Chapitre 23 - 1459 -

6 minutes de lecture

Quelques jours plus tard, mes frères et ma sœur, qui ne cessent de m’interroger sur ce que nous a légué Loupapé, m’accompagnent chez le notaire. Je suis incapable de leur répondre, puisque moi-même je n’en ai aucune idée. J’ai simplement compris, lors de mon entretien avec la secrétaire, que l’enjeu de ce rendez-vous et notre présence sont importants.

Je jette ma cigarette et pousse la lourde porte en bois massif de l’étude avant d’entrer le premier. L’employée au standard se recoiffe en me reconnaissant et, un sourire en coin, se précipite pour nous indiquer le grand bureau où nous sommes attendus.

Laissant mes aînés s’avancer, je pénètre dans la pièce le dernier. Un tableau représentant une chasse à courre est accroché au mur derrière le notaire, qui trône sur son fauteuil style Empire. Plutôt binoclard et grassouillet, il nous salue promptement puis essuie son front dégoulinant avant de se concentrer à nouveau sur les papiers qu’il tient dans ses mains. Le bureau sent le renfermé et j’étouffe d’autant plus lorsque je reconnais Pierrot, déjà installé sur l’une des chaises, en partie caché par les silhouettes imposantes de Paco et Tito. Les années ont passé et se lisent sur son allure, il a vieilli. Bien que sa stature demeure impressionnante, il est dorénavant voûté.

Le notaire nous invite à nous asseoir, ce que je refuse illico, préférant rester debout afin de toiser mon oncle et savourer ma présence ici. Je découvre alors son visage, toujours aussi halé par le soleil mais désormais, strié de fines rides qu’il n’avait pas avant. Tandis que tout le monde prend place, je m’accoude sur une belle commode vernie. Pierrot me fixe quelques minutes sans que je ne le quitte des yeux. Il finit par détourner le regard quand le clerc énumère nos noms et nous demande nos pièces d’identité qu’il vérifie sans grande attention.

— Monsieur Édouard Botchecampo n’a pas pris de dispositions avant sa mort ni laissé de testament, explique le notaire.

Puis il marque une pause pour retirer ses lunettes et s’adresse à moi afin de m’éclairer avec précision sur les raisons de notre convocation :

– Votre mère étant héritière au même titre que Pierre Botchecampo ici présent, la quote-part de son patrimoine vous reviendra de droit et sera divisée en quatre parts égales.

En retardant la vengeance contre Pierrot, j’étais loin de m’imaginer une opportunité aussi favorable. Et si celle-ci m’était offerte aujourd’hui par Loupapé ?

Les mains tremblantes, l’homme remet ses lunettes pour procéder à l’énumération des biens immobiliers :

– Un appartement dans le centre de Bordeaux, un lot de trois échoppes dans lesquelles sont actuellement logés les ouvriers de la propriété si je ne me trompe pas, soixante hectares de prairies et de forêts, trois voitures, deux tracteurs, divers matériels agricoles et pour finir : le haras. Nous établirons une liste précise des étalons ainsi que leur valeur. Un expert travaille sur le sujet avec monsieur Botchecampo.

Parmi tous les éléments cités, seul le haras retient mon attention. Le domaine équestre et sa magnifique demeure qui a abrité les jours heureux de mon enfance et mon adolescence auprès d’Agnès, mais aussi les écuries, les chevaux, le bois, les champs et tout le matériel dont Pierrot ne peut pas se passer. Je l’observe, raide sur sa chaise, il déglutit à grand-peine lorsque le notaire précise que l’exploitation est dans la famille de Loupapé depuis plusieurs générations.

Découvrir le pot aux roses me remplit de satisfaction. Tandis qu’il se comportait en maître des lieux pendant des années, le haras ne lui appartenait pas plus qu’à moi. Le grand-père en était l’unique propriétaire, comme son père avant lui. Pierrot n’était que le salarié de l’exploitation dont il tirait de nombreux avantages.

Aujourd’hui, au même titre que Paco, Tito et Picouly, j’en suis l’un des nouveaux héritiers. Je tiens Pierrot entre mes mains, prêt à l’étouffer. Tout ce qui lui appartient nous revient pour moitié. Mille plans me viennent à l’esprit pour le déposséder.

Sans le savoir et sans même le vouloir, j’ai affaibli mon oncle qui face à moi, se passe avec nervosité les doigts dans les cheveux. Pourquoi n’a-t-il jamais réussi à convaincre le vieil homme de lui céder le haras de son vivant ? Peut-être avait-il finalement plus d’affection pour moi qu’il ne le laissait paraître ? Quoiqu’il en soit, la situation de Pierrot devient complexe. Son avenir est lié au mien, nos affaires sont désormais soudées et je m’en frotte les mains d’avance.

Nous restons tous attentifs durant l’inventaire des liquidités et des placements. J’essaie de mémoriser chaque détail et additionne même les sommes des divers comptes en banque. Lorsque le notaire termine et demande si nous avons des questions, j’interviens très vite pour couper court à toute discussion.

– Je vous contacte demain matin ! Préparez-moi une liste précise de tout ce que vous avez énuméré.

Je fais signe à mes frères et ma sœur que nous quittons la pièce, laissant Pierrot dans l’obscurité quant à nos intentions. J’ai cependant du mal à retenir Picouly de commenter à haute voix dans les couloirs, sitôt sortis du bureau.

– Ça veut dire qu’on est riches ? m’interroge-t-elle, encourageant aussitôt Tito à lâcher des paroles hargneuses envers celui qui nous a rejetés.

– Le Pierrot, il va cracher ! lance-t-il en posant sa main sur mon épaule.

– Parlons de tout ça au chalet ! dis-je pour clore le sujet.

Je salue la secrétaire avec un sourire charmeur auquel elle me répond, avant de quitter l’étude notariée.

Une fois rentrés au terrain, nous nous réunissons tous les quatre. L’excitation est à son comble. Paco ouvre une bouteille de whisky tandis que je fais les cent pas pour tenter de me calmer. Oui, je tiens bel et bien ma vengeance contre Pierrot, mais comment tout lui arracher. Je me projette déjà en train d’envahir le haras. Pourquoi ne pas m’installer là-bas, juste pour le plaisir et la satisfaction de le voir rager ?

Mais tous mes plans sont soudain balayés par le visage d’Agnès. En détruisant son père, je sais que je vais lui faire mal, et cela est au-dessus de mes forces. Quelque chose en moi me souffle que ce n’est pas bien et m’empêche de la blesser. Alors la raison revient peu à peu et je lance :

– On hérite de la moitié de tout ce qu’il possède ! Maintenant, on doit contacter un conseiller en patrimoine pour voir comment récupérer nos parts et ne pas nous faire avoir. Pierrot a vécu sur nos biens pendant plusieurs décennies et il s’est enrichi en partie grâce à ça, il ne faut pas l’oublier.

– On te fait confiance, Scar. C’est toi qui sais ce qu’il faut faire ! lance Paco en me tendant un verre.

***

Les choses ne semblent pas aussi simples que je l’aurais imaginé. J’essaie tant bien que mal de le faire comprendre à mes frères et ma sœur, mais ce n’est pas évident.

– Le conseiller en patrimoine dit que ça sera long, très long. Nous devons être patients et ne rien précipiter… C’est comme ça, il y a des procédures.

Assis tous les quatre au soleil devant mon chalet, je tente de les rassurer.

– On va faire quoi en attendant ? interroge Tito.

– On continue ce qu’on a commencé ! J’ai reçu un message du Requin, il souhaite me voir ce soir. Attendons de savoir ce qu’il nous demande avant de prendre une décision.

Picouly se tend et se lève d’un bond.

– Je ne veux rien savoir de vos histoires. J’ai un mauvais pressentiment !

– Arrête avec ça, bon sang ! râle Tito.

– Et je vous rappelle qu’on n’a toujours aucune nouvelle de ce qui est arrivé à Stazek ! insiste-t-elle. Et puisqu’on va être riches, vous n’avez plus besoin de prendre autant de risques…

Je refuse d’en entendre davantage et choisis d’éviter cette éternelle discussion.

– À tout à l’heure ! salué-je tout le monde.

Sur ces mots, je me lève, préférant m’isoler et m’enfermer dans ma caravane pour relire les derniers bilans du haras. J’aimerais ne plus regarder en arrière, mais le passé me rattrape. Je crains que le Requin ne me tienne et ne me fasse chanter, je dois aller à ce rendez-vous pour en avoir le cœur net.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Antoine COBAINE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0