Temporel. 

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 Les feuilles jonchaient le sol, le recouvraient totalement, comme si le parquet qui se trouvait en dessous n’existait plus. L’air frais que la fenêtre laissait entrer, les faisaient se soulever à un rythme presque régulier, léger, hypnotisant. Toutes étaient recouvertes d’encre, que celle-ci soit bleue ou noire, de lettres, de mots, de phrases de l’un et de l’autre, portant espoirs, détresses, joies, amours, désenchantements… Le récit de vie banal d’adolescent que le monde, la société essaient en vain d’éduquer. Et nous, nous étions là, perchés sur le lit, lui et moi, à laisser nos regards se perdre dans le vide… Nous regardions nos œuvres alors que le CD que nous aimions tant, passait en boucle, berçant notre mutisme qui pourtant, en disait long.

 Le temps semblait s’être arrêté, et pourtant, j’avais l’impression qu’il me filait entre les doigts… J’avais cette impression infâme et indescriptible de n’avoir aucune emprise, de ne pouvoir me raccrocher à rien, d’être face à une paroi lisse et sans accros, de n’avoir aucun contrôle et de devoir simplement et obligatoirement admettre que la seule solution était la chute dans les méandres des secondes, des heures, des mois sans jamais pouvoir protester. Privée de toutes libertés d’expression. Sans jamais avoir le droit de dire non, de devoir regarder les choses que l’on aime se désagréger, voir toutes les personnes, quels que soient nos sentiments à leurs égards, disparaître une par une quand le moment est venu pour elle de rembourser la dette qu’elles doivent à cette date précise, ou alors, l’instant où elles sont enfin libres de pouvoir partir, comme des prisonniers ayant fini de purger leur peine. Contraint, enfin, de se voir vieillir, se voir changer, être responsabilisé sans que nous ayons le temps de dire stop…  


 Ce qui me peinais le plus avec cette sensation, cette vérité terrifiante et pétrifiante, c’est que cela s’appliquer, à nous aussi. Nous avions beau être différents, être des révoltés, des anarchistes, des émotifs, des artistes, des gamins, des jeunes adultes, des pervertis, des rejetés, des gentils, des affreux, même si nous avions aucune caractéristique que la société, le groupe demande, même si nous ne rentrions pas non plus dans le moule, nous aussi, nous avions cette date d’expiration, cette date de péremption. Nous aussi, nous allions devoir subir ces lois, ces règles que cette autorité que nous pouvions contester, que nous pouvions renverser, que nous pouvions bloquer…

 Et je dois l’avouer, je dois l’admettre, les grains de sable de ce sablier qui représenté le temps qui me restait, semblait s’écouler bien trop vite. Même si j’étais encore dans la fleur de l’âge, même si je n’étais pas encore majeure, j’avais déjà l’impression qu’il me manquait, qu’il me manquait des jours, des mois, des années à passer avec lui. J’avais l’impression que mon cycle de vie ne me laissait pas assez de temps pour faire, pour réaliser tous les projets que j’avais en tête avec cette personne auquel je tenais par-dessus tout. Même si, nous réussissions à nous voir de manière régulière. Même si nous passions des journées et des nuits à refaire le monde, dans les bras l’un de l’autre, à échanger des baisers et des confidences, il me restait toujours sur le ventre cette sensation inébranlable que ces moments que nous vivions, étaient déjà révolue, faisait déjà parti du passé, d’un des grains de sable tombé…

 Je ne serais jamais rassasiée de ce temps où je pouvais tous oublier, tous rejeter dans cette pièce sombre au fond de mon esprit et seulement goûter au goût sucrée et doucereux de cette forme grisante de bonheur…

 Alors qu’une sensation de fraîcheur m’envahit, un frisson me parcourut l’échine. Et, toujours plongées dans notre mutisme, nous nous laissions glisser l’un contre l’autre, ma tête sur son épaule, continuant à regarder inlassablement le mouvement de feuilles au gré du vent…

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