Chapitre 3

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 J'ajuste une nouvelle fois mon blazer devant le miroir de ma salle de bain. Plus je me regarde et plus je démoralise. À cause de ce qui s'est passé hier, je n'ai quasiment pas fermé les yeux de la nuit. Donc forcément j'ai des cernes et malgré le fond de teint pour camoufler cela reste visible.

Je pense que de toute façon, je ne pourrai rien faire de plus. Je serre une énième fois l'élastique qui retient ma chevelure brune et sors de ma salle de bain. Je récupère mon sac à main et planifie le trajet jusqu'au cabinet avec le GPS de mon portable. Voyant l'heure défiler je chausse mes escarpins et ferme la porte.

D'un pas pressé je me dirige vers l'escalier. Au même moment, mon souffle se coupe en l'apercevant. Je reconnaîtrais entre mille ce regard ténébreux, c'est l'homme de la veille. Je cesse tout mouvement paralysée par la peur. Je rate un battement de cœur lorsqu'il s'approche près de moi sauf qu'il ne fait pas attention. C'est à peine s'il lève les yeux, il passe juste son chemin, ne prêtant aucune attention à ma personne.

Peut-être, qu'hier il faisait trop sombre pour qu'il puisse me voir. Me sentant rassurée je reprends mes esprits et sors de l'immeuble. Je décide de laisser ma voiture garée sur le parking d'à côté. Une chose est sûre, à San Francisco mieux vaut privilégier les transports en commun.

Je tente tant bien que mal de me repérer sur les différentes lignes. Après plus de quarante minutes de bus et dix minutes à pieds, la devanture apparait. La façade est pratiquement vitrée. Seul un morceau du mur blanc y échappe pour laisser place au nom du cabinet.

C'est le cœur palpitant que j'ouvre la porte pour pénétrer dans l'établissement. Une agréable odeur de propre envahit la pièce. D'un pas assuré je me dirige vers le comptoir gris où une jeune femme menue est assise de l'autre côté. Son carré plongeant blond-platine encadre à la perfection son visage rond, tandis que son sourcil brun accentue ses yeux vert émeraude. Maintenant, je sais d'où vient le cliché de la secrétaire.

— Excusez-moi, madame Linsh m'a engag...

— Justement elle t'attend dans son bureau, déclare-t-elle chaleureusement en levant le regard de son ordinateur, tu montes l'escalier et ça sera la première porte à droite.

Je la remercie et emprunte les marches en bois faisant claquer mes talons dessus. L'endroit est assez joli, les murs gris sont mis en valeur en raison des nombreuses plantes vertes. Sur le palier se trouve un guéridon où reposent une machine expresso et plusieurs tasses blanches.

Je respire avant de m'avancer vers le couloir. Je n'ai pas le temps de frapper que la porte du bureau s'ouvre. C'est une femme aux cheveux flamboyants qui me fait face.

— Bonjour ! tu dois être Camélia, nous t'attendions avec impatience, prononce gaiement Andréa Linsh.

Je serre la main qu'elle tend avant de rentrer dans la pièce. La décoration sobre est quasiment la même que celle du couloir. La chose qui le personnalise un minimum est un cadre qui est posé sur son bureau. La photographie représente elle et son mari, Arthur Linsh. Le cofondateur du cabinet.

Avant de venir travailler pour eux, j'ai effectué quelques recherches. Je sais que l'entreprise a été créée par Andréa et Arthur Linsh, le 7 mai 1996 et qu'il a une excellente réputation.

— Déjà, je te souhaite la bienvenue chez nous, je suis Andréa Linsh. Je dirige la société avec mon mari Arthur, mais tu le verras rarement en semaine. C'est lui qui nous représente dans les entreprises, donc il est souvent en déplacement, m'explique-t-elle tout en continuant sur ça lancée. Nous sommes trois à être présents, Ethel la secrétaire, Roger qui gère les dossiers clients et qui s'occupera de te former ainsi que moi-même.

J'essaie tant bien que mal d'assimiler tout ce qu'elle dit, acquiesçant de temps en temps.

— Si tu veux bien, je vais te présenter à Roger, tu seras son assistante.

Je sors de son bureau toujours avec cette pointe d'anxiété qui ne me quitte pas. On traverse le corridor pour rejoindre une autre porte qui se trouve cette fois-ci ouverte. La pièce est de la même taille sauf qu'elle est personnalisée.

Des plaintes accompagnées de petites épingles en fer décorent le meuble en bois. Un homme a la carrure athlétique nous fait face derrière les trois écrans de l'ordinateur. Tout comme Andréa, il dégage une certaine assurance qui me met en confiance. Les manches de sa chemise bleu clair sont relevées jusqu'à son coude, donnant un air d'originalité à sa tenue plutôt conventionnelle.

— Roger, je me permets de te déranger cinq minutes pour te présenter...

— Camélia ! Je suis ravie de te rencontrer, s'exclame-t-il en se levant pour me saluer, j'espère que tu te plairas ici, en tout cas je ferai tout pour.

— Merci.

Même s'il se veut bienveillant, il y a quelque chose qui me perturbe, mais je n'arrive pas à déterminer de quoi il s'agit.

— Je te laisse t'occuper de Camélia, je dois appeler Lidia Heeks pour les documents qu'elle ne m'a toujours pas transmis.

Elle ne donne pas le temps à Roger de lui répondre qu'elle a déjà fait demi-tour pour retourner à ses préoccupations.

— Tu vas voir Andréa ne s'arrête pas de courir partout, tu t'y habitueras sûrement, plaisante-t-il en se posant contre son bureau. Je ne sais pas si elle te la dit, mais tu seras mon assistante, mais ne t'en fais pas, je suis plutôt comme cool comme chef.

— Et moi j'essaierai d'être une bonne assistante, répliqué-je avec humour.

— Je n'en doute pas une seconde. De toute façon, si tu as besoin de quoi que soit, n'hésite pas à venir vers moi.

— Merci beaucoup,

— Je vais te montrer ton bureau et t'expliquer comment tout fonctionne au sein du cabinet et surtout si tu as des questions demande moi.

Je le suis en dehors de la pièce pour emprunter de nouveau le corridor pour rejoindre la porte close en face. La salle est plus exigüe par rapport aux précédentes, néanmoins les meubles reste les mêmes.

— Alors il te plait ton bureau ?

— Il est parfait !

Tout le reste de la journée est passé rapidement, notamment grâce à Roger qui a tout fait pour me mettre à l'aise. J'ai également pu parler avec Ethel ce midi et malgré ses apparences superficielles elle a beaucoup d'esprits et de conversation.

En sortant du cabinet, je n'ai pas envie de rentrer tout de suite et préfère aller me promener. J'essaie de faire abstraction de la douleur qui commence à émerger de mes pieds dus à mes escarpins. Appréciant le soleil qui réchauffe ma peau, j'enlève mon blazer et l'attache autour de ma taille.

— Fais chier !

Je jure comme une charetière parce que mon talon vient de se cassé. Géniale, la prochaine fois je penserai à prendre une véritable paire de chaussures pour aller me promener dans les rues. D'un pas boiteux, je me dirige vers l'arrêt de bus attirant les regards incrédules sur moi. Heureusement, je n'ai pas longtemps à entendre. Je pars m'asseoir sur l'un des sièges contre la vitre et profite du trajet pour enlever mes escarpins. La vision des dégâts me dépite, il y a pas plus d'une semaine exprès. Cela m'apprendra à arpenter les rues pentues de San Francisco en talons aiguille.

Ayant peur de me tordre la cheville, je décide de garder mes chaussures dans les mains et de continuer à pieds nus. De toute façon, l'arrêt est à peine à cent mètres de l'immeuble. Le trajet du retours se passe étonnamment plus vite que ce matin.

C'est sous les regards des passants que j'avance d'un pas rapide. Je prends sur moi et reste indifférente. Mon cœur s'emballe une nouvelle fois en voyant ses prunelles sombres persan. À ses cotés il y a toujours l'homme chauve de ce matin ainsi que deux autres. Tous les quatre me jettent exactement le même regard sceptique, je fais mine de ne pas le remarquer et continue mon chemin jusqu'à la porte de l'immeuble.

Je monte les marches d'un pas pressé, reprenant une respiration normale. Je n'avais pas fait attention au fait que mon souffle qui s'était coupé. J'enlève mes vêtements pour filer sous la douche. À peine ai-je tourné le robinet que mon portable se met à sonner. J'hésite un instant à aller répondre. Entendant une nouvelle fois la musique retentir, je finis par quitter l'eau à contrecœur et a m'enrouler avec dans serviette.

— Enfin, tu réponds ! je commencais à m'inquiéter moi, s'indigne Cloé à l'autre bout du fils.

— Figure-toi que j'étais partie prendre une douche.

— Alors raconte, comment s'est passée ta journée ? s'empresse-t-elle de dire enthousiasme sans faire attention à ce que je viens de dire.

— Dans l'ensemble, ça a été, celui qui me supervise est plutôt gentil.

— Est-ce qu'il est canon ?

— Cloé !

— Quoi ? il est peut-être ton supérieur, mais rien ne t'empêche de t'envoyer en l'air avec lui. Tu vas vite oublier Jérémy avec lui.

— Je raccroche avant que tu puisses dire une connerie plus grosse que toi, conclué-je en levant les yeux.

Malgré ses protestations, je mets fin à la conversation et laisse tomber mon téléphone sur le matelas. Tandis que je m'apprête à retourner sous l'eau, je fais demi-tour pour aller observer par la fenêtre si les hommes de tout à l'heure sont toujours là. Ils n'ont pas bougé d'un pouce. Je me cache derrière mes rideaux et prends cette fois-ci le temps de les regarder de plus près. Le trafiquant d'hier soir est posé contre le mur, concentré sur l'écran de son téléphone portable.

À ses côtés, il y a un autre homme, une capuche vissée sur sa tête m'empêchant de voir convenablement le haut de son visage. Il y a la même corpulence que celui aux yeux sombres, le troisième est le plus grand et svelte de tous. Le contraire de celui que j'ai croisé ce matin. Il est le plus petit avec le corps plus corpulent de tous.

Comme si l'homme aux prunelles ténébreuses sentait mon regard sur eux, il lève les yeux dans ma direction. J'ai un mouvement de recule lorsque je croise son regard. J'hésite un instant à aller jeter un nouveau coup d'œil pour m'assurer qu'il ne m'a pas remarquée. Avec anxiété, je décale le voile, restant assez loin pour qu'on ne me voie pas d'en bas.

Ils ne sont plus là. Entendant des bruits dans le couloir, j'attrape une chaise pour la bloquer contre la porte d'entrée. Le cœur battant, je regarde à travers le judas. Ma respiration se calme en remarquant que ce n'est que deux petits vieux qui montent l'escalier.

Le cœur palpitant je tente de reprendre un rythme cardiaque normal. Mon esprit refuse de penser à autre chose qu'à ses yeux noirs. Son regard est d'une telle profondeur que je pourrais m'y perdre.

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