un groupe religieux menant vers l’inévitable endoctrinement militaire ou monastique. Peut-être même que, dès la fin de son initialisation, il s’éteindrait pour ne jamais se rouvrir… Toutes ces théories pouvaient s'averer vraies. Peu m’importait la provenance des réponses… pourvu qu’il m’en donne. Pourvu qu’il m’en donne !
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Initialisation… 100%
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Lorsque nécessaire,
appuie sur le bouton jaune.
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- C’est bon! On va dire que c’est suffisant. Get out now !
- Ça demande aucun mot de passe..? Est-ce que…
- Ah ouais ? Ah non… Pas de chance mon gars… Il doit être brisé alors…
Il avait crié ses dernières phrases ! Cette fois les rires furent accompagnés d’applaudissements et de sifflements. « Get the fuck out » cria quelqu’un. Sans ajouter un mot, le vendeur s’éloigna en toussant si fort qu’il était impossible que ses mains ne se fussent pas instantanément tachées de sang. Je reculai de quelques pas puis fit volteface sans quitter le Commutateur des yeux. Lorsque je les levai, mes prunelles ne purent rien distinguées d'autres de la ville qu’un noir épais où rougeoyait plus loin la minuscule fournaise d’un des Croque-morts… Je pressai le bouton jaune.
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Veuillez patientez… 10 sec.
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A) Retourne récupérer ton argent.
B) Retourne à ton abri-maison.
C) Va à la recherche de Jacob
D) Va au Carlton’s Casino
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Xavier Bouchard Paquin
Suite à l'acquisition d'un livre aux pouvoirs étranges, le journaliste Pierre-Olivier Lavertue se voit rapidement propulsé au sommet de son art. Un lien puissant se crée entre les deux êtres, mais les intentions et objectifs du livre restent incertains. Voir suspicieux... Lors d'un souper en son honneur, Pierre-Olivier perd complètement le contrôle de son propre corps.
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Xavier Bouchard Paquin

LA NUIT PORTE CONSEIL
En boucle. Les heures passent et pourtant, les minutes, elles, restent fixes. Dans les fossettes de son sourire à elle, je me perds, englouti dans une grotte aux pierres douces et sensuelles. Vingt-trois heures quarante. L’amour boucane allègrement lorsque les âmes sœurs se fixent de leurs yeux-soleil. Chacune des minutes s’arrête, se bloque, se fragmente pour devenir l’espace d’une vie entière : ma vie. Reflet de vos vies : nos vies. Elles en deviennent infinies de par leur force commune, lourde, poisseuse qui lentement coule sur nos épaules. Dans notre dos surtout. Deux heures vingt-sept. Une impression est-elle somme toute, toujours trompeuse ou uniquement lorsqu’elle concerne le cœur des hommes? Sans cesse tournent les souvenirs, les pensées, les questions, les idées, les disputes sourdes et non avouées, les décisions évitées, les longs silences, les yeux flamboyants d’Anne-Catherine, les embarrassantes fins de soirée seules avec soi-même, les langues mortes que l’on refuse de déterrer et d’embrasser à nouveau et, force est de l’admettre, les braises d’un cœur éteint. Chacun de ces morceaux carrés s’envole sous notre crâne et frappe inlassablement ses parois trop rondes. Ils les abiment de leurs coins pointus. Un cafard est-il heureux d’être un cafard plutôt qu’un homme? Un cœur peut-il honnêtement aimer plus d’un à la fois? Peut-il se déchirer aussi aisément? Le mien non... Un homme est-il heureux d’être un homme plutôt qu’un rat? Quatre heures vingt-neuf. Ces morceaux nous déchirent dans le seul but de se moquer. Ils nous achèvent dans le seul but de divertir l’humeur morose d’un esprit malhonnête. Sur notre planète ou ailleurs, pourrais-je espérer en des êtres qui ne voyagent que parmi les esprits? Si oui, pourraient-ils venir et nettoyer le mien? Cet esprit nous dérange, nous désaligne, au sein de notre propre esprit. Il s’y installe avec délectation comme un précieux corbeau confectionnant son nid. Tous ces horribles chiffres crées par l’homme nous donnent cette trompeuse impression d’avoir une emprise sur les clignotements verdâtres des cadrans du monde. Les yeux du corbeau, eux aussi, clignotent de l’intérieur. Et de l’intérieur toujours, il croasse. Comme tous les corbeaux, évidemment il croasse, mais ce corbeau-ci ne s’arrête jamais. Onze heures onze. Il croasse jusqu’à l’éclatement de nos tympans, jusqu’à ce que nos oreilles saignent d’angoisse et de folies. Suis-je le seul fou parmi des génies? Par delà les heures, par delà tout. Puis il continuera. Jusqu’à huit heures zéro-zéro. Pendant encore des heures. En boucle.
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Xavier Bouchard Paquin
Une nouvelle dont le lecteur se voit obligatoirement plongé dans l'histoire elle-même. Sa position et sa relation avec les personnages de l'histoire évolue donc tout au fil du récit !
Une nouvelle où ton père joue un rôle bien inattendu...
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Xavier Bouchard Paquin

J’avais déjà remarqué cette maison au moins deux ans auparavant. Le bâtiment n’était pas plus étrange qu’un autre. Un duplex à l’aspect crasseux, dont les trois fenêtres étaient cachées des regards par d’épais rideaux. Chaque mardi matin, une quantité impressionnante de déchets au chemin. Peu importe le moment de la journée, des voitures aux plaques d’immatriculation provenant des quatre coins du monde se stationnaient devant, pour repartir quelques heures plus tard. La porte d’entrée était pratiquement toujours ouverte, mais elle n’offrait au regard qu’un long couloir vide. Ayant auparavant vécu dans un quartier beaucoup plus pauvre, cette maison ne m’avait jamais semblé digne d’intérêt. Au contraire, si j’avais encore vécu sur mon ancienne rue, cette maison m’aurait semblé la plus saine et la plus sécuritaire de tout le quartier, quoiqu’ici, elle semblait détoner.
Saviez-vous que ce n’est pas à cause du retour au travail que les gens détestent les lundis ? C’est tout simplement parce que les lundis sont souvent plus de la merde que les autres jours. Sauf pour ce lundi-là. C’était l’exception qui confirme la règle. Lundi le 18 juin, j’habitais avec Cynthia et nous nous aimions encore. Du moins, pour ma part, je peux jurer que jusqu’à ce jour, je l’aimais plus que tout au monde.
Il était une heure de l’après-midi. Je marchais dans mon quartier lorsque je vis, assis sur les marches du bâtiment, une jeune femme qui fumait une cigarette. De nationalité algérienne ou encore peut-être marocaine, elle avait la peau dorée et les cheveux d’un noir de jet. Elle avait des courbes à faire frémir le plus catholique des hommes et il se dégageait d’elle une aura indescriptible. Douce et sucrée. Elle était magnifique. L’air autour d’elle avait été créé dans le seul et unique but qu’elle puisse le respirer.
J’entrepris de continuer mon chemin sans plus de cérémonie, même si cette rencontre m’avait transformé. Alors que je quittais le coin de la rue, mes yeux croisèrent les siens. Les rides de son visage donnaient une douceur à son regard. J’y vis la tristesse et le désespoir. J’y vis la même lueur sombre que, tous les matins, je constate dans mon propre reflet. J’y vis la mort emprisonnée dans un corps qui n’a jamais vécu.
En quelques instants, mon âme fit écho à la sienne. Je savais que je ne pourrais plus jamais l’oublier. Je savais qu’elle empoisonnerait pour toujours mes rêves. Peut-être qu’elle capta la même chose, ou alors ne cherchait-elle qu’à attirer un nouveau client, mais au bout d’un moment, elle m’interpela. Ses mots répandirent une onde de choc jusqu’à mon cœur. Elle me demandait une cigarette. C’était banal, et pourtant, mon corps en entier avait arrêté pour un instant. Je n’étais pas fumeur, mais je lui offris d’aller acheter un paquet au dépanneur. Elle refusa mon offre et se leva. Pour rester auprès d’elle a toujours, je marmonnai quelques excuses, mais déjà elle entrait dans le duplex. Son corps m’appelait trop pour que je sois capable de reculer. J’entrai moi aussi.
Un homme fit irruption dans le couloir. J’appris plus tard qu’il s’appelait Camil Saoud. Il cria quelques mots en arabe à la jeune femme et lui agrippa le bras. Il la tira brusquement hors de ma vue. Il revint après quelques instants plus tard pour me crier quelques mots en arabe puis reprendre en français. Ces mots résonnèrent en moi pendant les heures, les jours, la semaine à venir… « Si tu veux la fourrer, c’est 300$. »
Il claqua la porte. Sans émotion, je rentrai jusqu’à chez moi. Ce soir-là, Cynthia m’annonça qu’elle partait. À l’instant même. Elle me reprocha des erreurs idiotes et une négligence grandissante envers elle… Scénario classique. Pas besoin de détails superflus, de toute façon je ne l’écoutais pas. Je n’entendais que la voix de cet inconnu, qui se résonnait dans mes oreilles. Je ne voyais rien d’autre que cette femme, cette déesse, à la peau dorée. Je ne sentais que les effluves de sa cigarette embuer mes yeux et ma peau. Deux heures plus tard, j’étais allongé sur le plancher de cet appartement que j’avais toujours détesté. Cynthia était partie. Sans plus de remords à mon égard que moi envers elle. C’était trois ans de vie, de souvenirs et d’espoirs oubliés avec insouciance. Le seul souvenir que je garderai d’elle sera celui d’une belle petite blonde aux yeux noisette. Mais pour le moment, une chose m’obsédait. Le 264,37$ qui me manquait pour revoir la pute dont j’étais amoureux.
Les jours passèrent, sans saveurs. N’étant naturellement pas un amoureux de la vie, ils me parurent d’autant plus maussades. Chaque soir après mes journées, je ne trouvais un semblant d’allégresse qu’au moment où je fermais les yeux pour replonger dans les siens. Je me sauvais d’un monde morne, pour me rendre jusqu’à elle. Je chérissais maintenant d’un amour plus fougueux ce monde créé de toutes pièces, plutôt que la réalité où je devais vivre. J’étais suspendu dans un éternel présent qui, peut-être, ne se terminerait jamais. Le temps aurait bien assez tôt fait de revenir me harceler, mais pour l’heure, j’étais suspendu au loin. J’étais suspendu dans le ciel. J’étais porté par le désir.
Puis, enfin, ma paye arriva.
***
Ces semaines de divagation m’ont mené jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à maintenant. J’ai pris deux heures pour me raser, me doucher et me vêtir de mon plus bel habit. Trois ans plus tôt, j’ai effectué le même rituel pour séduire Cynthia. Mes veines pulsent si fort sous ma peau que je les entends. Mes yeux distinguent des couleurs que je n’avais jusque-là jamais vues. Trois ans plus tôt, j’avais découvert le désir de vivre. Aujourd’hui, je découvre le désir de ne plus vouloir mourir. Je dois me rendre jusqu’à elle. Cette nuit! Ce soir! Maintenant.
Camil m’ouvre la porte. Au bout du couloir, qui tourne à gauche, un rideau nous cache la vue d’une pièce. Camil prend mes 300$ et me laisse entrer. L’intérieur du duplex n’a rien à voir avec son extérieur. Il est un mélange de sexe et de vie.
La pièce, aux contours dorés, est conçue sur deux niveaux. Sur le premier, il y a plusieurs tables qui entourent un plancher de danse, derrière lequel quelques hommes sont assis. Leur tête est ailleurs, ils sont perdus dans le corps de quelqu’un d’autre. Devant eux, au centre des lieux, trois femmes nues dansent langoureusement. Elles sont éclairées par des bougies disposées en rond autour d’elles et se balancent sur les poteaux d’une scène plus haute que le reste du plancher. Mes pieds avancent lentement sur le tapis poisseux. J’entends le marmonnement voilé des hommes déjà installés là. C’est leur temple et je ne suis pas le bienvenu. Ils y viennent pour se sauver, devenir ceux qu’ils sont vraiment. Ils n’ont pas envie de voir un inconnu gâcher leur fantasme. Chacun d’eux semble oublier leur première fois. Je ne sais pas ce que c’était pour eux, mais pour moi c’est une renaissance. Je sais qu’un jour, je serai l’un d’eux.
Mon corps flotte alors que ma tête oublie de le diriger. Partout, il y a des canapés et des coussins d’un rouge suave. Partout des paillettes d’or et d’argent qui effleurent délicatement les épaules, comme des mains qui caressent. La fumée des cigarettes fait onduler les rideaux qui tombent du plafond ; leurs tissus rouge, rose et blanc semblent s’évaporer lentement jusqu’au ciel. J’aperçois un escalier en colimaçon au fond de la salle. Le deuxième niveau mène à cinq petits locaux pour les spectacles privés. Chacun d’eux assigné à une femme en spectacle. Toutes les déesses, éparpillées aux tables et au bar, vibrent sur le même rythme. Elles se calquent sur la musique diffusée dans l’ensemble du bordel. Elles sont le désir métamorphosé en corps. J’exalte… C’est comme entrer dans le temple d’Aphrodite. Le temps ne se ralenti que pour rendre les femmes plus désirables. Ici, le temps n’est pas ralenti, il est fixe : il les rend parfaites. Ici, c’est l’univers qui me rejoint hors du temps. Comme si rien d’autre n’existait. Comme si c’était à l’intérieur de ces murs que la vie se devait d’être épuisée.
Je la trouve sans chercher. Elle est dans l’un des locaux privés. Elle est exactement comme je l’imaginais. Elle sait ce que je veux d’elle. Elle n’attendait que moi. Elle a rêvé de moi aussi tendrement que j’ai rêvé d’elle. Elle m’appelle aussi fort que je l’appelle. Dans ses yeux, j’apparais comme je suis censé être. Je suis l’homme qu’elle espère pouvoir aimer.
* * *
Certaines choses ont changé. Je ne revins que peu de fois à mon appartement. Je ne suis jamais retourné à mon emploi. Je ne m’inquiète pas trop. J’ai un arrangement avec Camil. Il me garde toujours un lit dans l’une des chambres tenues propres et me fait des rabais sur ses plus belles filles. Mais je crois que l’arrangement tire à sa fin. Il a compris que je n’ai plus d’argent. Je suis devenu une nuisance. Je sais qu’il me déteste… Je le vois dans ses yeux, mais ce n’est pas important.
Anissa. C’était son nom. Elle est morte, la semaine passée. Une overdose. C’est probablement comme ça que je mourrai aussi. Je n’ai pas encore commencé à consommer, mais je sens que ça viendra. Je sens déjà l’héroïne gratter mes veines et chuchoter à mon cœur. Ici, on clame que ça rend tout meilleur. Surtout le sexe… Je n’ai plus vraiment partagé mon lit avec Anissa. Je ne l’ai revue qu’une seule autre nuit. Celle que je pensais faite pour moi s’est révélée n’être qu’un divertissement. Ses yeux doux ne voilaient qu’un corps desséché par les larmes. Il y avait d’autres courbes à caresser. Des courbes plus fraîches, des courbes moins usées par la vie. Elle m’avait fait découvrir un nouvel univers. Un monde heureux. Depuis sa connaissance, c’est ce monde complet qu’il m’est permis de caresser.
On cogne à la porte de ma chambre… C’est Camil.
Pourtant on ne fait le ménage que le mardi, demain.
Les murs m’apparaissent soudainement beaucoup plus crasseux qu’auparavant.
Je crois que le temps vient de me retrouver.
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