Chapitre 1 : Gerboise bleue

5 minutes de lecture

Notre Général avait vraiment été impressionné par Little Boy* et par Fat Man**. Il fallait impérativement que la France soit à la table des grands et possède, elle aussi, cet engin de mort ! Le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) avait été créé pour cela dès 1945. Bon, on avait aussi parlé de nucléaire civil, de faire de l’électricité à partir de l’atome mais ça, c’était pour amuser la galerie. Le Général voulait sa bombe et il l’aurait, point ! Il avait été tellement vexé de ne compter que comme portion congrue quand les autres s’étaient partagé le monde. Plus jamais ! Il allait montrer ce que le petit coq pouvait faire, même les deux pieds dans la merde, non mais !

Dès la fin de la guerre, il réunit Frédéric Joliot-Curie (oui, le gendre de Marie Curie, celui-là même), alors directeur du CNRS et son ministre de la reconstruction et de l’urbanisme, Raoul Dautry. Le 18 octobre 1945, le Commissariat à l’Energie Atomique est créé avec les deux mêmes à sa tête : Frédéric Joliot-Curie comme Haut-Commissaire à l’énergie atomique et l’ancien ministre comme Administrateur Général.

Cet organisme est placé directement sous la responsabilité de la Présidence du Conseil et ne rend des comptes financiers qu’au ministre des finances et encore, a posteriori. Autrement dit, pas d’une transparence folle. Mais bon, à l’époque, il s’agissait de reconstruire, de redevenir un grand pays et tant pis si c’était un peu « obscur ». Officiellement, cet organisme devait étudier l’application de l’énergie de l’atome dans le domaine de la recherche médicale, de la production d’électricité et de la défense nationale. Je vous laisse deviner quelle était la priorité de notre Général dans ces trois domaines…

Le CEA s’est rapidement installé, dès sa création, au fort de Chatillon, pas loin de Paris et dans une annexe de la poudrerie du Bouchet, dans l’Essonne, à 40 km au sud de Paris. Cette enclave de la poudrerie est utilisée pour effectuer des opérations de raffinage de l’uranium. Cet uranium raffiné au Bouchet est utilisé dans une pile à combustible (Zoé… si, si, j’invente pas, c’est vrai tout ça), une pile utilisant l’eau lourde, qui diverge en 1948. Diverger, ça veut dire que la réaction de fission nucléaire produit plus de neutrons qu’elle n’en absorbe et donc que la réaction ne fait que s’accélérer. C’est ça qu’il faut maitriser dans l’énergie nucléaire, la divergence de la réaction neutronique. ***

Ce que De Gaulle n’avait pas prévu, c’est que Joliot-Curie, membre du parti communiste, allait lancer l’appel de Stockholm contre la bombe atomique. Ni une ni deux, Il fut révoqué illico et remplacé par Francis Perrin (pas l’acteur comique, non, quand même c’était une affaire sérieuse, ce CEA ! Un autre scientifique, membre dès le début de cet organisme). L’influence du Parti Communiste au sein du CEA a perduré. Une pétition contre l’utilisation du nucléaire à des fins militaires a été signée par plus de 600 agents du CEA.

Une fois Joliot-Curie débarqué, le CEA a intensifié ses recherches et ses travaux sur les applications civiles et militaires de l’énergie atomique. Et pourtant, aucun gouvernement n’a encore pris officiellement la décision de construire une bombe atomique. Faut dire que les gouvernements valsaient à l’époque, c’était la 4ème république avec un régime parlementaire et un président du conseil qui dépendait de la majorité au parlement. Les alliances se faisaient et se défaisaient régulièrement avec une moyenne de deux fois par an... Difficile de construire une politique cohérente si on change de décideur tous les six mois.

Durant toute cette période, le CEA a fonctionné sans véritable contrôle politique. Le successeur du président du conseil ne faisait que reconduire les décisions de son prédécesseur, avec les budgets correspondant. En fait au sein du CEA, un petit groupe informel (composé de quelques militaires influents et de Francis Perrin (toujours le scientifique et toujours pas l’acteur comique) avait décidé que la France devait se doter de l’arme nucléaire. Et donc le CEA travaillait sur le sujet, au final sans aucun contrôle politique… A posteriori ça fait peur, non ? Un organisme avec de tels moyens qui travaille des années sur un sujet aussi sensible que ça, sans aucun contrôle... Vive la France !

Dans ce petit comité, il y avait Jacques Chaban-Delmas, fidèle du Général de Gaulle s’il en est. Ce qui fait que celui-ci était régulièrement informé des avancées des recherches, même s’il n’était plus président du conseil. Quand je vous disais qu’il avait des priorités, notre Général…

Et finalement, en 1958, le président du conseil de l’époque, Pierre Gaillard a décidé de fixer le premier essai d’une bombe atomique française en 1960. Et puis comme on voulait faire ça en France, on a choisi un département français mais assez loin de Paris : on irait faire péter cette bombe en Algérie. Ils avaient voulu faire partie de la France, donc on pensait à eux… Rassurez-vous, il n’y en aurait pas que pour les Algériens. La suite des essais allait se faire en Polynésie française, assez loin de Paris aussi, au-dessus de l’île de Fangataufa. On partage en France, avec tout le monde…Mais de préférence assez loin de la capitale quand même

Bon, voilà pour la vérité historique. Maintenant, on ne va plus parler que de l’histoire avec un petit h, totalement sortie de mon imagination (fertile) et n’ayant qu’un très lointain rapport avec la Vérité Historique avec un grand V et un grand H. Nous allons nous intéresser aux petites histoires de ces équipes qui ont permis que « Gerboise bleue » pète le 13 février 1960 à 7h04, dans le désert de Reggane, en pleine guerre d’Algérie.

À partir de cette date, la France était de nouveau un grand pays avec de jolies bombinettes pour qu’on puisse tous se faire péter la gueule. La vie est belle, non ?

*Little boy : bombe larguée sur Hiroshima le 6 août 1945 à 6h15. Elle contenait 64 kg d’uranium 235 et dont seulement 700 g sont entrés en fission. Causant au moins 70000 décès immédiats dus à l’onde de choc de l’explosion. Sans compter les dizaines de milliers de morts liés aux retombées radioactives

**Fat Man : bombe larguée sur Nagasaki le 9 août 1945 contenant 64 kg de plutonium. L’explosion a tué plus de 35000 personnes de façon immédiate avec l’onde choc, sans compter, là aussi les décès suivant avec les retombées radioactives. Le fait qu’il y ait eu moins de morts ( ?) à Nagasaki est dû au terrain vallonné de la région alors que le terrain était totalement plat à Hiroshima, favorisant la diffusion de l’onde de choc.

****Réaction de fission : un nombre n de neutrons vient percuter des noyaux d’uranium et produisent des produits de fission (les morceaux de noyaux d’uranium cassés) et un nombre n’ de neutrons, qui à leur tour…,etc.

Quand le nombre n’ est supérieur au nombre initial n, on dit que la réaction diverge (à l’extrême, c’est une bombe, on ne maitrise plus rien et la réaction se poursuit tant qu’il y a de l’uranium).

Quand le nombre n’ est inférieur au nombre initial n, on dit que la réaction converge et elle finit par s’arrêter toute seule, si si….

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 10 versions.

Vous aimez lire Fred Larsen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0