Chapitre 2 (suite) - 1413 -

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***

Je reste quelques secondes à contempler la main tranchée sur la table, style Napoléon. Du sang gicle à grand flot du moignon que mon ennemi serre contre lui en hurlant et grimaçant, tandis qu’une coulée rouge dégouline sur le pantalon bleu marine. J’ai du mal à réaliser que je suis responsable de ce carnage. Les cris d’Hubert me tordent les tripes et j’ai presque une pointe de regrets en l’observant. Je saigne pour lui, comme si le voir se courber de douleur me faisait ressentir la souffrance qu’il endure.

Tito pose sur moi un regard fier et me tape sur l’épaule affectueusement pour m’obliger à réagir. Je secoue la tête et souris à mon frère pour exprimer une fausse satisfaction avant de saisir le morceau de papier contenant le précieux numéro de téléphone et foncer le premier vers l’escalier. Les visages inquiets de Karlo et Stazek, alertés par les cris, sont penchés au-dessus de nous.

— On s’arrache, hurle Tito pour les faire reculer.

Nous leur passons rapidement devant pour sauter sur la terrasse où Paco s’était installé pour fumer une cigarette. En nous voyant bondir comme des furibonds, il balance son mégot par-dessus la balustrade et comprend qu’il faut déguerpir, il nous emboîte le pas vers les bagnoles. Dans le silence et la discrétion, nous désertons la villa arcachonnaise en un rien de temps pour nous diriger vers le camp.

Dans la voiture, Stazek et Karlo m’interrogent sur ce qu’il s’est passé au sous-sol, mais encore traumatisé par mon geste, je reste évasif. J’ouvre même ma fenêtre en grand pour prendre l’air. L’odeur du sang m’a tourné l’estomac. J’ai une boule dans la gorge, une envie de vomir épouvantable.

— Vous l’avez pas tué ? s’inquiète Stazek qui ne me quitte pas des yeux dans le rétroviseur.

Assis à l’arrière, je ne suis pas en mesure de m’allumer une cigarette. Je tremble comme une feuille, saisi par des spasmes lorsque l’image de la main inerte sur la table me revient.

Je signifie que non à mes deux amis pendus à mes lèvres et tente de les rassurer en leur faisant un signe, mais ils semblent effrayés par mon attitude prostrée. J’ai besoin de digérer la montée d’adrénaline de la soirée.

J’ai fait justice. Je devrais être satisfait, alors pourquoi ces foutus regrets restent-ils coincer dans ma gorge, comme un goût amer et désagréable ? Diabla est vengée, Hubert ne va plus courir après Agnès et les affaires vont recommencer. Nous allons pouvoir retravailler. J’ai repris les rênes, la première étape de mon plan est franchie, suis-je pour autant apaisé ? Je n’en ai pas l’impression, je ne suis pas libéré. J’ai mal comme jamais, rien ne remplacera ma chienne et surtout mon amour perdu. Pourtant, je dois tenir le coup, ne rien laisser paraître. J’ai réussi à vivre des années sans elle, je peux continuer. Ma raison doit être plus forte que mon cœur. Je me remettrai de cette blessure, comme j’ai surmonté toutes les autres. Désormais, plus rien ne doit m’atteindre.

En arrivant au camp, nous nous réunissons comme à l’accoutumée sur ma terrasse. Yankee réveille Picouly pour la rassurer, mais aussi pour qu’elle nous offre à boire. Excitée par notre retour d’expédition, elle ne se fait pas prier. Elle pose sur la vieille caisse en bois renversée qui fait office de table un pack de bières fraîches et une bouteille de Ricard entamée.

Yankee sert tandis que Tito sort la sacoche pour partager notre butin.

— On aurait pu prendre pas des bibelots ou des bijoux, ça puait le fric là-bas ! me reproche-t-il en jetant le sac par terre.

— On touche pas aux effets personnels ! C’est le meilleur moyen de se faire choper !

Je le lui ai dit cent fois, mais Tito n’arrive pas à s’ancrer cette règle dans la tête. Il m’énerve quand il se laisse emporter par son instinct, comme s’il n’en avait jamais assez.

— Dans tous les cas, il est pas prêt de se gratter ses bijoux de famille ! plaisante-t-il.

Il fait référence à la main, épisode qu’il a déjà raconté à Paco et Yankee à voir leurs visages amusés.

J’ai l’impression qu’avec cette action, j’ai encore gagné du galon auprès de ma famille. Les gitans savent se défendre et être cruels pour atteindre un objectif.

Tandis que je bois ma bière, Tito relate mon « exploit ». Je n’ai aucune fierté de ce que j’ai fait, mais je demeure serein et plein d’humilité. Je n’aime pas me vanter ni crier sur tous les toits ma supériorité, je songe à Diabla, ma fidèle amie qui me manque et qui me consolait lorsque j’étais seul. J’imagine également Hubert avec son moignon, qui ne pourra même plus signer un chèque et restera handicapé. Je chasse cette image quand Paco tend sa bière pour trinquer avec moi.

— Tu as bien fait ! Tu sais que nous avions cette tradition de trancher la main des traîtres autrefois ? me félicite Picouly.

Lorsque je lève les yeux vers mes deux amis, je me rends bien compte qu’ils ne sont pas de notre avis et qu’ils sont déçus de la violence dont j’ai fait preuve. Nous avions convenu de ne pas en arriver à tuer Hubert et j’ai respecté ma promesse, pourtant avec du recul, je suis un peu mitigé. Mon acte a été barbare, mais j’imagine que cela était nécessaire pour impressionner mon ennemi et lui donner la leçon qu’il mérite.

— C’est quoi les plans maintenant ? m’interroge Karlo, avec un peu de méfiance.

Je n’ai pas le temps de répondre, que Tito, qui commence à être ivre, lance :

— On pourrait retourner au haras, y a un paquet de fric à se faire là-bas !

En écoutant mon frère, je suis parcouru de frissons et ne peux me retenir de réagir avec véhémence :

— On touche pas au haras pour le moment. Attendons encore, j’ai mon idée sur la question.

C’est vrai, maintenant qu’Hubert est hors d’état de nuire, je songe à ma prochaine vengeance. Pierrot connaîtra son heure, quand je l’aurai décidé. Ce que je lui réserve est bien pire que tout ce qu’il peut imaginer.

Le silence s’installe et chacun, pendu à mes lèvres, patiente jusqu’à ce que j’explique mon plan pour la suite, mais je me contente de déclarer :

— Trouvons de belles grosses voitures, et contactons le gars d’Hubert !

Picouly, toujours à mes côtés, approuve la première et me félicite pour ma sagesse, puis en bâillant, elle annonce qu’elle part se recoucher.

Paco se lève et lui demande de rester quelques instants de plus, il a quelque chose d’important à nous dire. Il se positionne au centre de la terrasse et prend un air très solennel avant de lâcher, une main sur le cœur :

— Je dois vous dire quelque chose !

Nous le regardons tous tandis que je m’interroge sur ce qu’il peut bien vouloir nous dire.

— Je vais me marier ! finit-il par avouer sérieusement.

Je n’en reviens pas. Je savais qu’il avait des vues sur une gitane depuis bien longtemps. Ses parents ont toujours exprimé une certaine réserve quant à mon frère, à cause de l’histoire de opa et oman qui a marqué la communauté.

— Je vais l’enlever cette nuit… annonce-t-il sûr de lui.

— Le père de la fille ne voudra jamais que vous vous mariiez ! commente Picouly.

— On s’en fiche !

Tout le monde félicite Paco. Et lorsque mon tour arrive de le serrer dans mes bras, celui-ci me lance :

— Tu devrais te marier toi aussi Scar, l’amour, ça rend si heureux !

Je sais que sa remarque est bienveillante et qu’il souffre de me voir attendre après Agnès. Il aimerait certainement que j’épouse une gitane, avec qui j’aurais une flopée de gosses qui assurerait notre descendance et que je tromperai à chaque fois qu’une occasion se présente. Mais, je me refuse de signer pour une telle vie, je préfère largement garder ma liberté.

Je lui réponds sur un ton plaisant :

— Non, je vais reprendre un chien !

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