Chapitre 10

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La fumée blanche envahit le rêve de Mercure, tant, que la somnolence s'efface brutalement et son regard est rivé sur l'extérieur. La fumée vient du port, un autre éclat retentit, comme une petite explosion, et une nouvelle vague blanche se propage. Il n'est censé n’y avoir rien ni personne à part Mercure et le Docteur Willem, et rien n'est une source de danger sur le port.
 « Qu'est-ce-que c'était ?
 — Je ne sais pas, on dirait que quelque chose éclate à répétition. »
 Le Docteur Willem tourne une page de son livre, n'étant pas plus inquiet que ça. Mercure en revanche ressent de l'angoisse, il est le seul ici à pouvoir utiliser son village comme il l'entend, il se donne aussi une grande responsabilité de celui-ci jusqu'à ce que les habitants reviennent.
 « Ce n'est pas normal , il faut aller voir. »
 D'un bon, Mercure se libère de la couverture et des confortables oreillers pour se diriger vers les escaliers, le bois craque à chaque fois sous ses pieds. Le docteur tente de se servir de la même énergie mais l'effet escompté n'est pas le même.
 « Attends-moi Mercure ! »
 La pluie s'est calmée à l'extérieur, ne reste que le vent et l'orage qui tonne au-dessus de la mer. Aucun d'eux ne prend l'initiative de fermer la grande porte de la bibliothèque, et ils s'empressent à grands pas sur le port de Dryade.
 La fumée vient des pontons en bois sur le chantier naval, Mercure aperçoit trois silhouettes mouvantes au travers du voile opaque. Un autre pétard éclate, suivi de rires idiots, et de la dégradation du bois.
 « Arrêtez ! » Crie Mercure en courant vers eux. Leurs visages se relèvent, on peut lire un peu de surprise, celle-ci est désagréable. Ce sentiment passe rapidement et ils décident purement d'ignorer Mercure en enclenchant un nouveau pétard. Le jeune homme se rapproche vivement et tape du pied dans le pétard pour le faire tomber à la mer. Soudain , les trois intrus deviennent colériques.
 « Eh, ça va pas ou quoi ?
 — Tu flingues notre jeu ! » L'un des idiots s'avance pour pousser Mercure vers l'arrière, à la manière d'un enfant mal élevé qui favorise la bagarre. Le jeune homme ne tombe pas et trouve cette interaction complètement puérile, l'expression de son visage en témoigne, il tente tout de même de leur faire comprendre que ce jeu est dangereux. Malheureusement pour lui, aucun des garçons ne daigne lui prêter la moindre attention. De loin, le Docteur Willem se sent désolé, il sait que lui non plus n'aurait pas grande autorité sur ces adolescents.
 « Tu nous saoules ! Il n'y a personne ici, qu'est-ce qui peut arriver de grave ? T'habites pas sur le port il me semble ? Alors tire-toi et laisse nous tout péter ! » Lui hurle celui qui porte une épaisse veste rouge.
 « Non! »
 Pour les trois garçons, Mercure devient quelqu’un ou même quelque chose de gênant à leur petit plaisir stupide. Ils décident sans se concerter de devenir plus agressifs, leurs regards viennent de changer, ils n’ont probablement pas l’habitude qu’on leur résiste, enfant de quartiers défavorisés et à qui nulle loi n’est effrayante quand on est plus effrayante que celle-ci, après tout.
 Le croisement de cette nouvelle attitude fait lever d’un bon la poitrine de Mercure, l’onde piquante se répand jusque dans ses joues, comme s’il faisait très froid d’un coup, l’air qu’il expire lui brûle la gorge.
 Sans attendre la prochaine inhalation, le plus grand des trois attrape la veste du jeune homme d’une poigne serrée pour le rapprocher, et soulève son second bras. Les réflexes de Mercure sont rapides, la première défense qui lui vient est de tenter par tous les moyens de griffer son assaillant, tout en se tirant vers l’arrière. Tout ceci est vulgaire, les garçons ont le sentiment de se mêler à une guerre de territoire contre un pauvre garçon qui en revanche, ne fait que protéger les traces de pas des villageois. Ce port est très important, Monsieur Ford serait très déçu s’il arrivait malheur à son atelier.
 « Mercure ! » Crie le médecin qui commence à se rendre compte de la dangerosité de ces adolescents en furie, il ne sait pourtant pas quoi faire pour venir en aide à Mercure qui reçoit le premier coup de poing au visage. Quelques goûtes de sang sont déjà en train de s’échapper du nez du jeune rouquin. Il arrache à son tour quelques particules de peau en plein sur la pommette de l’agresseur, se coincent sous ses ongles humides. Cette attaque cause une sorte de grognement au garçon, qui alerte ses camarades. Le plus blond des garçons vient s’attaquer aux jambes de Mercure, un méchant coup lui fait perdre l’équilibre, et le premier qui le tenait par le col le lance vers l’arrière. C’est dans les petites zones humides par terre que le rouquin s’effondre, le temps passe vite, le dernier garçon accourt et essaye de lui porter de nouvelles douleurs. Ils n’ont pas peur de se salir les mains, et en réalité ici, personne ne sait vraiment se battre, ce déferlement de haine n’engendre rien de gracieux ou de cohérent. L’ultime technique est de faire plus mal que l’autre
 Pour Mercure, ce n’est que de la défense.
 Le rouquin se relève précipitamment, manquant de glisser sur le bois humide, il pense à temps à attraper l’adversaire blond au vol et à le rediriger vers le bord du ponton. Un bruit lourd leur parvient comme une brique qui s’est écrasée sur du verglas quand le garçon est complètement frappé par la surface de l’eau.
 « Tu viens de le jeter à l’eau ! » S’exclame un des deux restants sur le quai. Cependant, absolument personne ne daigne le repêcher, le garçon tente de s’agripper au ponton bien trop haut pour lui, et le mur de béton du quai est trop glissant pour s’y hisser. On l’entend formuler quelques plaintes qui ressemblent à de honteux gémissements. Mercure est de nouveau, et sans fin, prit pour cible, engagé dans une bataille féroce contre le premier des attaquants, ses lacets sont défaits depuis tout à l’heure et pourtant pas moyen, il ne se prend jamais les pieds dedans.
 Le second, dont la veste est rouge vive, reste en retrait, tourne lentement la tête sur le côté en direction des différents barils qui sont disposés sur le quai. Un certain pictogramme jaune et discret attire son attention. Une idée monstrueusement folle lui passe par la tête. Son regard croise celui du docteur qui comprend immédiatement que les petits jeux stupides à base de pétards vont se transformer en une folie mortelle de trop.
 « Non, non, mon garçon ! » Le Docteur Willem décide enfin de se rapprocher, en évitant soigneusement le combat du quai, il se sent incroyablement vieux à cet instant, ce qui le désole fortement.
 Mercure se met à saigner abondamment de la lèvre, c’est un de ses cris qui alerte Monsieur Willem, le rouquin ne parvient pas un seul instant à prêter attention aux projets qui se déroulent près de l’atelier de Monsieur Ford.
 Le plus fou des trois c’est bien celui-ci, qui avec son pied pousse un des barils de pétrole. Le couvercle se déboîte sans contrainte en percutant le sol, et le liquide sombre et pâteux se déverse sur le bois, suivant les rainures en direction de l’atelier. Une partie tombe à l’eau, un petit courant embrume la surface d’abord, puis se réunit dans d’agressives tintes de couleurs mouvantes. Elles progressent à vive allure avec le vent qui fouette la surface autant que les visages.
 « Éloigne-toi de ça, c’est dangereux ! » Les tentatives du Docteur sont vaines, sa main qui se voulait amicale en direction du garçon aux yeux bleus et aux cheveux terriblement noirs, il la rejette avec une facilité déconcertante, se permettant même de pousser le Docteur sur le côté.
 « Dégage le vieux. » Crache-t-il en sortant un briquet de la poche de sa veste ample, son paquet de cigarettes s’échoue au sol au passage.
 « Oh, seigneur... » Bafouille Monsieur Willem en reculant à grands pas. Il craint une déflagration importante, ne connaissant rien de la composition de ce pétrole ni même des produits potentiellement inflammables que contient l’atelier de Monsieur Ford. L’humidité dans l’air ne pourra rien pour amoindrir le dégât. Le Docteur pense rapidement à se jeter dans l’eau si cet inconscient adolescent décidait réellement de mettre le feu au port, mais la couleur terrifiante de la mer pourrait l’en dissuader.
 « Mercure ! Éloigne-toi, vite ! » L’alerte atteint immédiatement le jeune rouquin qui relève la tête suite à un nouveau coup douloureux.

La petite flamme naissante reste imprimée sur la rétine de Mercure.

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