24. La catin du Païen (partie 1/2)

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Les petites fesses musclées de Christophe reviennent dans mon esprit au réveil, comme si mes pensées reprenaient brutalement leur cours après le sommeil. Je passe ma main sur mon entrejambe en revoyant en songe son corps svelte et musclé. Que se serait-il passé si au lieu d’être partie, j’avais poussé la porte de sa chambre ? Mon imaginaire dessine la douceur de la peau glabre de Christophe. L’idée de le dominer, de lire l’inexpérience et la fascination dans ses yeux me rend humide. Mon majeur écarte le bord de ma culotte et glisse au creux de mon écrin intime. J’imagine sa nature sauvage prendre le dessus au fur et à mesure de la chevauchée. Tel un loup-garou, ses instincts bestiaux se seraient réveillés. Il aurait hurlé à la lune, ses reins se mettant à battre fort entre mes cuisses, me soulevant au-dessus de lui avec la force d'un cheval sauvage. Ensuite, harassés par ce coït sauvage, nous nous serions endormis l’un contre l’autre…

Le coq tente de transpercer les murs de pierre à plein poumon.

Difficile de trouver l’envie de se lever, alors que rien ne m’attend de la journée. Les mains de Jésus grincent sur le parquet. Mon imaginaire se brise. À regret, ma phalange se retire d’entre mes cuisses.

Mes esprits se réassemblent tandis que j’enfile mes sous-vêtements de danseuse et ma robe brune. Je quitte ma chambre en suivant Jésus, adroit dans les escaliers.

— Bien dormi ? me demande-t-il.

— Pas trop, non.

— Allez, bientôt chez les tiens.

— Oui.

Christophe et Jacques sont déjà attablés, l’odeur du café se mêle aux grillades. L’adolescent de mon fantasme me dit :

— J’ai commencé à faire passer ton café. J’espère que j’ai bien dosé.

Je pose une bise sur sa joue.

— Il sera forcément bon.

Il reste figé comme une statue pendant de longues secondes. Alors qu’il s’installe, je l’observe attentivement. Il a les traits de son père, c’est certain, mais il a un physique qu’il me plaît d’imaginer sans sa chemise. Je ne tomberai pas amoureuse d’un garçon si jeune, mais en faire mon petit-déjeuner, ça ne serait pas de refus.

— Bon ! Comment fait-on ce matin ? grogne Jacques.

— Je dois préparer ma nouvelle démonstration avec Jésus. Je voudrais ajouter de l’érotisme latent.

— Bon ! Christophe, tu vas t’occuper des courses. Il nous faut dix pains, un kilo d’oignons, deux cent grammes d’olives, dix citrons et quatre lapins. Tu passes chez le fromager, aussi. Moi je vais aller chez mon frère pour lui louer des chevaux.

— Tu vas lui promettre quoi ? demande Jésus.

— J’ai appris par ma sœur qu’il louchait sur un couple de wallabies en vente dans le journal. Mais comme il a déjà racheté des autruches, il est à cours d’argent.

— Tonton est passionné d’animaux, explique Christophe. Il a des alpagas, des autruches, des vaches, des chevaux, des ânes, des chiens, des oies, des canards.

— Et un toucan, indique Jésus. Ça ce n’est pas courant.

— Emmanuel a toujours eu un don avec les bêtes, renchérit Jacques. Et il a bien plus de respect pour les animaux que pour les hommes. En revanche, il ne fait pas de différence entre une génisse et une jeune femme. Pour lui ça a la même utilité. Bref ! Christophe tu commenceras la cuisine.

Il essuie son couteau sur le bord de la table, se lève puis s’éloigne dans le jardin pour son rituel matinal. Jésus continue de mâcher bruyamment.

Les deux premières heures de la matinée sont courtes car la répétition de ma nouvelle chorégraphie demande quelques ajustements. Jésus conclut ses notes.

— Bien ! Donc, à ce moment, nous faisons dix minutes de pause.

— Oui, moi je remonte.

— Et après dix minutes, je fais la seconde partie, la même que la dernière fois ?

— Oui. Il faut laisser le temps aux gens de consommer. Tu reprends avec un démarrage genre : tin tin tin tin tin !

Ses doigts reproduisent ma mélodie au moment où Christophe revient avec les courses.

— Tu lis dans mes pensées, Jésus. Donne-moi dix secondes.

Je remonte au-haut de la barre, et Jésus entame les notes. Il les lie à la perfection, tandis que ma silhouette dévêtue vrille dans les iris de Christophe. Ses yeux brillent d’admiration, sans une once de lubricité. Pieds sur scène, je me déhanche en caressant l’intérieur de mes cuisses, sans lâcher des yeux Christophe qui rougit puis préfère s’enfuir en cuisine.

La répétition se conclut face aux chaises vides.

— Je suis rincée, on s’arrête ici, proposé-je.

Je descends de la table, puis prends la direction de la cuisine. Je fais une halte au puits pour tremper ma tasse dans le seau. Christophe me regarde depuis son plan de travail. J’hésite à faire ruisseler le fond de mon mug entre mes seins, mais la peur de le rendre fou me retient.

— J’enfile une robe, et je viens t’aider ?

Il déglutit et hoche la tête pour me répondre. J’adore l’effet que je provoque chez lui.

Lorsque Jacques revient, il est midi, et les premiers clients le suivent. Il se positionne directement derrière le comptoir l’air fatigué, le visage rouge ruisselant de sueur.

Christophe et moi distribuons les assiettes. Lorsque chacun déjeune, me voyant approcher du comptoir, Jacques m’alpague :

— C’est bon pour les chevaux, la Punaise. Il les amène aux premières lueurs.

— Merci. Combien les loue-t-il ?

— Rien du tout, j’ai tout arrangé. Je lui ai acheté ses deux wallabies

— Combien te dois-je ?

— Rien, te dis-je ! Tu n’as qu’à considérer que c’est un cadeau de ma part. Pour te remercier d’avoir coloré nos vies durant quelques jours.

Que répondre à une telle générosité ? Je poursuis mon service. Et au fur et à mesure que les tables se vident, les tickets pour la soirée sont achetés.

Une fois la vaisselle faite, je quitte le Païen pour m’imprégner une dernière fois de l’ambiance de Saint-Vaast. Ça va être étrange de ne plus voir tous ces gens que je connais de loin à force de les croiser. Les mêmes visages de commères cachées derrière leurs ombrelles, les mêmes bourgeoises avec des robes à faux-culs.

Il me reste mille six cent dix francs, assez pour acheter une belle robe pour ma représentation. Je m’interromps devant la vitrine du tailleur guindé qui m’a vendu ma dernière tenue brune. Il m’aperçoit mais ne vient pas m’ouvrir la porte, pas plus commerçant que le patron du Double-Six. Peut-être pense-t-il que ma réputation entache celle de son commerce. Rien que pour l’ennuyer, j’entre dans la boutique.

— Bonjour Madame.

— Bonjour Monsieur. Je suis à la recherche d’une tenue de soirée, et ça c’est... une très belle robe.

— C’est une robe à neuf cent francs.

Je regarde le corsage noir et complexe apposé sur un mannequin de bois. C’est lui qui tient la jupe par quelques laçages croisés, et il laisse les bras nus. Une veste à manche longue est vendue pour être portée par-dessus.

— Si je vous la prends, sans le gilet. Vous pourriez me fendre le devant de la jupe. Et je vous prendrai aussi ça.

— La capeline ? C’est cent francs.

— Et bien ça nous fait tout à mille francs. Je paie les mille francs, et en échange de la retouche, je vous laisse la veste. Je n’ai nul besoin de couvrir mes bras.

— C’est une négociation qui me va parfaitement. Jusqu’à quelle hauteur voulez-vous fendre la jupe ?

— Jusqu’ici.

Il s’étouffe :

— Jusqu’ici ?

— Je ne dirai pas que ça vient de chez vous. Et ne vous en faites pas pour la longueur, il faut qu’elle touche le sol quand je marche pieds nus.

— Bien. Je vous la fais porter au Païen ?

— C’est cela.

Il incline la tête, et mes mains dépouillent mes poches de mes nombreux billets.

— Me voilà fauchée, souris-je.

— Je m’occupe de votre retouche dès aujourd’hui.

Je quitte son appartement, croisant le garçon vendeur de journaux de la Gazette de la Colline. Curieuse de connaître le prix des wallabies, je l’interpelle.

— Hey ! Garçon ! C’est combien le journal ?

— Cinq francs.

Je lui donne un billet, et il me rend la pièce argentée

— Garde la monnaie.

— Mille mercis, Madame Fanny !

Même les enfants connaissent mon nom, c’est décidément une ville de commères. En Une, un encart indique que je donne ma dernière représentation. Je tourne les pages à la recherche des annonces. Je trouve aisément celle des wallabies. Ils sont vendus à moitié prix si on en croit l’article, car leur propriétaire est décédé. Huit mille francs par tête. Si Jacques a acheté un couple pour son frère, il aura payé bien plus que ce que je lui ai demandé pour déniaiser son fils. L’âme de Jacques est décidément insondable. Il me ferait presque culpabiliser d’avoir refusé. Derrière sa maladresse, je sens bien les regrets qu’il a de m’avoir traitée comme une catin. Peut-être trouve-t-il dans sa générosité, un moyen de se faire pardonner.

Au Païen, Jésus joue une mélodie entraînante, tandis que Jacques est en pleine conversation avec un habitué.

— Déjà de retour, la Punaise ?

— J’ai acheté une tenue chez Monsieur Lenoir. S’il vient la livrer, elle est déjà payée.

— Bien.

À l’arrière salle, j’entrouvre la porte donnant sur l’extérieur. Christophe est occupé à sarcler le sol. Les muscles de ses flancs se tendent à chaque petit mouvement, et l’envie de promener mes doigts sur ses épaules nues me titille à nouveau. Je referme délicatement la porte, puis grimpe les escaliers.

Une fois que je serais rentrée dans mon monde, personne ne saura que je me suis offert du bon temps avec un garçon de cinq ans mon cadet. Et d’un autre côté, en échange de la générosité de Jacques, je peux bien en montrer autant. Peut-on parler de don lorsqu’il s’agit de satisfaire un petit plaisir égoïste ?

J’enlève mon soutien-gorge et mon string avant de refermer ma robe, puis je trouve le préservatif dans mon portefeuille. Celui-ci aurait dû servir à Alexandre. Le regret de ne pas avoir été plus impatiente avec le garçon de mon monde va bientôt être effacé.

Je descends les escaliers avec la légèreté d’une chatte, jette un œil à la salle pour m’assurer que Jacques est occupé. Deux clients. Chevalier n’allant pas tarder non-plus, je suis tranquille,

Je pousse la porte du jardin et la referme sans un bruit. Les poules caquètent autour de leur cabane. Excitée d’avance, j’avance entre les rangées de légumes et Christophe sursaute en se retournant. Son bras cache ses pectoraux, m’arrachant un sourire :

— Des tétons d’homme, j’en ai déjà vu beaucoup.

Ses bras redescendent et il rougit :

— Ça m’embête que tu me voies dans une tenue aussi indécente.

— Est-ce que ça t’embête si je me mets aussi à l’aise que toi ?

Il balbutie, pas certain de comprendre le sens de ma question. Son innocence est un régal. Gardant le préservatif dans mon dos, je tire d’une main sur les lacets de ma robe, puis en sort les épaules. Il jette un regard inquiet vers la porte.

— Personne ne nous verra.

— Fanny, tu es très jolie, mais je…

La vue de ma poitrine lui couple le souffle. Son cœur s’emballe aussi vite que mes seins s’emplissent de désir. Ma main laisse tomber ma robe et ses yeux descendent aussitôt sur mon pubis. J’avance délicatement en dégageant mes orteils de ma robe. Pieds nus sur la terre, je lui murmure :

— Allonge-toi par-là, personne ne nous verra.

Il recule au fur et à mesure que je m’approche, puis il s’assoit dans l’allée. Je m’agenouille au-dessus de lui, apposant mes doigts sur son torse moite et musclé.

— Fanny, je ne suis pas certain d’avoir des sentiments.

— Ne te fais pas de fausses idées, c’est juste une fois.

Mes doigts glissent sur son ventre vers la ceinture de son pantalon, ses yeux se ferment. Alors je tire sur sa ceinture.

— Lève les fesses.

Il obéit et je dégage son pénis arqué hors d’un buisson disgracieux de poils hirsutes. Je resserre la ceinture autour de ses cuisses au cas où il lui prenne des envies de prendre le dessus, puis je viens m’asseoir sur son ventre. Ses mains sales de terre flattent mon ventre en montant vers mes seins. Ce regard candide émerveillé, c’est celui que j’imaginais. Lorsqu’il effleure mes tétons tendus, je lui confie pour qu’il continue :

— Ça c’est délicieux.

Mes doigts partent dans mon dos pour caresser son phallus moite. Ses yeux s’entreferment. Mon appétit grandit. Sans qu’il ne le voie, mes mains cachées déchirent le sachet.

— Ferme les yeux, suggéré-je en massant sa verge.

Il obéit. Je lève son pénis, déroule le préservatif et le guide entre mes cuisses. Doucement, très doucement, il entre au plus profond de mon intimité. Ses lèvres entrouvertes murmurent :

— Dieu que c’est bon !

Rien que pour entendre ces mots, rien que pour lire cet émerveillement dans son sourire, je suis heureuse de lui offrir sa première fois. Je me hisse sur les genoux puis me rassois pour initier la cadence. Trois premiers va-et-vient. Les mains de Christophe se figent sur mes hanches, son cou se tend, son visage se contracte et il conclut dans un soupir :

— Oh ! Dieu que c’est bon !

Assise sur lui, je reste mortifiée par la rapidité du coït. Trois va-et-vient ! À peine quatre secondes ! Mais qu’imaginais-je en me tapant un puceau ?

Je maintiens le préservatif, et me relève, laissant ses fluides retomber sur son ventre. Discrètement je retire le latex d’entre mes cuisses puis me tourne vers la porte en me maudissant d’avoir espéré un accouplement bestial.

— Merci Fanny.

— De rien.

— T’as de jolies fesses.

Je soupire, alors il questionne :

— Ça va ?

— Oui.

Je ramasse ma robe puis traverse nue le poulailler. Personne derrière la porte, je monte les escaliers puis m’enferme dans ma chambre. J’ai la main qui pue, la peau salie par la terre.

Toilette se faisant, l’envie ne me vient même pas de poursuivre seule tant ça m’a frustré. C’était pourtant si logique que ça se déroule de cette manière.

On frappe à la porte.

— C’est qui ?

— C’est Christophe.

J’ouvre la porte, toujours nue.

— Désolé. Je pensais que tu étais rhabillée.

— Je faisais une toilette. Qu’est-ce que tu veux ?

— Euh…

Réalisant que ma question est agressive, je prends une voix plus douce :

— Je suis désolée. Tu veux rentrer ?

— Non, je suis venu présenter mes excuses, si tu as cru que tu me plaisais. Enfin je veux dire… Bien sûr tu me plais beaucoup, et je suis ravi d’avoir… Ravi que tu m’aies fait connaître le plaisir avec une femme.

— Tu es gay ?

— Là présentement, je suis très gai. C’est juste que je veux être certain qu’il n’y ait pas de méprise. Depuis plusieurs années déjà, mon cœur est épris d’une autre femme.

Désormais certaine qu’il n’y aura aucun quiproquo, un soulagement m’envahit toute entière. Je lui confie :

— Je voulais juste que nous passions du bon temps tous les deux. Juste une fois. Rassure-toi. Moi aussi mon cœur est déjà pris.

Il sourit, rassuré à son tour.

— Comment s’appelle cette amoureuse ?

— Valérie… Valérie Lenoir.

— La fille du tailleur ?

— Oui.

— Très jolie, en effet. Elle le sait ?

— Je lui ai écrit une lettre mais je n’ai jamais osé la signer par peur que son père la découvre. Il n’apprécie pas trop Papa.

— Il a l’air d’un bon croyant.

— Quand j’étais plus jeune, je jouais parfois avec Valérie, nous avons partagé de la complicité. Ma hantise, c’est qu’il la marie, mais je ne me fais pas d’illusion. Nous ne sommes pas bien riches et notre réputation de païens ne pourra jamais lui plaire.

Je suis attendrie par ce conte à la Roméo et Juliette.

— Sais-tu si elle t’aimerait en retour ?

Il hausse les épaules.

— Ma lettre était anonyme.

— Ecris-en une autre. Mais, tu mets quelque chose qui va lui rappeler ce que vous avez partagé quand vous étiez complice. Comme ça, elle n’est pas signée, mais elle sait que ça vient de toi.

— Très bonne idée !

— Au fait, on vient m’apporter ma robe avant la fin de la journée. Si jamais c’est elle, peut-être pourrais-je lui remettre en main propre. Du coup, tu serais doublement sûr que son père ne la lise pas.

— J’y vais tout de suite ! Merci Fanny !

Il se sauve en courant, me laissant seule. Cette histoire se finit bien, en revanche, dès que je retrouve Alexandre dans mon monde, je ne le lâche pas d’un millimètre et on baise tous les soirs.

Christophe a été prolixe. Il m’a remis le pli écrit à la plume, dans une enveloppe close à la cire. Je ne peux malheureusement pas satisfaire ma curiosité.

Le bar ne désemplit pas, les clients préférant lézarder à boire des pintes, plutôt que de se faire voler leur place avant le spectacle. Comme je l’avais pressenti, le tailleur n’est pas venu lui-même, trop pédant pour s’approcher d’un lieu aussi dépravé. Hélas, ce n’est pas Valérie qu’il a envoyé mais deux autres fillettes qui lui ressemblent. La plus grande d’à peine dix ans se présente :

— Bonjour, nous venons apporter la robe pour Madame Fanny.

Je fais signe à Jacques de les faire venir jusqu’à moi car je ne tiens pas à ce que lui-même voie la lettre et apprenne par ma faute que son fils est en émoi devant la fille du tailleur.

— Bonjour. Tu es la sœur de Valérie ?

— Oui.

— Tu pourras lui donner cette lettre secrète ?

— Oui.

— Vous ne le répétez à personne. Promis ?

— Promis.

Nous échangeons la robe et la lettre. M’approchant de la fenêtre, j’observe la rue, et les deux petites retrouvent leurs deux autres sœurs, dont Valérie. Cette dernière ouvre la missive et la lit au milieu de la rue. Elle sourit, puis regarde les fenêtres de l’étage avant de replier soigneusement le courrier. Si elle le conserve, c’est plutôt bon signe.

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