Chapitre 15

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Le Soleil a disparu, ça me fait tout drôle. Ça avait pourtant l’air évident et je suis persuadée que tant que Mercure n’ouvrira pas les yeux, il n’y aura pas le moindre rayon provenant du ciel. Il pourrait même se mettre à pleuvoir.

Ça fait une semaine que Papa et moi sommes rentrés mais aucun de nous deux n’est très souvent à la maison. Moi je reste à l’hôpital et j’attends que Mercure se réveille, de temps en temps je dessine, et Papa est à l’atelier pour essayer de réparer ses charpentes de bateaux qu’il avait entamé avant qu’on quitte le village. Je crois que pas grand-chose n’est récupérable, et ça lui fait mal au cœur. Il travaille toujours très dur, et là, il vient de perdre tous ses outils et l’intérieur de l’atelier est ravagé. J’aimerais aller l’aider à tout nettoyer, il ne veut pas que je vienne. Les bateaux amarrés au plus près du quai ont des voiles déchirées et brûlés, l’un d’eux est très endommagé je crois, et une partie du ponton est complètement tombé à l’eau. Je peux voir le port depuis la grande falaise, il ne ressemble plus vraiment à ce que je connaissais de lui.

Et puis il y a le Docteur Willem, il ne parle pas beaucoup et note toujours plein de choses dans la chambre d’hôpital. Je trouve même qu’il regarde Mercure un peu bizarrement.

J’en suis persuadée, tout ça va finir par s’arranger.


C’est ce qu’Agathe vient d’écrire, à l’encre noire et sans fantaisie. Elle a décidé de ne pas inscrire la date, que cette période déprimante ne puisse plus se situer dans sa vie, qu’elle se brouille dans les souvenirs et finisse par ne plus être assez perceptible, qu’elle ne puisse plus la raconter. Comme pour dès maintenant mettre tout cela derrière elle, Agathe a écrit alors qu’elle est encore en pyjama et dans son lit. Puis, elle referme brusquement son carnet et le laisse derrière elle. Maintenant, elle s’habille, ouvre ses rideaux, aère la pièce, comme une journée normale. Monsieur Ford doit déjà être partit dans son atelier à cette heure-là, il ne rentrera que pour manger ce midi. Agathe lui a promis qu’elle essaierait de faire à manger quelque chose d’un peu mieux que ces interminables conserves qui n’ont pas plus de goût les unes que les autres, elle se demande aussi pourquoi ils en avaient autant dans le garde mangée.
 Depuis quelques jours donc, Agathe à l’incroyable motivation pour essayer de planter des fruits et légumes dans son jardin, pour l’instant rien n’est très concluant, il faut dire que ce n’est pas la saison pour planter, et trop tard pour récolter quoi que ce soit. Alors elle se surprend à rêver de cueillir des tomates, des concombres, des haricots...
 La jeune femme s’observe dans le miroir qui est accroché sur la porte de sa penderie, comme chaque matin ce n’est qu’une petite inspection. Elle réfléchit également à la façon dont elle va s’habiller, en levant le nez pour s’imprégner de la météo, de la température.
 Pour commencer, Agathe attrape tous ses cheveux et entreprend de les attacher dans une négligée queue de cheval, avec les deux élastiques qu’elle porte toujours à chaque poignet, quand soudain...
Un rayon de soleil s’élève sur le miroir, juste à côté de son visage. La jeune femme écarquille les yeux, elle voudrait presque regarder ce rayon sans penser aux conséquences. Son sang ne fait qu’un tour, maintenant tant pi si elle est habillée correctement, si ses cheveux sont bien coiffés, Agathe attrape le premier short en jean qui lui vient et n’importe quel tee-shirt, le blanc simple fera l’affaire. Ses tennis de course qu’elle enfile sans mal et se précipite vers l’extérieur de la maison. Elle a tout oublié de fermer, ne serait-ce que la porte mais après tout qui y rentrerait ?
Agathe court dans les rues, en même temps que le soleil se lève doucement, la chaleur se réveille avec l’aurore et c’est la plus agréable qu’elle n’ait jamais senti. Alors qu’elle fait ce même chemin tous les jours, aujourd'hui lui parait incroyablement long, des ruelles et des avenues s’ajoutent comme par magie au trajet, puis encore, et encore, elle a le sentiment de sans cesse revenir sur ses pas. Pourtant il n’en est rien.
Quand la jeune femme arrive sur le domaine de la clinique, elle se précipite dans la vitre brisée et s’érafle la cuisse gauche au passage, une petite ouverture claire est visible sur son short maintenant. Personne n’a pensé à chercher les clefs et enfin ouvrir une porte digne de ce nom plutôt que de se contorsionner par cette fenêtre, il faut dire que tout le monde avait l’esprit ailleurs.
Les escaliers qu’elle entame deux par deux l’essoufflent quelque peu. Arrivée au deuxième étage, elle pourrait s’arrêter un instant, reprendre son souffle et constater qu’elle a bien couru, qu’elle est arrivée en moins de dix minutes, mais non. Agathe cours droit devant elle dans le couloir, jusqu’à la porte N°9. Elle est entrebâillée, le Docteur Willem doit être là. Le vieil homme n’est pas présent dans la pièce mais ses affaires sont posées sur le sol et son carnet de notes est ouvert sur la petite table en métal. Agathe avance avec prudence vers le lit où Mercure est toujours allongé et dans la même position que la veille, et le jour d’avant, et encore avant...
La jeune femme se penche doucement, le soleil se pose sur leur visage et la chaleur se repend doucement entre eux. Elle se retient sans savoir de quoi, son cœur est en train de tambouriner dans sa poitrine mais ce n’est pas qu’à cause de l’effort fournit pour arriver jusqu’ici. Au même moment le Docteur Willem entre dans la chambre lumineuse.
« Ho, bonjour Agathe. » Dommage pour lui, la jeune femme ne lui prête aucune attention, ses yeux sont rivés sur le visage de Mercure.

Un souffle un peu plus long s’échappe du garçon, suivit d’un coin de ses lèvres qui s’étire. Agathe attrape la main de son ami et la serre chaleureusement. Mercure ouvre paisiblement les yeux, comme après une très longue et réparatrice nuit.
« Bonjour Agathe. » Murmure-t-il, sa voix est presque inaudible. Un sourire immense s’élargit, et de petites larmes jaunes se forment dans les yeux de la jeune femme.
« Oh Mercure ! » Sans toucher les zones sensibles ni abîmer les fleurs, Agathe colle sa tête contre celle de Mercure, les cheveux du rouquin lui grattent un peu le nez à vrai dire mais ce n’est pas grave.
Le Docteur Willem se précipite à venir examiner le garçon, s’assurer que tout va bien, et pousser Agathe n’est pas une tâche facile actuellement. Il essaie de lui poser certaines questions simples, tente de recueillir les sensations de Mercure et même si celui-ci est encore perdu dans la brume, globalement, tout va bien.
« J’ai eu tellement peur, lui chuchote Agathe tout en glissant ses doigts dans les cheveux de Mercure, et si tu ne t’étais jamais réveillé ? Et si tu avais complètement brûlé dans l’atelier ?
— Il n’y aurait plus eu de soleil, tout simplement.
— C’est bien plus grave que tu ne le crois. »

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