Chapitre 6

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François Martin avait la faconde et la jovialité de beaucoup de Québécois, le tutoiement facile et une moustache aux pointes relevées qui ravissait les dames.

À peine descendu du train, il ouvrit les bras vers Rose, tout en lançant avec cet accent inimitable qui nous enchante, nous Français, qui avons presque oublié qu’il fut le nôtre :

— Viens çà, ma blonde, que je te donne un bec !

Le week-end était clément et, une fois son bagage posé à l’auberge, Rose eut tout le loisir de faire découvrir le village à son hôte : pour leur première visite, la rue Le Sidaner, puis la ruelle Saint-Amand les menèrent à la célèbre maison bleue ; puis ils franchirent la Tour-Porte pour monter à la Collégiale. Ensuite la bucolique rue du Château les ramena au faubourg Saint-Jean. De là, ils regagnèrent le village par la rue du Logis du Roy.

Les nombreux arbres de la cité arboraient les uns leurs chatons encore, les autres leurs toutes premières feuilles déjà, d’un vert pâle qui enchantait la vue. À chaque coin de rue, à chaque nouvelle perspective qu’il découvrait, François Martin s’exclamait avec son accent chantant :

— C’est vraiment un amour de village que t’as là, t’sais !

Rose-Adélaïde était aux anges en guide improvisé. La soirée promettait d’être belle ! Et demain, elle emmènerait François visiter les jardins Le Sidaner, la promenade du Jeu de Tamis et flâner sur les remparts.

C’est un menu tout régional que Serge avait concocté ce soir-là : anguille fumée et rillettes de kipper, puis profiteroles aux coques, suivies d’un lapin au cidre avant les inévitables fromages de Maroilles, Rollot et Bray picard, le tout couronné d’une tarte fine aux pommes et au caramel de lait. Que les deux convives arrosèrent de cidre brut pour l’une, de bière locale pour l’autre.

Autant dire que vers vingt-deux heures, tous deux étaient « ben aises », comme on dit en patois d’ici et de là-bas. La salle s’était vidée. Les derniers clients venaient de partir. On se couche tôt dans ce pays. Au bar, ne restait plus qu’un quarteron d’habitués. Ce soir-là, Rose et François étaient les seuls pensionnaires. Ils allèrent s’asseoir devant la cheminée. Serge vint alors leur offrir un petit verre d’eau-de-vie de cidre pour la digestion. Qu’ils ne refusèrent pas.

Un quart d’heure plus tard, quatre hommes dans la force de l’âge emportaient, en les tenant sous les aisselles et par les pieds, Rose et François, profondément endormis. Ils les déposèrent chacun dans leur chambre sur le lit, puis dévêtirent leur proie.

L’hallali était proche.

À présent Rose gisait nue, sur la courtepointe damassée de la couche, dans la posture de L’origine du monde, le sulfureux tableau de Gustave Courbet. Cheveux épars, ouverte, offerte.

Froment, puis Alphonse. Les deux premiers conjurés se succédèrent dans la chambre, s’éclipsant l’un après l’autre par l’escalier de secours, sans demander leur reste, leur affaire faite. Quatre-et-trois-font-sept, le sacristain, était le troisième. Le tirage au sort en avait décidé ainsi.

Lorsqu’il pénétra à son tour dans la chambre, le lit était un peu en désordre, mais Rose dormait toujours. Firmin demeura d’abord un long moment ébahi, devant le spectacle qui s’offrait à lui avant de se débraguetter. C’est alors que Rose remua dans son sommeil et balbutia quelques syllabes incompréhensibles.

Déjà subjugué par la vision de cette jeune beauté étendue face à lui, ce mouvement inespéré acheva de couper les moyens du bedeau. Une peur panique s’empara soudain de lui et Delvieux, qui poireautait assis sur un coffre bas dans le couloir, le vit ressortir hagard, tentant de se reboutonner et criant :

— Elle se réveille. Foutons le camp !

— Putain ! C’est bien ma veine !

Le brocanteur passa la tête par le chambranle ; Rose dormait à nouveau paisiblement. Alors, plissant ses petits yeux de serpent, il empoigna Quatre-et trois-font-sept par le col de sa veste, le fixa et lui dit d’une voix sans réplique :

— Non. Il faut finir le travail. Sinon, on est bons comme la romaine. Aide-moi à transporter l’autre ici et après, tu peux décamper.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2012.

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