Samedi

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J’avais une fois de plus lutté contre l’insomnie, mais je n’en avais rien à foutre car on était samedi. Je me levai vers dix heures et me posai devant la télé pour le petit-déjeuner.

Comme d’habitude, je bouffais un bol de céréales, puis trois autres.

Le débat politique télévisé du jour portait sur le mariage pour tous. N’assumant pas sa conception fondamentalement patriarcale des choses, un député UMP faisait diversion en essayant de justifier ses idées passéistes en ayant recours à l’anthropologie, comme pour essayer de situer le débat sur un secteur plus noble que ses petites idées à lui. Il était manifeste qu’il ne connaissait rien à la science de Lucy et n’y avait recours que parce que c’était la consigne de son parti.

Je décidai d’arrêter là avec la télé.

Je me posai sur le canapé avec ma tablette. Je tombai sur un fil Facebook absolument terrifiant, avec au moins une faute à chaque mot, déroulant des propos à l’emporte-pièce, suintant le racisme à tous les étages, opposant des sionistes invétérés à des antisémites bas du front, bref, c’était un concentré de ce que la connerie humaine pouvait produire de pire. Il était impressionnant de voir comment Internet avait pu devenir, en quelques années, la caisse de résonance de la bêtise néo-fasciste. Facebook était notamment secoué par un tonnerre d’insultes, d’idées éculées et de références fumeuses aux idéologies de merde du siècle dernier. Très franchement, vu le niveau de notre intellect et de notre économie, je me fis la réflexion que nous étions devenus un pays en voie de sous-développement totalement déconfit.

L’actualité scientifique était déjà plus enthousiasmante. Les brutasses de SpaceX avaient pour la énième fois ramené sur Terre une fusée la nuit dernière, et ce coup-ci, ils l’avaient fait depuis une orbite géostationnaire. La fusée avait sévèrement chauffé lors de sa rentrée dans l’atmosphère, comme prévu, puis s’était une nouvelle fois posé de la plus belle des manières. Arianespace qui, quelques mois auparavant, continuait d’expliquer à qui voulait bien l’entendre qu’une telle rentrée atmosphérique était impossible, en était désormais rendue à des discours, disons, plus économiques.

Un flux RSS m’informa que Boston Dynamics venait de mettre en ligne une nouvelle vidéo d’un de leurs robots, un humanoïde qui faisait son footing dans les bois avant d’aller transporter des caisses dans un entrepôt puis de monter des escaliers à toute vitesse avant de s’essayer à la marche sur une étendue glacée, tout ça sans jamais échouer. Je n’arrivais pas à me décider si ce que j’étais en train de regarder était bluffant ou terrifiant – probablement les deux en même temps. La vidéo enchaînait avec le robot en train de se faire molester par un ingénieur armé d’un bâton. L’androïde, manifestement programmé pour ne pas répliquer, se contentait de parer les coups, puis finit à terre à la suite d’un coup de pied bien placé. Au moment où je pensais que la vidéo allait couper, Atlas – le nom du robot –, parvint à se relever. Je me souviens très nettement que, à ce moment-là, je me suis mis à flipper. Les ingénieurs de Boston Dynamics expliquaient leurs dernières percées par l’implémentation dans leurs codes des techniques dites de deep learning qui permettaient à leurs robots d’apprendre par eux-mêmes sans que leur soient données des procédures dont ils ne sauraient se débarrasser. Atlas avait manifestement appris à ouvrir des portes, des fenêtres et même des boîtes de cassoulet à la suite de ses propres essais. J’étais terrassé par la stupéfaction, et je me disais que, très bientôt, cela finirait très mal pour le mec avec le bâton.

En procédant ainsi, Boston Dynamics se posait des questions que nous avions oubliées tant notre cerveau les résout naturellement, facilement et inconsciemment, mais ces questions, malgré leur apparente naïveté, étaient en réalité les questions les plus importantes qui puissent être posées. Car en se demandant comment se relever, comment se sortir d’une situation complexe qui ne peut être anticipée, cela revenait pour le robot à se demander comment se sortir des enchevêtrements algorithmiques liés aux enchaînements logiques pour, ultimement, devenir autonome et accéder à un nouveau statut philosophique. En regardant le travail de Boston Dynamics, je me demandais très sérieusement si nous étions en train de travailler à notre sauvetage ou à notre anéantissement. Un peu sonné, j’essayais de mettre mentalement en perspective cette actualité technologique avec les avancées de ma société, et il n’y avait pas franchement de motifs de fierté : SpaceX réalisait des prouesses que tout le monde jugeaient impossibles il y a encore quelques années, Boston Dynamics approchait tranquillement de la Singularité, tandis que nous, nous nous posions juste des questions ridicules sur le cartouche de nos documents qualité.

Je décidai d’en rester là et de me détendre avec une bonne série télé. J’étais actuellement en train de regarder la deuxième saison de The Leftovers, série pilotée par Damon Lindelof, auteur qui m’avait toujours déconcerté : d’un côté, il m’avait toujours semblé qu’on ne pouvait qu’admirer le type talentueux qui, avec J. J. Abrams et Carlton Cuse, nous avait offert Lost. Mais, d’un autre côté, il m’était tout aussi difficile de ne pas maudire le crétin congénital qui nous avait fait subir ce même Lost. Car Lindelof nous avait montré qu'il était un scénariste complètement inégal, capable du meilleur comme du pire – généralement d’une semaine sur l’autre. C’était un type capable d’écrire le script totalement ridicule de Prometheus, mais aussi capable d’écrire le script absolument parfait de The Constant. Damon Lindelof pouvait être insupportablement hautain dans une interview et absolument passionnant deux questions plus loin. Son travail n’avait absolument aucun sens, il était complètement incohérent, bref, il était clair que je l’appréciais énormément. Et, en ce qui concernait cette fameuse deuxième saison de The Leftovers, j’étais tout simplement terrassé par la puissance de la bande-originale et complètement abasourdi par la beauté de Nora Durst.

Il allait bientôt être midi et je me disais qu’il était probablement temps de prendre un peu l’air et d’aller faire un peu de sport. Je préparai mon sac et enfourchai mon vélo, direction la piscine. Il ne pleuvait pas, c’était toujours ça, il y avait même un semblant de soleil, mais c’était un soleil d’hiver, c’est-à-dire un soleil de merde, un de ces soleils qui ne chauffent pas mais qui défoncent les yeux.

Je venais d’avoir trente et quelques années, et je m’étais récemment rendu compte que la moindre petite randonnée m’épuisait, et qu’il fallait donc vraiment que je me remette en selle. Je m’étais donc remis à prendre les escaliers, en me disant que c’était tout de même infiniment triste d’en être réduit à cette pathétique extrémité. Je faisais clairement partie de ce peuple occidental sur le déclin, totalement sédentarisé et à la merci de BFM TV. J’en étais réduit à aller nager mille cinq cents mètres tous les samedis après le petit-déjeuner. C’était nul, mais c’était toujours mieux que rien. Je me souvenais que, quand j’étais gosse, j’adorais jouer dans la piscine, et je ne comprenais pas les « grands » qui nageaient comme des cons entre deux câbles, qui faisaient des allers-retours en continue au lieu de jouer. Je me souviens parfaitement que je trouvais ça aussi nul qu’incompréhensible. Et voilà que j’étais là, trente ans après, devenu moi-même un de ces connards qui faisaient des allers-retours entre deux câbles. J’avais honte. J’avais honte, parce qu’en faisant ça, j’avais l’impression que je trahissais l’enfant que j’avais été tout en contrariant l’adulte que j’étais devenu.

De retour chez moi, je reçus un SMS d’un pote qui me proposait une soirée en proche banlieue de Paris. La tentation était grande de faire le mort, tant je savais pertinemment que ce type de soirée revenait invariablement à subir les défaillances et les approximations des transports parisiens, tout ça pour claquer cent boules à coups de pintes de bière immonde à dix euros dans un bar blindé diffusant trop fort de la musique de merde avant de rentrer dans un noctilien plein de vomi vers cinq heures du matin, alors que je pouvais très bien rester chez moi pour une bonne soirée pizza. Je savais très bien tout ça. Mais je savais aussi que ça faisait un moment que je n’étais pas sorti, et je savais tout aussi bien que ce n’était pas en restant chez moi comme un grizzly que j’avancerais dans la vie. Alors, convaincu de faire une énorme connerie, je dis oui.

J’avais perdu mon passe Navigo et était donc contraint de m’acheter un ticket. Les automates étaient pris d’assaut. Il y avait bien un guichet SNCF de libre, mais c’était un de ces fameux guichets inutiles, un de ceux qui donnent des informations mais qui ne vendent rien. J’étais pressé mais coincé derrière trois Indiens qui ne comprenaient rien à l’automate ni à mes tentatives d’explications ; je ratai donc mon train et dus me résoudre à prendre le suivant.

Il fallut ensuite lutter avec ces connards de parisiens indisciplinés dans l’escalator et subir tous ces enculés qui fumaient sur les quais. Une fois dans la rame qui puait la pisse et où il n’y avait pas moyen de s’asseoir, je donnais un euro à un clochard qui se trouvait être le sosie de Stéphane Le Foll. Je me fis ensuite contrôler par un agent RATP qui était, lui, le sosie d’Alain Finkielkraut. C’était étrange, mais enfin, c’était ainsi. Suite aux attentats, les agents du STIF étaient désormais habilités à faire des fouilles ; c’était une corde de plus à leur arc d’incompétence et d’incapacité.

Mon train n’était évidemment pas direct, je dus donc faire une « escale » dans une gare dans le froid et la nuit et, comme pour parachever une espèce de triomphe du confort et de l’ergonomie, les seuls bancs existants avaient été installés en dehors des abris et étaient donc sous la pluie. Dans le RER suivant, j’étais installé à côté d’un gosse qui chialait et d’un autre qui hurlait. Un troisième mangeait en foutant de la compote absolument partout, c’était tout bonnement terrifiant et, pendant ce temps-là, le train n’en finissait évidemment pas de ne pas arriver.

Une fois au bar avec les potes, c’était tellement blindé qu’on nous installa près des urinoirs ; je payais trente-six euros pour trois mojitos, ça sentait la pisse et la pastille de chiotte, bref, je n’étais pas spécialement content de la tournure des événements. Puis, par un enchaînement de circonstances improbables, on se retrouva dans une soirée plus ou moins « alternative », il y avait des jeunes, des vieux, des enfants et des bébés, la bière était mauvaise mais à un euro, et en fait elle n’était pas vraiment plus mauvaise qu’ailleurs, tout ça était étrange ; je dus même reconnaître que c’était plutôt bien, en fait. J’étais évidemment très vite bourré, encastré dans un canapé, à discuter de tout et de rien avec des gens bizarres mais plutôt bienveillants et cultivés. On nous proposa de rester dormir dans le squat, j’hésitai, puis finalement rentrai.

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