Chapitre 59

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La foule est étrange. Des gens regardent la télé au travers d’une vitrine, celle de la seule et unique petite boutique de multimédia de Dryade. Mais il y a aussi la télévision des bars, et la radio diffusée dans le jardin de fleurs, devant la grande bibliothèque. L’ampleur est terrible, c’est ce que se dit le Docteur Willem quand il passe sur la rue commerçante.

La première chose qui découle de cette histoire incroyable, c’est de raconter maladroitement la vie du garçon en question à la télévision, comme l’émission favorite du dimanche après-midi. La majorité des informations données sont imprécises ou inexactes, elles font de Mercure quelqu’un d’exubérant et de bon vivant, qui profite d’un savoir de sage, qui pourrait résoudre des problèmes d’ordres mondiaux, ou on ne sait quoi d’autres… Les habitants de Dryades sont silencieux, mais leurs visages dépités contredisent chaque bêtise qui sort de la bouche des animateurs télé. Ce n’est qu’un gamin…

Le docteur Willem se doute que ces gens qui ont révélé l’existence de Mercure ne se sont pas basé uniquement sur les tweets pleins de rage de Dylan, ils ont dû retrouver des traces de sa personne dans des dossiers divers et variés, comme Agathe le fait dans son carnet. A la seule différence que la jeune femme constituait son propre musée, plein d’œuvres d’art timides et intimes.

Un vieux marin pose sa bière, sur le comptoir du bar à l’air libre. D’un coup sec. Son visage est dur, le regard sévère, il condamne la télévision.

« Ils mentent. » Un autre homme plus jeune, une quarantaine d’années peut-être, rejoint le vieux marin dans un excès de colère plus important.

« Bien sûr qu’ils mentent ! Ils ne le connaissent pas et ils veulent seulement faire le buzz en se servant de Mercure. Ce pauvre gamin, ils devraient le laisser tranquille ! »

L’air est très lourd, l’humidité le rend très désagréable. Une bruine agaçante vient même s’infiltrer dans le bar et sur la vitrine du Multimédia, en plus de l’orage déjà bien installé.

« Mes fleurs sont mortes ce matin. » Indique une femme avec son sac de course pendu à son épaule, elle passe juste derrière la rangée d’hommes appuyés sur le bar.

« Des hibiscus, elles avaient une magnifique couleur rose. C’est Mercure qui s’en est occupé l’année dernière.

— Ma femme avait des hortensias, Mercure les a fait tenir tous l’été, alors que quand il n’était pas là, elles fanaient immédiatement pendant les premières chaleurs du printemps. Ce n’est pas grand-chose, mais ma femme appréciait. » Explique un autre homme du bar qui se retourne. Le barman s’appuie sur la table de bois avec les autres, observant ses mains, son alliance, ses ongles.

« Pouvez-vous imaginer Dryade sans plus aucune de ses fleurs jaunes ? Ça deviendrait triste. »

Cette tristesse est partagée par tout le monde, pendant que les animateurs de la télévision continuent de raconter leurs joyeux mensonges.

C’est finalement une richesse dont les habitants de Dryade avaient besoin. Protéger et s’occuper des fleurs, Mercure adore ça. Alors ce qui compte ce n’est pas d’avoir un magnifique jardin fleuri, mais bien que le jardinier s’occupe des plantes d’autrui avec envie.

Le Docteur Willem continue tout en hochant la tête, plus personne n’écoute la télévision de toute façon.

Il aperçoit aussi plusieurs policiers qui restent près de leur véhicule sur le trottoir, ils sont devant la grande bibliothèque à attendre quelque chose et surveiller les entrées. Peut-être que l’institut médicale est en train de piller les ressources historiques pour trouver d’autres passages de Mercure. Un groupe scolaire d’une dizaine d’enfants de cinq ou six ans et deux instituteurs sont en train d’attendre devant une des portes latérales de la façade, la femme semble agacée au vue des mouvements répétés de son poignet pour regarder l’heure.

Le Docteur Willem n’est arrêté par personne, il continue donc son chemin sur une route moins passante. Ces quelques jours à se promener dans le village pendant l’été l’année dernière lui auront bien servi, il parvient à se repérer sans s’arrêter, ou très peu. La maison des Ford est située dans un petit quartier tranquille, mais aujourd’hui, même ici réside cette ambiance froide est morte.

Le chat des voisins se prélasse sur le palier de la porte, en dessous sur petit porche il évite la bruine. Il observe scrupuleusement le Docteur qui s’approche de la maison des Ford, le son du petit portillon ne lui plaît pas du tout. Bientôt, il se lèvera pour venir renifler les petits morceaux de peinture qui s’effritent et s’écrasent sur le trottoir.

L’allée qui mène à la porte principale dans le jardin frontal n’est pas immense, mais le Docteur croise plusieurs fleurs jaunes dispersées, et tout un tas de bourgeons sont en pleine croissance. La porte n’est pas fermée.

« Monsieur Ford ? » Personne ne lui répond. Le docteur se déplace dans la cuisine et jusque dans le couloir, mais toujours personne en vue. Il passe devant les trois chambres différentes, reconnaît celle d’Agathe avec ses dessins et cartes accrochés aux murs, celle de Monsieur Ford qui est parfaitement sobre et bien entretenue, puis celle de Mercure qui regorge de fleurs jaunes, autour de son nid de couvertures à même le sol. Les petits luminaires en forme d’étoiles sont éteints, c’est le gris qui règne.

Le Docteur Willem fait marche arrière, dans la salle de bain, personne. Dans la buanderie, personne. Dans le bureau de Monsieur Ford, personne. En revenant vers la cuisine, ce n’est que le chat des voisins que Johan croise. La petite bête renifle la porte d’un placard qui contient probablement des brioches ou des gâteaux alléchants. Il est rentré ici comme si ce n’était plus qu’un endroit désaffecté en proie aux petites bestioles des champs. Le Docteur s’accroupit pour caresser le chat, mais celui-ci ne se laisse pas faire. Il n’est ni en colère, ni agressif, Johan ne peut tout simplement pas le caresser parce que le chat l’évite à chaque fois en roulant le dos. Alors mieux vaut abandonner. De toute façon, le chat galope dans le couloir, comme s’il connaissait parfaitement la maison et qu’il avait sa place ici.

Il rentre dans la chambre de Mercure.

Le Docteur Willem n’a rien à attendre ici, visiblement Monsieur Ford n’est pas ici. Pourtant il reste planté là, les deux jambes bien ancrées dans le sol. Jusqu’à ce que le chat ressorte en gambadant, une fleur jaune dans la gueule.

***

Le chat ne fait pas une seule pause. Il marche à une allure modérée dans les rues, puis dans l’herbe sèche qui longe la falaise. Durant le trajet, il perd un pétale en route, alors il fait demi-tour pour aller la chercher, et repend son chemin. Le Docteur Willem le suit en prenant soin d’observer le trajet qu’ils parcourent, lui et le chat. Aucun tour en rond ou d’erreur de chemin. La petite bête prend garde à éviter les flaques d’eau et les nids de poule sur la route, il garde la tête bien haute pour ne pas risquer de mouiller la fleur jaune. Et depuis tout à l’heure, il plaque les oreilles en arrière, dérangé par la pluie.

Le Docteur Willem constate qu’ils sont en train de dépasser le port, et la partie réservée à Monsieur Ford.

Le chat rejoint un petit chemin de gravillons près des arbres, plusieurs bancs en bois sont parsemés face à la mer, on peut recevoir quelques gouttes de houle qui s’écrasent contre les rochers en bas, ou bien emporté par le vent. Au bout du sixième banc, le chat pose la fleur aux pieds de Monsieur Ford.

Le charpentier naval baisse les yeux sur le chat et la fleur qu’il vient de rapporter, un air triste et résigné sur le visage. Il a les doigts croisés entre eux, posés sur ses genoux.

« Monsieur Ford ! Oh, vous voilà. » Johan court les derniers mètres, et il est déjà essoufflé.

« Docteur… ?

— Vous devez venir avec moi ! Mercure et Dylan, ils ont prévu de se battre, et ils ne s’arrêteront pas tant que l’un d’eux sera mort !

— Oh... » Monsieur Ford hausse les épaules. La fleur qui est à ses pieds est en train de prendre l’eau.

« Je n’ai pas pu protéger ma fille, je n’ai pas su protéger Mercure, et je n’ai pas su protéger ma femme. Je ne vois pas ce que vous puissiez attendre de moi. Je ne suis pas assez courageux.

— Oh non, non… Rien ne s’est passé comme vous le dites. » Le Docteur Willem s’assoit sur le banc près de Monsieur Ford, cherchant les mots pour convaincre le charpentier. Il se frotte les mains et fait fuir son regard de droite à gauche, ne tient pas en place.

« Monsieur… Je crois que tout le monde serait vraiment triste si Mercure venait à mourir pour cette stupide histoire. Il faut qu’on aille l’aider.

— Très bien, mais après ? Mercure est recherché par tout le monde, il ne pourra pas s’échapper ou se cacher pendant cent ou deux cents ans. Je ne sais pas ce qui est le mieux pour lui… oui, pour lui, pas pour les autres. Pour lui. »

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