Chapitre 43

5 minutes de lecture

Impossible de se laver, c’est le plus gênant jusqu’à maintenant.

De la saleté, Agathe déteste ça et en particulier quand ça touche à son hygiène corporelle. Mais il ne faudrait pas utiliser le peu d’eau potable que Mercure a rapportée de l’épicerie. Le rouquin propose la solution la plus évidente, aller se laver dans l’eau de la mer, la Baie de Femir n’est qu’à quelques kilomètres, à pied ça n’est pas si long que ça. Agathe est réticente. Ça leur implique aussi de sortir de leur cachette mais inévitablement, ils devront s’en éloigner avant que la police ne vienne fouiller dans les parages. Agathe observe par la fenêtre de la cuisine, assise à la petite table avec Mercure, c’est l’endroit où ils passent leur temps depuis qu’ils sont arrivés. La seule pièce vivable hygiéniquement. Les occupations sont très peu variées, dessiner pour Agathe, lister les vivres, penser au temps qui passe. Assez lentement, honnêtement...

« On devrait aller fouiller dans les appartements d’en dessous. On

pourrait y trouver d’autres bouteilles d’eau, ou bien des gants de douche encore en état et utiliser un peu de notre eau. » Propose la jeune femme tout en griffonnant dans son carnet, dessiner ici est malgré tout très intéressant. C’est un environnement qu’elle connaît peu, il donne une nouvelle dimension à ses dessins. Le sale, l’usé, le temps, la dégradation.

« Non, je ne préfère pas.

— Si tu ne veux pas y aller, que ça te fait trop peur alors reste ici, et

j’irai seule.

— Agathe. » Cette façon autoritaire de refuser, ça ne lui ressemble

pas. La jeune femme essaie d’adopter un regard tendre à l’égard de son amoureux, de poser délicatement sa main sur son bras et de le caresser.

« Mercure, que s’est-il passé en bas? » Le rouquin baisse le regard, sur les lattes en bois déformés et usés, si ses yeux suivent les lignes et les rayures, ils finiront par tourner en rond, dans des spirales désagréables. Peut-être qu’avec le temps d’une inspiration en plus il pourrait lui raconter ce qui tourmente exactement sa mémoire, dans les moindres détails, mais avant qu’il n’ait l’opportunité de le faire, il entend un bruit de moteur depuis la fenêtre. Le mouvement de sa tête est immédiat, un battement de peur.

« Agathe, il faut partir. » Sa voix est rapide. Mercure prend à pleines mains les crayons d’Agathe pour les fourrer le plus vite possible dans son sac, il traînait par terre aux pieds de la chaise. Il y entasse également les bouteilles d’eau et les rations de survie. Un second moteur se joint au premier, ils circulent dans les rues de Femir lentement, quelques voix les chevauchent. Agathe se rapproche inconsciemment de la fenêtre pour voir quel est l’origine de cette visite, mais juste à temps, Mercure lui attrape la main, la retient vers l’intérieur de la cuisine.

« Non, ne prenons pas le risque d’être repéré aussi vite. S’ils sont là, c’est qu’ils ont trouvé notre voiture. » Mercure soulève le sac et le pose sur les épaules d’Agathe, il l’aide à l’enfiler et à correctement le resserrer. La jeune femme respire par le nez, les lèvres pressées l’une sur l’autre, elle est stressée.

Mercure prend le visage de sa précieuse entre ses mains, puis lui embrasse tendrement le front.

« De toute façon, je préférais qu’on ne s’attarde pas trop ici. »

Ensemble, et main dans la main, Agathe et Mercure abandonnent l’appartement dans lequel ils ont séjourné trente-sept Heures. Il n’y a pas spécialement de trace le leur passage, à part la cuisine un peu plus propre, mais dans quelques jours la poussière reprendra le contrôle. Si personne ne cherche ici, c’est comme si Agathe et Mercure n’étaient jamais venus.

Ils se précipitent dans l’escalier, scrutant leurs pieds dans les marches grinçantes. L’angle tourne en rond, jusqu’à ce que le rouquin stop son élan sur le palier du premier étage. Il observe le couloir qui s’étend sur cinq ou six mètres avant de tourner à gauche. Ici aussi tout est en bois usé. La lumière qui passe par la grande fenêtre illumine chaque imperfection, chaque impact et brutalité. Agathe serre davantage la main de Mercure.

« Tu ne pourras pas t’empêcher d’y retourner, Mercure, et si c’était la dernière fois ? » Ses yeux sont attirés ou même complètement hypnotisés par la porte Treize, celle qui se trouve sur le mur juste en face d’eux. Agathe lâche la main de Mercure, alors un tremblement le prend, une fois qu’il a décidé d’y aller. Un étrange sentiment de froid qui se repent à l’intérieur de sa poitrine, comme l’éclosion d’une fleur gelée et blessée. Il n’apprécie pas cette sensation.

Après le premier pas, il ressent le poids de son Walter G43 sur l’épaule gauche et qui pend le long de ses hanches. L’humidité de son uniforme sale lui colle à la peau. La crasse noire tache la peau de son visage et entrave ses taches de rousseur.

Ses doigts sur la poignée s’incurvent parfaitement, il faut la tourner vers la droite jusqu’au premier clic, puis tourner encore jusqu’à ce que la porte se déploie vers l’arrière. La mémoire de Mercure enjambe naturellement la légère bosse sur la première latte du parquet, le bas de la porte frotte dessus, à force, elle s’est creusée.

Agathe décide de suivre discrètement son amoureux, par respect elle reste un ou deux mètres derrière lui. Alors que celui-ci reste debout dans l’entre de cette pièce, elle se penche légèrement pour entrevoir l’intérieur.

Son cœur se soulève lorsqu’elle voit le squelette morcelé allongé sur le sol. Il est entier cependant.

Mercure se met à sourire, calmement, joliment.

« Ho Mercure, cela faisait si longtemps... » Valentin se met tousser

une matière grasse qui encombre sa gorge. Il se tient toujours la poitrine au cas ou toute la substance rouge s’échappe, elle coule lentement d’entre ses doigts crispés. Le soldat sourit pourtant lui aussi, son casque penche d’un côté, il semble lourd à supporter. L’arme qui traîne à côté de lui est la même que Mercure, un fusil qui n’a même pas perdu toutes ses balles. Le corps de Valentin est appuyé contre le mur, juste en dessous de la fenêtre, et ses jambes sont étendues sur le sol, cette position lui fait quelque peu mal au dos. Pourtant entre sa colonne vertébrale et le mur se trouve une couverture repliée sur elle-même deux fois, elle est complètement moisie et déchirée, c’est pourtant le maximum du confort, Valentin est heureux.

Le vent léger passe par la fenêtre, il remue le reste des voilages blancs et fait sonner les carillons accrochés sur le mur. Ce sont des petites sphères en verre avec une seule clochette à l’intérieur, desquelles pendent un papier long et doré, parfaitement intactes. Il y en a quatre au total.

« Quand ils se sont mis à sonner, je savais que c’était toi qui arrivais. Quand le soleil se pose dessus, ils brillent, et je pense à toi. Je serais triste s'il n’y avait plus aucun moyen pour moi de le voir.

— As-tu toujours mal? » S’inquiète le rouquin avec une voix douce. Valentin suit le regard de son ami, celui-ci le conduit jusqu’à sa main agrippée à sa poitrine. Il a du mal à respirer.

« Ho, ça ? Non, ça va beaucoup mieux. Tu sais, ce petit trou que j’ai

dans le cœur, il a libéré mon âme. Finalement, c’était un mal pour un bien. Tu ne devrais plus culpabiliser, après tout, ce n’était qu’un accident. C’est la plus tendre blessure que ce monde m’ait infligée, je suis content que cette balle ait été la tienne. Merci Mercure. »

Mercure garde le silence, il commence à pleurer.

Annotations

Vous aimez lire Laouenn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0