Béryl

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Les Russes et les Américains n’avaient et n’ont toujours pas d’égal en matière d’armes nucléaires. Ils n’ont pas d’égal non plus lorsqu’il s’agit de faire une connerie avec toute cette surpuissante artillerie. Mais les Français ne sont pas totalement en reste lorsqu’il s’agit de faire une boulette.

Ainsi de l’accident nucléaire de Béryl.

C’était en mai 1962, dans une Algérie alors encore française, lorsque la France commençait tout juste à jouer avec le feu, et que nous opérions encore dans le Sahara – la Polynésie viendrait plus tard, avec le lagon de Moruroa.

Le premier essai nucléaire français, joliment appelé Gerboise bleue, n’avait eu lieu que deux ans plus tôt, en février 1960. C’était à Reggane, en Algérie déjà. Mon grand-père y était – il travaillait pour le SEA. Il avait assisté à la conversion en lumière de la matière, il avait vu ce que soixante-dix kilotonnes d’énergie – cinq fois Hiroshima – pouvaient faire dans le Sahara.

Gerboise bleue et les trois essais suivants avaient eu lieu à l’air libre mais, même à cette époque-là où les normes et la raison avaient encore beaucoup de chemin à faire, on commençait à se dire qu’il fallait peut-être mieux se calmer avec les essais nucléaires. Comprendre : arrêter les essais dans l’air. Mais en aucun cas arrêter les essais. Tout de même pas. Nous n’en étions pas encore là. Et l’étape logique suivante était de continuer à faire fissionner la matière, mais de le faire sous terre.

On avait donc creusé un tunnel dans une montagne située à In Ecker. Les ingénieurs avaient fait des calculs et imaginé un couloir en colimaçon, de lourdes portes en acier et un énorme bloc de béton. On imaginait que cela suffirait à contenir le démon.

Une onde de choc surpuissante et de la lave allaient se former, mais la galerie devait contenir le jet de plasma et s’effondrer pour tout colmater. L’essai nucléaire devait rester confiné. On avait même invité du « gratin » pour regarder.

On s’était trompé.

Quelqu’un s’était planté quelque part dans la démonstration ou la construction.

Lors de l’explosion, le couloir en colimaçon ne s’était pas effondré comme espéré, et le feu nucléaire était venu se jeter contre le bouchon en béton. Celui-ci fut pulvérisé et la porte scellant la galerie fut projetée.

Le démon était sorti de la boîte.

Les spectateurs – parmi lesquels Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche – en eurent pour leur argent : la montagne fut secouée par une onde de choc surpuissante, puis une gigantesque flamme de chalumeau jaillit de la paroi, à l’horizontale, pile en direction du comité. Je crois qu’il est difficile d’imaginer l’état de terreur et de stupéfaction dans lequel ont dû être plongés les organisateurs et les spectateurs face à ce chalumeau nucléaire tout droit sorti d’un film d’horreur.

L’essentiel de la lave radioactive fut stoppée dès la sortie de la galerie et réside encore sur la montagne aujourd’hui, vaguement recouverte de béton de « décontamination » et autres éboulis. Mais la radioactivité ne s’était pas arrêtée là. Des aérosols extrêmement contaminants furent envoyés dans l’atmosphère, sous la forme d’un nuage ocre et noir qui ne fit pas de détail parmi le personnel. Les ministres furent passés au balai brosse sans ménagement. Gaston Palewski mourut d’une leucémie en 1984, à l’âge de quatre-vingt-trois ans, vingt-deux ans après avoir aperçu la queue du dragon. D’après son collègue Messmer, Palewski était persuadé que le mal qui le rongeait était une conséquence directe de la contamination. Messmer mourut également d’un cancer à quatre-vingt-onze ans – comme beaucoup d’autres gens. Impossible de relier ce cancer là au chalumeau de Béryl. Ni même, dans l’absolu, celui de Palewski.

Une trentaine d’autres spectateurs reçurent des doses comprises entre cent et six-cents millisieverts. Les Touaregs des environs furent très probablement contaminés également.

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