L'Ermite des étoiles (1/2)

6 minutes de lecture

Dans la profonde nuit de l’espace…

…un œil s’illumina. Encore troublé par une longue nuit de sommeil, il peinait à distinguer les étoiles qui parsemaient la voûte céleste. Des lumières clignotaient furieusement dans son esprit embrouillé. Soudain, l’œil se rappela qu’il n’était pas une entité individuelle, mais une partie d’une autre, plus grande : un corps. Cette découverte l’affola un instant, puis il se calma, se rappelant que tout cela était parfaitement normal. Autour de lui, d’autres entités s’éveillèrent tels des ours sortant d’hibernation. Une désagréable sensation de froideur envahit le corps et le recouvrit. Il frissonna.

Une heure passa, froide et vide. Le corps semblait toujours vouloir dormir, tenté par un Hypnos mielleux qui lui susurrait de douces paroles. Quelques bribes d’idées parvinrent au corps, qui découvrit avec joie qu’il avait un cerveau pour penser. Ce cerveau commença à se décrasser lentement de ses impuretés oniriques, puis, une fois la tâche terminée, il acheva sa résurrection silencieuse.

Ainsi l’ermite s’éveilla de son long sommeil…

Il toussa et recracha les gerbes d’eau qui l’envahissaient depuis le début de sa torpeur temporelle. Il inspira maladroitement, comme le font les nourrissons lors de leur naissance, et poussa un son guttural. Pendant ce temps, son cercueil se vidait de son fluide anesthésiant. Il s’ouvrit en grinçant sur ses gonds, et l’ermite en sortit tel un vampire assoiffé. Il flotta dans son étroite capsule spatiale, et commença par contempler les environs.

Autour de lui, tout n’était que néant. Quelques étoiles lointaines projetaient leurs flammes solaires jusqu’à lui. Une parmi elles semblaient être plus grosse – ou plus proche. C’était sa destination. L’ermite consulta le tableau de bord. Il avait dormi pendant plus d’un demi-millénaire, du point de vue du référentiel de son vaisseau. En réalité, à l’extérieur, il s’était déroulé des dizaines de millions d’années depuis son départ. Pour beaucoup, c’était là le principal défaut du voyage à vitesse luminique. Pour lui, c’était un moyen de plus pour s’éloigner de son temps. Il se trouvait à présent dans une galaxie lointaine, très lointaine, à plusieurs dizaines de millions d’années-lumières de la sienne.

Il se dit que sa civilisation d’origine devait être certainement morte à l’heure actuelle. Peut-être était-il le seul humain encore vivant dans l’univers connu… Il eut un mouvement de dégoût. Il pensait encore à eux. Toujours. Ils étaient des taches indélébiles parmi ses souvenirs. Impérissables, survivant aux distances les plus lointaines. Même le temps ne parvenait pas à les faire partir.

L’ermite haïssait les humains. Tous les humains. Lui y compris. Il se détestait, mais n’avait pas le courage d’ouvrir le sas qui le séparait du vide sidéral. Il était trop lâche pour ça. Il était un homme.

Il fit une pirouette en apesanteur et ouvrit une petite porte à l’arrière de sa maison. Maison était d’ailleurs un bien grand mot pour qualifier son logis. Plutôt parler de taudis volant, oui. Derrière se cachait un jardin d’éden, indispensable à sa survie. Ces écosystèmes autorégénératifs étaient sa seule chance de prospérer. En théorie, les batteries nucléaires de la capsule pouvaient durer des millénaires, mais en pratique, c’était une tout autre histoire. Pour les voyages longs comme celui-ci, l’écosystème entrait dans une sorte de transe, pour économiser l’énergie.

Par chance, il était quasi-intact. Le temps avait usé certains appareils, mais l’ermite possédait des pièces de remplacement pour ce genre de soucis. D’ici à quelques jours, il recouvrerait ses capacités d’antan. D’ici-là, il se contenterait des rations de survie.

Fatigué par ce sursaut d’exercices physiquement insupportables pour un homme qui n’a pas remué un orteil durant un demi-millénaire, l’ermite s’assit sur son fauteuil et contempla les étoiles indifféremment. Il y avait bien longtemps, il aimait les étoiles. Il les trouvait belles et attrayantes. Elles étaient les loupiotes dans la nuit lui faisant des clins d’œils conspirateurs. Mais aujourd’hui, elles paraissaient aussi creuses et vides que le reste.

L’ermite goba sa ration quotidienne et poussa un soupir de soulagement quand il sentit la nourriture couler le long de son œsophage. Que c’était bon, de manger ! Mais il se renferma aussitôt dans ses noires pensées une fois le tout digéré. En essayant de s’endormir, il se contempla dans le reflet de la vitre, et ne vit qu’un être immonde qui ne pouvait même plus prétendre à être humain. Il n’était qu’un marshmallow graisseux, un gloubiboulga de chair et de peau pendante, un obèse au quadruple menton. Son ventre formait une cascade de graisse coulante absolument abominable. Avec ses cheveux hirsutes et sa barbe séculaire, il avait l’air d’un vieux druide paranoïaque. Sa peau blanchâtre n’avait pas vu de lumière depuis des décennies. Il n’était qu’un golem vaguement humanoïde survivant mollement au milieu d’un univers hostile. Il eut envie de vomir.

Il se laissa aller et passa les jours qui suivirent à alterner entre sommeil et éveil comateux.

Une semaine plus tard, son organisme était pleinement réveillé de sa transe temporelle. Il pouvait sentir ses orteils remuer et la chaleur qui se dégageait de son corps. Il jeta un bref regard vers l’étoile où il se dirigeait. Elle avait triplé de volume et faisait la taille d’une petite bille. Il devait se trouver à une quinzaine d’unités astronomiques de celle-ci. D’ici à un ou deux jours, il pourrait se placer en orbite autour d’une des géantes gazeuses qui peuplaient ce système, et recharger les batteries de sa capsule.

Mais alors que son regard se détachait de la lueur stellaire, il remarqua un petit point minuscule au loin. Il ne pouvait pas discerner clairement la nature de ce point, mais il eut l’impression qu’il bougeait rapidement. Une brève seconde plus tard, les alarmes de la capsule s’excitèrent en un concert de sons stridents. L’objet – non identifié par l’ordinateur de bord – s’approchait de lui à grande vitesse.

L’ermite crut tout d’abord qu’il s’agissait d’un astéroïde égaré, ou même d’une comète. Au vu de sa vitesse, s’il ne faisait rien, elle le percuterait vraisemblablement d’ici à quelques minutes. Heureusement pour lui, le pilotage automatique de la capsule entama une manœuvre d’évitement classique, comme elle l’avait fait tant de fois. L’ermite se calma et se demanda comment l’objet n’avait pu être repéré par les capteurs de la capsule. Sûrement que ceux-ci avaient été usés par le temps. Il faudrait aussi les remplacer…

Dans ce court laps de temps, l’objet avait vu sa taille doubler, et l’ermite pouvait maintenant le discerner – très vaguement toutefois. À nouveau, une alarme retentit, indiquant que l’objet semblait accélérer anormalement. L’ermite écarquilla les yeux et eut un soubresaut paniqué. Cette accélération… Non, cela ne pouvait pas être possible…

Soudain paniqué, il tripota le tableau de bord et hurla à l’assistant vocal un charabia incompréhensible de paroles, qui voulaient dire quelque chose s’approchant de « Fuyons ! ». Mais rien ne se passa.

L’ermite s’affola et regarda avec terreur la chose occulte s’approcher de lui et de sa misérable capsule. Il était seul face à l’inconnu, et, pour la première fois depuis longtemps, il regrettait de l’être. Il donna un faible coup de poing contre le tableau de bord et, impuissant, se mit à pleurer. Ils l’avaient vu, et ils venaient le chercher. C’était la fin de son épopée solitaire. Il zyeuta vers l’espace, où un petit point grandissant arrivait.

Durant un nouvel assaut de panique, il pensa que ces gens étaient peut-être des humains venus le chercher. Il suffoqua. Non ! Laissez-moi ! Laissez-moi seul !

La sueur perlait sur son front et son regard était celui d’une bête traquée sur le point de se faire dévorer. Le vaisseau était tout proche, tout au plus à une centaine de kilomètres. Une broutille, dans l’infinité de l’espace. L’ermite put distinguer sa coque noirâtre, recouverte d’un amalgame de fils pendouillant comme des poils sur une bête des enfers. Quelle immondice !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Luciferr ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0