L'ennemi

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Le généticien refusait d’accepter la vérité. Une fois encore, le résonancien insista :

— Les tests sur la série actuelle ne donnent pas les résultats escomptés. L’espèce endémique répond à nos statuts, mais pas aux modifications. Pas comme prévu.

— C’est-à-dire ?

— De nombreuses dérives ont été constatées.

— Génétiquement, ils sont stables non ? Primitifs mais intelligents, solides mais flexibles… ce sont vraiment des sujets parfaits.

— En théorie, je te rejoints mon frère. En pratique, quelque chose cloche. Prends ce sujet par exemple…

L’appendice du ventral du résonancien effleura la stèle de contrôle, amenant dans leurs deux esprits l’image en trois dimensions du corps du primitif et celles en sept dimensions des modifications apportées. Le corps se modifia, adoptant la souplesse caractéristique des Tlimas.

— Une parfaite réaction modulaire, si je puis me permettre, s’empressa de conclure le généticien.

— D’un point de vue corporel seulement, regarde l’effet de repli sur cette résonance.

— Elle est acceptable.

— Pas en si peu de temps, j’ai peur d’un reflux et de possibles rejets.

— Le sujet en mourrait ?

— C’est probable, mais pire encore il pourrait se stabiliser avec des résonances altérées.

— Est-ce déjà arrivé ?

— Non mais…

— Alors n’en pense pas un mot au progénicien.

— Tu déraisonne, la vérité ne saurait lui être cachée.

— Je suis ton aîné, généticien. Ne cultive plus l’ébauche d’une idée contraire aux miennes lorsqu’il sera là.

Déconcerté, le résonancien se replia convulsivement vers son espace d’accomplissement. Le généticien jouait avec des forces qui le dépassaient. Certes tant qu’ils étaient tous deux isolés dans cette station, le généticien était l’aîné, mais ses pensées étaient devenues troubles, pratiquement opaques lors de leur confrontation d’idées. Sa demande de silence était une violation du droit à la pensée exprimée, même dans un contexte aussi sensible.

Lorsqu’il eut clarifié ses pensées et apaisé son esprit, le résonancien perçut l’arrivée du progénicien. Son esprit était si fort qu’il ne put entièrement lui masquer son trouble après autant de cycles, mais le progénicien ne s’en inquiéta pas. Accéder aux pensées de ses frères plus jeunes et plus faibles était une habitude. Il était difficile de se contrôler pleinement en son auguste présence tant son esprit s’imposait, même à travers les voiles du voyage entre les soleils.

— Je me dirige vers vous et je serai bientôt à vos côtés avec tous vos frères. Présentez-moi vos avancées que je puisse focaliser ma pensée sur votre accomplissement.

La pensée était forte mais douce, malgré la grande distance qui les séparait encore. La membrane du résonancien en trembla d’aise et ses appendices glissèrent sur ses anneaux ventraux pour marquer son approbation. La pensée trouble du généticien s’exprima :

— Nous avons effectué de grandes avancées, progénicien.

— Mes frères avancent toujours avec assurance.

— Vos frères sont honorés, répondirent en chœur le généticien et le résonancien.

— Je suis ouvert, affirma le progénicien.

Aussitôt, un flux de données transita avec une rare densité. Des dizaines de milliers de rotations planétaires autour du soleil, durant desquelles ils avaient préparés leur pensée, compressées et transmises en un instant. Le résonancien s’étonna de la violence avec lequel le généticien avait transmis son flux, mais il se reprit en tressaillant des canalyseurs jusqu’à la queue. Le progénicien avait des centaines de milliers de division de plus que ses frères les plus vieux, lui transmettre des données plus lentement était inutile. Cela lui ferait perdre du temps.

— Je suis ouvert, répéta le progénicien.

Le résonancien lança la canalysance, affinant le faisceau de ses mémoires archivées pour ne viser que le seul progénicien à travers les voiles, et éviter ainsi de blesser ses frères dans la nef. Lorsque ses canalyseurs vibrèrent dans cinq dimensions, il relâcha la totalité de sa mémoire du plus vite qu’il put. Si vite que certaines des parties censurées lui furent comme arrachées. Morcelées et fragmentées, elles seraient illisibles, mais son trouble avait été trop grand pour lui permettre d’obéir entièrement à la vérité du généticien.

Le progénicien ne s’en offusqua pas. Ses pensées restèrent d’un clair absolu, sans la moindre onde pour venir les troubler. Les appendices ventraux du généticien frémirent de soulagement tandis que ses pensées se purifiaient lentement.

— Je vais accomplir de mon côté, leur annonça le progénicien. Mon espace rejoindra bientôt le vôtre et nos pensées ne feront plus qu’un, annonça le progénicien.

— Comme elles ne faisaient qu’un, répondirent le généticien et le résonancien.

La nef perça les voiles de résonances alors que le résonancien se reposait dans son nid. L’image mentale de la station offerte par les senseurs se superposa à celle de l’immense nef du progénicien. Le vaisseau faisait plusieurs milliers de fois la taille de leur station. C’était comme si d’un univers entier, leur habitat avait soudain été réduit à la taille d’un grain de sable faisant face à une immense falaise.

En tant qu’aîné, le généticien offrit son aval à l’acquisition de la station par la nef. La gravité se modifia en conséquence et la station redevint une partie de l’ensemble. Le résonancien sentit le plaisir se répandre dans son corps lorsque le progénicien leur communiqua sa satisfaction de retrouver ses frères après si longtemps. À travers lui, tous leurs répondirent du même salut émotionnel, empreint de joie et du soulagement que procurait l’amoindrissement de la tristesse provoquée par l’éloignement. Après tout ce temps, leur univers amoindri redevenait entier, en espace comme en fraternité.

Se rendre en présence du progénicien n’était pas nécessaire, mais c’était un honneur qu’il refusait rarement aux frères laissés restés loin de lui pour accomplir. Le résonancien se présenta donc à lui, derrière son aîné généticien.

— Voici notre accomplissement, déclara le généticien à tous les frères présents qui entouraient l’aîné ultime. Malgré une taille modeste, la planète a développé une forte magnétosphère qui a protégé leur développement et les grands mondes extérieurs lui ont évité le bombardement de roches, au point de permettre la complexité là où seule survit habituellement la simplicité.

L’assemblée frémit, quelques battements d’appendice ventraux se firent entendre lorsqu’ils frappèrent leurs anneaux. Le résonancien se concentra sur la clarté de son esprit pour ne pas interrompre son aîné lorsqu’il reprit :

— Nous avons trouvé de nombreuses créatures sur ce monde, des vies résistantes et diversifiées, simples dans leur structure, mais honnêtes dans leur nature dimensionnelle. Elles n’avaient aucune trace de résonance altérée.

C’était un triomphe. Seule le progénicien resta l’esprit clair, lorsque tous se troublèrent d’émotion, empêchant le généticien de continuer. Il effleura néanmoins la stèle de contrôle de pensée, répandant dans les esprits en émoi l’image mentale des formes de vie découvertes.

— La plupart de ces espèces sont peu mobiles et ne disposent pas de conscience. Seule une fraction dispose de fonctions sensorielles actives, basées sur le son, la lumière, les récepteurs chimiques. Seules les sensorialités de contact sont comparables aux nôtres, mais plus aigües chez les formes les plus développées. Aucune d’elle ne semble en mesure de partager la pensée, encore moins d’établir la vérité sans faire appel à ces sens primitifs et à des organes émetteurs qui y sont liés, ce qui distord fortement leur capacité à communiquer. Parmi elles, j’ai trouvé une forme de vie capable de pensée conceptuelle. Durant des dizaines de milliers de rotations, nous sommes intervenus pour sauvegarder cette espèce par diversification et migration. L’une de ces branches génétiques a fini par attirer notre pensée focalisée. Plus forte et plus agressive que les autres, nous l’avons guidée dans cette voie jusqu’à ce qu’elle remplace ses congénères plus faibles.

Il fallut encore attendre que la clarté se fasse tant l’émotion envahissait l’assemblée. Depuis le départ de leur voyage, c’était de loin la meilleure réponse vivante à leur problème à en croire la réaction des frères.

— Leur évolution s’est stabilisée génétiquement et s’est accrue dans le domaine technologique et fraternel. C’est à cette période que j’ai réveillé mon frère cadet pour qu’il accomplisse.

C’était le tour du résonancien d’affronter la pensée de la fraternité. Sa vérité serait-elle la leur ? Il effleura la stèle pour chasser l’image mentale du crâne primitif lardé de récepteurs sensoriels et la remplaça par celle du corps bipède. Nerfs, muscles, os, veines, organes. Tout apparaissait dans les trois dimensions, mais ses frères attendaient les sept autres, celles qui feraient toute la différence pour cette espèce honnête. Celles qu’il avait altérées comme on opacifie une pensée claire.

— À mon réveil, j’ai constaté accomplissement de mon aîné. Il avait amené les sujets à maturité génétique pour que je puisse accomplir à mon tour dans la meilleure focalisation possible.

Les pensées du généticien se troublèrent légèrement et sa queue frémit de fierté.

— J’ai donc accompli à mon tour. Le système nerveux des primitifs est presque entièrement centralisé, ce qui m’a posé un grave problème car le siège de leur pensée s’en trouve diminué. Il n’y a pas de vraie communication entre nœuds dans cette pensée, juste un trouble profond et des rejets croissants avec l’âge de toute pensée jugée inadéquate ou perturbante, ce qui empêche toute exploration intérieure et limite leur esprit. Ainsi, l’absence de cordes et de nœuds nerveux m’a obligé à concentrer la résonance sur la structure de cet organe pour les cinq principales dimensions, avant de procéder par application lamellaires afin de parvenir à incrémenter les sept en une.

Plusieurs résonanciens plus âgés s’accordèrent avec sa pensée, reconnaissant son accomplissement dans cette configuration difficile. Le résonancien en tressaillit d’aise. Il avait été longuement troublé à l’idée que sa jeunesse n’entrave son accomplissement. Et souhaité à de nombreuses reprises avoir été plus âgé pour mieux évaluer son propre accomplissement. L’expérience était la force de la fraternité, sa jeunesse était donc une faiblesse.

— Afin de ne pas brouiller la pureté de résonance initiale des primitifs, seuls quelques sujets ont été modifiés. Les attributs de ces sujets choisis sur mesure m’ont permis de les amener à deux stades parmi les neuf recherchés par nos frères : le modèle Tlima et le modèle Ico.

Deux images mentales se répandirent dans l’assemblée. La première était polyforme, invariablement en mouvement, terrible de par son intangibilité. C’était l’une des armes lancées contre eux par les ennemis de la fraternité ; son extrême complexité avait toujours empêché de l’analyser et de la combattre. Plus grossière mais résistante à l’extrême, la seconde était une forme de vie annulaire munie de centaines de membres agissant comme des lames qui assassinaient la fraternité lorsque leurs nefs étaient contaminées par les missiles d’intrusion. Des œufs en sortaient qui relâchaient aussitôt ces monstres fous, plus grands qu’un frère de six cents cycles.

— D’autres modifications et essais ont eu lieu, mais ma pensée s’est focalisée sur ces deux modèles, lesquels sont les plus prégnants depuis que leur engeance a été découverte. Voici quels sont les accomplissements pour ces deux lignées résonatoires.

Le modèle Tlima se contorsionna, passant de sa structure vertébrée sur deux pattes à une forme plus malléable. Loin des modifications incessantes du véritable Tlima, le primitif restait proche des formes de vie de son monde, semblant vouloir les imiter, les mélanger. Dans ce rares cas, les primitifs avaient réussi à innover, mais ils finissaient toujours par revenir aux vies de leur environnement immédiat.

— Leur esprit limité revient sans cesse à une forme physique tangible, mais cela pourrait être dépassé lors des prochains accomplissements, maintenant que tous nos frères peuvent accomplir ensemble.

Dans le même temps, le modèle Ico ne bougea pas d’un pouce. Le trouble de l’assemblée fit frémir les anneaux du résonancien. Plusieurs images des sujets modifiés vinrent s’ajouter.

— Focalisez sur ces sujet. Sans modifications physiques majeures, ils sont puissants et voraces. Ce modèle a été conçu pour agir dans les domaines glacés du vide et sur les mondes ravagés de nos frères éteints, là où les immondes Icos veillent pour prévenir du retour de nos nefs. Ce sujet peut non seulement résister aux températures glaciales et au vide car il ne ressent plus le besoin de gonfler ses sacs ventraux des gaz de son monde, mais il peut surtout se nourrir à volonté de ses proies et passer en hibernation s’il n’en trouve plus. Nul besoin d’entretenir des garnisons de drones vivants à grand renfort d’énergie et de rations, ces modèles resteront à attendre les ennemis de la fraternité éternellement, plus indétectables que leurs missiles Ico.

L’image mentale muta, montra les primitifs modifiés arracher des membres à la seule force des bras et se repaître de la chair de leurs anciens compagnons. Ils affrontaient également des formes de vies qui avaient été leurs prédateurs, assassinant sans distinction tout ce qui pouvait être assimilé à un être sentient avant de le dévorer.

— Et surtout, focalisez bien votre pensée sur ceci.

Rares occurrences ou la force et la résistance des sujets ne suffisaient pas, ils pouvaient être blessés, mais les blessures des sujets se refermaient presque aussitôt.

— La consommation de chair compatible permet à ces sujets de se régénérer à l’infini, offrant à ce prototype la possibilité de résister au temps comme aux combats. Modifiés correctement, ils deviendront éternels et pourront cumuler les nombreuses expériences du combat qui font défaut à notre pensée.

Lorsque le temps fut venu, les questions fusèrent. Précises, difficiles et intrusives. La pensée était fouillée et sa clarté mise à l’épreuve. Le résonancien y répondit avec patience, sachant l’instant décisif pour toute la fraternité. Ce monde était peut-être la fin de leur périple et leur fraternité pourrait être reconstruite, les nefs rassemblées si l’accomplissement allait à son terme.

Le progénicien prit alors le contrôle de la pensée :

— Qu’en est-il des dérives ?

Aussitôt l’esprit du généticien se troubla jusqu’à en devenir opaque, provoquant une réaction émotionnelle d’envergure dans la fraternité. Le résonancien fit la clarté dans sa pensée avant de répondre :

— Il y a en a. J’ai des inquiétudes à ce sujet.

La queue du généticien se recroquevilla et frappa sèchement la paroi de la nef. Peu importait que sa vérité soit contredite : le temps ou le généticien était l’aîné était révolu. Désormais réunis avec leurs frères sous la pensée du progénicien, le résonancien pouvait faire la part de ce qui était net et de ce qui était flou.

— Quelles inquiétudes as-tu ? le relança leur aîné ultime.

— Je pense que les dérives vont s’accélérer. Il est possible que sous cette forme, les sujets régressent au point de perdre leur tangibilité, ce qui leur serait fatal étant donnée l’honnêteté de leur structure.

— Et si ce n’est pas fatal ? insista le progénicien.

— Une dérive régressive partielle pourrait apparaître. Ils seront plus forts que ceux de leur engeance, mais pas assez pour accomplir pour nous. Il existe également un risque de dérive vers une forme dans laquelle leur résonance ne nous permettrait plus de les contrôler.

— Pourquoi penses-tu cela ?

— Parce que leur esprit est unique mais fragmenté, trouble jusqu’à l’opacité totale dans certaines parties et cela de façon permanente. En l’absence de nœuds multiples, les sujets sont incapables de partager leur pensée dans leur unité corporelle et d’y trouver la clarté. Ce handicap devrait être corrigé avant d’inclure des canalyseurs comme nous l’avons fait pour ces prototypes.

— Ils sont trop inconstants et isolés, conclut le progénicien.

— Ce qui les pousse vers une forme d’agressivité envers leur propre race et parfois envers eux-mêmes, continua le résonancien. Ce n’est pas un problème génétique, c’est la nature des espèces évoluées de ce monde, ajouta-t-il pour défendre l’accomplissement de son frère.

— Alors laissons ce monde, décida le progénicien. Abandonnons-le pendant encore quelques milliers de rotations, le temps de rassembler nos frères encore dispersés. Si aucun accomplissement supérieur ne survient d’ici là, nous reviendrons et constaterons par nous-même si ces dérives sont dangereuses.

— Progénicien, pensa le généticien, nous ne pouvons abandonner si vite. Partir alors que l’accomplissement n’est pas total ne permettra pas de profiter d’un recul suffisant. Ce serait laisser une œuvre inaccomplie se détériorer, alors qu’une accomplie pourrait survivre des milliers de milliers de rotations.

— J’ai pensé haut et clair, généticien. Nous suivons mon idée et non la tienne, car je suis ton aîné et j’ai vu plus de choses et pensé plus longtemps que quiconque dans cette assemblée.

Lé généticien convulsa et sa pensée se troubla à tel point qu’il parut s’isoler en lui-même, ce qui était impossible évidemment. Seuls les ennemis de la fraternité agissaient ainsi. Compatissant, le résonancien intervint :

— Ton accomplissement était parfait. S’il y a un esprit à blâmer, c’est le mien…

Le coup frappa si durement le résonancien qu’il perdit sa clarté et le contrôle de sa pensée. Ses canalyseurs fermés sous l’effet du choc, il perdit le contact avec le progéniteur, la nef et tous ses frères. Il ignorait leurs positions et leurs pensées, il était perdu, ramené à ses seuls sens physiques. La paroi molle de la nef sous ses anneaux et ses appendices, les vibrations de l’atmosphère épaisse et la hausse de température trahissaient l’agitation. Sa détresse lui parut d’autant plus forte qu’il ne pouvait la partager.

Enfin, ses canalyseurs retrouvèrent leur alignement et le contact fut rétabli avec ses frères. Leurs sensations, leurs émotions et leurs pensées l’assaillirent, comme si le monde retrouvait sa réalité complète. Une forme de vie avait attaqué la fraternité et plusieurs dizaines de frères se ruaient sur elle, l’enserrant pour la restreindre et l’empêcher de blesser quiconque. Trop tard, le généticien sentait des fêlures sur ses anneaux. Son intégrité physique était atteinte et son corps tendre était abimé malgré sa carapace.

La douleur était une sensation physique répandue chez les formes de vies, mais pas au sein de la fraternité. Le physique était secondaire, réservé aux tâches de survie comme se nourrir, se reposer ou se diviser. Le résonancien n’avait pas mal, mais il se sentait son corps se tordre pour survivre. Ses nœuds s’affolaient en s’envoyant bien trop de signaux d’alerte

La bête était maîtrisée, son corps indiscernable par ses seuls sens. Le généticien effleura la stèle pour que les senseurs de la nef lui donnent une meilleure idée de la nature de l’intrus. Sa pensée se troubla lorsqu’il reconnut la forme des anneaux du généticien, son frère et compagnon durant tant et tant de rotations. Son esprit était inaccessible, entièrement déconnecté de la fraternité.

— C’est terminé, pensa le progénicien. Il n’est plus lié à nous : son esprit s’est refusé à la réalité et il est devenu un ennemi de notre pensée. Il n’y a pas d’autre solution que de mettre fin à la souffrance de le sentir séparé de nous.

Le progénicien se déplaça, révélant l’étonnante longueur de sa queue sous ses anneaux dorsaux massifs. La pointe carapaçonnée était plus dure que n’importe quelle autre partie du corps physique et celle du progénicien était pratiquement de la même taille qu’un frère de cent cycles. Elle s’abattit sur la chose qui avait été leur frère et ses anneaux éclatèrent sous le choc, répandant fluides et organes sur la paroi du vaisseau. Probablement affamés par l’effort et l’émotion, plusieurs frères les ramassèrent avant de les faire disparaître dans leurs anneaux.

Le résonancien n’en fit rien. Il avait été si troublé par l’attaque qu’il avait lui aussi perdu le contact avec ses frères durant un bref instant. Ç’avait été l’expérience la plus effrayante de son existence. Pourquoi le généticien avait-il choisi délibérément de rejeter la vérité jusqu’à s’aveugler entièrement ?

Les origines du conflit contre les ennemis étaient plus vieilles encore que leur voyage, il avait commencé bien avant la division qui avait créé le corps physique du résonancien, mais il avait appris la réalité à travers la pensée de son frère de division, lorsqu’ils ne faisaient encore qu’un. Les ennemis avaient fait partie de la fraternité. Autrefois, lorsqu’elle régnait sans partage sur des milliers de milliers de mondes, formant un réseau parfait d’accomplissement et d’émotions.

Puis une partie s’était soulevée, avait rompu la toile et défait leur pensée parfaite. L’ennemi avait voulu imposer ses idées sans les partager. Par la force. C’était contre-nature et la fraternité avait riposté, embrasant les mondes, détruisant les corps physiques, éteignant les esprits à jamais. L’ennemi gagnait. Il était plus nombreux, multiple et divisé, mais aussi plus retors. Perdre la vie d’un frère était une source d’émotion trop puissante pour permettre de continuer à combattre, alors la fraternité s’était tournée vers des formes de vie plus simples pour accomplir ce qu’elle ne pouvait accomplir.

Les ennemis en avaient fait autant, ils avaient surpassé leurs créations et généré un univers dangereux, forçant la fraternité à se scinder pour chercher une solution définitive au conflit, naviguant à travers des éons, de soleils en soleils en cherchant inlassablement une espèce capable de surpasser les créations des ennemis. Dans la station, le résonancien avait accepté les idées du généticien parce qu’il était son aîné. Comme lui, il avait pensé que les primitifs étaient la solution, mais la vérité était différente.

Le généticien aurait pu avoir raison, mais il aurait fallu pour cela que le progénicien soit d’accord avec lui. La vérité en dépendait.

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