Chapitre 18

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Le premier bateau accoste trois semaines plus tard. Ce sont des villageois qui se sont fait reconduire par la mer, le départ était précipité, le retour plus organisé. Quant aux autres, ils sont revenus par l’entrée principale de Dryade.
 Le petit groupe les accueille gaiement, leur demandant comment se sont passées ces « espèces » de vacances empoisonnées. Mercure et Agathe se tiennent mains dans la main sous les yeux médusés des habitants. Les deux jeunes adultes étaient déjà bien assez proches pour qu’on imagine une relation amoureuse entre eux, mais on ne pensait pas qu’Agathe sauterait le pas, que Monsieur Ford laisserait sa fille entamer une relation avec un garçon aussi bizarre et problématique.
 En ce qui concerne Monsieur Ford, il a lui aussi droit à des commentaires de stupeur de la part de personnes un peu plus proches, de commerçants avec qui il traite régulièrement.
 « Tu es réellement revenu pour Mercure ? Comment avez-vous fait pour survivre à cette atroce chaleur et au manque de vivre ?
 — Nos réserves nous ont suffi. »
 Agathe observe tous ces gens qui se redirigent vers leurs habitats en traînant leurs affaires, comme s’ils n’étaient pas satisfaits d’être rentrés. Aucune salutation bienveillante, pas de bonjour amical, elle ne les reconnaît pas. En quelques années, ils ont tellement changé.
 « Vous êtes aveugles ou quoi ? » Hurle-t-elle au milieu de la foule qui diminue. Les hommes et femmes se retournent sur Agathe, ils connaissaient déjà son fort caractère mais une colère pareille est assez inédite. Les regards consultent discrètement Monsieur Ford, celui-ci n’a aucune réponse à leur apporter.
 « Et Mercure alors, vous ne lui dites pas bonjour ? Vous ne cherchez pas à savoir si lui aussi il va bien ? S’il a passé un bon été ? Tout seul ! Vous remarquerez que toutes vos plantes ont été entretenues, les potagers protégés, les jardins arrosés. C’est Mercure qui s’en est occupé. Il y a même eu un accident au port parce qu’il a voulu défendre le village ! Parce que vous avez fui. »
 Le jeune homme serre doucement la main d’Agathe dans la sienne, en regardant le sol, il essaie de se dissimuler de l’attention gênante et inhabituelle qu’on lui porte aujourd’hui.
 « Ce village est rempli d’étrangers, pas étonnant qu’il n’arrive pas à s’y intégrer. »
 Après avoir craché cette dernière phrase avec dégoût, Agathe se retire de la discussion communale. Si personne ne s’excuse, elle préfère s’en aller plutôt que de perdre son temps à rendre raison à tout un village. Mercure sait qu’il devrait se sentir en colère à la place d’Agathe, il est trop bienveillant pour ça. Alors il se retire lui aussi. Monsieur Ford pousse un soupire discret, il se désole de la situation.
 Un vent gris souffle sur les visages, plus personne ne parle, se contente de porter ses affaires et s’éloigner. La seule personne souriante se faufile parmi le regroupement, cherchant pressement quelqu’un, c’est le Docteur Willem qui a hâte de retrouver son ami écrivain.
 Une dizaine de personnes s’en vont, puis d’autres. La place se vide peu à peu, et le Docteur est toujours debout à chercher autour de lui. Sa gaieté disparaît, son ami n’est pas revenu.



***



Les jours suivants sont utilisés à relancer l’activité de Dryade. On aide Monsieur Ford à remettre à neuf son atelier et à réparer les charpentes abîmées. Un ami fabricant d’outillage lui propose même un prix intéressant pour le ré-équiper complètement.
 Il faut attendre encore une bonne semaine avant que tous les terrains agricoles ne soient opérationnels et prêts pour le prochain semi. En attendant, Dryade vit de ses réserves et d’importations alimentaires de communes voisines. Les dépenses sont toujours plus importantes à cette période de l’année.
 Agathe a décidé de ne pas y participer. Terrée dans sa chambre, elle est toujours en colère et refuse de parler à qui que ce soit d’autre que son père ou Mercure. Elle ne sort plus courir le matin alors que la météo s’y prête toujours, elle ne va plus se balader sur le port pour prendre l’aire, ne zigzague plus entre les allées de la bibliothèque. Son hygiène de vie en pâtit également, sa chambre est moins aérée, moins rangée, son lit n’est plus fait chaque matin, elle se permet même de grignoter entre tous les repas, des petits gâteaux laissant inlassablement des miettes dans ses draps.
 Monsieur Ford à la sensation de revivre la crise d’adolescence de sa fille, même si celle-ci n’était pas bien méchante. Quand elle n’est pas contente ou insatisfaite, Agathe s’isole.
 A cette période de l’année pourtant, la jeune fille est toute excitée à l’idée d’entamer une nouvelle année d’études, elle prépare ses nouveaux cahiers et précieux nouveaux crayons. Ses cours et devoirs sont toujours parfaitement organisés. Cette année, elle n’y pense même pas.
 Dans l’après-midi, alors qu’Agathe est allongée dans son lit sur le côté, un livre penché dans sa main droite et appuyé contre l’oreiller, une agréable chaleur vient se glisser dans son dos, ce qui provoque un large sourire. Impossible de lire à présent, des mains curieuses lui caresses les hanches.
 « Cesse de t’enfermer, je m’ennuie de toi. » Se plain une voix nichée dans la nuque de la jeune fille. Agathe abandonne son livre sans pour autant oublier d’insérer son marque-page préféré au chapitre en cours. A la prochaine session de lecture, elle devra recommencer son chapitre, elle le sait. Mais ce n’est rien comparé à l’embrassade que Mercure vient chercher.
 Elle se retourne pour l’avoir contre lui et profite du câlin. Le silence règne pendant que les deux adolescents se laissent baigner dans la lumière, les yeux fermés. Agathe a rapidement chaud et se met à transpirer, pourtant elle ignore ce désagrément.
 « Mercure, tu as déjà fait l’amour ?
 — Oui. Et toi ? » Agathe ne s’attendait pas à autant d’assurance, maintenant elle se sent un peu gênée quant à sa réponse.
 « Une seule fois. Mais je crois que je regrette un peu.
 — Pourquoi ?
 — Seulement pour la personne avec qui je l’ai fait. »
 Mercure ouvre les yeux et contemple le visage d’Agathe. Le soleil seretire très lentement de la chambre avec le temps, il marque la fin d’après-midi. Dans une ou deux heure environ, Monsieur Ford les appellera à table, afin de dîner avant qu’il ne fasse nuit, et que Mercure ne s’endorme. C’est le temps qu’il leur reste, aujourd'hui.
 Agathe caresse timidement le ventre du rouquin, sans jamais oser le regarder dans les yeux.
 « Tu as envie? » Murmure-t-il en rejoignant les mains d’Agathe. La jeune femme agite un peu sa tête, comme si elle cherchait la meilleure position, puis mordille ses lèvres malgré elle. Son bas-ventre est en ébullition alors elle remue aussi son bassin.
 « En journée, comme ça ?
 — La nuit me prive de ce plaisir. »
 Agathe relève les yeux, ils se sourient mutuellement.

À peine deux minutes plus tard, Agathe est en expédition vers la salle de bain. Elle a perdu son short et se balade maintenant en petite culotte dans le couloir. A la recherche de la boîte de préservatifs que son père lui a donné, son passage sera rapide, et personne ne la surprendra dans cette tenue.
 La dernière fois elle n’en avait pas eu besoin parce que ce n’était pas à la maison, mais dans l’appartement de son ancien copain. Elle n’avait rien eu à faire alors aujourd’hui récupérer cette fameuse boîte lui procure un certain malaise. Pourtant cette boîte est à elle, son père lui a donné après une longue discussion sur la contraception et la protection.
 Agathe fouille dans les tiroirs le plus discrètement possible. Un certain bazar est instauré entre les serviettes pliées, un vieux sèche-cheveux, les différents parfums de la jeune fille, des shampoings et gels douche neuf.
 En passant discrètement à côté pour rejoindre la buanderie, Monsieur Ford aimerait gentiment lui dire, « C’est le tiroir de droite, Agathe. »


Il se retient.

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