Rouge mon âme

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 Flammes dans l’œil, le soleil l’aveuglait. Ses iris se contractaient sous la douloureuse lumière, révélant des nuances cérulescentes. Peut-être était-ce une bonne chose ? Ainsi, la femme n’avait pas à affronter la réalité du tableau environnant.

 Figées contre son corps tendu, ses mains vierges se crispaient, incapables de créer l’ombre que ses yeux souhaitaient. Malgré le répit accordé par l’étoile, son rythme cardiaque accélérait, le sang pulsait dans ses oreilles. Au rythme des boums percutant ses tympans, elle laissait son imagination s’amuser à la torturer. Son esprit, mis à mal par les sombres pensées assaillantes, hurlait silencieusement. Elle n’était pas encore prête à voir ce que cachaient les rayons embrasés.

 D’éternelles questions la hantaient : Et si elle avait obéit à ses supérieurs ? Et si elle n’avait pas écouté son cœur guidé par la peur à ce moment-là ? Et si elle avait rejoint ses camarades au lieu de fuir ? Et si… Et si elle osait enfin regarder ? Elle devait bien cela à ses compagnons. Pourtant, tout son être restait immobile.

 Poings serrés, la femme leva la tête vers les cieux. La nitescence inonda son visage livide. La brûlure du jour contre son épiderme la rassurait quelque peu. Pourquoi n’avait-elle ni la force ni le mental que tous lui demandaient ? Sacrifice après sacrifice, elle avait avancé jusqu’à enfin pouvoir effleurer son but ultime. L’unique, capable de réparer son âme blessée il y a bien des années. Toute sa vie elle s’était entraînée pour ce moment. Finalement, elle avait tout quitté aux derniers instants. Les chaînes de son passé étaient bien trop solides pour être brisées.

 Toutes lueurs disparurent quand des nuages vinrent arracher ce sursis. C’est alors que la tête de la femme se baissa lentement, ses épaules s’affaissèrent, puis, portant sa main tremblante à sa bouche, elle tenta d’étouffer un cri d’effroi. On eu dit qu’une lame venait de la transpercer en pleine poitrine lorsqu’elle tomba à genoux.

 À présent miroirs rouges, ses iris reflétaient l’horreur que la lumière aveuglante avait absorbée jusqu’à maintenant. Aucune échappatoire n’était désormais possible, elle ne pouvait plus se dérober de la vérité. Une perle salée dessina un sillon le long de sa joue avant de s’échouer sur une terre de fantômes. Mains abattues contre l’humus, elle offrait au monde ses larmes.

 Incapable de capturer une âme égarée, la mort aimait rappeler que l’on ne pouvait pas la fuir. Vengeresse, la faucheuse avait cueilli des souffles destinés à la lumière. Le silence oppressant en témoignait : la vie n’était plus en ces lieux.

 La femme ne le réalisait que depuis peu mais ce n’était pas de simples compagnons d’armes qu’elle venait de perdre. Non, c’était une famille. Sa famille. Entourage dont il ne lui était plus possible d’accorder un nom sur les dépouilles méconnaissables. Où se cachaient les cheveux auburn de celle qui lui avait démontré le pouvoir d’un rire ? Que pouvaient bien voir les yeux toujours froncés de celui qui la protégeait à chaque coup dur ? Qu’en était-il de celui qui lui avait enseigné la beauté de la vie malgré sa propre réticence à l’admirer ?

 Sa présence au sein des rangs de ses compères aurait pu changer ce présent. Il aurait dû en être autrement. Si seulement elle avait suivi le groupement au lieu de tout abandonner lâchement…

 Un sentiment d’impuissance parcouru son échine avant de réveiller ses poings qui vinrent s’abattre une première fois contre le sol. La colère dicta les frappes suivantes. Les jointures de ses doigts s’écrasaient, ouvrant sa chair meurtrie par le déferlement de coups qu’elle s’infligeait. La poussière et la terre coagulaient avec le sang. Il lui fallait plus. Plus de douleur, plus de marques, plus de tout ce qu’elle aurait dû avoir. Son corps devait porter les cicatrices de ses faiblesses. Arracher l’illusion cruelle de ses mains immaculées devenait indispensable.

 Motivée par un maelström de souvenirs, elle mettait feu au mal qui la rongeait. Ses phalanges battaient toujours plus le sol, ignorant l’anesthésie provoquée par les nombreuses blessures qu’elle s’infligeait. Ses gestes désespérés engourdissaient petit à petit ses avant-bras. Une ultime plainte franchit ses lèvres avant de les sceller. Tout cela était trop dur à supporter.

 Sous le poids de ses sentiments, son corps vint s’écraser de tout son long contre la pelouse. À bout de force, elle éclata en sanglots. Son regard voilé observait les brindilles d’herbe caresser le soleil qui refaisait surface. Peut-être qu’ainsi elle oublierait les émanations métalliques qu’emportait le vent ?

 La femme se recroquevilla, ne voulant plus rien voir. La solitude, les remords, le désespoir et la haine la transformaient en un spectre. Lasse de ce combat, elle s’apprêtait à fuir une nouvelle fois.

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