Sophie et l’histoire de Gertrude la souris

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La seule chose qui inquiétait Sophie à cet instant était de prendre froid, à cause de l’ombre produite par le plafond d’arbres immenses et touffus qui recouvraient la forêt. Cela faisait maintenant quelques heures qu’elle marchait dans ce bois, et il semblait qu’elle ne pouvait pas en sortir aussi facilement qu’elle y était entrée.

Sophie n’avait pas réellement peur d’être perdue, c’était presque le contraire, en fait. Elle avait une inconscience du danger qui lui faisait toujours voir le bon côté des évènements qui lui tombaient dessus. Certes, elle n’avait pas d’ami imaginaire joueur de baseball, mais elle avait toujours Philibert, son lapin en peluche et plus fidèle chevalier qui l’avait accompagnée à travers bien des dangers.

Sophie avait neuf ans, et quand elle vit, à travers les arbres sombres qui l’encerclaient, la forme reconnaissable d’une petite maison, elle s’y dirigea avec la curiosité d’une reine qui s’aperçoit que quelqu’un a élu domicile à son insu dans la forêt autour de son royaume.

La porte grinça sur ses gonds, lorsqu’elle la poussa, et ferma les yeux en souriant de bonheur en sentant la chaleur qui se dégageait de l’intérieur. Malgré la pénombre des bois, déjà à l’extérieur, son regard mit quelque temps à d’habituer à l’intérieur. Mais Sophie n’hésita pas et entra, en refermant bien derrière elle.

« Ah il fait bon ici ! déclara-t-elle alors à la pièce, vide en apparence.

— Qui est là ? fit alors une voix grinçante qui aurait terrifiée n’importe quel enfant, excepté Sophie.

— Je m’appelle Sophie, bonjour. Désolé de m’inviter, mais il faisait froid dehors un peu, et je commençais à avoir faim, et…

— Ah ! De la visite ! Bien, bien… cela fait si longtemps… »

Une forme rabougrie, presque la caricature d’un personnage commun dans un conte, apparut alors. Elle progressait à petit pas, courbée et précautionneuse. C’était une très vieille dame ; la peau de son visage, quand la lueur des chandelles commencèrent à éclairer la pièce, apparut à Sophie comme une feuille de vieux papier froissé ; ses mains semblaient être devenues celles de squelette antique, et son nez était si crochu qu’elle devait sûrement pouvoir en toucher le bout avec sa langue.

« Vous avez le téléphone ? Je crois que mes parents se sont perdus dans la forêt, je ne les retrouve plus…

— Ah… oui ! La forêt perd de nombreuses personnes, oui, oui… Je n’ai pas le téléphone ici, non… mais j’ai de la tisane. Tu veux de la tisane ?

— Volontiers, merci, dit Sophie en s’installant sans gêne sur une chaise à côté d’elle, les jambes croisées et Philibert installé dans son giron. »

Ses yeux captèrent le poêle qui réchauffait la masure, et elle s’en approcha en faisant sauter la chaise.

La vieille femme tourna le dos à Sophie un instant, puis vint près du poêle pour mettre de l’eau à chauffer.

« Je m’appelle Drosea, dit-elle alors en regardant l’enfant. Cela fait longtemps que je n’ai pas eu de visite, ni quelqu’un à qui parler. Je crois que je ne sais même plus en quelle année on est ! »

Elle partit d’un rire qui se termina en raclement bizarre de sa gorge. Sophie ne savait pas si elle devait s’inquiéter pour la santé de la vieille dame.

« On est en 2021. Vous vivez ici depuis longtemps ?

— Oh ! Tu n’étais pas encore née ! Je me souviens que le seigneur Valdis vivait encore au château avec ses enfants et Dame Atreïa. Et avant ça j’étais encore ailleurs…

— Ah oui, vous êtes très vieille ! »

Drosea rit à nouveau, et Sophie se laissa aller à sourire, pensant qu’elle avait là une histoire à raconter. Elle adorait les histoires, surtout quand elles parlaient de châteaux et de batailles.

« Je ne savais pas qu’il y avait un château ici, avant.

— Oh c’était il y a très longtemps… »

Sophie se réinstalla sur sa chaise et attendit, mais Drosea, qui tira la théière du poêle, ne continua pas son histoire.

« Tu m’as l’air d’une petite fille qui aime les histoire, non ? » dit-elle alors, si perspicace que Sophie ouvrit une bouche toute ronde et écarquilla les yeux.

Puis elle hocha frénétiquement la tête. Ses longs cheveux blonds s’agitèrent, et elle remua Philibert de manière à ce que lui aussi il acquiesce avec vigueur.

« Moi aussi j’aime beaucoup ça, dit Drosea. J’aimerais bien que ce soit toi qui me raconte une histoire, cette fois. »

Ne relevant pas l’étrangeté de la formule, Sophie leva les yeux au plafond et, faisant sortir sa langue, dans un air d’intense réflexion, elle prit un temps avant de trouver. Elle leva alors un doigt vif pointé vers le ciel et sourit de toutes ses dents.

« Je sais ! »

Drosea se laissa péniblement choir dans un fauteuil face à Sophie, et rempli deux tasse du fumant breuvage.

« Alors, commença solennellement Sophie, il était une fois... »

***

« Il était une fois une petite souris grise qui s’appelait Gertrude. Depuis qu’elle avait quitté la maison de ses parents, Gertrude parcourait le monde sans arrêt, explorant, cartographiant chaque endroit ; elle voulait tout connaître et tout voir ! C’était dans une grande forêt, tout comme celle là dehors, que je l’ai rencontrée. Elle marchait avec son baluchon, dis… discrète… non…

— Distraite ?

— Oui c’est ça, distraite. Du coup elle faisait pas attention, et paf ! On s’est rentré dedans. Gertrude, c’était pas une souris geignarde et fragile, non, du coup elle était en colère. Et moi j’ai pas compris ! Alors je lui ai demandé : “qu’est-ce qui te met dans cet état, petite souris ?”. Elle est alors montée sur mon épaule et a regardé les arbres autour de nous, et a dit : “je cherche… mon univers !” Oui, parce qu’en fait, Gertrude elle était venue d’un autre monde, et elle était coincé dans le nôtre depuis des années ! Quand elle était jeune, sur son monde, elle était partie à la recherche de réponse sur l’origine des chose, et elle avait trouvé la grande dalle gravée sur laquelle étaient écrits tous les secrets ! Mais la dalle parlait d’un être, un dieu souris qui avait créé son monde, puis était parti pour un autre… Alors Gertrude avait suivi sa trace et avait trouvé les autres dalles de pierre qui, une fois leur savoir mis en commun, expliquait comment rejoindre cet autre monde.

» Et cet autre monde, c’était le nôtre. Du coup Gertrude avait tout ce temps erré sur Terre à la recherche du dieu-souris qui avait créé son monde natal. Mais la Terre était peuplée par des êtres immenses et méchants : les humains. Comment le dieu-souris il avait pu choisir ce monde pour destination ? C’était à ne rien comprendre. Elle m’a alors demandé mon aide, et vu que j’aime les bêtes… pas les idiots hein, les animaux. Eh ben j’ai accepté de l’aider, et nous voilà parti à la recherche du dieu-souris.

» Gertrude elle avait des indices et pouvait compter sur l’aide des autre souris pour l’aider, alors on est allé rencontrer les grandes cités souricières (des fois je pouvais pas rentrer, j’étais trop grande), et les rois et reines des pays de souris. Et peu à peu j’ai réalisé qu’en fait, notre monde, ben il est dirigé par les souris, en fait ! Personne le sait, et même dans leurs royaumes y a que les plus grands chefs qui savent. Gertrude a toujours été reçue comme quelqu’un de très important, partout où nous allions, et elle me présentait comme son amie, j’étais très contente, et avec le temps on s’en mise à discuter, manger ensemble, raconter des blagues et on s’est sauvée la vie plusieurs fois.

» Puis, un jour, notre périple nous a emmené dans les royaumes polaires des souris de glace, là-bas en Antar… Antartique. Les souris de glace étaient un peuple différent, à l’écart et un peu méchant, mais pas trop quand même. Ils gardaient plein de secrets, et a un moment Gertrude a dû combattre leur champion, parce qu’il lui avait fait un croche-patte. Je suis pas intervenu, j’avais pas le droit, l’honneur est très important chez les souris. Bien sûr, Gertrude a gagné ; tous ses voyages et ses rencontres lui avaient appris énormément de choses, et le combat n’était pas juste des coups échangé, mais ça se passait aussi là-dedans »

Sophie tapota sa tempe avec son index.

« Et Gertrude, elle était très intelligente. Elle savait ce qui arrivait. “Écoutez-moi ! elle a dit au roi et à la reine de l’Antartique, il y a des hommes qui vont venir ici, pour vous détruire et conquérir l’Antartique !”. Bien sûr, les souris de glace ne voulurent pas l’écouter. Alors, quand les hommes sont arrivés avec leurs engins mécaniques et leurs armes, ils se sont tous retourné vers Gertrude. “Dites-moi où est le dieu-souris ! Lui seul peut nous sauver!”, elle a dit. Alors la reine a répondu : “il est parti vers le pôle, il y a dix jours, mais il ne peut plus rien pour nous”.

» Inquiète, j’ai demandé à Gertrude ce qu’elle avait voulu dire, alors que nous allions vers le pôle sud, mais elle était aussi inquiète et ne voulait pas parler. Alors, au bout de quelques heures de marche dans la neige et le froid, on est arrivé au pôle sud. Et il était là, le dieu-souris. Il nous a regardé arrivé : il était très beau, pour une souris, il devait faire trois fois la taille de Gertrude, et même moi je me sentais petite à côté de lui. “Je vous attendais”, il a dit. Et il parlait sans accent. Les souris d’habitude elles ont cet accent bizarre, elles roulent les R et ont dirait souvent qu’elles crient alors que non, en fait. Mais le dieu-souris il avait pas d’accent, il parlait avec une voix grave et gentille. »

Sophie se racla la gorge et prit une grosse voix.

« “Je suis Looma, le créateur des souris. Vous me cherchez depuis si longtemps, maintenant. Mais pourquoi donc ? Quelle aide puis-je vous apporter ?

— Looma, dieu des souris, je viens de… Sourisia, le monde que vous avez quitté, il y a si longtemps. Je veux savoir d’où nous venons, et pourquoi vous nous avez abandonné ?

— Je ne vous ai pas abandonné, Gertrude de Sourisia. Je crée et je pars créer d’autres mondes, ainsi est mon existence. Mais ce monde-ci est perdu, je le crains…”

» Looma a alors levé les yeux vers moi et m’a regardé avec ses petits yeux noirs. “Tu es une humaine, et tu es amie avec une souris ? Tous les humains ne sont pas comme toi, hélas. Ce monde est peuplé par les hommes, et par d’autres dieux. Je l’ai compris trop tard, et maintenant les souris de ce monde son condamnées… Les royaumes s’effondreront, et le savoir disparaîtra… j’ai fait une terrible erreur. Sourisia a été le plus beau monde que j’ai créé, avec l’aide des Grands Architectes Souris. La terre, les mers, les cieux et les montagnes... Gertrude, maintenant que tu m’as rencontré, tu vas pouvoir retourner d’où tu viens, et raconter aux tiens ce que tu as vu. Tu trouvera les Grands Architectes Soucis, et ils sauront. J’ai voulu faire pareil, en ce lieu, mais les dieux des hommes sont comme eux ; violents et jaloux. Ils ne partageront jamais leur monde, et se déchireront même entre eux. Merci, jeune humaine, d’être le signe de la différence, la preuve qu’un espoir persiste.”

» Alors, Gertrude et moi on a pleuré, et Looma s’est serré contre nous. Puis il a tracé un signe dans l’air et a ouvert un passage vers Sourisia. Je voulais accompagner Gertrude, voir avec elle ce monde d’où elle venait, la beauté et la paix qu’il recelait ! Mais Gertrude m’a arrêté : “Non, elle a dit, ce n’est pas ton monde. Tu as des gens qui tienne à toi ici, et tu apportera plus de bien là d’où tu viens, que là où tu irais. Et puis tu es trop grande, de toute façon”. Et effectivement, à travers l’ouverture je pouvais voir un peu de Sourisia et les routes était toutes petites, et les villes aussi. J’aurais sûrement tout écrasé. Alors Looma a refermé le passage, et on est retourné tous les deux au royaume des souris de glace.

» Les humains avaient tout détruit, Looma était très triste, parce qu’il avait créé ces souris et ces royaumes, et que c’était un peu à cause de lui qu’il y avait eu tant de souffrances. Voilà pourquoi il n’était pas parti. Avec le temps, les souris du monde sont devenue des animaux comme les autres, et Looma est resté à mes côtés, cessant de parler et de bouger. Mais il est toujours dans ma chambre, et un jour je l’amènerai à Sourisia, pour retrouver Gertrude.

» Voilà ! C’est tout !

La vieille Drosea reposa sa tasse et applaudit Sophie, qui avait changé de position et balançait ses pieds sous la chaise.

« C’était une bien belle histoire, dit-elle, merci Sophie. Peut-être voudrais-tu rentrer chez toi maintenant ? Tes parents doivent s’inquiéter… »

Sophie écarquilla alors les yeux.

« Han ! Il y a Héros et vagabonds à la télé à six heures ! Il faut que je rentre ! »

Drosea sourit et se leva, en même temps que Sophie.

« Tiens, prends cette clé et garde-là sur toi. Tu ne te perdras pas et trouvera la sortie rapidement. Allez, file !

— Oh… merci ! dit Sophie en prenant la vieille clé bizarre. C’était très agréable, merci pour la tisane !

— De rien, petite. La prochaine fois, ce sera à mon tour de raconter une histoire.

— D’accord ! Salut ! »

Sophie quitta la maison en courant, tenant Philibert par la main, et trouva rapidement l’orée de la forêt et le parking, où ses parents éplorés discutaient déjà avec la police.

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