Goiânia

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Préparez-vous à être horrifié.

Tchernobyl fut un drame total, absolu, mais Goiânia n’est pas en reste. L’ampleur de la catastrophe n’est pas la même, mais les petits détails comptent et ne manquent ici pas de « piquant ». Dans cette histoire, qui est évidemment vraie, une sphère radioactive à usage thérapeutique, pas plus grosse qu’une orange, va tuer quatre personnes, en contaminer deux-cents quarante-neuf autres et nécessiter l’examen médical de plus de cent trente mille patients. Une adorable petite fille va mourir dans d’atroces souffrances, abandonnée par ses médecins, et sera enterrée dans un cercueil en fibres de verre tissées de plomb contre l’avis de la population. Les habitations des victimes seront nettoyées à l’hydroxyde de sodium et les sols seront passés à l’acide. Les urines des victimes seront traitées avec de la résine généralement utilisée dans les échangeurs d’ions. Tout ça pour vous donner une petite idée de ce qu’il s’est passé à Goiânia au Brésil, en 1987, lors d’un accident nucléaire classé au cinquième rang sur l’échelle de l’INES – juste derrière Fukushima.

En 1987 donc, l’institut privé de radiothérapie de Goiânia avait déménagé dans de nouveaux locaux depuis deux ans, laissant derrière lui un bâtiment et des équipements abandonnés. Parmi ces équipements, il y en avait un qui était équipé d’une source de quatre-vingt-treize grammes de chlorure de césium 137 hautement radioactif (activité de cinquante virgule neuf térabecquerels au moment de l’accident). Cette source était de la forme d’une sphère d’environ cinq centimètres de diamètre qui, via une ouverture circulaire, pouvait émettre un rayon extrêmement concentré de radiations gamma utilisées en radiothérapie. Cette source n’aurait de toute évidence jamais dû être laissée dans le bâtiment abandonné, mais un imbroglio juridique en avait semble-t-il décidé autrement. Le bâtiment était tout de même surveillé par un garde, mais ce qui devait arriver arriva : le 13 septembre, profitant de l’absence du garde, deux voleurs de métal pénétrèrent le bâtiment et firent une razzia. Roberto dos Santos Alves et Wagner Mota Pereira tombèrent sur l’équipement radioactif, le démontèrent et le ramenèrent chez Alves, pensant pouvoir le revendre. Ils s’attelèrent à le démonter pendant la soirée. Ils étudièrent la sphère, observèrent son ouverture. Ils se mirent rapidement à vomir, mais continuèrent leur travail. Le lendemain, Pereira fut pris de vertiges et d’un épisode de diarrhée sévère. Une brûlure apparut sur sa main, une brûlure de la forme et de la taille de l’ouverture de la sphère. Il alla à l’hôpital, où il dut être amputé de plusieurs doigts. Avec une ferveur qui ne peut que nous rendre perplexe, Pereira, amputé de ses doigts, continua à travailler au démantèlement de l’équipement. Le 15 septembre, ne se sentant pas bien, il consulta une clinique, qui diagnostiqua une intoxication alimentaire et recommanda le repos. Bien sûr, il continua de travailler sur le démantèlement. Il parvint enfin à décrocher la sphère de l’équipement mécanisé. Pereira, sévèrement irradié, retourna à l’hôpital. Son bras fut amputé. Il avait absorbé six sieverts, mais personne ne le savait encore.

Alves, nullement troublé par les déboires de son ami, continua. Il joua avec la sphère. Il colla son œil sur l’ouverture et s’émerveilla de la lumière bleutée qui en jaillissait. Fasciné, il essaya d’ouvrir la sphère avec un tournevis. Le 16 septembre, il parvint à faire un petit trou et recueillit un peu de poudre, qui continuait d’émettre cette étrange et belle lumière bleue – probablement due à l’effet Tcherenkov. Alves, dans ce qui peut nous sembler avec le confort du recul être un geste totalement halluciné, essaya même d’y mettre le feu. Il finit par revendre le matériel le 18 septembre au dépôt d’un certain Ferreira qui, comme ses « illustres » prédécesseurs, fut fasciné par la sphère et ses magnifiques rayons bleutés. Comme de bien entendu, Ferreira ramena la merveille à son domicile pour la montrer à sa femme et à ses amis. Pendant trois longues journées, tout le monde joua avec la sphère, la soupesa, s’enthousiasma. Pendant ce temps-là, les rayons gammas, eux, s’en donnèrent à cœur joie. On buvait du rhum pendant que le césium 137 se désintégrait à toute vitesse. Les joules se déposaient dans les tissus des invités. On continuait à danser. Les cellules mourraient. On chantait. Les sieverts défilaient. Le 21 septembre, un ami de Ferreira parvint à extraire un peu de substance bleue. Pour s’enfoncer toujours un peu plus dans l’horreur, on s’échangea en toute insouciance ce qui ressemblait à des petits grains de riz bleuté. Gabriela, la femme de Ferreira, tomba malade le soir même.

Le 24 septembre, Ivo, le frère de Ferreira, récupéra encore un peu plus de matière. Il ramena la poudre chez lui, en étala un peu sur le sol de sa maison en béton. Sa fille Leide fut comme les autres fascinée par cette si jolie poudre bleutée. Elle joua avec, s’en couvrit le corps en riant à gorge déployée, se pavana devant sa mère, émerveillée, alors que son ADN était en train de se déliter. Elle se fit les ongles en bleu avec son nouveau jouet. Elle mangea un sandwich, assise sur le sol mortellement irradiant. Elle absorba un peu de sa poudre magique, toujours aussi enjouée.

Le 28 septembre, Gabriela, malade, consciente que le mal semblait frapper tout le monde autour d’elle, et commençant à faire le lien avec la sphère, récupéra quelques pièces de l’équipement démantelé et les apporta à l’hôpital. Le lendemain, un médecin découvrit que le matériel était très sévèrement irradiant. Les autorités compétentes furent saisies dans la journée. L’information fut lâchée au niveau local, national et international. Cent trente mille personnes se présentèrent dans les hôpitaux et furent examinées ; deux-cents quarante-neuf avaient été irradiées.

Le petite Leide fut hospitalisée. Paniqué, le personnel refusa de la traiter et même de s’en approcher. Ils l’abandonnèrent dans une chambre isolée. Le haut de son corps gonfla. Elle perdit ses cheveux. Ses reins et ses poumons furent frappés de dysfonctionnements. Leide mourut le 23 octobre dans d’atroces souffrances d’une hémorragie interne et de septicémie. La population, effrayée à l’idée que son corps puisse contaminer le sol et les irradier, s’opposa à son enterrement. Deux mille personnes protestèrent et tentèrent même de bloquer l’accès au cimetière. La pauvre Leide fut néanmoins enterrée, dans un cercueil de fibres de verre tissées de plomb.

Gabriela fut frappée d’hémorragies internes et de pertes de cheveux, puis de confusion mentale, d’insuffisance rénale et de diarrhée avant de mourir le même jour que Leide d’une infection généralisée.

Admilson Alves de Souza, un employé de Ferreira âgé de dix-huit ans et qui avait également travaillé au démantèlement de la sphère, mourut le 18 octobre de lésions pulmonaires et cardiaques.

Israel Baptista dos Santos, un autre employé de Ferreira, âgé de vingt-deux ans, développa des problèmes respiratoires et des complications lymphatiques. Il mourut le 27 octobre après six jours d’hospitalisation.

Ferreira survécut jusqu’en 1994. Dépressif, il mourut d’une cirrhose, très probablement aggravée par l’irradiation.

Comme à Tchernobyl, les autorités procédèrent à la « liquidation » de l’accident de Goiânia en nettoyant les lieux contaminés. Les maisons des victimes furent aspirées pour en récupérer toutes les poussières, les tuyauteries furent nettoyées, les murs furent raclés et traités à l’acide. Les toits furent aspirés, raclés et bâchés. De l’alun dissous dans de l’acide chlorhydrique fut utilisé pour son affinité avec le césium pour nettoyer les surfaces. Divers solvants organiques, également à base d’alun, furent utilisés sur les tables et les parquets. Les sols synthétiques et les appareils électroménagers furent traités à l’hydroxyde de sodium. Les personnes contaminées furent soignées au bleu de Prusse, qui agit comme un chélateur pouvant freiner le passage du césium dans le sang au niveau de la barrière intestinale, et leurs urines furent collectées puis retraitées à la résine d’échangeurs d’ions afin de les compacter et de les stocker pour éviter toute contamination supplémentaire. Ainsi fut soldé l’accident de Goiânia, terriblement méconnu mais pourtant d’une extrême gravité.

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