119. Conclusion

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Je vais fêter mes quatre-vingt ans, et je n’ai pas pris une ride. Ce soir je ne danse pas, c’est tout mon staff qui se plie en quatre pour moi. Depuis le balcon donnant sur l’immense salle du Païen 3, j’observe les tables en train d’être installées pour le grand repas. Jésus, assis dos son immense piano à queue, donne les dernières consignes aux musiciens qui n’auront aucune vue sur la scène ceinte de pieux dorés.

Le Païen 3 est immense, car j’ai acheté tous les bâtiments mitoyens au décès de Jacques. Malgré les décennies, je repense souvent à lui, et son portrait n’a jamais été décroché d’au-dessus du comptoir. Il était devenu l’homme le plus influent de la ville, et notre ouvrage avait amené le commun des mortels à rebaptiser notre ville : Saint-Vaast-la-Païenne. Quelques ouailles du curé avaient préféré déménager, mais les commerçants, eux, y avaient comme prévu trouvé leur compte. Les gens nous ont surnommé les Diablotines, à la suite du premier spectacle, et c’est resté car les danseuses qui se sont succédées héritent de ce sobriquet.

La première année a été marquant en bien des points. Henri-Xavier Bonneau, nous a offert l’accès aux plus grands théâtres. Il s’est enrichi autant que nous, puis nous avons arrêté de voyager sitôt notre célébrité faite. Léonie a tenu promesse permettant de transférer ma salle de bains des Marais-Rouges au Païen en un tour de clé et de garde contact avec mes proches. Hélas, exactement un an après l’inauguration du Païen 2, une pandémie s’est répandue, précipitant mon monde d’origine dans l’apocalypse. Les gens se cloîtrant chez eux, j’ai fait venir toute ma famille qui n’a jamais osé repartir.

Mes frères se sont aventurés avec mes amants jusqu’au lac de la jeunesse éternelle. Puis les années passant, l’église nous laissant faire, Maxime est devenu maire de Saint-Vaast, Hugo est devenu le magicien du Païen, et l’inventeur des accessoires et artifices les plus bluffants de mes spectacles.

— Pensive ? demande-t-il en arrivant derrière-moi.

— Un peu. Je repense aux débuts. À Jacques, à Marmiton, à Martine...

Il s’accoude à côté de moi et désigne Jésus du menton :

— Avec toutes les filles qui partage son lit, je crois qu’il n’y pense plus.

— Certes…

— Tu ne te lasses pas ? De danser ?

Je secoue la tête. J’ai cru qu’un jour je me lasserai, que ma sexualité s’éroderait. Elle s’est un tout petit peu diversifiée. Après avoir assassiné tous ses anciens tortionnaires, Léonie a repris la réhabilitation de son château, et s’est donné pour mission de sauver les femmes enfermées dans des mariages forcés, et surtout celles qui préféraient les la compagnie féminine. Elle s’était composé une cour très libertine et, pour mes quarante ans, m’a fait vivre une orgie saphique dans son harem. Cela reste un souvenir fort qui n’a rien ébranlé à mes sentiments pour les jumeaux. Car même si je les oublie certains soirs pour un partenaire occasionnel, homme ou femme, leur complicité et leur savoir-faire en fait toujours mes amants les plus réguliers. Malgré cette petite nuance, je reste la même. Il est une chose dont je ne me lasse pas : celle de séduire, de plaire, d’entendre mon nom scandé par une foule surexcitée, de danser, de m’améliorer sans cesse jusque dans les figures les plus compliquées.

Je suis Fanny l’Eternelle, la danseuse de Saint-Vaast-la-Païenne, et je compte le rester pour les siècles prochains.

FIN

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