88. L'aveu

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Je m’éveille alors que la chaleur du marais envahit l’appartement. Je m’éveille, encore en jeans, ruisselante dans mon pull. Je me relève en l’ôtant, gratte ma peau moite et m’avance vers la salle de bains pour profiter d’une douche. Soudain ma chaussette trempe dans une flaque froide.

— Fuck !

Réalisant que Cadeau a uriné sur le parquet, je m’emporte :

— Mais fuck ! Tu ne pouvais pas demander à sortir ?!

Je le soulève par la peau du cou, le fout sur le palier, puis ferme à triple tour pour repasser dans mon monde. Mon téléphone carillonne que j’ai reçu un SMS. À cloche-pied, je retourne m’asseoir sur mon lit et jette un œil à mon téléphone, découvrant la réponse d’Alexandre :

« Je ne taffe pas. Je peux passer après 14h30. »

Je lui réponds :

« Cool ! A toute à l’heure ! Plein de bisous. »

Je me redresse de bonne humeur, sautille jusqu’à la salle de bains, et sors les produits d’entretien.

J’éponge et je nettoie en rageant de ne pas avoir une salle de bains carrelée. Une fois que toute la salle de bains sent bon, je me débarrasse du jeans et des chaussettes directement dans la machine à laver. Je lance un programme, puis tandis qu’elle ronronne, je m’offre une longue et agréable douche chaude en pensant à Alexandre. C’est le corps de Léonie que j’ai envie de chasser en frottant chaque parcelle de ma peau contre celle de mon petit-ami.

Peinée pour Cadeau, je décide de le rejoindre dans les marais. Complètement nue, la peau parfumée, les cheveux brossés, je fais couler un café, puis tourne la clé dans la porte. La lumière des marais frappe la vitre, la machine à laver s’éteint. Tant pis. J’ouvre la porte. Cadeau m’attend sagement. Je pose un genou pour le caresser.

— Désolée, mon grand. J’aurais dû te sortir hier soir. En plus t’es un bon chien. Tu n’aboies pas, tu ne lèches pas. Allez, viens, on va voir Marmiton.

Je glisse mes pieds dans mes baskets. Cadeau me précède dans le vieil escalier, puis je lui ouvre la porte du rez-de-chaussée. Marmiton braie bruyamment en me voyant. Tenant ma tasse de café loin de moi, je lui octroie une accolade et lui tapote l’encolure.

— Bah voilà ! Je vais sentir l’âne.

Questche s’avance, curieuse. Je lui caresse la tête.

— Ça va, toi ?

Elle a l’air apaisée, les oreilles en avant. Je bois mon café tout en parcourant l’enclos assez vert pour les nourrir. Je fais le tour de la station, suivie par Cadeau, précédée par mes souvenirs d’explorations dans la mine.

J’aime posséder un âne et un chien tout en vivant en appartement, de pouvoir sortir au soleil sans un vêtement malgré l’hiver. Les marais sont un endroit apaisant, d’autant plus avec les animaux, car tant qu’ils sont sereins, c’est qu’il ne rode aucun danger.

Ayant la matinée à tirer, j’ai ouvert l’enclos pour explorer les environs. Questche a préféré rester près de la station. Marmiton me suit sous l’ombre des hauts feuillages rouges. Tout en marchant, je disserte avec Cadeau qui erre devant moi d’odeur en odeur.

— Il y a bien un moment, je vais être obligée de mettre Alexandre dans le secret. Enfin, quand ce sera une histoire d’amour concrète. Mais si j’attends d’être sûre qu’il m’aime, genre un an, il va m’en vouloir d’avoir attendu tout ce temps. Et en plus, ce serait quand même plus cool de venir ici tous les deux.

Cadeau continue à raser le sol de la truffe.

— D’un autre côté, je vais repartir plusieurs jours et… Et il ne va pas comprendre. Pire encore ! Si ça devient une véritable histoire d’amour, et que j’ai la jeunesse éternelle, lui, il va vieillir ! Donc, il faut absolument que je le convainque de venir avec moi, et donc que je lui explique tout. T’es d’accord ?

Cadeau repasse devant mes jambes.

— S’il vient avec nous, il va rencontrer Léonie, il faudra lui expliquer pour les yeux-serpents, lui montrer que j’en ai un… De toute façon, il va forcément l’apprendre un jour.

Mes pas m’ont ramenée vers la station. Je me tourne vers Marmiton qui a l’air plus à l’écoute que le bâtard de chacal.

— Tu vois, il y a un truc que j’aime chez Alexandre, c’est que c’est un mec simple. Tu vas me dire que je ne le connais pas beaucoup, mais de ce que j’ai cerné chez lui, il aime les choses simples, il ne va pas chercher midi à quatorze heures, tu vois ? Et là, j’ai peur que ça le perturbe.

Marmiton pousse mon épaule avec ses naseaux, comme pour me dire d’avancer. Je me dirige donc vers l’enclos et lui réponds :

— Tu as raison, on ne le saura qu’en lui montrant.

Je referme l’enclos, ramasse mon smartphone laissé à l’ombre et regarde l’heure.

— Bon, je vais reprendre une douche. À ce soir ! On se verra pour le pipi de Cadeau. Cadeau ? Cadeau !

Le chiot se glisse sous la clôture et me rejoint.

J’ai mis une jupe plissée, des bas chauds, des chaussures montantes, un débardeur et un sweat-shirt à glissière. C’est ce qui me semblait aussi simple que sexy. Le souvenir du jour de l’an suffit à faire voleter des papillons dans mon ventre. J’ai laissé mon chapeau de cowgirl et mon revolver visibles à côté de mon lit pour qu’il me pose la question et me permettre d’aborder naturellement le sujet de l’autre monde.

Mon téléphone bipe.

« C’est quel étage ? »

« Quatrième. »

Mon cœur tambourine. J’ouvre la porte. Un peu essoufflé quand il arrive sur le palier, il sourit simplement. Je le laisse approcher, puis me love contre lui pour l’embrasser. Je savoure sa bouche pendant de longues secondes. Il rit :

— Et ben !

— Quoi ?

— Je t’ai manqué ?

— Beaucoup. Entre.

Je lui prends une main et l’invite dans mon repère.

— Oh ! T’as mis le chauffage à fond !

— J’aime bien me balader toute nue dans l’appart.

Il rougit, sans répartie. Je lui désigne mon colocataire qui vient lui renifler les pieds :

— Je te présente Cadeau. T’aime bien les chiens ?

— Bah oui !

Il s’accroupit pour le caresser. Cadeau a l’air de bien l’aimer car il se laisse faire. Je précise :

— Moitié chien, moitié chacal.

— Il est tout jeune.

— Oui. C’est un cadeau pour me protéger.

— Tu veux qu’on aille le promener ?

Je regarde par la fenêtre le ciel à moitié bleu et ombragé.

— Je n’ai pas de laisse.

— Bah ! C’est l’occasion d’en acheter une ! Viens !

Trouvant l’idée agréable, je hausse les épaules. Je saisis mon blouson et ressors de l’appartement. Cadeau restant sagement assis, je l’appelle.

— Allez viens !

Il bondit en remuant la queue. Il descend les escaliers et s’arrête à l’étage d’en dessous et tourne en rond sur le palier. Je ris :

— Et non ! Y en a trois de plus, ce coup-ci.

Alexandre s’étonne :

— Trois de plus ?

— Trois étages. Ce matin, on était dans un autre immeuble… enfin, je t’expliquerai ce soir.

Nous parvenons au rez-de-chaussée. Je soulève le chiot, dans mes bras, de peur qu’il se glisse sous une roue. Alexandre me dit en poussant la porte donnant sur la rue.

— Y a une animalerie en bas.

Nous descendons les trottoirs alors que le vent glacé de l’hiver mord mes fesses. Je hâte le pas, alors Alexandre se moque :

— T’as froid ?

— Je t’autoriserai à rire que le jour où tu porteras une jupe et un string par moins quinze degrés.

— Il ne fait pas moins quinze ! Il faisait cinq ce matin, il doit faire presque huit. Moi je trouve qu’il fait bon.

— Ben pas le vent. Et puis, moi, je reviens d’un pays chaud.

— D’où le chauffage ! Je comprends !

Nous dévalons la rue jusqu’à la boutique pour animaux. Je passe la porte et Alexandre me propose de porter Cadeau. Je lui mets dans les bras et pose mes mains chauffées par le pelage sur mes fesses, en soupirant de soulagement.

— Ah ! Fuck !

Alexandre éclate de rire. Une vendeuse s’approche.

— Bonjour.

— Bonjour. Nous cherchons un collier, sourit Alexandre.

— Oui.

Elle nous précède vers les colliers. Alexandre me fait un clin d’œil complice avant de lui emboîter le pas. Il s’accroupit avec Cadeau dans les bras et lui parle comme à un enfant :

— Alors mon grand ? Lequel tu préfères ?

Il semble déjà tisser une complicité avec mon chien, et je l’imagine déjà en père de famille. Non pas que j’ai envie de pondre un mioche, mais si ça devait arriver, Alexandre serait un bon père. Je m’emballe pour peu, alors que je vais courir après la jeunesse éternelle. Ma seule certitude, c’est que c’est un garçon de mon monde dont j’ai besoin.

Nous repartons avec un collier et une laisse en cuir rouge vif. Alexandre propose que nous marchions jusqu’au jardin botanique où nous ne croisons que quelques personnes âgées emmitouflées dans leurs grands manteaux. Je crains que le demi-chacal ne s’enrhume, mais la promenade est propice à la discussion, à me faire une idée d’Alexandre. Comme il aime les chiens, je lui demande s’il aime les ânes. Il s’étonne quand je lui dis que j’en monte un régulièrement. Il ne pensait pas qu’on pouvait les chevaucher. Il me demande où je fais mes promenades, j’élude le sujet. Il n’aime pas quand je suis évasive, ça provoque toujours un blanc. Quand il me parle, franc et sans détour, que nous parlons un peu de sa famille, il me conforte dans l’idée que c’est un garçon qui fuit les choses compliquées et qui va vers ce qui lui paraît simple. L’avantage est qu’il ne me mentira jamais et qu’il n’embarrasse pas sa vie des gens versatiles et toxiques. Il faut que je lui avoue tout avant qu’il me trouve complexe. Je n’ose même pas lui dire que je repars.

Alors que nous retrouvons la chaleur de l’appartement, je souffle de soulagement.

— On est mieux au chaud.

— Mais quelle idée de sortir en jupe !

— C’était pour te plaire.

— Tu sais, tu n’as pas besoin, dit-il en s’asseyant sur le canapé

— Je sais… mais comme on ne s’est pas vus depuis longtemps. Et puis ça va te donner une excuse pour y poser tes mains.

Je me penche dos à lui, il hasarde ses doigts sous ma jupe et les retire aussitôt :

— Mais t’as le cul gelé !

Je ris en m’éloignant vers la cuisine et questionne :

— Tu veux un café ?

— Non merci. Sinon, je ne vais pas dormir.

Je m’accoude au passe-plat et lui dis :

— Ce n’était pas dans mon idée.

— De ?

— De dormir.

Il rougit, puis confie :

— T’es directe, comme fille.

— Tu n’avais pas remarqué ?

— Si, si.

— Je n’aime pas tourner autour du pot. Parce qu’on est une fille, on ne devrait pas dire ce qu’on a envie ?

— Si, je suis d’accord.

Je prends ma tasse une fois pleine, et je m’assois à califourchon sur ses genoux. Je caresse sa nuque d’une main. J’ai envie de tout déballer sur ma vie de ces derniers mois, mais j’ai peur de gâcher cet après-midi paisible, alors lui confie :

— Je suis simple. J’aime quand les garçons ont des étincelles dans les yeux.

Il rougit. Je bois une gorgée, puis il dit :

— Tu aimes danser en petite tenue.

— Et pas qu’en petite tenue.

— C’est vrai ?

— Dans la salle où je danse, il peut y avoir plus de cent spectateurs. Et quand j’ai fini, je ne porte plus rien, et ils crient mon prénom comme des gonzesses hystériques à un concert des BTS.

— Ça ne me dérange pas.

Je bois rapidement le reste de ma tasse et je lui propose en écrasant sa braguette sous mon entrecuisse.

— Je te propose, ce soir, de baiser comme des sauvages, de manger une pizza, et de découvrir tous mes défauts. Dans quel ordre tu préfères ?

— J’ai l’impression que t’as choisi.

— Je suis une fille simple, mais ma vie est compliquée, et…

— C’est-à-dire ?

La méfiance dans ses yeux refroidit l’ambiance. Je me lève, repose la tasse, puis me présente face à lui. Par quoi commencer ? Le pire ? Je regarde Cadeau qui est occupé à suivre une mouche sur le mur. Je me dis que s’il accepte mon troisième œil, il écoutera toute l’histoire sans l’air sarcastique de mes frères. Mon silence de réflexion inquiète Alexandre qui se redresse sur le canapé. Je pourrais toute de suite lui dire que ce n’est rien, juste un grain de beauté mal placé ou lui dire que ma grand-mère à la maladie d’Alzheimer. Mais maintenant que le sujet est lancé, si je ne l’aborde pas, je ne savourerai pas notre étreinte à venir. À l’inverse, s’il accepte tout de moi, mon désir pour lui ne sera que décuplé. Il s’inquiète :

— Ça a l’air grave.

— Bien. C’est… Comment dire ? Pas facile à expliquer. En fait si, il suffit de montrer, mais ce n’est pas… c’est un peu gênant.

— Vas-y.

— C’est un défaut physique.

— Non, tu n’en as pas, rit-il.

J’ouvre mon sweat-shirt et enroule le bas de mon débardeur pour libérer mon nombril. Ses yeux me scrutent jusqu’aux orteils à la recherche d’un défaut. Il écarquille les yeux d’incompréhension, alors je lâche la vérité :

— Ne flippe pas.

Il secoue la tête, et je me lance :

— J’ai un troisième œil.

Mon symbiote élargit un peu mon nombril. Alexandre se redresse comme un diable de sa boîte en lâchant un cri d’effrayé. Je tente de le rassurer.

— C’est juste un œil.

Alexandre n’a pas de réponse. Sans me tourner le dos, il longe le canapé jusqu’à la porte d’entrée. Je le supplie.

— Ne t’en vas pas ! C’est juste un œil. Je connais d’autres filles qui ont ça.

— Quand même ! Ce n’est pas normal, bégaie-t-il.

Craignant qu’il le raconte à quelqu’un d’autre, je m’empresse de faire une mise en garde. Je fais sortir mon œil sur ma main, les tentacules dégoulinant de mon sang. Alexandre hurle comme un enfant et je l’avertis :

— Ne le dis à personne, sinon, il va te retrouver.

Il opine du menton, le visage pâli par le dégoût, puis il ouvre la porte et détale dans les escaliers. Aussitôt, je regrette de l’avoir menacé.

— Et fuck !

Je reste quelques secondes à regarder le couloir vide. Les pas d’Alexandre ont fini de résonner. Mon œil décide de rentrer au chaud, sans que je réagisse. Je lui en veux d’exister, et en même temps, c’est le seul qui peut voir Epsilon, la sœur d’Alpha sur le chemin du lac de la jeunesse éternelle. Je ne sais pas comment réagir. J’ai envie d’envoyer un SMS à Alexandre, mais je ne sais pas quoi écrire. Ayant assez vu le couloir, je claque la porte et la verrouille à trois tours pour que la chaleur du marais entre. Je laisse tomber mon sweat-shirt, et ouvre la porte à Cadeau.

— Viens, on va voir Marmiton et Questsche.

Cadeau dévale les escaliers. Je lui ouvre la porte et il part aussitôt renifler les herbes. Je m’assois pour regarder les deux équidés, le soleil brûlant sur mon visage et mes épaules. L’estomac noué, le cœur percé, j’ai envie de pleurer et je n’y arrive pas. C’était une réaction tellement prévisible. J’espère qu’Alexandre reviendra après avoir digéré l’info. Cadeau vient vers moi, pose son museau sur mon genou.

— Il était trop parfait pour… Fallait forcément qu’il y ait quelque chose qui ne colle pas.

Mes yeux s’humidifient, j’approfondis ma respiration, étreins mon chien contre moi.

— S’il ne reviens pas, c’est qu’il n’est pas amoureux de moi. Et au moins, pas de regret de partir à l’aventure.

Les yeux de Cadeau semblent acquiescer. Mais malgré-moi, je ne parviens pas à me convaincre que ça peut être mieux ainsi. Je voulais qu’Alexandre vienne. Je voulais cette relation parfaite. Lui, il doit être passé du rêve au cauchemar.

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