Chapitre 3

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L’entrée de la caverne se profila à l’horizon. Wil soupira de soulagement, puis augmenta son allure. L’aube pointait et il se félicitait d’avoir été furtif. Cette fois, personne ne l’avait talonné, il en était persuadé !

Du coin de l’œil, il scruta son prisonnier – Argan, il se nommait Argan –, concentré sur ses moindres gestes. L’apprenti était étrangement conciliant depuis qu’ils avaient quitté le village… Son silence l’inquiétait. Il n’avait pas cherché à lui extorquer plus d’informations sur ce qui l’attendait. Il se contentait de le suivre et ne protestait pas au sujet du rythme effréné qu’il leur imposait.

Maintenant qu’il l’observait avec attention, Wil ne le trouvait ni très musclé ni très combatif pour un chasseur. Le constat l’intrigua, mais il ne posa pas de questions – il ne prendrait pas le risque d’être distrait.

— Nous y sommes, déclara-t-il dès qu’ils eurent atteint la cachette de son amie.

Argan se raidit, néanmoins il n’émit pas de commentaire et accepta d’entrer. Wil ne fit pas de remarque sur les tremblements qui le parcouraient. Il se focalisa plutôt sur ses pas et la luminosité faiblissante.

— On s’habitue vite à la pénombre. Tu y verras bientôt assez pour ne pas te cogner.

Sans en comprendre la raison, il se sentait obligé de combler le silence – et pas uniquement dans le but de révéler son arrivée. Il avait l’impression qu’il se devait de réconforter son « ennemi ».

Il se morigéna aussitôt. Il ne lui devait rien, il lui sauvait la vie ! En outre, Argan aspirait à tuer Brindille. Il ne méritait pas sa compassion.

Un puissant râle les salua. Wil s’amusa du tressautement qui agita la corde tendue entre ses mains, puis s’exclama :

— Bonjour, ma belle ! Je t’amène de la visite.

— Je ne me considère pas ainsi, déglutit une voix mal assurée derrière son dos.

— Ah ! Je commençais à imaginer que tu étais devenu muet. Prêt à rencontrer ton « monstre » ?

— Non. Hélas, je ne pense pas avoir le choix.

— En effet. Je te répéterai bien que tu ne crains rien, mais tu ne me croiras pas. Après tout, ce n’est pas ce que la Guilde t’a appris.

Argan grogna :

— Es-tu obligé de te montrer si sarcastique ?

L’attaque servait plus à le tranquilliser vis-à-vis de sa situation qu’à lui adresser un véritable reproche, Wil le devina sans mal. Pourtant, il ouvrit la bouche.

— Tu souhaitais abréger l’existence d’un être qui m’est cher. J’estime au contraire que je suis très gentil envers toi.

Sans donner au missionné la possibilité de rétorquer quoi que ce soit, il rejoignit le coin où se reposait la dragonne et tendit sa paume pour qu’elle y appose son museau. Ses pupilles n’étaient pas encore accoutumées à l’obscurité. Malgré tout, il distingua sa forme devant lui.

— Viens, ordonna-t-il à son captif.

— Non merci !

Étouffant un rire, il gratifia Brindille d’une grattouille sous le menton et s’attira un ronronnement.

— Ne l’autorise pas à m’approcher ! paniqua Argan.

Wil ne contint son hilarité qu’avec peine tant il jugeait la situation amusante.

— Ne te moque pas ! Tu ne l’as pas entendue grogner ?

— Elle émet ce son quand elle est contente, expliqua-t-il. Il n’y a aucune inquiétude à avoir, elle est inoffensive. N’est-ce pas, Brindille ?

Un nouveau cri ravi lui répondit.

— Tu vois ?

L’autre adolescent ne rétorqua rien. Wil leva les yeux au ciel, puis chercha un endroit où attacher l’extrémité de la corde, un endroit où Argan serait incapable de l’atteindre avec ses poings liés. Il le dénicha au milieu d’un amas de rochers et réalisa un nœud solide. La précaution était sans doute inutile, Brindille était sa meilleure sécurité ; cependant, il refusait de courir le un seul risque.

Satisfait, Wil sourit. Il avait réussi, il avait accompli ce que son sens de la justice lui dictait. Il ignorait s’il avait pris la bonne décision pour le village et son secret, mais il n’en était pas peu fier. Chasseur ou pas, personne ne méritait la mort, il en était intimement convaincu.

Il pivota vers le captif.

— Tu es en sécurité. J’espère que tu n’as pas trop faim, car je ne pourrai pas t’apporter à manger avant la tombée du jour.

— Tu ne restes pas ?

Wil négligea la détresse qu’il décela dans ces mots. Il était hors de question qu’il se laisse attendrir.

— Non. Mon absence serait trop suspecte. Je désire qu’on soupçonne que tu t’es échappé, pas qu’on t’a filé un coup de main.

— Et comment expliqueras-tu que je ne me sois pas empressé de prévenir mon maître ?

— J’espérais que tu t’en chargerais lorsque je t’aurais aidé à modifier ton avis sur Brindille.

Argan ricana :

— Alors il s’agit de ton plan ? Attendre et escompter que je change d’avis ?

— Je me suis dit que c’était toujours mieux que la chute dans le ravin.

Wil n’entendit pas de protestation et s’autorisa un sourire amusé. Radouci, il murmura ensuite :

— Je ne te demande pas de nous comprendre ou d’être d’accord avec nous, simplement de taire ce que tu as découvert… Nous ne voulons pas d’ennuis, toutefois nous sommes sûrs de notre décision de protéger Brindille. Apprends à la connaître : tu verras, elle n’est pas aussi terrifiante que tu le crois. Sache que nous avons nos raisons de la dissimuler aux tiens.

Argan renifla.

— Pourquoi aiderais-je ceux qui ont fomenté ma mort ? Ne te figure pas que le fait de m’avoir sauvé t’autorise à implorer ma clémence. Sans toi, je ne me serais jamais retrouvé dans une telle situation. Garde-moi ici si cela te chante, mon opinion ne changera pas. Je n’ai de toute façon nulle confiance en toi. J’ai conscience que ma vie s’achèvera dès que tu partiras et je maintiens qu’il est affreux de m’éliminer ainsi.

Wil sentit la rage lui tordre le ventre. Il inspira et refusa de la montrer.

— Je reviendrai en fin de journée avec de la nourriture, annonça-t-il d’un ton plus sec qu’il ne l’aurait souhaité.

Se tournant vers la majestueuse créature, il ajouta :

— Surveille-le, ma belle.

Puis, sans écouter les protestations d’Argan, il quitta la grotte.

Les minutes s’égrenèrent dans un silence de mort. Recroquevillé contre la roche, le traqueur en formation patientait avec crainte ; l’attente lui semblait sans fin. Chaque ombre lui paraissait être un déplacement de l’abomination prête à l’avaler. Immobile, il guettait le moindre bruit et priait pour que son supplice se termine au plus vite. Il ne savait pas ce qui était le pire : le projet des résidents ou le trépas cruel que le fils du tavernier lui avait prévu ?

Un sanglot lui échappa. Il était dans un sacré pétrin ! Ah, il était beau le futur héros !

Argan eut envie de hurler sa rage envers Wil, qui l’avait réduit à un tel état de honte. Il s’en empêcha néanmoins, anxieux à l’idée de fâcher son horrible geôlière. D’après plusieurs élèves plus âgés de la Guilde, il n’était pas rare qu’un dragon s’amuse avec sa proie si son humeur avait été mise à mal. Souffrir n’était pas son but.

Du coin de l’œil, il avisa un mouvement et sursauta. Était-ce un morceau de queue qu’il venait d’entrapercevoir ? Argan frissonna, mais s’interdit de se replier encore plus sur lui-même. Si sa fin était survenue, il ne bougerait pas et l’affronterait avec dignité.

Dès qu’il perçut l’être à écailles oser une approche vers lui, il envoya cependant valser ladite dignité et hurla. La peur qu’il lui inspirait était trop forte, profondément ancrée en lui. Il était incapable de la balayer en pressentant sa perte imminente.

— Va-t’en ! À l’aide ! s’époumona-t-il. Éloigne-toi de moi ! Au secours ! Va-t’en !

Des paroles qu’il devinait vaines sans réussir à s’empêcher de les prononcer. Sa formation était un fiasco…

L’abominable reptile se figea dans sa progression. L’écoutait-il ? Non, une telle chose était inconcevable… Pourtant, l’apprenti l’observa rebrousser chemin. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise.

Argan patienta, certain qu’il allait revenir. Mais non, plus aucun bruit ne vint perturber ses morbides réflexions. Son kidnappeur lui avait-il dit la vérité ? La bête était-elle inoffensive ? Il se morigéna, abasourdi d’entretenir des pensées pareilles. Un monstre était un monstre, peu importait les belles paroles de certains !

Tandis qu’il essayait de s’en persuader, le temps poursuivit son œuvre et lui apporta toujours plus de doutes.

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