La véritable histoire de la Bête du Gévaudan

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" La Bête du Gévaudan "

J'imagine que vous connaissez l'histoire, enfin je suppose. Il faut dire que le simple fait d'évoquer une bête et d'y associer le lieu du Gévaudan ravive quelques souvenirs de lectures, de contes, de péripéties anciennes à compter dans les mythes et légendes. Cela crée sans doute une sorte d'angoisse à l'idée qu'elle pourrait, je dis bien qu'elle pourrait se réveiller et venir passer ses griffes fines et affûtées comme des rasoirs, dans les plis de vos plus sombres cauchemars.

[...]

Il se trouva qu'un marchand de retour de Palestine prit un navire pour s'en retourner en Terres de France après bien des péripéties en Asie mineure et sur la "route de la soie". Il avait dans ses malles bien des trésors, riches vêtements, tissus précieux et objets décoratifs. Mais mieux encore, il réservait à fond de cale, dans des cages adaptées, d'étranges phénomènes tenant à la fois de l'humain et de l'animal, chimères improbables, fruits de quelques expériences d'alchimiste ou de charlatan.

Difficile de savoir !

En effet, pour tous ceux qui avaient cherché à s'approcher des cages que ce soient des matelots, des voyageurs curieux ou de simples chalands le long des quais de chargement, ils avaient éprouvé un étrange malaise. Leurs sens s'en trouvaient retournés. Ils se mettaient alors à divaguer et sombraient dans la démence. Cela arrangeait bien notre marchand qui ne tenait pas à perdre de vue ces "trésors".

Quelques seigneurs de provinces reculées d'Auvergne, du Gévaudan, du Vivarais ou du Rouergue lui avaient promis de belles récompenses. Alors notre ami n'hésitait pas à répandre sur quelques feuillets ou des mouchoirs en tissu ou dentelle, une de ces poudres hallucinogènes qui, insérée dans la poche ou le bagage du curieux, finissait par le rendre fou. Et jamais personne dans l'entourage immédiat ne pouvait faire le lien. Une fois en mer, on se débarassait des hystériques, pour ne pas jeter le mauvais oeil sur l'équipage.

Je vous parle de ça comme une histoire ou une légende récente mais en réalité, elle prit place dans nos campagnes du centre de la France, en ce siècle des Lumières vers 1764. On dénombra pas moins de deux cents victimes dont certaines, réduites à l'état de morceaux de viande et d'os, labourés par ce qui semblait être des griffes habiles. Souvent, les organes et les viscères avaient disparu.

Mais il restait presque toujours le visage d'une blancheur laiteuse et grisâtre à la fois, des yeux exhorbités, et une bouche ouverte, lançant un cri effroyable et à jamais muet, sans doute le témoignage d'une détresse immense, une sidération extrême et qui sait le véritable nom de la Bête immonde qui aurait pu mettre sur la voie les enquêteurs royaux.

[...]

Joubert avait établi son commerce voilà plusieurs années, et souvent il se lançait dans des expéditions lointaines pour découvrir le sensationnel. Il faut savoir, qu'en ces temps de folles orgies et dépenses somptuaires, alors que le peuple crevait de faim et n'allait pas tarder à réclamer du pain, les seigneurs qui n'avaient pas accès à la cour du Roi à Versailles, devaient satisfaire leur propre entourage de courtisans et riches notables.

Alors, ils organisaient des fêtes noctures exceptionnelles. Si importantes et si captivantes que les participants payaient, certains en nature, pour voir et revoir le clou final, de ces étranges et surtout mortelles soirées privées.

Le maître des lieux improvisait vers minuit une mise en scène. Dans l'une de ses oubliettes, il enfermait une servante peu vertueuse, un laquais voleur, un poète trop pamphlétaire qui serait le futur acteur d'un dénouement diabolique. Ses invités en place, dans l'une de ces pièces secrètes, et après avoir organisé son petit discours de présentation, il libérait la bête en la maintenant enchaînée et lui livrait dans un fauteuil attachée ou sur une table, la proie droguée et terrifiée.

Les spectateurs assistaient alors à une véritable boucherie où le sang, les fluides et les organes éclaboussaient les murs sombres, les tentures et bien sûr les vêtements et les visages des convives à la fois horrifiés, subjugués, fascinés, sidérés.

Certains ne revenaient pas de ces soirées perverses et barbares. Car s'ils advenaient qu'ils s'en émeuvent en public, ils finissaient dans quelques fossés sordides ou pendus à la branche d'un vieux chêne. En ces temps à la fois sombres de misère et éclairés d'idées nouvelles, la vie ne valait pas très chère et c'est du reste pour cela que tout un chacun vivait chaque jour comme s'il s'agissait du dernier.

La noblesse et les notables se croyaient au-dessus des lois et des règles, si tant est qu'il y en eut pour les faire appliquer. Et même les collecteurs d'impôts y trouvaient leur compte.

Mais quand le Roi Louis XV, dit le "bien aimé", par ses espions informés, vint à découvrir les sombres machinations de ces ducs, comtes et marquis, il dut y remédier. Outre le fait de reprendre les titres et les propriétés et de les offrir à d'autres méritants, il remit la main royale sur ces campagnes retirées.

Alors il envoya ses troupes sous le prétexte d'enquête, pour rassurer les populations et organiser le grand ménage. Tous les cadavres découverts, disséminés un peu partout, dans les endroits les plus reculés, finirent brûlés ou enterrés avec force d'acide ou de chaux vive pour ne laisser aucune trace.

Mais il arriva que l'un des monstres se libéra un soir du 29 au 30 juin 1764 et jamais on ne le retrouva. On lui imputa plus d'une centaine de décès quoiqu'il ne fut pas certain qu'il soit responsable de tous ces crimes. Des élevages en furent victimes. On parla de loup, d'un animal exotique et même d'un loup-garou, voire d'un tueur en série. On invoqua le châtiment du Seigneur.

Et même la presse locale s'en saisit.

Il faut dire qu'après la Guerre de Sept ans, qui opposa l'Autriche et la France d'un côté et la Prusse et l'Angleterre de l'autre, l'occasion se présentait de faire un véritable feuilleton. D'autant que le nombre de loups s'évaluaient à vingt mille têtes. Deux bêtes de belle taille, tenant à la fois du chien et du loup, furent abattus à quelques années d'intervalle et l'on évoqua alors la Bête du Gévaudan.

[...]

Dans les siècles qui suivirent, et sans pouvoir le vérifier, on relata que ces meurtres seraient dûs à l'origine, aux sombres méfaits d'un dénommé comte de Morangiès ou mieux encore d'Antoine, le fils de Jean Chastel, l'un des tueurs de la bête.

Mais je crois plus sûrement, qu'il faut attribuer à ce Joubert et surtout à sa descendance, par l'entremise d'une jeune servante dont il s'était amouraché avant qu'elle ne disparaisse, d'avoir perpétué à travers les époques, le maintien en vie de l'une de ces chimères.

Car de nos jours, on met en cause les attaques de troupeaux par des loups ou des ours, ce qui sans aucun doute est avéré. Mais certaines agressions violentes, sauvages et meurtières ne traduisent pas la simple nécessité de se nourrir. Au contraire, il se cache parmi elles, la marque de la Bête du Gévaudan qui sans cesse éprouve le besoin irrépressible d'assouvir ses pulsations assassines pour se régénérer et vivre à jamais.

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