Chapitre 6 - 1097 -

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Chapitre 6

Pressé de me replonger dans la commande que m’a passée « le requin », je pose rapidement deux petites gamelles de pâté sur le sol.

J’ai adopté deux chiots, des bergers allemands que je couve comme s’il s’agissait de mes propres enfants. Je suis allé les chercher hier, dans deux élevages différents. La femelle a un sacré pedigree, elle est maline et agile tandis que le mâle encore pataud est plus brutal et costaud. Ce sont des bébés, à peine trois mois et je prends déjà beaucoup de plaisir à jouer avec eux. Ils me remontent le moral et comble ma solitude. Bélinda n’est pas venue me trouver ces derniers jours, s’est-elle lassée de moi ? Bastian a-t-il des soupçons ? Je n’en ai aucune idée et cela m’est un égal, elle ne me manque pas. Pas comme… Je chasse aussitôt cette pensée et relis une nouvelle fois le feuille de route précise pour le prestigieux véhicule.

Une Ferrari 308 GTS

Une bagnole de collection, connue pour avoir été mise en lumière grâce à une série télévisée américaine dans les années 80. Elle représente la réalisation aboutie de toute personne qui idolâtre les berlines parfaites. « Le requin » m’a également confié le nom et l’adresse du propriétaire de ce trophée. La tâche ne serait pas si compliquée s’il ne fallait pas livrer cette voiture à l’autre bout du pays.

Tandis que je déplie la carte de France sur ma table en bois, j’entends au loin une voix féminine m’interpeller. Je range aussitôt mes papiers pour observer Lucinda qui arrive en courant. Elle a bien grandi et est devenue une adolescente pétillante. Je dois reconnaître qu’elle est plutôt jolie avec ses cheveux longs qui volent au vent et son sourire aux lèvres.

— Scar ! Scar ! crie-t-elle en brandissant un courrier.

Je ne bouge pas, je la regarde se précipiter, heureuse d’avoir une excuse pour s’avancer jusqu’ici et découvrir les chiots.

Ténia, la femelle, vient se réfugier entre mes jambes tandis que Cannibal pousse un petit aboiement. Lorsque Lucinda monte sur ma terrasse bruyamment et sans délicatesse, il est apeuré.

— T’as reçu une lettre !

Elle dépose la missive sur la caisse retournée qui fait office de table et s’agenouille pour attraper Cannibal et le cajoler.

Je jette un coup d’œil vers l’enveloppe, me demandant qui peut bien m’écrire. Je n’attends pas de courrier et j’espère que ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Lucinda embrasse à pleine bouche le poil soyeux du chiot. La gamine a disparu pour laisser place à une jeune fille. Je réfléchis à l’âge qu’elle doit avoir, seize, peut-être dix-sept. Elle n’est pas très grande, malgré qu’elle ait fini sa croissance. Ses sabots en cuir lui offrent pourtant quelques centimètres de plus. Je la soupçonne de tricher également sur sa couleur de cheveux, qu’elle éclaircit pour paraître plus blonde. Lorsqu’elle se rend compte que je la détaille, elle lève ses yeux noirs vers moi et me sourit. Je détourne aussitôt mon regard, il n’est pas question qu’elle se mette des idées en tête à mon sujet.

Je me concentre à nouveau sur l’enveloppe, qui semble postée de l’étranger. L’adresse est écrite à la main et lorsque je reconnais le graphisme, mon sang se glace. Je bouscule Lucinda et manque d’écraser Ténia en saisissant brutalement la missive.

Je me lève de mon tabouret et pars m’enfermer dans ma caravane. Je fais les cent pas à l’intérieur, pris entre la curiosité de lire, l’affolement de mon cœur prêt à exploser de joie et la colère qui me dit de déchirer cette putain de lettre, que le passé est le passé.

— Surveille les chiots ! finis-je par lancer à la petite blonde qui acquiesce aussitôt, avant de refermer la porte.

Puis je m’assois au bord de mon lit et fais tourner entre mes doigts le courrier d’Agnès. Instinctivement, je le porte à mon nez pour en vérifier l’odeur, mais aucune trace de son parfum, il sent désespérément le papier. Le désir de savoir ce qu’elle me raconte et la raison de cette lettre sont finalement plus forts que ma colère, je déchire sans précaution l’enveloppe que je jette par terre et déplie la feuille blanche. Je suis d’abord déçu par le peu de ligne inscrite, mais rassuré en lisant les premiers mots. J’oublie tout, je suis transporté ailleurs, plus rien ne compte autour de moi, ni les gloussements de Lucinda ou les couinements de mes chiots, encore moins les oiseaux dans le ciel, les cris des enfants sur le camp ou les expressions des hommes qui se disputent les points pendant leur partie de pétanque.

Je me remémore simplement la voix douce d’Agnès, les traits sérieux de son visage et sa mine concentrée qu’elle prenait pour écrire.

Mon cher Oscar,

La vie nous a joué un bien mauvais tour et je ne te cache pas que je n’arrive pas à digérer cette nouvelle épreuve. Comment accepter nos liens ?

Pourtant, même à l’autre bout du monde, je ne parviens pas à t’oublier !

Au début, j’ai songé à te proposer de me rejoindre ! Aux States, personne ne sait, personne ne nous connaît. Nous pourrions vivre l’histoire que nous avons toujours désirée.

Mais comment nous regarder en face chaque matin en sachant qui nous sommes, comment avoir une existence normale, nous marier, avoir des enfants ? C’est impossible !

Donne-moi au moins de tes nouvelles. Dis-moi que tu vas bien, que tu as cessé de faire n’importe quoi !

Écris-moi, ne serait-ce qu’une minuscule carte en souvenir de notre adolescence, un petit mot qui faisait bondir mon cœur de joie à l’époque où nous étions naïfs et où la vie nous permettait encore de rêver éveillés.

Oscar, je ne t’oublierai jamais.

Agnès

Je suis abasourdi, j’ai la tête qui tourne, mon cœur explose en mille morceaux. Je suis sur le fait accompli d’une rupture définitive. Je lui en veux et pourtant je sais qu’elle a raison. Je m’écroule sur mon lit, laissant tomber sur le sol le bout de papier qui ne fait que raconter toute la vérité sur notre relation inaboutie.

Je la déteste de me briser ainsi. Je hais ceux qui ont mis Agnès sur le chemin de ma vie.

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