114. Retrouvailles

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L’air de piano manque trois jours de suite. Le shérif avait calculé un retour de nos proches pour hier. Je suis inquiète depuis ce matin, j’ai mal dormi, j’imagine le pire, et je n’arrive pas à penser à mon spectacle avec les filles. Tandis que les menuisiers font du bruit à l’étage, j’écoute distraitement Marianne chercher le compris entre sensualité et narration.

— Lisette, faudrait que tu t’enroules autour de Perette, un peu comme une araignée, Si tu ouvres bien les bras pour faire comme des grandes pattes. Fanny. Qu’en penses-tu ?

— Désolée, je ne regardais pas vraiment.

— Il faut imaginer sans robe.

— Mmm.

Jacques rentre avec Martine et les emplettes du jour. Il grogne :

— Allez les filles ! On prépare les tables !

Les trois filles quittent la scène. Je reste assise, inquiète. Seule je pense à la fois à Maman, à Jésus et au Jumeaux avec lesquels mon histoire a à peine débuté. Jacques revient dans la salle :

— Chassé de ma propre cuisine ! Tu te rends compte ? Depuis que Madame Martine a des commis... Ça va, la Punaise ?

— Je suis inquiète pour Maman et Jésus.

— Ils ont peut-être manqué le train. Celui en provenance de Versailles n’arrivera que ce soir. Et sinon, peut-être ont-ils voulu couper à travers le pays pour éviter d’attirer l’attention.

— Ou peut-être qu’ils sont tombés sur des brigands.

— Y a les fils du shérif avec eux.

— Et donc ? Ils sont immortels ?

— Non, mais ce sont de fins tireurs.

— Je sais.

Lisette et Perette commencent à dresser les tables. Il me faut être patiente. Le Maire pénètre dans l’établissement.

— Bonjour Mesdames ! Bonjour Jacques ! Comment allez-vous en ce jour plein de douceur ?

— La Punaise broie du noir.

— Ah ?

— J’ai l’esprit préoccupé, réponds-je. Il n’y a pas de quoi s’alarmer.

— Bien, je vais voir comment avancent nos travaux.

Comme chaque jour depuis mon départ, il monte l’escalier tout neuf, suivi par Jacques, s’assurer que son investissement sera rapidement prêt à être rentabilisé.



Le midi passe, toujours avec le sourire courtois des clients, impatient d’assister au spectacle d’ouverture. Si notre pianiste ne revient pas, c’est une projet compromis. De toute façon, où trouverais-je l’envie de danser si, par ma faute Maman, et les jumeaux ont péri.



L’après-midi est pluvieuse. Les idées ne me viennent plus. Les filles font une partie de carte avec Martine. Jacques astique son comptoir auquel je suis assis, ma jambe battant nerveusement. Le bruit de sabots attire mon attention, et je jette un regard, vers les nombreux cavaliers de l’armée Èvanique qui s’arrêtent devant l’établissement. Jacques s’exclame en armant sa carabine :

— Cornegidouille !

Les filles à leur table se taisent. Deux soldats poussent le portillon et le maintiennent ouvert. L’inquisitrice entre en ôtant sa capuche. Elle me toise d’un regard menaçant. C’est comme si la liste des tortures qu’elle imagine défilait. Puis, elle dévisage la décoration avec mépris. Jacques l’avertit :

— Ne restez pas trop longtemps ici, ma sœur, l’esprit de cette taverne pourrait vous brûler l’âme.

— Je n’en doute pas. En d’autres temps, nous aurions purifié cet endroit par le feu. Mais en tant que gens d’Eglise, nous devons savoir faire grâce aux âmes les plus égarées. Dieu vous jugera le moment venu.

— Bien. Pourquoi vos bottes de fidèle me font l’honneur de fouler mon parquet impie ?

— En temps que nouvelle régente de la Cité Pieuse, je me rends à Versailles pour les obsèques du Cardinal de France. Je désirais faire une halte afin de vous trouver. Les gardes de son éminence ont étayé mon témoignage en expliquant aux autres inquisiteurs que vous étiez ferrée au poignets, et que la Mère Suprême tenait la masse d’arme souillée du sang de son éminence. Pour avoir déjoué le complot fomenté par la précédente Mère Suprême, veuillez trouver cette lettre portant le sceau de la Cité Pieuse, attestant de son officialité.

Elle me remet un parchemin. Je le déroule et découvre en lettre calligraphiée, un certificat, présenté comme un diplôme à mon attention, me remerciant pour service rendus. Elle ajoute :

— Puissions-nous jamais nous recroiser, Fanny Gaultier.

— Je l’espère aussi.

— L’éternité est trop longue pour que ça n’arrive pas.

— Mais il n’y a pas de raison que ce soit en de mauvais termes.

— Tout à fait.

Elle remet sa capuche, se recule avant de tourner les talons, puis sort sous la pluie. Jacques admire l’ouvrage, les lunettes sur le bout de son nez et fait une moue admirative.

— Il faudra l’accrocher au mur, celui-ci.

Les filles s’attroupent pour venir le lire. Jacques leur laisse et me désigne la fenêtre du regard :

— Les lugubres s’en vont, la pluie s’arrête. Si ce n’est pas un signe !

Je hausse les épaules. Je pourrais être soulagé que l’Église m’oublie, si seulement je savais mes proches en bonne santé.



Lentement, le soleil glisse ses rayons entre les nuages à peine dispersés. Le front posé sur les bras, j’attends l’heure d’arrivée du train, quand Antoinette pousse enfin le portillon.

— Je descends à la gare.

Je me lève, puis lui emboîte le pas. Nous descendons les rues humides jusqu’à la gare sans nous parler. Cadeau se balade le long de la voie à la recherche d’odeurs. Alors que nous patientons sur le quai, elle questionne :

— Tu n’as pas gardé la robe ?

— Non, je préfère les pantalons.

— T’es une étrange fille.

— Autre culture.

Le train approche. Mon cœur se serre, tandis que je regarde par les fenêtres sans distinguer une seule silhouette. Je le regarde ralentir en faisant crisser ses freins. Il s’arrête et Maman est la première à descendre.

— Fanny !

Je trotte vers elle et la serre dans mes bras. Elle sanglote :

— J’ai eu tellement peur qu’Apollinaire ne te retrouve pas.

— Il m’a retrouvée. Il m’a sauvée.

— Quel bonheur ! Il va bien ?

— Oui.

Elle se décolle de moi, j’observe ses yeux. Ses ridules semblent s’être estompées. Le bain dans le lac lui a donné un coup de jeune. Jésus me donne un coup de moignon.

— Et moi ? On ne me dit pas bonjour ?

Je me penche vers lui, l’embrasse sur le front et plaisante, le cœur enivré par la joie :

— J’ai eu si peur devoir trouver un autre pianiste ! Ouf !

— Grrr ! Petite peste !

— On va pouvoir retrouver vie une vie normale ! Je suis soulagée !

— Je suis soulagée aussi, glisse Léonie.

Je lui ouvre mes bras et l’étreins. Je pose ma bouche sur sa joue pour ne pas choquer les gens qui nous verraient. Je le confie :

— Merci beaucoup, Léonie.

— C’est moi qui te remercie.

— Tu as une nouvelle dette envers moi. J’ai tué la Mère Suprême.

Sa mâchoire se crispe avant qu’elle réponde :

— Je ne sais pas si je dois t’en être reconnaissante ou non. Je rêvais tant de le faire de mes propres mains.

— Il y a encore quelques évêques. La nouvelle Mère Suprême m’a… Il y a trop à raconter ! On fera ça autour d’un verre. Où sont les garçons ?

Ils se tourne vers le wagon à bestiaux. Daniel fait descendre Marmiton. Urbain le suit avec la jument de Léonie. Mon âne braie de joie, les oreilles dressées. Je cours vers eux, ignore volontairement les garçons et embrasse l’encolure grise de mon âne. J’adore son odeur.

— J’ai tellement eu peur que les sœurs fassent du saucisson de toi.

Urbain et Daniel se regardent :

— Au moins, on sait où on se situe.

Je jette un regard amusé à Daniel, puis je l’agrippe par la chemise et jette ma bouche contre la sienne. Je l’embrasse sauvagement puis attire Urbain à moi tandis que son frère me retient. Urbain m’embrasse longuement. Antoinette balbutie :

— Pas de ça en public ! Ma parole ! Si leur père voit ça !

— En parlant du Lion, indique Jésus.

Je cesse mon baiser pour voir le shérif avancer sur le quai. Son regard ne lâche pas Maman. Il s’arrête à un pas d’elle et dit simplement :

— Ravi de vous voir en vie.

— Vous vous êtes inquiété ?

— Juste un soupçon.

— Je vous avoue que je n’ai pas craint que pour la vie de ma fille. Mais vous ne pouviez pas mourir, ça aurait brisé toute votre réputation.

— Exactement.

En voyant les mains nerveuses que Maman cache dans son dos, je m’attends à ce qu’elle l’embrasse, mais elle se retient. Les garçons s’empressent de descendre les autres chevaux. Je reste près de Marmiton, lui caresse le chanfrein et lui dis combien il est beau.

— Fini les aventures, mais on fera plein de balades, promis.

Le chef de gare siffle. Les garçons s’empressent de refermer les portes du wagon à bétail. Le train démarre doucement, puis s’éloigne progressivement. Je lève les bras au ciel et m’écrie de joie.

— Tu rayonnes de bonheur.

— C’est génial ! Tout le monde est vivant !

Antoinette ouvre le chemin. Je tends la main à Maman qui me la saisit, et de l’autre, je tire les rênes de Marmiton. Nous remontons la rue, les doigts de Maman restent serrés jusqu’à ce que nous parvenions au Païen. Jacques s’exclame :

— L’Estropié !

— L’Ivrogne !

— Cornegidouille ! Faut que tu arrêtes de me laisser avec ta bonne femme dans les pattes !

— Promis, je vais rester. J’en ai plein les jambes

Ils s’étreignent avec force. Jacques s’exclame, la voix nouée :

— Allez, j’offre ma tournée ! Qu’en dites-vous, Carole ?

— Servez-moi ce que vous voulez.

Elle tape du comptoir en riant, m’embrasse sur la joue, les yeux humides. Le shérif s’approche, passe un bras autour de sa taille, et elle s’appuie sur lui. Jacques les regarde, la main figée tenant les verres.

— On dirait qu’il y a de l’amour dans l’air.

— La tendresse, ça ne fait pas de mal, répond le shérif.

Jacques remplit les verres. Léonie prend le sien et demande :

— Alors ? Comment la Mère Suprême est-elle morte ?

— Ça avait vachement mal commencé…

Tournée après tournée, je narre mon périple après ma capture. Je suis surexcitée ! Une vraie pile remplie d’allégresse !



La nuit tombée, le dîner consommé, l’alcool un peu épongé, Maman et le shérif se lèvent. Maman me dit :

— Je vais dormir au poste de police, tu as la chambre pour toi toute seule.

J’épie les jumeaux. À l’éclat dans le regard, je devine qu’ils n’auront plus jamais la volonté de se refuser. Je me lève, leurs tends les mains, puis les emmène vers les escaliers. Nous nous enfermons dans la chambre, et je murmure :

— J’espère que vous n’êtes pas trop fatigués.

— Un peu, confie Urbain.

— Et nous n’avons pas fait de toilette, ajoute Daniel.

Je marche vers mon lit, me débotte, et baisse mon pantalon et ma culotte d’un seul geste en me penchant.

— Bien. Je vous laisse décider. Nous avons tout notre temps, maintenant.

Ils ne répondent pas. J’ôte ma chemise et regarde par-dessus mon épaule l’empressement avec lequel, ils se déshabillent. Urbain parvient le premier jusqu’à moi. Son sexe bandé s’écrase contre mon ventre, obligeant mon nombril à se fermer. Nous nous embrassons langoureusement. Nos cœurs s’emballent et la bouche de Daniel vient se pose sur mon épaule, descend dans le creux de mon dos et sur mes fesses.

— Oh Fuck ! Ne t’arrête pas !

Urbain l’imite alors. Leurs deux bouchent me dévorent, goûte chaque parcelle de peau, embrasent mes sens. La nuit s’annonce comme un happy-end de ceux qu’on ne trouve que dans les films et les romans. Ma vie mériterait d’être racontée par un grand réalisateur.

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