Fugue

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Très vite, tout s’enchaîna : remis de leur stupeur ébahie, les invités hurlèrent de terreur et s'enfuirent en tous sens, oubliant complètement leur Prince. Le chef de la garde en poste cria des ordres aux soldats. Il fallait à tout prix protéger les danseuses mais aussi le Prince. Certains se précipitèrent sur les frêles créatures terrorisées et les encerclèrent pour les protéger et les mettre à l'abri tandis que la majorité des troupes se rassemblèrent, près à châtier la tueuse. Mais seul leur maître gisait dans une mare de sang, les coussins imbibés du liquide rouge. Elle avait profité de la confusion pour s'évaporer.

Au loin, le son de cornes de brume résonna dans la nuit noire. L'alerte avait été donnée, et la chasse commença. On ordonna de fermer toutes les issues qui menaient au palais. On ramena les invités dans des chambres qu'on scella. Quiconque se promenait à l'intérieur du château devrait être abattu sur-le-champ.

Des pas affolés résonnaient dans le couloir, seulement éclairé par la pleine lune qui perçait par les larges ouvertures entre les colonnes. Une ombre courait à perdre haleine, jetant des coups d’œils anxieux derrière elle. Elle devait à tout prix quitter le palais.

Elle se frictionna la peau pour enlever le sang séché qui tachait sa joue, arracha le voile qui lui couvrait à moitié le visage et jeta le diadème au sol. Elle alla jusqu'à déchirer sa jupe de velours qui lui entravait ses mouvements et se retrouva quasiment nue.

Alors qu'elle tourna à un embranchement, elle aperçut de la lumière à l'autre bout et s'arrêta net. Avant qu'elle ne puisse faire quelque chose, une voix masculine rugit :

— La voilà ! Attrapez-là !

Aussitôt, elle fit demi-tour et s'engagea alors une course-poursuite infernale. Ses pieds commençaient à devenir douloureux mais n'empêchaient en rien de rendre ses foulées furtives.

Elle avisa au loin les doubles portes qui menaient à une cour intérieure et son visage s'éclaira : si elle arrivait à l'atteindre, elle n'aurait plus qu'à passer par cette issue et elle rejoindrait le hall principal puis la sortie. Elle redoubla d'efforts, puisant dans ses capacités que lui conférait son statut pour accélérer. Elle chuchota un mot dans la même langue qu'elle avait usé avec le Prince et les portes volèrent en éclats. Elle franchit les débris sans s'arrêter. Mais son sourire s'effaça aussitôt. Une poignée de gardes armées jusqu'aux dentss tenait devant elle.

— On te tient, sale raclure.

La danseuse leur fit face, haletante. Elle regarda autour d'elle à la recherche d'une issue plus profitable. Mais elle n'en vit aucune. Elle allait devoir se frayer un chemin dans la chair de ses ennemis qui avançaient dangereusement.

Elle leva une main.

— Elektra !

Des éclairs frappèrent de plein fouet les gardes. Mais ils s'écrasèrent sur eux dans un grésillement. Elle jura. Ils portaient des armures ensorcelées. Ils se ruèrent sur elle, l'épée levée. Elle évita un premier coup, baissa la tête pour échapper à un crochet et recula prudemment. Un des gardes la prit par surprise et voulut la faucher. Ne pouvant l'esquiver, elle dut riposter. Elle cria un mot et son assaillant ne bougea plus un instant avant de hurler de douleur. Un jet de flammes s'échappa des ouvertures de son casque et il périt, carbonisé ; au lieu de le sauver, son armure l'avait emprisonné.

Elle profita de l'ouverture pour contre-attaquer. Elle dessina dans l'air des arabesques de sa main gauche, si vite que ses gestes devinrent flous.

— Sacratela luceï !

Un sceau magique apparut aux pieds des gardes. Un instant plus tard, un faisceau de lumière jaillit des profondeurs de la terre. Lorsqu'il s'éteignit, une fine pellicule de poussière voleta dans les airs, seuls restes de ses ennemis.

La danseuse s'accorda quelques secondes pour souffler. Elle grimaça ; elle avait fourni trop d'efforts depuis le début de la soirée et son corps le lui faisait payer.

Elle se précipita tout de même en direction de la sortie. Les portes subirent le même sort que précédemment et elle se retrouva dans le hall. Il était plongé dans obscurité mais elle discernait sans mal les gigantesques battants du palais. Elle s'en approcha. Alors qu'elle se trouvait à mi-chemin, elle comprit dans quel piège elle était tombée. Elle voulut fuir mais son corps ne répondait plus. À la place, une douleur fulgurante lui cisailla les jambes et elle se retrouva à genoux. Elle étouffait et n'arrivait pas à rependre son souffle. Elle reconnut un sortilège d'évanouissement mais jamais elle n'avait connu une telle puissance. Elle suait à grosses gouttes, tentant de se délivrer du maléfice.

Détectant un bruissement, elle tourna la tête, juste à temps pour voir une ombre se faufilait derrière une colonne. Elle écarquilla les yeux, pris d'affolement.

— Tu ne pensais tout de même pas tuer ton Prince aussi facilement ?

Impossible. Tout bonnement impossible. La dague avait été trempée dans un poison façonné par ses sœurs et l'avait également ensorcelé.

Le Prince du royaume des Sables apparut devant elle, bel et bien vivant, aussi éclatant que si rien ne s'était passé : ses cheveux de nacre ondulaient sur son poitrail puissant, dévêtu de son gilet d'apparat. Elle regarda son flanc : rien. Il n'y avait aucune trace d'une quelconque blessure à l'arme blanche. Il baissa les yeux sur la chétive danseuse toujours à genoux. Son regard azur lui glaça le sang et son visage maquillé était aussi inexpressif qu'une pierre.

L'aura magique du Prince l'écrasa alors et lui comprima le cœur. Elle baissa la tête et cracha du sang aux pieds du souverain. Il empoigna son menton et la força à relever la tête.

— Ainsi, tu as réussi à te travestir et à te faire passer pour une danseuse. Je salue ton ingéniosité et ton courage.

Ses yeux glissèrent sur le torse de son prisonnier, lisse et fin. Le Prince s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Il approcha ses lèvres de l'oreille du danseur.

— J'ai hâte de jouer avec toi.

Le captif ferma les yeux et un frisson d'horreur lui parcourut l'échine. Le Prince fixa le malheureux, se délectant de la peur qui suintait de ses pores et se pencha. Il passa sa langue sur le menton du prisonnier et lécha le sang qui avait taché sa peau délicate.

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