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Philippe Schwall

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Œuvres

Philippe Schwall

Quand l'eau jaillit de ces abîmes ensorcelés
Quand d'amples vagues en ondes noires tourbillonnantes
Se ruent sur moi pour m'engloutir au fond de eaux,
Pour me faire boire l'amer breuvage empoisonné
De mes amours, toxiques, viles et corrompues
Je nage vite et réfugie mon coeur meurtri
Aux havres bleus, réconfortants, que sont tes yeux.
Des yeux profonds, bleus d'océan, où je me noie
Pailletés d'ors qui sont ces îles où je m'accroche
Vieux naufragé d'un frêle esquif, désemparé,
Que les amours tempétueuses ont disloqué.
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Philippe Schwall

Au sommet de la plus haute maison du village, des rideaux jaunissaient à la lumière du jour naissant au dessus du marais. Au loin, le soleil faisait naître la brume sur les étendues d'eau brunâtre. Il se levait sur ces déserts aquatiques, libres d’humains, comme depuis les premiers jours du marais. Où que se portât le regard du haut de ce repère, rien ne laissait supposer que l'homme eût investi ce paysage. Virginité d'une terre sauvage. Pureté d'un monde encore préservé, d'un monde non corrompu par l'avidité humaine, sa soif de possession, son besoin d'expansion, de contrôle et son irrésistible envie de modelage et de transformation.
Dans la chambre sans bruit, l'ombre s'évanouissait. La lueur grandissante caressait un visage posé sur un oreiller de coton aux motifs japonisant. Frôlée par un rayon, une paupière tressaillit imperceptiblement, puis s'ouvrit lentement pour se refermer aussitôt, laissant apparaître furtivement un œil encore incertain. Elle se rouvrit en battements rapides puis s’ouvrit en grand. La pupille inondée de lumière se contracta au milieu d’une iris vert foncé illuminée par l’invasion de clarté. Sous les draps, un talon prit appui sur le matelas pour faire pivoter le corps entier. D'un seul tenant, sans souplesse, le corps se retourna sur le dos. Le bras gauche émergea, quittant la chaleur de la couette et s'éleva lentement au dessus du lit. Le corps se recroquevilla dans profonde inspiration encore ensommeillée puis étira démesurément de longs bras infinis. Quelques craquements. Un gémissement de plaisir matinal. Philippe était réveillé.
Sa sortie du lit était laborieuse et maladroite mais c’était la plus efficace qu'il eût trouvée pour un lever rapide et sans douleurs, tout en étant enfermé dans ce corps raidi, aux vertèbres soudées par la maladie. Une succession d'appuis sur les talons, les genoux et les coudes, de reports de charge et de pivotements, de passages par des positions inconfortables pour s’asseoir finalement sur le rebord du lit. Arrivé là, il regardait le mur, détendait sa nuque et ses épaules et balayait le sol de la chambre du regard. Il restait ainsi quelques secondes, le temps de libérer les tensions de la nuit et dissiper ses raideurs dorsales en de petits soubresauts éparses et incontrôlés. Puis, il poussait sur ses poings pour se lever d’un coup. Après quelques pas et craquements diffus, les douleurs matinales finissaient par le quitter et retournaient se blottir au creux des draps, à l’affût pour la prochaine nuit.
Philippe se dirigea vers la fenêtre restée ouverte puis tira les rideaux d'un coup sec. Un jaillissement de lumière illumina la chambre. Il regarda au loin le marais et ses immenses flaques réfléchissant le soleil. Au dessus des eaux, la brume diffusait la lumière en nuages éblouissants. Les hirondelles virevoltaient en trissant, glissant dans l’air tiède et chargé des odeurs lointaines de vase et de chêne mêlées. Les abords du marais étaient leur dernier refuge estival. Elles ne s'aventuraient plus ailleurs, faute d'insectes à pourchasser. En dehors de ces lieux préservés, ces parcs refuges de la biodiversité, les oiseaux ne vivaient plus. Philippe se réjouissait d'habiter là, au milieu d'un parc préservé, où la faune et la flore pouvaient encore se maintenir sans pour autant totalement s'épanouir. Quelle chance de pouvoir admirer tous ces oiseaux migrateurs ! Quelle bonheur de pouvoir rencontrer couleuvres, blaireaux et spatules au détour des chemins du marais ! Toutes ces nuits, ponctuées du chuintement d'une chouette ou du battement feutré des ailes de chauve-souris ! Quel splendeur ce farouche faucon dormant sur le rebord de sa fenêtre ce farouche faucon ou les chauve-souris silencieuses dans son grenier ! En combien de lieux encore pouvait-on aussi facilement rencontrer phasmes, mantes, éphippigères et capricornes ou tous ces papillons ? Le monde et sa faune couraient à leur perte, poussés vers l'abîme par la folie de l'homme. Pourtant, ici, loin des villes, loin des fermes industrielles et de leurs pesticides, loin des élevages intensifs aux méthodes concentrationnaires, ces lieux étaient encore préservés.
Ce matin de vacances d'été était vraiment agréable. C'était le milieu du mois d'août. Il était 7h. Une belle journée d’oisiveté s’annonçait, bien méritée après une longue année sans repos.
Philippe n'aimait pas traîner au lit. A quoi bon être en vacances si c'était pour perdre son temps dans des torpeurs matinales qui ne menaient à rien qu'à ce sentiment d'avoir trop dormi en rendant d'humeur vaseuse. Philippe vivait seul. Il n'avait pas d'enfants à occuper. Pas d'obligations familiales. Il était libre. La liberté qu'offre la solitude.
En regardant dehors, Philippe aperçut le voisin qui sortait comme à son habitude chercher le pain et les croissants. Il s'éloigna brusquement de l'ouverture, de peur d'être vu car il était nu. La façade blanche éblouissante de la maison sous le soleil n'aurait probablement pas pu le dissimuler au regard toujours trop curieux du petit homme râblé à l'abondante chevelure grise et frisée. Philippe prit un short resté sur le sol, un t-shirt sur une chaise. Il enfila ses baskets et descendit les trois étages pour aller prendre son petit déjeuner. Chocolat au lait, pain, beurre, confiture et pour finir un jus d'orange. Il n'avait jamais succombé à l'appel du café, ou dérogé à cette recette qui lui avait toujours convenu, rituel immuable, rassurant autant par sa constance que par ce souvenir de l’enfance toujours renouvelé.
Il regardait les infos à la télé. Tous les matins la même chaîne d'infos en continu qui distillait sous-titres et discours en un drôle d’amalgame d’informations qui s’emmêlaient quelquefois dans sa tête embrumée.
Ce matin-là, on parlait des ouragans dans les Caraïbes. Terribles tempêtes qui sévissaient les unes après les autres, semaines après semaines. Coups de boutoirs sur ces petites îles paradisiaques, englouties un jour par les nuages tournoyant pour réapparaître le lendemain ravagées par des vents effrayants et des vagues gigantesques. Spectacle de désolation. Amas de tôles. Corps enchevêtrées au milieu des troncs d'arbres et des carcasses de voitures, de bateaux, de bétail. Cris et pleurs pour les disparus. Appels au secours. Fuite vers des cieux plus cléments. C'était le prix du changement climatique. Certains osaient encore mettre en doute l’origine anthropique de ces catastrophes malgré les rapports du GIEC et braver cinquante ans de résultats scientifiques qui étaient autant de preuves accablantes à la bêtise et l’inactivité humaine. Les climato-sceptiques s’étaient mués en climato-négationistes et étaient plus écoutés par les masses que tous les scientifiques. Pourquoi les êtres humains préféraient-ils les croyances aux savoirs ? Que s'était-il donc passé pour que la confiance dans les scientifiques soit surpassée par la confiance dans ces gourous d'internet, éphémères personnalités, dissimulées derrière leur écran, derrière une photo prise au hasard de leurs divagations googlesques, ou un meme qui les avait fait rire une seconde. Qui étaient ces pauvres abrutis qui avaient sorti, un jour, un texte d'à peine 280 caractères, sans trop réfléchir, mais avec la certitude d'avoir été une fraction de seconde frappés d'intelligence divine ? Comment en si peu de mots et de réflexion, par un jeu de texte réflexe, avaient-ils enflammé la toile et mis à bas des dizaines d'années de travail rigoureux et méticuleux, de réflexion construite, de vérification, de recoupements d’informations ? C'était cela la société actuelle : l'éphémère, l'immédiateté... pire, le réflexe primal ! Tout cela mettait Philippe hors de lui. Il était d'ailleurs hermétique à tous ces réseaux sociaux. Sans pour autant s'en exclure, il ne s'y exprimait qu'en de très rares occasions et sans jamais dévoiler aucune information personnelle, hormis ses aspirations profondes à un monde meilleur, où l'intelligence retrouverait sa place en tant que qualité essentielle.
Philippe était un Xennial et il s’en attribuait volontiers toutes les qualités. Il savait que sa génération était née à la charnière entre deux mondes : le monde d'avant, de ses parents, de ses aïeux et le monde d'après, le monde de ceux qui auraient pu être ses enfants, le monde ultime, celui de la fin. Il se reconnaissait bien dans cette génération privilégiée élevée dans les codes de ses parents tout en s’éveillant au nouveau monde numérique. Dès son plus jeune âge, il avait assisté à la généralisation de la télévision dans la majorité des foyers, à la naissance de l'informatique et à sa dissémination dans chaque acte de notre vie quotidienne. Il avait vu tour à tour apparaître puis disparaître la cassette vidéo, le minitel, le walkman, le laser disc, les téléphones portables – de plus en plus petits, puis de plus en plus gros – vu disparaître les mastodontes cathodiques puis apparaître dalle à LED ou à cristaux liquides, internet, puis les sites de téléchargements, le streaming, les réseaux sociaux, la bêtise des populistes et les ultravisions muskiennes... Des changements fulgurants, réalisés à une vitesse que jamais aucune société n'avait connue. Les xennials avaient appris à s'adapter à ces changements rapides, à vite assimiler de nouveaux principes de fonctionnement, à rapidement comprendre l'intérêt de telle ou telle nouvelle technologie, et quelquefois même à anticiper ses évolutions. Pour Philippe, c'était une chance d'être né xennial. En cela, il se sentait quelquefois supérieur. C'était d'ailleurs un de ses travers : se sentir un peu au-dessus du lot... voire très au-dessus du lot. C'était un des avantages de ne pas se frotter au monde extérieur, de vivre dans sa bulle de solitude, dans sa sphère d'égoïsme. Lorsqu'on vit en vase clos en ayant une haute opinion de soi, on se voit se bonifier, on en franchit des obstacles, on en dégomme des boss de fin de niveau... mais au fond, comme un joueur de jeu vidéo, on n'est qu'un corps inerte dans un canapé dont seuls les pouces et les yeux bougent. Quand on regarde la sphère transparente de l'extérieur, on n'y voit qu'un être en cours de flétrissement, déconnecté du reste du monde et satisfait de sa confortable prison.
Ce matin-là, Philippe fut choqué par ces images de carnage dans les Caraïbes, comme il avait été choqué jadis par les images de tsunamis au Japon ou en Indonésie. Cependant, alors que rien ne pouvait relier les tsunamis à une quelconque activité humaine, on avait les preuves que la fréquence plus élevée des ouragans et leur intensification était une conséquence directe du changement climatique et par conséquent de l'activité humaine. Tous les analystes invités ce matin étaient d'accord sur ce point.
Mais alors, comment infléchir la tendance ? Question encore sans réponse. Les modèles n'étaient pas tous d'accord. Apparemment, il fallait changer radicalement notre façon de consommer et d'utiliser les ressources naturelles. Il fallait en finir avec les énergies fossiles et avec cette propension à toujours vouloir le dernier cri, dans tous les domaines : téléphonie, informatique, habillement, véhicule… Un changement de paradigme à toutes les échelles de la société, des petits gestes du quotidien aux grands mécanismes macro-économiques. Cette manière de vivre qu'on avait ancrée au fin fond du cerveau des individus du monde moderne, en tout cas de tous les pays développés, n'était plus compatible avec les capacités de régénération de la planète. Et pourtant, cette envie de consommer pour exister servait à présent de modèle aux pays en voie de développement. Chacun voulait ses signes extérieurs de modernisme pour se démarquer un temps de ses congénères avant d'en faire des clones. Le monde était dans l'impasse. Les pays d'Europe tentèrent de leur expliquer que la solution n’était pas dans l’hyperconsommation, de leur faire comprendre que la voie qu'ils avaient explorée avant eux n'était pas la bonne. Mais quelle ironie dans ces propos ! Comment être crédible quand on donne l'impression que notre discours est sous-tendu par l'envie de conserver jalousement ce mode de vie et d'en exclure le reste de l'humanité. Les pays développés faisaient figures d'égoïstes ayant depuis toujours cherché à asservir les peuples afin de s'accaparer les richesses nécessaires à leur développement. Ils n’étaient plus crédibles, alors même qu'ils montraient un autre chemin réellement vertueux. S'ils ne parvenaient pas à éclairer ce chemin et à le rendre sûr, personne ne s'y aventurerait et le monde courrait alors un danger tel que jamais aucune espèce animale ne lui en avait fait courir.
Les pays développés avaient attiré le monde dans une impasse et personne alors ne prendrait son bâton pour implorer Dieu et fendre les eaux vers une nouvelle route. En portant le bord de sa tasse de chocolat à ses lèvres, Philippe pensa alors que c'était vraiment un beau matin d'été, un beau matin de fin du monde.
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J'aime donner l'opportunité à des personnages de leur ouvrir la voie vers l'existence et me laisser porter par eux au fil des mots. J'aime m'apercevoir qu'ils sont une partie de moi, tout en étant quelquefois mon contraire.

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