Chapitre 7 - 1802 -

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Suite à l’approbation de mon clan, je suis parti en repérage avec Tito, Karlo et Stazek. Il était préférable que nous ne soyons pas trop nombreux pour être discrets, une seule voiture suffisait. Nous avons profité de notre déplacement à Monaco pour visiter la région du Sud. Puis nous avons fait un détour par la Suisse pour y étudier le marché des luxueux bolides et rencontrer quelques contacts afin d’évaluer la possibilité de nous élargir.

Après plusieurs semaines, nous sommes de retour pour rendre nos comptes et partager nos idées. Il fait nuit noire lorsque Tito se gare au terrain. Pour éviter de réveiller tout le camp, il laisse sa bagnole à proximité du chalet. Tous les deux épuisés, nous remontons côte à côte le petit chemin sinueux vers nos caravanes respectives.

— Une dernière clope avant de dormir ? me propose mon frère en me tendant son paquet.

Je le remercie, me sers une cigarette et l’allume en admirant le ciel. Je songe à l’avenir qui s’offre à moi tandis que l’univers scintille dans mes yeux.

— Une étoile filante ! m’indique Tito en pointant l’astre. Fais un vœu !

Je hausse les épaules, sceptique, mais je ne peux m’empêcher de cogiter sur Agnès. Si seulement… Puis je me ravise et chasse ces pensées.

— Me dis rien, sinon il se réalisera pas ! lance Tito en me mettant une tape dans le dos. Demain, il va faire beau !

Je jette à nouveau un coup d’œil vers le ciel qui promet une journée ensoleillée lorsqu’une idée me vient à l’esprit.

— Nous devrions opérer sous la pluie. Plus compliqué pour nous d’avancer vite sur les routes, mais cela effacerait toute trace de notre passage dans les résidences et les rues. La mauvaise visibilité nous évitera d’être repérés, les gens seront moins sensibles aux bruits à cause du vent et des averses. Les fenêtres seront bien fermées…

— Mais où tu vas pêcher de pareilles idées ? s’esclaffe-t-il en tournant après le platane.

Les quatre caravanes se regardent. Celle de Picouly et Yankee est la plus grande, un petit peu excentrée par rapport aux nôtres. Depuis que Paco est marié, il a éloigné un peu la sienne et parle de la changer pour une plus récente. Celle de Tito et la mienne donnent toujours sur la vieille terrasse fabriquée à partir de palettes dont le bois a noirci.

— T’as oublié d’éteindre ton camping* ! me fait remarquer mon frère.

Je réfléchis à notre départ il y a six jours et je me dis que c’est impossible. Picouly est dans tous les cas venue s’occuper de mes chiens, elle aurait forcément coupé la lumière, à moins que ce ne soit elle qui ait omis ce soir.

Je tire deux lattes rapidement sur ma cigarette, la jette sur le sol avant de l’écraser avec la pointe de mon tennis.

— À demain ! lancé-je, pressé d’en avoir le cœur net et de retrouver mes chiots.

Je monte le petit escalier qui grince sous chacun de mes pas et pousse la porte de ma caravane. Sur le tapis de l’entrée sont posés deux sabots en cuir rose. Je les reconnais immédiatement. En me déchaussant, je tends le cou vers ma chambre ouverte et j’y découvre endormi avec mes deux chiens, Belinda.

Je soupire, un peu fatigué, je n’avais pas prévu une nuit passionnée, mais finalement, je ne refuserai pas. Je retire mon pantalon, mes chaussettes et mon polo avant de m’avancer vers le lit. Belinda tient contre son ventre les deux chiots en boule. Cannibal ouvre un œil et me regarde m’allonger. Je caresse son petit crâne pour le rassurer tandis qu’il remue la queue, réveillant par la même occasion Tenia et Belinda. Cette dernière frissonne et remonte la couette sur son visage.

— Salut, murmure-t-elle.

Même sans maquillage, à demi endormie, je la trouve désirable. Son parfum fleuri, toujours très intense, embaume ma chambre. J’avance mes lèvres pour déposer un baiser sur sa bouche avant de chercher à l’enlacer. Je glisse mes doigts sous la couverture pour caresser sa peau. Rapidement, elle porte une main sur mon torse et me repousse, m’arrêtant dans mon élan.

— Scar, attends !

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

Belinda soupire, puis chasse les chiots du lit.

— Je vais les mettre dans la pièce d’à côté !

Je les saisis tous les deux sous le bras et les dépose dans l’autre chambre, sur leur tapis. Je referme la porte pour qu’ils ne nous embêtent plus. Lorsque je me retourne vers la femme de Bastian, celle-ci s’est redressée, elle appuie son menton sur ses genoux et serre ses jambes contre son ventre. Je pense aussitôt à ce salaud de Bastian et j’imagine le pire. A-t-il été violent avec elle ? La fait-il souffrir ?

— Ça va pas ? Il t’a fait du mal ?

— Non, non ! Ça va, il s’occupe pas de moi.

— Qu’y a-t-il, alors ?

Je m’assois à nouveau à côté d’elle, prêt à tout entendre pour l’aider autant que je peux. Je l’aime bien et si je peux lui être utile…

— Tu as besoin d’argent ?

— Je suis pas ta pute, Scar ! Merde, c’est comme ça que tu me vois ?

Je ne voulais pas la vexer, juste lui apporter un peu de soutien ou de confort, car non, je n’ai pas cette image de Belinda. Je l’ai toujours bien aimé et même si au début, j’ai accepté de coucher avec elle dans le but de rendre Bastian fou, aujourd’hui, je ne sais plus vraiment où j’en suis.

Elle comble ma solitude, embellit mes nuits et m’évite de broyer du noir. La tendresse qu’elle m’offre m’apaise et me réconforte.

— Belinda, je t’assure, ce n’est pas ce que je pensais, tu vaux mieux que ça !

Je la prends dans mes bras pour le tranquilliser.

— Je voulais juste t’aider ! Dis-moi ce qu’il se passe !

Elle plonge sa tête dans mon cou et cherche ses mots.

— Scar, je… suis enceinte !

Je me recule et me dégage légèrement de son étreinte pour accuser la nouvelle. Je comprends son absence et apprécie qu’elle vienne éclaircir la situation. Sa place est désormais auprès de son mari et je ne lui en tiendrai pas rigueur. À aucun moment, je n’imagine que cet enfant puisse être le mien, même si je sais pertinemment que nous n’avons jamais pris de précaution. Belinda est mariée, Bastian est le père, je ne cherche pas d’autres explications.

— Félicitations ! Bastian doit être heureux !

Je la repousse et me détache d’elle pour l’observer, mais la belle blonde ne semble pas vraiment emballée par son annonce. Pourtant, elle devrait être satisfaite, les femmes du camp ont toutes des enfants.

— Toi qui t’ennuyais, cela va occuper tes jours et tes nuits, tu devrais être contente !

Elle secoue désespérément la tête puis finit par dire :

— Scar, c’est toi le père !

Je me lève et recule d’un pas, d’abord abasourdi par la nouvelle que je balaie aussitôt de mon esprit.

— Tu es avec Bastian ! C’est lui le père !

Il n’est pas question que je porte la responsabilité de ce gosse. Je secoue la tête, comme si dire non suffisait à nier une vérité. Mais Belinda insiste :

— Scar, ce petit est le tien !

— Comment peux-tu en être aussi sûre ?

La gorge serrée, je me sens piégé, pieds et mains liées par le minuscule être qui va grandir dans son ventre. Mon cœur bat à cent à l’heure et j’ai la chair de poule. Je n’arrive pas à quitter du regard le nombril de Belinda. Je passe mes doigts dans mes cheveux et balaie la mèche un peu trop longue qui me cache ma cicatrice et mes yeux. Je tente de réagir quand je me souviens que je suis à moitié nu. Aussitôt, j’attrape mon polo posé sur le sol et me rhabille. Je ne souhaite pas en entendre davantage. Je saisis mon paquet de clopes dans la poche de mon pantalon et ouvre la porte en grand pour reprendre ma respiration.

— Bastian ne m’a presque jamais touché ! me lance Belinda d’une voix calme. Il n’est jamais là et quand il est là, il est saoul et n’arrive pas à… Enfin, tu comprends ce que je veux dire, j’ai pas besoin de te faire un dessin !

Ses yeux me supplient de la croire, mais je préfère les fuir. Je sors et m’allume une cigarette. Je ne dois rien à Belinda. Je ne dois rien à aucune fille. Je ne me laisserai jamais attacher par qui que ce soit. Je suis libre de toute contrainte, de toute responsabilité. Je veux mener ma vie seul, sans femme et sans enfant.

— Écoute Belinda, Bastian est ton mari et le père du gosse que tu portes.

— Je peux le quitter !

Le quitter ? On ne divorce pas chez les gitans, mais en qu’à d’adultère, un mari peut répudier sa femme qui devient une moins que rien. Si tel est le cas, Belinda n’aura plus nulle part où se réfugier, le camp la rejettera et il en sera de même pour sa famille.

Je tire une longue bouffée de fumée et la recrache lentement vers l’extérieur. Toujours positionné à la commissure de la porte, je pèse mes mots chargés de colère. J’en veux à Belinda d’être enceinte, je m’en veux également de ne pas avoir été suffisamment prudent. Peu m’importe ce qu’il adviendra du rejeton, ma décision est prise… Je lâche sèchement sans un regard vers celle que je renie :

— Fais-toi avorter, je paierai ce qu’il faudra !

Belinda se lève brusquement du lit et me bouscule. Je m’attendais à des supplications et des pleurs, il n’en est rien. Elle pointe son index dans mon torse et me toise avec fierté.

— Jamais je ne me débarrasserai de cet enfant…

Je ne bouge pas d’un pouce et reste droit. Nous nous affrontons du regard pour savoir qui de nous aura le dernier mot. Je ne ressens rien pour elle, si ce n’est un peu de pitié en songeant à ce que pourrait faire Bastian s’il apprenait qu’elle porte mon enfant. Je finis par murmurer :

— Rentre chez ton mari !

— Avec ton fils !

— Celui de Bastian !

— Espèce de salaud ! dit-elle en pinçant les lèvres.

Elle se baisse pour ramasser ses sabots et sans se chausser, elle tourne les talons pour m’abandonner à ma solitude cruelle.

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