Chapitre 21 (suite) - 1093 -

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J’arrive petit à petit à baragouiner en anglais. Quelques notions des cours du lycée reviennent et très vite, un peu contraint, j’apprends sur le tas. Mais par chance, j’ai des facilités et une excellente mémoire.

Comme promis, Agnès m’offre du travail dans les écuries et je retrouve les gestes que je faisais lorsque j’étais au haras. Je reconnais les odeurs familières de foin et de fumier, la sensation d’être utile dans un environnement sain.

J’œuvre avec Howard qui est le grand patron du ranch, un monsieur de compagnie agréable. Il me propose un hébergement indépendant dans un petit hameau paisible à l’entrée du domaine où il loge quelques-uns de ses meilleurs ouvriers. Pour un peu plus d’autonomie, je m’achète une voiture avec l’argent que j’ai changé à mon arrivée.

La journée, je m’épuise physiquement, exécutant toutes les tâches manuelles qui me sont confiées sans rechigner. Je nettoie les box, sors les chevaux pour les emmener paître dans les champs. Je les nourris et les entretiens. Lorsque j’ai fini, j’aide aux étables, je ne m’arrête jamais pour oublier, surtout ne pas réfléchir à ma condition. Howard dit que j’apprends vite et quand il n’est pas là, il me charge de mener l’équipe de palefreniers ou de vachers. Je suis considéré comme un membre de la famille et je reçois beaucoup de respect de la part du personnel.

Cette après-midi il fait une chaleur intenable dans l’enclos où j’essaie de séparer un poulain de sa mère. Je suis en simple jeans torse nu, comme j’avais pris l’habitude de travailler au camp, sur mon terrain.

Agnès vient me voir et s’appuie sur la barrière tandis que je calme la jument en flattant son encolure. Je lui passe la corde autour du cou et la dirige vers le portail pour l’isoler.

— Tu fais du bon travail ! Howard dit que tu lui aies indispensable…

Je m’abstiens de regarder Agnès. La situation dans laquelle je me trouve me ramène quelques années plus tôt où je me sentais inférieur. Je n’ai pas envie de bosser, je le fais pour éviter de sombrer dans la folie. Rester dans les parages de celle que j’aime et l’observer mener sa vie de couple est de plus en plus insupportable.

Pourtant, je vois bien les coups d’œil en coin qu’elle jette sur mon torse. Je devine que ce que je ressens est réciproque, je voudrais simplement qu’elle le reconnaisse, qu’elle se l’avoue et prenne une décision, une bonne fois pour toutes.

— C’est mon adresse ? me demande-t-elle en lisant les inscriptions sur mon pectoral.

Je hoche la tête pour le lui confirmer et m’allume une cigarette.

— Tu avais peur d’oublier ?

Nous nous regardons avec intensité et pour la première fois j’ose lui dire ce que j’ai sur le cœur :

— Jamais je ne t’oublierai…

Ne tenant plus, je m’approche d’elle pour tenter de l’embrasser, mais mon aveu est loin d’avoir l’effet escompté. Agnès m’indique qu’elle doit y aller et tourne les talons, ignorant la perche que je lui tends. Je suis désemparé, déstabilisé par cette situation insoutenable.

Une autre fois alors qu’il fait une chaleur excessive, Agnès m’accompagne pour vérifier les abreuvoirs des chevaux dans les champs. Une cuve à l’arrière du pick-up, nous complétons chaque bac afin qu’aucun animal ne se déshydrate. Le soleil est à son point culminant et lorsque nous nous arrêtons au dernier enclos, la température avoisine les quarante degrés.

Tandis que je remplis le bassin armé de mon tuyau, Agnès tente de se rafraîchir en se mettant un peu d’eau dans le cou et sur le front. La voyant faire, je me souviens de nos jeux au haras qui faisaient tant enrager Pierrot. Après quelques secondes d’hésitation, je profite du moment où elle se penche au-dessus du bac pour l’asperger de manières abusives.

D’abord surprise, elle me dévisage en râlant, puis elle réagit en m’arrosant abondamment avec ses mains.

Je réplique malgré les cris d’Agnès qui hurle comme une enfant et nous démarrons une bataille d’eau. Aucun de nous ne veut perdre et plus je m’approche d’elle, plus elle me fait face et accélère ses mouvements jusqu’à ce que seuls quelques centimètres nous séparent.

— On est beaux ! murmure-t-elle, en s’immobilisant.

Je lance le tuyau dans la flotte, tandis qu’Agnès pointe son index sur mon torse nu.

— J’ai gagné, car le combat n’était pas loyal, tu avais le tuyau qui est un énorme avantage…

— D’accord, tu as gagné !

Je la saisis par la taille pour l’attirer contre moi. Elle ne me résiste pas et nos corps humides s’enlacent aussitôt. Je l’embrasse dans le cou pour redécouvrir sa peau qui me remplit de bonheur et me donne des frissons. Je rêve de la tenir contre moi depuis tant d’années que je suis déconnecté de la réalité. Ce moment que j’attendais est enfin là et je compte bien en profiter. Je resserre mon emprise tandis que mes lèvres retrouvent les siennes. Le temps s’arrête et je suis incapable de dire combien de minutes nous restons accrocher l’un à l’autre à nous enlacer, mais au bout du compte lorsque nos deux corps se détachent, le bac d’eau déborde et la cuve du pick-up est vide.

— On devrait rentrer, suggère Agnès.

Je lui souris, persuadé d’avoir gagné une première bataille, mais pendant que nous roulons vers le ranch, Agnès ruine tous mes espoirs.

— Il ne faut plus jamais que cela se reproduise Scar ! Tu m’entends ?

Je ne saisis pas pourquoi elle me rejette encore alors que quelques minutes plus tôt, je la sentais fondre de désirs contre moi. En me garant devant l’écurie, je tente de comprendre et de l’interroger.

— Agnès…

Elle me coupe aussi net.

— Jamais !

Puis elle me claque la porte au nez, me laissant seul face à mes craintes. Peut-être est-il temps que je me rende à l’évidence. Elle ne m’a pas attendu, elle a refait sa vie et je n’en fais plus partie, du moins pas de la manière dont je le souhaiterai.

Je dois l’accepter. Je décide de prendre un moment pour réfléchir, encore une fois.

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