Le Jeu Vidéo

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Ils le regardaient tous, et lui, sentant sa sueur lui couler le long du dos, ne savait que faire.

- Et bien, levez-vous. Qu'on en finisse.

Il n'était pas du genre à contredire l'Architecture quand elle ordonnait quelque chose. Le Jeu Vidéo se leva, n'osant pas croiser son regard avec ceux des autres Arts. Il était, il le savait bien, le dernier sur lequel tous allaient pouvoir se défouler, alors ils n'allaient pas le rater.

Il monta sur l'estrade, et pendant un long moment, les regarda seulement. Tous avaient une tête de chien enragé. L'Architecture lui fit signe de commencer.

Raclement de gorge, dégagement de son sweat pour s'aérer, et...

- Messieurs ! Mesdames ! Je vous entends depuis le début de cette réunion crier sur des arts jeunes comme moi, et nous insulter d'art d'argent...

Personne ne lui coupa la parole, et ce fut pour lui comme un miracle. Soufflant une dernière fois, il reprit :

- Depuis que je suis admis à cette table, c'est à dire depuis que les humains ont jugés que le Jeu Vidéo était un art, je vois encore et toujours la même chose. Je vois l'Architecture tenir les fondations avec faiblesse, la Sculpture jalouser la beauté que le Dessin a su créer, le Dessin critiquer la Musique pour le calme méditatif qu'elle a su ôter, la Musique en vouloir à la Littérature de refaire taire les gens, la Littérature au Théâtre pour user des mots de sa création pour batifoler, le Théâtre reprocher au Cinéma de tricher, le Cinéma reprocher aux Médias de lui reprocher des choses, eux s'amuser à qualifier la Bande Dessinnée de vulgaire bâtarde du Dessin et de la Littérature, et tous me dire que je n'existe que pour l'argent. Tous ces arguments sont vrais, au même titre qu'ils sont faux. Oui, Architecture, ton nombre d'or t'a été piqué, car s'il te sublimait, pourquoi ne pouvait-il sublimer les autres ? Oui Sculpture, tes formes ont été volées, car devenues base de toute beauté. Oui Dessin, tes couleurs t'ont été prises, car ta manière de colorier notre monde nous est devenue indispensable. Oui Musique, on te pique tes chants, mais ils égaient plus le coeur quand ils sont chantés par tous. Oui Littérature, nous t'avons pris ta beauté fantasque, car tu seras à jamais cette mère universelle nous racontant des histoires au coin du feu. Oui Théâtre, nous te piquons tes mimiques, mais comment les humains pourraient-ils cacher leur peine sans le jeu ? Oui Cinéma, ton divertissement hors-normes a été volé, car tu nous apprends à chaque film qu'un rêve peut avoir un soupçon de réalité. Oui les Médias, nous avons besoin de vous pour vivre, mais l'inverse n'est-il pas vrai aussi ? La Bande Dessinée n'est peut-être qu'un mélange de Dessin et de Littérature, mais n'est-ce pas là une preuve que le futur de l'Art est de s'associer plutôt que de se confronter ?

Comme libéré d'un exorcisme, il souffla en se tenant à la barre. Toujours le silence régnait, mais cette fois, sur les visages de son public, ne se lisait plus la colère, mais l'étonnement.

Et comme d'habitude, les Médias furent les seuls assez peu touchés pour oser répliquer :

- Tout ça est très joli mais... Et vous alors ? Vous assumez n'être qu'un art d'argent ?

Il hésita un instant, mais ce fut en lui désormais que bouillonnait la colère.

- Oui. Il est vrai que très vite, le but du Jeu Vidéo a été de faire de l'argent. Mais et vous, les Médias, vous devez aussi être rentable, non ? Le Cinéma, vous voulez faire des entrées ? Le Théâtre aussi ? Le livre, ça veut se vendre, la Musique idem. La peinture, ça veut se vendre très cher, la Sculpture pareil, et l'Architecture ne sert qu'à accueillir des structures à but lucratif. La vérité, c'est que tout l'art n'est que d'argent, et ce depuis bien longtemps. Tout ce que vous critiquez, ce sont des choses que vous avez créées, bien avant notre arrivée, mais vous préférez en accuser les jeunes, qui pourtant n'en sont que victimes. L'argent est tellement omniprésent en nous les Arts, qu'il devrait présider à la place de l'Architecture. Mais même sans être là, il est notre PDG, et c'est vous messieurs-dames qui l'avez invité. Nous, les jeunes Arts ne faisons que le subir.

Il tapa énergiquement contre la barre, éveillant même la curiosité de la Bande Dessinée. Qu'avait-il dit ? D'où lui était venu cette verve ? Il ne savait pas, et comme pour s'excuser dit :

- Bon bah voila... C'est ça que j'avais à dire...

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