Aujourd'hui, Maman est morte

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Aujourd'hui, Maman est morte. Je n'arrive plus à quitter mon lit. Pourtant, il ne m'offre plus aucun confort.

Sa chaleur d'antan avait maintenant le froid givrant d'un hiver rude, et les carresses dont m'avaient baigné les couvertures avaient laissé place à une rudesse immonde. Par la fenêtre en face de moi, les rais du soleil s'engouffraient et étalaient des nappes dorées partout sur les murs, sur le sol, sur ma face grisée par des vagues de chagrin. Rien ne pouvait plus éclairer les tunnels sombres qui pullulaient maintenant dans les tréfonds de mon être, même pas le soleil éclatant. Cette infestation impitoyable de l'âme, il n'y avait rien pour la soudre.

Aujourd'hui, Maman est morte. Je me redresse légèrement, je retombe dans un bruit sourd. Je n'ai plus d'énergie.

Sur le rideau las de mes paupières s'était agraffée son image, pour ne plus jamais me quitter. Un monstre dans mes souvenirs, une tâche noire à jamais présente dans mon inconscient, et ce tressaillement qui s'arracha à moi au contact de son épiderme froid parcourait toujours mon corps de long en large. Je rentrais d'un voyage, titubant de fatigue, ne désirant qu'un repas chaud et un sommeil profond. Rien, en cette journée bien très ordinaire, ne laissait présager que ma vie, en un espan, allait se chambouler comme jamais auparavant. Le jour s'étalait lentement en un rideau de nacre sur la ville, mais aux nues étaient encore éparpillées des formes aux couleurs mêlées, qui montaient et descendaient et couraient dans tous les sens. Sifflotant, j'avais tourné la clé dans sa serrure comme je l'ai toujours fait, un sourire béat au visage, les yeux presque éteints, la tête bourdonnant. Ce qui se dessina derrière l'embrasure m'horrifia. Mes jambes n'ayant manifestement plus aucune force pour me soutenir, je tombai les genoux à terre, la vue brouillée par le flot de larmes lourdes qui venait imbiber mes yeux.

Aujourd'hui, Maman est morte. J'ai soif, aux yeux. N'est-ce pas étrange ? Tout l'est, maintenant.

Au seuil de la porte, son corps gisait sans forme. Ses bras étaient levés au dessus de sa tête, ses jambes arquées, son visage figé. Mais ses yeux, ses yeux semblaient exprimer l'effarement de sa personne. Ses yeux arrêtaient le temps, donnaient à ma mère à tout jamais l'expression de la fin de ses jours, était-ce donc cela qu'elle pensait en mourant ? Où j'allais, les yeux me suivaient, j'eus l'impression. La vérité était que, pour une bonne dizaine de minutes qui me sembla interminable, je n'arrivais réellement plus à bouger. Alors, la tête enfouie entre mes genoux, je pleurais mon sort, sentant les larmes couler avec force sur mes joues, n'ayant aucune parcelle de courage en moi pour l'approcher, la toucher, l'embrasser. Les morts m'avaient toujours rabrouillé.

Aujourd'hui, Maman est morte. Je regarde la porte d'un oeil discret. Fermée à double tour, elle me protège de tout, même du cadavre gisant au rez-de-chaussée.

Je ne pus la toucher, ni la regarder directement dans les yeux, et, en me levant, je m'efforçai à faire le tour de son corps en tournant la tête. Pourtant, un remugle fort émanait maintenant de toute la maison. Je ne me trouvais point le courage de la toucher, ou la bouger, voir encore moins de l'embrasser, comme je mourais de le faire, et de la prendre dans mes bras. Alors je la laissai là, sur le sol, étalée de son long sur la dalle froide, crispée. Morte, elle l'était, mais au moins était-elle toujours avec moi.

Des odeurs fort désagréables franchissent le seuil de ma porte et me rappellent qu'aujourd'hui, Maman est morte.

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