22. Négociations sans détours (partie 1/2)

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Un œuf, du bacon, et un jus d’orange m’ont suffi. Je n’ai pas trop l’appétit, sans doute à cause de mon manque de sommeil. Je ne sais même plus quel jour nous sommes dans ma réalité. Sûrement mercredi, sans aucun doute en septembre. C’est dingue à quelle vitesse on perd la notion des jours lorsqu’on change un rythme.

Assise dans le train, j’observe les collines arides, le vague à l’âme. Je ne parviens pas à m’ôter cet Augustin Lebellier de la tête. Quelle qu’ait été son apparence, la tragédie qu’il représente ne saurait me faire imaginer les traits d’un homme vil. De quel monde était-il réellement originaire ? Sans doute était-il né dans cette réalité aride et devait-il occuper la station. Il est certain qu’il aimait vivre dans ma réalité, avec une femme qu’il avait dû rencontrer. Et lorsque la mine a fermé, on lui a sommé de ne pas occuper les locaux, on ne lui a même pas laissé le choix de franchir une dernière fois la porte. Comme l’a dit la Mère du Sanatorium, il a fallu lui arracher la clé de force. Malheureusement pour moi, il avait laissé le double à sa famille.

— Fuck !

Les visages de mes deux amis se tournent vers moi.

— Je viens de comprendre ! Il y avait une clé pour aller dans un sens, et une clé pour aller dans l’autre sens ! C’est pour ça qu’il n’a jamais pu rejoindre les siens ! C’est pour ça qu’il ne voulait pas rendre la clé !

— Tout est possible, suppute Jésus. C’est de la magie. Qui s’y connaît, ici ?

— Qui pourrait détenir encore la clé ?

— Je suppose les Registres des Chemins de Fers.

— Dès que nous arrivons, nous allons voir Célestin !

Mes deux compères ne disent mot.

Le train continue à faire défiler le paysage. L’espoir me revient, agite mes muscles d’une nervosité fébrile. Les prés verts et gris inondés par la marée haute ont rassemblé les moutons sur les points les plus hauts. Revoir Saint-Vaast me remplit de joie.

Lorsque notre voiture s’arrête à quai, l’adjointe du shérif est présente, comme un visage familier. En à peine plus d’une semaine, cette ville est devenue la mienne.

Mes bottes frappent le quai, et Antoinette nous interpelle aussitôt avec le sourire :

— Alors ? Vous avez trouvé ?

— Non, notre homme est mort, grimacé-je.

— Donc tu vas rester à Saint-Vaast ?

— Il me reste encore un maigre espoir. Une clé.

— Une clé ?

— Oui. Elle serait magique. Mais il faut espérer que cette clé soit facile à retrouver. Je vais aller voir Célestin Marielle de ce pas.

— Nous devrions aider Papa à préparer le service de ce midi, suggère Christophe.

— Allez-y, je vous y retrouve pour midi au plus tard.

Je longe le train à grands pas, semant mes compagnons. Si Célestin a la clé, il n’y a pas une minute à perdre. Grimper les rues de Saint-Vaast ne m’a jamais paru aussi ardu. Je parviens en nage au bureau des registres des chemins de fers.

La porte poussée, essoufflée, je m’aventure jusqu’à l’atelier. Mon index heurte le bois pour me signaler, et Célestin lève la tête de son bureau.

— Bonjour. Vous êtes toujours tout seul ?

— Bonjour Madame Fanny. Et oui ! Tout le monde part vite le matin. Alors ? Vous avez trouvé Augustin Lebellier ?

— Malheureusement non. Les chemins de fer l’ont fait interner au Sanatorium de Sainte-Cécile. Il y a passé plus de la moitié de sa vie et il est mort il y a quatre ans.

— Oh ! Ce n’est vraiment pas de chance !

— Il reste un infime espoir. La clé de la station des Marais Rouges, vous sauriez la retrouver ?

— Bien sûr. J’ai le double de toutes les stations du canton. Mais…

— Mais ?

— Je ne peux pas donner une clé de station à n’importe qui.

— Mais, c’est une station abandonnée.

— Oui, mais je ne peux. Si jamais les chemins de fers veulent la réhabiliter. Et il y a sûrement encore des meubles à voler à l’intérieur.

— Au rez-de-chaussée, il n’y a rien c’est vide. Enfin, Monsieur Marielle. J’ai déjà une clé de la station, j’en viens. J’y ai vécu pendant une semaine.

— Dans ce cas, pourquoi voulez-vous que je vous donne le double ?

— Parce que je pense qu’elle n’a pas le même pouvoir magique que la mienne.

— Un pouvoir magique ?

— Monsieur Marielle. Je viens d’un autre endroit, un autre pays, avec une autre culture. La première clé m’a fait arriver dans votre pays. J’ai besoin de la seconde pour en repartir. Je suis prête à vous payer mille francs. Et si jamais, ça ne marche pas, en plus, je vous la rends, et personne ne le saura jamais.

Il tique du coin des lèvres, hésitant, puis se ravise.

— Non, non, et non ! Je ne peux pas !

— Allez ! Mille francs ! Mille francs et une entrée gratuite à mon prochain spectacle.

Il lève un œil brillant vers moi.

— Vous feriez une petite représentation privée pour moi ?

— Que dirait votre femme ?

— Si vous le faites dans ce bureau, elle ne le saura pas.

Le petit homme rigolo se dévoile sous un jour décevant. Il ne me voit pas comme une femme convenable, juste un objet de plaisir. Et si un autre a pu obtenir une danse privée, pourquoi pas lui.

— Vous me décevez, Monsieur Marielle. Vous êtes comme Monsieur Chevalier ou Jeremiah. Sous prétexte de m’avoir aidée, vous pensez que je vous suis redevable au point de vous donner certaines faveurs.

Il panique :

— Je ne voulais pas vous obliger. Je pensais juste à une danse un peu coquine, mais je comprends tout à fait que vous ne vouliez pas. De toute façon, je ne dois pas déroger au règlement. Ni pour l’argent, ni pour le plaisir des yeux.

Il a l’air sincèrement contrit. Malheureusement, il a l’air tout autant résigné à ne pas me donner ce que je veux. Ayant vraiment besoin de cette clé, je cède, et mes hanches commencent à balancer sensuellement.

Pas de fenêtre risquant de nous trahir. La porte d’accès du bureau reste béante pour me laisser la fuite possible. Je défais les laçages de ma robe puis le lutine :

— C’est bien parce que c’est vous. Je veux voir la clé.

— Non… Madame Fanny. Ma langue a fourché, je n’aurais pas dû vous demander puisque je ne peux pas vous donner cette clé.

— Vous étiez prêt à le faire.

Mes doigts tirent sur mes lacets. Il se lève comme un diable et ouvre derrière-lui une grande armoire suspendue. Il fouille les étiquettes puis décroche l’objet de ma convoitise. Il la pose devant-lui, la main tremblante en se rasseyant. Un sourire candide se dessine sur son menton. Mes épaules se dégagent doucement au balancé suave de mes hanches, et tout mon corps pivote sur lui-même sans le perdre de vue. Un tour complet, et mon soutien-gorge est dévoilé. Une main sous le bureau pétrit son sexe à travers son pantalon. Parfait, dans quelques petites minutes, la clé sera à moi. Ma robe glisse jusque sous mon nombril qui ondoie au rythme d’une musique imaginaire. La langue coincée entre les lèvres, le visage rouge, Célestin me dévore de ses yeux ronds. Ma robe s’effondre autour de mes jambes, et elles dansent sur place pour faire admirer ma culotte sous tous les angles. Mes fesses le captivent, mais il ne jouit toujours pas. Un dernier tour et il me supplie :

— Est-ce que vous l’enlèveriez, Madame Fanny ?

La politesse dans la question, est presque surprenante. Lui laissant croire que je cède à cette faveur, mes pouces glissent dans l’élastique de mon sous-vêtement et font descendre de quelques centimètres la culotte, à la limite de dévoiler ma fente.

La main sur la table se crispe, son visage rouge s’immobilise. Enfin, il jouit. Je replace ma culotte, satisfaite de ne pas avoir eu à la baisser totalement. Ses yeux bovins vidés de toute intelligence se perdent dans le décolleté qui se penche vers lui, et mes doigts s’emparent de la clé sans qu’il ne réagisse.

— Merci, Monsieur Marielle.

L’étiquette sur l’anneau indique que c’est bien celle des Marais Rouges. Le fonctionnaire a un sourire béat, puis me répond quand je renfile ma robe :

— C’est moi qui vous remercie, Madame Fanny.

Je quitte son atelier, satisfaite. Les hommes de cette réalité sont décidément faciles à amadouer. Une chance que Célestin Marielle ne soit pas méchant. Le soleil brûle les visages qui me regardent quitter le bâtiment. La tête haute, je traverse les rumeurs et les rues en direction du Païen.

L’odeur de cuisine et de bois de ce lieu désormais familier m’accueille de sa pénombre. Mes pas me conduisent jusqu’à la cuisine où Jacques et Christophe s’affairent. Je pose ma joue sur celle du patron.

— Bonjour Jacques.

Rougissant de ce contact, il balbutie :

— Bonjour, la Punaise. Ravi de te revoir.

— C’est réciproque.

— As-tu trouvé la clé ? demande Christophe.

Je brandis fièrement mon trophée.

— Demain, je retourne aux Marais Rouges.

— Tu y vas à pieds ? questionne Jacques.

— Je pense qu’en une journée, c’est réalisable. C’est quoi ? Une vingtaine de kilomètres ? Peut-être trente.

— Ce serait mieux de louer un cheval à mon frère.

— Il ne voudra pas, glisse Christophe. Il ne veut pas d’argent.

— Si je dois juste lui montrer ma culotte, ça ne me dérange pas.

— Il voudrait bien que tu l’enlèves, si tu vois ce que je veux dire, répond Jacques.

— Donc, j’irai à pieds.

Je quitte la cuisine aussitôt pour empêcher Jacques de rebondir dessus. Il aimerait bien me garder ici, c’est certain. Les escaliers gravis, je pénètre dans ma chambre, et fouille mon sac pour en sortir la clé des Marais Rouges. Je les observe toutes les deux dans le couloir, à la lumière de la fenêtre provenant de la chambre de Jésus. Elles sont identiques en tout point. Aucune marque ne permet de penser que l’une est différente de l’autre, si ce n’est la couleur cuivre un peu noircie de celle qui est restée enfermée durant quarante-et-un ans dans l’armoire de Célestin. Pourquoi personne ne s’est retrouvé emprisonné ici avant moi ?

— Fuck ! Quarante ans, et il faut que ça me tombe dessus.

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