81. Deal avec la démone

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Un calme funéraire enveloppe la pièce lorsque, enfin, notre hôtesse nous rejoint. Elle a le visage propre, et elle est vêtue d’une longue robe noire brodée de fleurs dorées, bien ouverte au niveau du nombril et laissant ses épaules nues.

— Si vous désirez faire une toilette avant la fête de ce soir, les bains sont à vous.

— Non merci, réponds-je.

— Moi, ça me ferait du bien, déclare Maman.

— Les escaliers vous y mèneront. Vous descendez, tournez à droite, j’ai laissé la porte ouverte et du linge propre.

Maman se lève tandis que Léonie s’avance jusqu’à moi. Elle tire ma chemise du pantalon et fait le nœud au-dessus de mon troisième œil. Ses mains se posent sur mes hanches.

— C’est mieux quand on peut se regarder l’œil dans l’œil.

Mal à l’aise, je lui réponds :

— Pouvez-vous vous occuper de Jésus ? Je vais m’assurer que Maman aille bien.

— Nous allons faire la conversation. Si tu veux une de mes robes…

— Non merci.

Mes pas me conduisent dans ceux de ma mère que je trouve à l’étage d’en dessous. Le couloir sombre permet d’accéder à différentes pièces. L’une d’elle, entrouverte, dispose d'un grand bassin en pierre pouvant accueillir plus d’une personne. Des plantes sont plantées près des hautes fenêtres. Maman, en train de se déshabiller, sursaute en m’entendant.

— Tu m’as fait peur.

— Désolée.

Elle défait ses sous-vêtements et s’assoit dans l’eau en grelottant.

— Elle est fraîche, ça fait vraiment du bien ! Tu viens, ma chérie ?

Je secoue la tête, malgré la supplication que sous-entend la tessiture de sa voix. Je me défends :

— Je n’ai pas très envie de remettre mes vêtements sales sur moi après avoir été propre. J’attendrai d’être au Païen.

— Toi qui prenais deux douches par jour à la maison.

— On s’habitue à tout.

— Tu sais ce que tu peux faire ?

Devinant ce qu’elle me demande, je m’installe en tailleur derrière elle et le masse fermement les épaules. Elle lâche un profond soupir :

— Comme tu dirais : Fuck, ça fait du bien !

Maman fait durer le plaisir de son bain après le massage. Alors j’ai remonté les marches. Pendant que ma mère rumine seule les minutes de carnage, Léonie me fait visiter le château en ruine et raconte ses ambitions de rénovation complète. Elle a une voix cassée par la souffrance, mais elle parle avec l’énergie d’une adolescente.

— Ce serait un refuge pour les femmes dont la vie a été brisée par les hommes. Mélanie a ses nonnes, moi je vais engendrer une nouvelle lignée de sorcières païennes.

— C’est bien d’avoir un projet.

— C’est ça ou errer de ville en ville pour assassiner des évêques. Mais ma rencontre inattendue avec Hermeline m’a fait reconsidérer les choses. Nos destinées se sont croisées au moment où elle en avait le besoin.

Nous regagnons la grande salle où Maman et l’adolescente attendent. Les sept assiettes habillent déjà la table. Alpha dort dans le soleil, couché près de la fenêtre. Une odeur de lapin grillé descend les escaliers menant aux cuisines. Léonie se réjouit :

— Les festivités sentent déjà bien bon !

— Oui, sourit ma mère comme si elle avait effacé son traumatisme au savon.

Les deux hommes descendent les escaliers.

— Nous n’allons pas dîner tout de suite, mais installons-nous à table pour déguster ce rhum que se réservait l’infâme De Ribaucourt.

Nous prenons place. Thadée remplit les verres de chacun. Jésus tâtonne jusqu’au sien, puis Léonie déclare :

— À la providence de votre venue qui a défait nos assiégeurs !

Son œil fixe le mien tandis que nous trinquons. Elle a l’air si heureuse, je préfère ne pas l’embêter tout de suite avec ma quête de la jeunesse éternelle. Je trempe mes lèvres dans l’alcool, surveille Maman à ma droite qui semble faire comme si elle sortait d’un cauchemar. Finalement, c’est moi qui la trouve forte.

Jésus, après nous avoir conté quelques anecdotes de sa vie aux côtés de Martine, et nous avoir bien fait rire, compose une ballade sur le thème de la défaite de l’évêque. Léonie applaudit :

— Quel belle improvisation, dommage que vous ne puissiez la chanter en dehors de ses murs sans attirer les inquisiteurs.

— Encore une aventure dont personne ne saura rien, soupire Jésus.

— Mais les mercenaires vont sûrement la raconter, dis-je.

— Non, aucun risque, sourit Léonie.

— Parce qu’ils vous craignent ? demande Maman.

Les deux frères descendent à deux le grand plat, coupant Léonie dans sa réponse. Quatre lapins trempent dans une sauce parfumée. Les hommes nous servent.

— Parfait ! lance Léonie. Après ce bon repas, vous passerez une bonne nuit. Je ne dispose pas encore de chambre pour les invités, mais vous y serez à l’abri pour récupérer avant votre départ.

— À ce sujet, dis-je. Nous n’avons pas reparlé de ma quête.

Léonie esquisse un sourire et son nombril s’entreferme de malice, comme si elle attendait la question.

— Les ouvrages permettant de se repérer dans le Royaume des Opaques sont à la Cité Pieuse. Deux options. La première, je vous prépare un petit guide de mémoire, et tu passes le reprendre après avoir ramené ta mère. Je ne me souviens pas de tout, mais il y aura l’essentiel. Pour trouver le couvent, je pense qu’en demandant ton chemin ça devrait aller. Seconde option, je t’y mène. Mais, même si Alpha nous accompagne, c’est un périple que je n’ai pas envie de refaire, donc il y aura une contrepartie.

Tentant d’interpréter le sourire de notre hôtesse, Maman demande avant moi :

— Quelle contrepartie ?

— Tu partages ma couche ce soir.

Ma mère éclate de colère :

— Fanny n’est pas une pute !

Léonie reste impassible. Hésitante, je demande :

— Mais Hermeline…

— Non, rougit la brune, nous sommes justes amies. Elle ne m’a jamais caché la passion qu’elle éprouve à votre égard.

— Tu dis non, Fanny, m’ordonne Maman. Tu attendras le guide.

— Je vais y réfléchir, dis-je.

Maman pose sa main sur mon bras.

— Fanny…

— On mange, on en parle tout à l’heure.

— F…

— C’est un repas de fête. Nous en discuterons après. Je n’ai pas envie de décider.

— Mais il n’y a pas à décider !

Je soupire et réplique :

— Je ne veux décevoir personne. Donc pour ne gâcher le repas de personne, je ne déciderai qu’au dernier moment. Voilà !

Léonie opine, plutôt optimiste dans l’idée que j’accepte. Maman, affamée, ronge sa patte de lapin. Jésus détend l’atmosphère :

— C’est l’histoire d’un aveugle qui dit à un sourd qu’il a vu un unijambiste s’enfuir en courant.

Hermeline et les deux hommes sourient. Moi, la proposition de Léonie me retourne le cerveau dans tous les sens. L’idée d’un périple seule ne me tente guère, même avec un guide écrit de sa main. Sans nul doute Jésus acceptera-t-il de m’accompagner, mais l’assurance d’arriver au bout sera doublée si Alpha marche à nos côtés. Léonie est jolie fille, mais j’ignore ce qu’elle attend de moi. Certes, si elle me demande un cunnilingus, j’en serai incapable, mais s’il suffit de la doigter, je peux prendre sur moi. C’est tout de même le Graal qui se trouve au bout. Aussi inquiétante est-elle quand elle assassine un évêque, je suis assez confiante en l’idée qu’elle ne me contraindra en rien qui me répugne. Léonie a trop d’affection pour moi.

Jésus et les deux hommes sauvent le repas, d’abord en blagues ribaudes, puis en faisant la conversation à eux seuls, notamment en racontant nos projets pour le Païen. La nuit est tombée sur l’océan et les deux bougeoirs seuls nous éclairent.

Nous finissons la bouteille de rhum en digestif. Ma mère annonce :

— Je vais au petit coin. Tu m’accompagnes ?

Je me lève, et lorsque nous remontons les escaliers, elle siffle entre ses dents :

— Tu ne vas quand même pas te prostituer ?

— Je ne fais pas ça en échange d’argent.

— Mais c’est pareil !

— Mais Maman, la jeunesse éternelle ! Et je te promets, je ne ferai rien avec ma bouche, ça me dégoûte trop. Si elle me demande quelque chose que je n’ai pas envie de faire, je partirai et je dirai : tant pis, écris-moi ton guide, et à dans dix jours.

— Parce que tu crois qu’elle va te laisser partir.

— Elle est bizarre, mais elle n’est pas méchante, surtout pas avec moi. Et je pense qu’elle a vécu assez l’enfer pour ne pas vouloir faire souffrir quelqu’un qu’elle apprécie.

— Qui sait ce qu’une fille avec son passé traumatisant peut avoir envie de faire.

— Je te raconterai.

Ma mère cache son visage dans ses mains.

— Fanny, Fanny, Fanny ! Mais… Mais pourquoi je t’ai accompagnée jusqu’ici. Cet endroit me file la chair de poule, cette fille aussi. Elle est malsaine, je le sens.

— Peut-être. Mais si je dois tripoter une fille dans ma vie, autant que ça soit elle.

Je m’enferme la première dans les WC qui surplombent la mer. Maman de l’autre côté de la porte ne cherche plus à m’en dissuader. Lorsque je l’ouvre, elle me supplie :

— Tu promets que tu ne te forceras à rien que sois dégradant pour toi.

— Oui, Maman.

Alors qu’elle prend ma place dans la petite tour, je préfère m’en aller avant qu’elle essaie de me faire changer d’avis. Je retrouve la grande salle et mon troisième œil regarde droit celui de Léonie :

— J’accepte si je peux partir quand je veux.

— Bien entendu, je ne suis pas un monstre.

— Et je ne fais rien avec ma bouche.

— Dommage, moi qui rêvais d’un baiser passionné.

Elle prend délicatement ma main puis m’invite à la suivre. Nous croisons ma mère dans le couloir à qui j’adresse un sourire et un clin d’œil rassurant. J’ose espérer que Jésus lui répètera mes conditions. La chambre de Léonie est à l’étage des bains. Une peau de vache couvre le sol de pierre devant le pied de lit. Elle s’approche de la haute fenêtre par laquelle la lune transparaît. Elle allume une bougie.

— Je te laisse te mettre à l’aise ?

Préférant me déshabiller seule, je me tourne vers les draps blancs et me dévêts en priant pour que ce soit rapide. En même temps, les jeunes gardes tombants décapités repassent devant mes yeux. Lorsque je suis nue, elle s’approche dans mon dos et ses mains enveloppent mes fesses, me faisant sursauter. Ses phalanges remontent dans mon dos, puis sur mes omoplates.

— Tu es le parfait mélange de grâce féminine et de musculature, Fanny.

Elle défait mon chignon, son corps nu se colle contre le mien, et ses mains passe sur mes côtes pour venir envelopper mes seins. Que mon corps odore deux jours de transpiration ne la repousse pas.

— J’aime tellement ton odeur. Si tu savais combien j’ai rêvé de sentir ta peau contre la mienne. Ne tremble pas.

— Pas facile quand on ne sait pas ce qui va arriver.

Elle desserre son étreinte, passe devant moi. Depuis notre dernière rencontre, elle a perdu la maigreur, même si je devine ses côtes. Ses seins ont retrouvé du volume. Son doigt descend lentement sur mon sternum. Mon troisième œil se ferme quelques secondes lorsqu’il passe, et il interrompt son parcours sur le premier centimètre de la fente de mon pubis.

— Je ne violerai pas ta grotte sacrée, si c’est ton inquiétude.

— Alors on fait quoi ?

— J’ai juste envie d’être contre toi.

Ses seins s’écrasent contre les miens. Sa joue vient contre la mienne. Dans mon malaise, j’hasarde mes mains dans son dos, son souffle s’apaise. Elle n’a plus cette odeur faisandée qui me repoussait à notre rencontre. Ses doigts se promènent le long de mon échine, parfois jusque sur le sillon de mes fesses, mais elle n’est que délicatesse et chaleur. Léonie est une âme brisée qui cherche uniquement du réconfort dans l’intimité. En y réfléchissant, c’est la seule chose à laquelle elle n’a pas eu le droit. Mes appréhensions s’envolent et mes doigts jouent à leur tour, jusqu’à découvrir les creux des croix faites au fer rouge sur ses cuisses. Je préfèrerais être lovée contre les pectoraux durs d’Alexandre et explorer des muscles masculins, mais il ne me déplaît pas d’offrir un peu de douceur à Léonie. Elle dépose un baiser sur le haut de mon cou avant de suggérer dans un murmure :

— Allonge-toi, ma belle.

Je me couche sur ses draps, son œil me scrute quelques secondes avant qu’elle s’assoie sur ma cuisse. Ses doigts viennent valser sur mes seins. Par habitude mes paupières se ferment, il ne reste que mon troisième œil. Léonie glisse en caresses jusque sur mon pubis, et je tâche de chasser le malaise en écoutant les sensations, et en occultant à qui appartient la main. Très vite, ses caresses gênantes cessent. Sa bouche galope sur mon ventre et remonte vers ma poitrine. Avant même qu’elle ait pu toucher un de mes tétons, je l’interromps :

— Pas ça, s’il te plaît.

Ses lèvres reprennent leur course sur mes épaules et mon hôtesse parvient sur mon menton. Je sens son corps frissonner d’envie avant qu’elle n’ose. Un peu par pitié, je la laisse embrasser mes lèvres. Tout en les gardant closes, je lui réponds en déposant à mon tour un baiser sur sa bouche. Son cœur enflammé, son pubis commence à imprimer des mouvements sur ma cuisse. Je garde mes jambes immobiles et pose mes mains sur ses hanches pour l’accompagner et la rassurer sur mon consentement. Sa bouche continue à hasarder quelques baisers un peu trop baveux sur mes lèvres. Ayant envie que ça finisse assez vite, de mes mains, j’invite à agrandir ses ondulations. Très vite, son corps accélère contre ma cuisse, son souffle haletant sans plus aucune pudeur. De longues secondes de malaise passent, puis elle tremble sans un bruit, sans un gémissement ni un cri. Ces quelques secondes de tétanie spasmodique, la rende belle, comme si elle venait de briser ses chaînes.

Elle murmure un merci tout en s’allongeant contre mon flanc. Son bras se pose en traverse de mon ventre, sa cuisse reste nouée autour de ma jambe souillée. Mon bras écrasé sous ses côtes caresse machinalement le creux de son dos. Elle blottit sa tête contre mon menton. À la fois contente que ça soit fini, et à la fois émue, je me demande ce qui m’aura le plus marquée aujourd’hui. Voir un homme se faire arracher la tête par un monstre invisible, ou sentir une fille jouir dans mes bras.

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