Partie X

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Il sentit le brun remuer et son malaise s'intensifia. Il y ajoutait désormais un fort sentiment de culpabilité. Isidore était étrange, c’était la vérité, mais lui aussi. Il ne valait pas mieux — ni moins —, même s’il prétendait le contraire.

— Tu fous quoi ? questionna-t-il brusquement à Isidore, qui s'était levé et qui gigotait dans tous les sens.

— Je te rends tes beaux petits vêtements et je remets mes sapes de bouseux. Je pars, et c’est la fin de l'histoire. Comme ça t'auras plus à avoir affaire au chelou de service, tu seras content.

Eddy sentit nettement l'amertume dans la voix du brun, et sa culpabilité doubla.

— Arrête, fais pas ton chouineur. J'suis désolé, j'voulais pas t'vexer, marmonna le châtain.

— Non, c'est moi qui suis désolé. Je me sens plus que con. Tu peux pas comprendre, visiblement, affirma Isidore, la voix éraillée.

Plus coupable et paumé que jamais, Eddy se leva, cherchant l’aîné dans la chambre obscure en se fiant à son ouïe plus qu'aux éclairs ; qui s'espaçaient tellement qu'il lui aurait fallu plusieurs minutes pour repérer le garçon — s'il avait attendu d'en voir un pour agir.

— Déconnes pas, chuchota-t-il bêtement en s'approchant d'Isidore d'une façon qui portait à croire que le brun était une créature particulièrement dangereuse.

— Ah ! couina l'aîné, surpris, en sentant une des mains du châtain lui prendre le bras.

Edouard le relâcha immédiatement.

— Qu'est-ce que tu fiches ? demanda Isidore à Eddy, tout en lui jetant dessus le teeshirt que lui avait prêté son hôte, histoire qu'il le laisse tranquille.

— Bouge plus ! grogna Eddy, saisissant le brun — qui ne cessait de gesticuler — par ses deux bras, et le secouant.

— Fiche-moi la paix ! Sinon je hurle ! pouffa Isidore, vexé de ne pas parvenir à fuir l'emprise du plus jeune.

— Fais ça et j'balance ta tronche de connard par la fenêtre ! marmonna le châtain en libérant néanmoins Isidore.

Un ange passa.

— Faut savoir ce que tu veux à la fin... je pars ou pas ? Tu me détestes, ou il y a autre chose ? demanda finalement l'aîné après avoir pris quelques distances.

Eddy soupira, se sentant réellement stupide. Dans sa tête — tout comme au sein de sa chambre —, il avait la nette impression que tout s'emmêlait, que tout se nouait et se dénouait étrangement. Il chercha de nouveau à rejoindre son lit, plus perplexe que jamais. Pour sûr, la présence d'Isidore le perturbait bien plus qu'il n'aurait souhaité l'avouer. Eddy ne savait plus du tout où il en était. Peut-être qu'il y avait bien des choses qu'il avait reniées trop longtemps. Après tout, il devenait un adulte et l'heure était probablement venue où il devait impérativement faire face à ses démons. Ouais, mais : il en avait une trouille bleue, là aussi.

— Reste, murmura-t-il finalement, en ayant l'affreuse sensation de sceller son destin : assurément tragique, puisqu’il s’éloignait de la voie qu’il avait prévue de suivre pour rester un mec « normal sous tous rapports ».

La peur au ventre et son nœud à l'estomac plus gros que jamais, Eddy attendait le verdict d'Isidore ; encore une moquerie, sans doute.

— D’accord, chuchota simplement le brun, tout en venant s'installer tranquillement sur le coin de lit qu'il occupait auparavant.

Un silence s’instaura une nouvelle fois entre eux.

— On fait quoi du coup ? questionna-t-il ensuite, tandis que le châtain s'était encore paumé dans ses méditations.

— J’suis mort moi. Faut vraiment que j'pionce, gémit Eddy, s'allongeant paresseusement sur son lit.

— Tu veux bien me prêter un petit coin de lit alors ? Pas que ça m'emmerde de dormir par terre comme hier, mais c'est un peu le meilleur moyen de se retrouver avec un …membre en moins, dit Isidore en ricanant bêtement.

Son hôte soupira, encore. S'appliquant à détacher consciencieusement les draps et couvertures de son lit, il s'y glissa bien au chaud, puis répondit à son invité.

— Si tu veux, mais reste loin, dit-il. Très loin, grommela-t-il encore dans sa barbe.

— Je te remercie, gentil petit Edouard, murmura le brun de sa désormais — coutumière — intonation chantonnante.

Un grognement lui répondit, puis Eddy se retourna, pour se retrouver dos au loustic.

Tentant de faire abstraction de la présence perturbante du brun, le plus jeune se concentra uniquement sur sa respiration — qu'il tentait de réguler —, et à mesure qu'il y parvenait, ses pensées dérivèrent. Les yeux fermés, Eddy se sentait paisiblement partir vers le joyeux — ou pas — pays des rêves.

— Tu dors ?

Eddy soupira, tiré de sa torpeur.

— Ah, non, tu dors pas, répondit Isidore avec un petit rire.

— J’essaie, assura sévèrement le châtain.

Le brun ne commenta pas et le temps passa. Les minutes défilèrent et Eddy sentit de nouveau son esprit partir vers des terres plus ou moins inconnues.

— Et maintenant, tu dors ? redemanda Isidore.

Eddy ne réagit pas, se contentant de froncer les sourcils en désapprouvant la puérilité — pire encore que celle de son petit cousin — de son invité.

Il sentit alors le brun se rapprocher de lui. S'efforçant de ne pas paniquer, ne pas trembler ni contracter tous ses muscles, le plus jeune se concentra sur la régulation de sa respiration qui avait trop tendance à s'emballer. Se préparant mentalement au choc, Eddy ne sursauta même pas lorsqu'une main d'Isidore effleura son dos. Néanmoins paralysé par la sensation de la main de l'aîné sur lui, le châtain sentit une bouffée de colère l'envahir.

Alors comme ça, cette saleté de pouilleux voulait abuser de lui pendant son sommeil ! Cette crapule trouvait le moyen de s'incruster chez lui pour commettre ce genre de méfaits, venait l'air de rien s’incruster dans son lit — fait ô combien étrange — pour ça. Il n'allait pas tarder à voir de quel bois lui, Edouard, se chauffait. Il allait lui ratatiner la face à coups de poings dans sa vilaine tronche de vicieux.

— Hey, réveille-toi... murmura simplement Isidore en exerçant diverses pressions sur le dos du plus jeune.

Eddy soupira encore et se tourna vers le brun — restant à bonne distance —, voyant ses folles hypothèses partir en fumée.

— Quoi encore ? J'suis crevé moi ! Alors sauf si c'est pour balancer tout, laisse moi tranquille, ronchonna-t-il, épuisé.

— J’arrive pas à dormir. Tu veux bien qu'on parle ? Je peux te raconter les histoires des lamas célèbres depuis la nuit des temps ! Tu veux ? demanda le brun.

— Tu te fous vraiment de ma gueule ! Arrête tes conneries et sois raisonnable, pour une fois, grommela Eddy, interrompant son bâillement.

Il avait l’impression de s’exprimer comme ses parents.

— J’arrive franchement pas à fermer les yeux, dit sérieusement Isidore en se tournant vers son hôte.

— Mais je m'en cogne ! répliqua l'hôte en question, désespéré.

— Je me sens pas très bien.

— Ouais, bah moi non plus, râla Eddy.

— Tu veux en parler ? questionna Isidore.

Eddy ne répondit pas. Les lèvres pincées, il tentait de refouler ses sentiments quant à ce qu'il vivait. Si Isidore se sentait lui aussi mal dans cette situation, c'était bel et bien parce qu'elle n'avait rien de normal ; même pour un excentrique à la con comme lui. De plus, ça signifiait qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il faisait lui non plus. La situation était débile, tout était ridicule.

— Non, t’es pas normal comme truc, dit-il enfin, avec maladresse.

Le brun se contenta de remuer et Eddy sentit leur gêne commune s'entrechoquer. Assommé par sa rude journée, il tenta vainement de retenir un nouveau bâillement ; ce qui fit glousser son invité avant qu'il ne prenne la parole.

— Et bien, le truc, comme tu dis, il t’aime bien, et il aimerait savoir si ça te dérange par rapport à toi, ou par rapport aux autres ; parce que les autres tu peux choisir d'en avoir rien à faire et de ne rien dire, si toi, t’as envie… expliqua Isidore.

— Pas compris, marmonna Eddy, clignant bêtement des yeux.

— C’est pas grave. J'ai voulu faire simple et tu captes pas, alors différemment tu risques encore moins de comprendre, soupira Isidore.

— T’es relou, répliqua le châtain.

— Oui, je sais.

— Pour la peine je vais dormir, bougonna Eddy.

— C’est ça, fais ton gamin, petit Edouard, ricana l'aîné.

C’était ironique, dénué de la moindre joie.

Le silence s'installa de nouveau. Pas pour longtemps, cependant, puisque l'un comme l'autre ne cessaient de gigoter.

— Fait chaud. Vais ouvrir la fenêtre, j'crois qu'il pleut plus, déclara Eddy, mal à l'aise, en quittant son lit à tâtons ; faisant divers détours pour ne pas approcher le brun.

La fenêtre ouverte, il s'y accouda un instant, songeant aux phrases obscures de l'aîné.

Dehors, le temps se calmait peu à peu. L'orage s'éloignait et la pluie n'était plus que fines gouttelettes qui s'écrasaient presque sans un bruit sur le sol. Un vent incroyablement froid s'était levé, rafraîchissant Eddy bien plus qu'il ne l'aurait souhaité. Dehors, tout semblait désert, et il s'en trouvait étrangement rassuré. C'était la première fois que le sentiment de solitude — ou de quasi solitude — le réconfortait ; et mieux valait ignorer l'énergumène qui se vautrait dans son lit — gesticulant dans tous les sens depuis plusieurs minutes —, sans ça, il risquait de réfléchir un peu trop.

Tremblant de froid, Eddy s'apprêta à refermer la fenêtre. Il sursauta alors, sentant la présence — maléfique ? — d'Isidore derrière lui.

— Tu fais quoi ? demanda sévèrement le châtain en se tournant vers son invité.

— Je viens moi aussi me rafraîchir les idées, répondit simplement le brun, rejoignant Eddy.

— Pourquoi les idées ? le questionna son hôte, perplexe.

— Laisse tomber, murmura Isidore, désabusé.

— Arrête de te foutre de moi, pesta Eddy, frigorifié.

Au moins, le froid avait ça de bon : ça l'avait totalement réveillé. Ses yeux accoutumés à la pénombre environnante, il scrutait Isidore, lui lançant des regards assassins.

— Qu'en dis-tu ? lança finalement le brun.

— De quoi ? s’enquit le plus jeune, agacé de ne jamais rien comprendre à ce que son aîné racontait.

— Ben : ça, répondit simplement Isidore, en se pointant du doigt, geste difficilement perceptible dans le noir.

Eddy se contenta de fixer le garçon, ne sachant toujours pas ce qu'il avait en tête.

— D’accord... Tu peux pas être plus clair ? lui demanda-t-il en tapant du pied et en se frottant les bras à l'aide de ses mains.

Le brun éclata d'un tout petit rire qu'Eddy ne lui avait pas encore entendu — à son humble avis, ça n'augurait rien de bon.

— Quoi ? s’impatienta Eddy.

Isidore se tourna vers lui et l'attrapa par le bras avec douceur.

— Euh... fit le plus jeune, se laissant néanmoins attirer vers l'aîné.

Alors le brun l'embrassa, tout comme il l'avait précédemment fait dans le bois. Les yeux exorbités, Eddy laissa néanmoins faire, se refusant à toute pensée parasite.

— D’accord, t’as l’air chaud pour insister… déclara-t-il d'une voix lente, une fois le baiser échangé, observant Isidore dans les yeux.

— T’es d’accord pour ça ? murmura son invité en souriant.

— Euh... j’ai froid... prononça rapidement Eddy, mal à l'aise, avec une volonté certaine de détourner le sujet.

— Je vois. Coquin ! chuchota Isidore en riant, se collant tout contre son hôte.

— Non. J'veux juste fermer la fenêtre ! s’exclama Eddy, tendu, en reculant.

Le brun ferma ladite fenêtre sans un mot et revint se placer tout près du plus jeune.

— C’est mieux comme ça ? lui demanda-t-il.

Eddy se contenta d'hocher la tête, se sentant infiniment perdu, et fatigué.

— Qu'est-ce qui se passe ? T'as l'air paumé, dit le brun après quelques secondes d'immense gêne entre eux.

— Ouais... marmonna Eddy.

— C’est rien de mal, affirma doucement Isidore, en posant sa main sur le bras de son hôte.

Il tremblait un peu. Il voulait paraître plus sûr de lui que ce qu’il était vraiment.

— Je sais... répliqua sèchement Eddy, après de longues secondes de silence.

Pour sûr, il était loin d'avoir la certitude que ce qu'il faisait était convenable. Isidore, ce dingue qui ne faisait même pas le poids face à lui, avait visiblement plus de couilles. Eddy savait qu'il devrait avoir honte, mais voilà. Lui n'était pas un de ces gens qui se rebellaient contre la société — des gens qu'il méprisait, en plus — en réclamant des droits à la différence. Lui, il aimait bien être normal. Il ne voulait pas être obligé de revendiquer cette sexualité autre dont il avait eu connaissance quelques temps auparavant. Puis surtout, il ne voulait en rien qu'on l'associe à Isidore ou à des semblables.

Après réflexion, ce qui l'emmerdait le plus, c'était que l'idée même de fréquenter le brun ne le dérangeait pas intrinsèquement. Ce qui le faisait royalement chier, c'était le regard des autres, leur opinion, tout ce qu'ils pourraient dire, toutes ces fichues rumeurs qu'ils pourraient éparpiller. Eddy voulait à tout prix avoir l'air parfait et l'être aux yeux de tout le beau monde. Il ambitionnait de plaire à tous. Hors de question de ternir son image : cette seule pensée lui semblait insupportable.

— Hey ! Je suis là !

La voix d'Isidore, plus timide que précédemment, le sortit de ses pensées. Son invité l'observait gravement, ses grands yeux malicieux ne reflétant désormais que de la gêne. Confus, Eddy plaça son bras libre autour de l'aîné pour l'attirer contre lui. Serrant un peu plus le bras du châtain, le brun soupira. Il semblait rassuré.

Eddy était vraiment dans la merde. Soupirant lui aussi, le plus jeune se mit mentalement des baffes. Non seulement il se laissait aller, succombant à ses vices, mais en plus, il ne choisissait même pas le meilleur élément. Isidore était loin d'être un canon, avec ses yeux trop grands, ses très nombreux grains de beauté — la chose qu'Eddy détestait le plus chez lui-même —, sa stature cadavérique et surtout son style surpassant de loin le mauvais goût vestimentaire communément admis. En plus de ça, il était complètement fou, était beaucoup trop grande gueule, était mal éduqué — culotté —, et un peu trop excentrique. Là encore, ce n'étaient que quelques défauts parmi tant d'autres. Eddy se demandait ce qu'il pouvait bien lui trouver pour se laisser aller à accepter baisers et étreintes sans le repousser définitivement.

Le nez désormais enfoui dans le cou du plus jeune, Isidore reniflait doucement l'odeur de l'humidité — liée à la pluie — et de la sueur mêlées sur la peau du plus jeune.

— C’est reposant d'être près de toi, chuchota le brun, lâchant enfin le bras d'Eddy pour le passer sur le dos de son compère.

Son hôte déglutit, honteux de casser du sucre sur Isidore alors que ce dernier le complimentait — ou du moins Eddy le prenait-il comme un compliment.

— Tu trembles. Tu veux qu'on retourne se coucher ? demanda le brun en frottant doucement le dos du plus jeune.

— Carrément, marmonna Eddy, s'éloignant déjà de son invité pour aller rapidement se réfugier dans son lit.

Isidore le rejoignit tout aussi vite et se colla sans attendre contre lui. Eddy songea un instant que ce type ressemblait à un fichu moustique. Ces affreuses bestioles qui vous veulent du mal, qui font un bruit insupportable et qui vous tournent sans cesse autour.

Attirant Eddy contre lui, Isidore posa encore une fois ses lèvres sur les siennes. Confortablement installés l'un contre l'autre sur un bon lit, la situation en devenait un peu plus agréable. Se laissant quelque peu aller, Eddy — tout en éteignant son maigre cerveau beaucoup trop sollicité ces derniers jours —, approfondit les chastes baisers du brun, qui avait sans doute eu jusque-là quelques scrupules à l'idée d'offusquer le plus jeune ; à moins qu’il n’ait pas la moindre expérience.

Leurs lèvres et langues occupées les unes avec les autres, leurs jambes en profitèrent pour se chevaucher et leurs mains pour se balader lentement sur les corps l'un de l'autre.

— C’est peut-être pas le moment de... commença Isidore après de longues minutes de ce traitement.

— Ouais, j'suis mort, l’interrompit Eddy — soulagé —, expirant calmement tout contre le brun.

— On dort ? demanda l'aîné.

— On dort, confirma le châtain sur un autre ton, suivi d'un long bâillement.

Chacun de leur côté — mais plus proches que la bienséance d’Eddy ne l’aurait imposé —, ils ne tardèrent pas à s'endormir, l'épuisement aidant.

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