Chapitre 71

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Druus, Premier Monde, Palais Impérial.

Satia s’éveilla, s’étira longuement entre les draps. La lumière transparaissait derrière les lourds rideaux de velours, bien trop intense pour l’aurore. Elle s’assit brusquement ; il ne pouvait être si tard ?

–Bien dormi ? s’enquit Lucas.

Il était déjà habillé ; l’uniforme blanc impeccablement ajusté, comme toujours. L’empereur avait pensé à tout, apparemment.

–Il semblerait, répondit la jeune femme.

C’était tellement étrange ; elle avait l’impression d’avoir rêvé la nuit précédente. Le Messager boucla son ceinturon, ajusta son épée et s’approcha d’elle.

–Alors lève-toi. Du travail t’attend si tu souhaites conclure ton accord avec l’empereur.

Ce n’était pas un rêve, décida-t-elle en plongeant dans les yeux bleu-acier. La sérénité qu’elle y lisait était nouvelle.

Satia accepta sa main avant de se souvenir qu’elle était nue et se retrouve tout près de lui. Ses joues étaient brûlantes.

–Je me doutais bien que tu réagirais ainsi. Tiens, dit-il en l’enveloppant dans une serviette.

–Merci, sourit-elle.

Il était étonnant qu’un simple vêtement suffise à lui faire retrouver une contenance.

Satia se hissa sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Une part d’elle-même aurait bien voulu se perdre encore une fois entre ses bras, mais la partie raisonnable l’emporta et elle fila se préparer dans la salle de bain. Elle ignorait ce que l’empereur avait prévu pour elle aujourd’hui et se devait de mettre toutes les chances de son côté.

Quand elle émergea bien plus tard, Lucas réalisait sa série d’exercices. Elle s’assit sur le lit et le contempla en silence. Il était Messager, appartenait de fait à la crème de l’élite. La grâce de ses mouvements était mortelle, pourtant elle savait aussi qu’ils cachaient une délicatesse certaine.

–Tu as fait vite, commenta-t-il quand il eut terminé.

–Comment me trouves-tu ? questionna-t-elle en réponse. Est-ce suffisant pour impressionner l’empereur et sa clique ?

Satia s’obligea à rester imperturbable tandis qu’il la détaillait avec attention. Elle ne pourrait se permettre de rougir, tout à l’heure.

–Tu es splendide, dit-il avec toute l’impassibilité qui le caractérisait. Tu les éblouiras.

*****

Les Seigneurs des Neuf Mondes de l’Empire patientaient dans l’antichambre de la grande salle d’audience de l’Empereur. Leur convocation était arrivée la veille au soir, et ils n’avaient pas eu le temps de se remettre des enchères que déjà une nouvelle affaire requérait leur attention.

Des domestiques zélés mais discrets s’affairaient, un plateau d’argent entre les mains, proposant boissons et petits fours aux Seigneurs. L’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, avait toujours aimé les faire attendre.

Chacun d’entre eux avait été autorisé à emmener deux personnes avec lui. Le reste de leur équipage resterait consigné dans leurs quartiers de la capitale. Dvorking ne plaisantait pas avec la sécurité.

Le Seigneur Evan, représentant du Huitième Monde, Arian, avait joué la sûreté. Son capitaine Ishty et son esclave Massilien Sital étaient avec lui. Ce dernier avait laissé son Compagnon en lieu sûr, au Domaine du Seigneur à S’Arian.

Il reconnut Esbeth aux côtés de son frère, le Seigneur Jahyr du Neuvième Monde, Nienna, et retint un sourire. Jahyr aimait apparaitre bien entouré, raison pour laquelle son épouse Yssa et sa sœur étaient du voyage. En même temps, s’il se souvenait bien, la politique était affaire de famille sur Nienna. Les deux Seigneurs entretenaient des relations cordiales, et avaient déjà parlé affaire plus tôt dans la matinée. Evan le salua mais ne s’attarda pas ; Jahyr était en grande conversation avec le Seigneur Sefei, représentant d’Aranel, le Sixième Monde, consacré principalement à l’agriculture, même si c’était aussi le lieu d’exploitation des cristaux Kloris, où l’on taillait les lames sombres des Maagoïs.

Evan fit un détour pour éviter les Seigneurs Gnor et Gelmir. Le premier avait été destiné à épouser Ireth ; le second était son beau-père, certainement furieux d’avoir découvert que son plan pour contrôler les Mecers avait été ruiné. Et il devait se douter que la visite de son beau-fils n’était pas pour rien dans l’histoire… Mais le Seigneur Gnor était en disgrâce ; le troisième monde, Meren, tirait sa richesse de la construction des vaisseaux spatiaux. Une technologie en régression constante ces dernières années. Enfin, Evan risquait fort de le rejoindre sous peu, quand l’empereur apprendrait qu’il avait échoué à tuer l’ensemble des phénix…

Le seigneur Rusir, du septième monde, Iwar, se tenait à l’écart, observant le manège des regroupements des autres seigneurs. Ses attenants étaient deux Maagoïs ; son territoire était leur lieu de formation. La rumeur disait qu’il avait également entrainé le commandeur Éric aux Ailes Rouges. Ce dernier était absent ; nul doute qu’il se tenait aux côtés de l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, et qu’ils l’apercevraient dans la salle d’audience.

Autre absent, et de taille cette fois, l’Arköm Samuel. Ce dernier tenait également le titre de Seigneur de Ciryatan, le quatrième Monde, dédié à la toute-puissante Orssanc. Le seigneur Evan n’avait jamais apprécié l’Arköm, même s’il avait pris garde à ne pas le montrer en public : Orssanc était bien trop avide de sacrifices humains à son goût, et il ne tenait pas à en faire partie.

Il ne lui restait plus qu’à saluer Noyang, seigneur du cinquième monde, Bereth, et il aurait accompli ses obligations. C’était le cinquième Monde qui fournissait l’essentiel des armées de l’Empire ; ses camps de formation étaient très réputés. La plupart des ainés de la noblesse y faisaient leurs classes. Lui-même y avait passé quelques mois. Noyang s’était fait accompagner de son secrétaire, pour prendre des notes, et de son second, Lorroc.

La porte s’ouvrit sur Alistair sy Voss, le chambellan de l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force. Le silence se fit instantanément.

–Mes Seigneurs, Mes Dames, l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, va vous recevoir. Veuillez me suivre, je vous prie.

Ils pénétrèrent dans la grande salle d’audience. Emmaillée de larges colonnes, elle avait été garnie de plusieurs tables sur lesquelles reposaient des rafraichissements et de quoi se sustenter. Tous les goûts étaient représentés ; de petits braseros tenaient les plats chauds ; plusieurs plateaux de bouchées sucrées et salées étaient élégamment agencés. Les serviteurs, tous esclaves, étaient vêtus de la livrée impériale, une étoile rouge dont les neuf branches se terminaient par un rond, sur un fond noir, et se tenaient prêts à répondre aux moindres désirs des invités.

Un immense tapis rouge se déroulait au centre de la grande pièce rectangulaire, menant jusqu’aux quatre marches au-dessus desquelles trônait le siège de l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force. À sa droite, debout dans l’ombre, le Commandeur Éric aux Ailes Rouges veillait, silencieux.

Les Seigneurs se détachèrent de leurs aides et vinrent rendre hommage au maitre des lieux, s’inclinant sur un genou, les cheveux frôlant le sol. Derrière eux, leurs accompagnants se prosternaient.

L’empereur se leva, et leur fit signe qu’ils pouvaient faire de même. Comme tous les autres, le Seigneur Evan rongeait son frein, impatient de connaitre la raison de leur convocation.

–Mes chers Seigneurs, entama le maitre de l’Empire. J’ai besoin de connaitre votre avis sur une importante question, qui concerne le futur de l’Empire lui-même. J’ai récemment reçue la visite de la Souveraine de la Fédération des Douze Royaumes. Elle m’a fait une offre qui pourrait se révéler intéressante. Un traité de paix, entre nos deux civilisations, qui permettrait un commerce mutuellement satisfaisant. Nos deux peuples sont en guerre depuis des siècles ; cette offre est potentiellement à considérer. Je vous écoute.

Comme les autres, Evan resta muet dans un premier temps, les pensées se bousculant dans son esprit. Si la Souveraine était effectivement présente dans l’Empire, elle devenait aussi un otage de choix : s’il y avait pensé, nul doute que Dvorking, Orssanc lui prête sa force, l’avait fait également. Mais l’option de la paix était tentante ; au moins, il n’aurait plus qu’à concocter des potions et autres philtres inoffensifs ; ou presque. Et surtout, cela pourrait signifier que la réapparition des phénix n’était plus si grave que ça…

–Mes hommes ne sont pas faits pour la paix, Sire, intervint le seigneur Noyang de Bereth, qui commandait les armées régulières. Selon moi, il faut la contraindre à nous livrer la Fédération.

–Je croyais que notre assaut final était imminent ? fit le seigneur Meren, à la tête de la flotte. Le chef espion Fayaïs m’avait dit attendre votre feu vert.

Quelle délicate façon de questionner l’empereur sur son absence ces derniers jours, approuva Evan en silence.

Et il n’était pas le seul à guetter la réaction de Dvorking, Orssanc lui prête sa force, réalisa-t-il comme ses confrères étaient également dans l’attente d’une réponse de l’empereur.

Lequel pinça les lèvres, contrarié.

–J’ai discuté avec Fayaïs, hier. La Barrière qui protège la Fédération des Douze Royaumes avait disparu depuis plusieurs jours, laissant supposer qu’elle était détruite pour de bon. Malheureusement, il est apparu qu’elle était de nouveau en place.

Le Seigneur Evan sentit tous les regards se tourner vers lui, et lutta pour maintenant une apparence sereine. Il avait préparé sa défense depuis le jour où il avait vu un phénix de ses yeux sur Arian ; il était prêt.

–Votre avis sur la question, seigneur Evan ? continua l’empereur en posant sur lui son regard de braise.

Ce dernier avança d’un pas et s’inclina.

–Le poison que j’ai mis au point a parfaitement rempli son rôle, sire. Il a tué les phénix présents dans l’entièreté de la Fédération des Douze Royaumes. Notez bien que c’était la première fois qu’une réussite à cette échelle était effective, vu que jusqu’ici, les phénix étaient toujours mis à mort individuellement. Les risques étaient minimes, mais bien réels, que sur une attaque d’une telle envergure, ils tentent de riposter. Nul poison ne peut être totalement efficace ; tous possèdent une faille. Ils ont mis le temps, et cela leur a coûté la vie, mais ils l’ont apparemment trouvée. Un seul œuf qui échappe au poison, c’est plausible, et c’est suffisant pour restaurer la Barrière.

La gorge sèche, le seigneur Evan se tut. Son explication était totalement rationnelle, mais il était connu que l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, l’était rarement quand il était contrarié.

–Une explication convaincante, estima le seigneur Rusir d’Iwar. Vous avez certainement fait preuve de clairvoyance, sire, en prenant le temps de la réflexion avant d’attaquer. Ou nos troupes seraient restées coincées sur le territoire de la Fédération – et potentiellement nous avec – sans aucun espoir de retour.

Evan le remercia silencieusement ; non seulement il approuvait sa théorie, mais en plus il justifiait l’absence de l’empereur à un moment critique. Et les Seigneurs savaient que Dvorking, Orssanc lui prête sa force, n’avait pas passé ces derniers jours à réfléchir à une stratégie contre la Fédération des Douze Royaumes, loin de là.

–Alors prenons le contrôle des Portes et terminons-en une bonne fois pour toutes ! lança le seigneur Gelmir. Où est l’Arköm Samuel quand on a besoin de lui ?

Tous remarquèrent que le visage de l’empereur s’était fermé.

–L’Arköm n’est pas disponible pour le moment, dit-il enfin.

–Un traité de paix avec la Fédération ouvrirait des perspectives commerciales intéressantes, intervint le Seigneur Sefei d’Aranel en revenant au sujet. En tout cas, pour mon domaine.

–Ne serait-il pas intéressant de la rencontrer pour en discuter avec elle ? fit doucement le seigneur Jahyr. Car j’imagine que tel est votre objectif final ?

–Effectivement, confirma l’empereur avec un sourire. Envoyez-les chercher, ordonna-t-il.

Ah, Evan reconnaissait là tout le talent du seigneur de Nienna. Nul doute qu’il avait déjà recueilli de nombreuses informations sur la Souveraine de la Fédération. Peut-être que sa sœur Esbeth avait pu en avoir par le biais du Commandeur Éric ? Evan se demandait encore comment elle avait pu l’épouser ; ce mariage avait surpris l’ensemble des Familles, et il s’était étonné que le seigneur Jahyr donne son accord. Tous avaient dû y trouver leur compte…

Evan se rendit compte qu’il était curieux de voir qu’elle était la trempe de la Souveraine de la Fédération. Elle avait du courage, pour venir trouver l’empereur seule. À moins que… son ancien esclave, Lucas, n’avait-il pas dit qu’il était à la recherche de sa Souveraine ? Avait-elle été enlevée ? Dvorking, Orssanc lui prête sa force, se servait-elle d’elle comme d’un pion dans sa partie contre les Familles ?

–Son altesse Satia Travira, Souveraine des Douze Royaumes ! annonça le chambellan d’une voix forte, en l’introduisant par l’une des petites portes latérales qui donnaient sur la grande salle.

Elle avait du cran, nota Evan en la détaillant. Sa petite taille n’était pas un avantage dans une foule, mais elle avait une prestance et une dignité qui ravalerait plus d’un Seigneur au stade de simple laquais. Sa peau était d’une étonnante teinte mauve, ses yeux et ses cheveux d’un violet électrique intense. Ses formes étaient serrées dans une robe à la dernière mode, et ce coloris jaune lui allait à merveille. Ireth en aurait immédiatement été jalouse.

Derrière elle, comme une ombre, il reconnut le Massilien Lucas. Les yeux bleu-acier étaient sombres, et sa main jamais loin de son épée. Lui avait compris le danger dans lequel ils se trouvaient désormais. Evan ne put s’empêcher de jeter un regard au commandeur Éric pour comparer les deux ailés. Le Commandeur était châtain aux yeux gris, le Massilien avait les cheveux noirs. Il était tout de blanc vêtu ; comme ses ailes, immaculées. Leur seul point commun venait de leur posture ; faussement détendus, les deux hommes respiraient le danger.

Le Commandeur avait serré les mâchoires en apercevant son cadet, mais seul un observateur averti l’aurait remarqué.

–Le bonsoir, Seigneurs, lança la jeune Souveraine avec un léger mouvement de tête après avoir salué l’empereur comme une égale.

Sa voix était ferme et puissante ; elle avait l’habitude du commandement.

–Je vous laisse discuter en leur compagnie, dit Dvorking en regagnant son trône.

De là, il pourrait à loisir suivre les discussions, nota Evan. Il était presque certain que les colonnes renfermaient des dispositifs permettant à l’empereur d’entendre toutes les conversations de la salle.

Le seigneur Evan profita de cette nouvelle distraction pour aller manger un peu. Si sa main passait au-dessus des plats, hésitante en apparence sur le choix, c’était surtout pour faire jouer sa bague, dont la gemme rappelant la calcédoine virait au noir si elle détectait une substance nocive. Evan était à peu près certain que l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, les souhaitait en vie pour le moment, cependant sa récente expérience de la mise à mort des Iko lui faisait préférer les certitudes aux hypothèses.

–Qu’en penses-tu, Ishty ? demanda-t-il à son capitaine qui ne l’avait pas lâché d’une semelle, Sital à ses côtés.

–Ils ont du courage, c’est certain. Si son garde du corps ne tue pas quelqu’un à la fin de la soirée, elle aura marqué des points.

–Lucas est trop professionnel pour se permettre ce genre d’erreur, intervint Sital. Et le Commandeur le couve du regard. Il sait qu’au moindre écart la question se règlera dans le sang.

–Il est perspicace, hein ? gloussa Ishty. Quel sera votre positionnement, Seigneur ?

–Je dois y réfléchir, répondit pensivement Evan. La fin de la guerre serait loin d’être déplaisante. Reste à voir à quelques conditions. Je doute que la Fédération accepte ensuite de commercer avec un Empire esclavagiste. Et c’est trop profondément ancré dans notre société pour qu’un changement soit envisageable pour le moment. Je suis curieux de m’entretenir avec elle.

*****

Satia affichait un sourire et un calme de façade, mais elle était loin de le ressentir. Son cœur battait la chamade. Cette fois, ils y étaient. Au cœur de l’Empire, au sein même de leurs ennemis. Savoir Lucas dans son dos était un réconfort bienvenu.

Les Seigneurs des Neuf Mondes la dévisageaient. Que voyaient-ils vraiment ? La Souveraine des Douze Royaumes de la Fédération, l’égale de leur Empereur en termes d’étiquette ? Ou une petite fille bien trop jeune pour assumer la direction des évènements ?

Elle avait beau se tenir droite, elle n’avait que trop conscience de sa petite taille. L’empereur Dvorking devait être ravi de son effet, là-haut, sur son trône, à regarder ses subordonnés s’amuser avec elle.

Sois confiante, Satia. Iskor est prêt à intervenir si jamais les choses se passaient mal.

La pensée était rassurante, mais la jeune Souveraine ne souhaitait pas être vue comme une otage. Elle devait rentrer avec un traité de paix ; c’était la moindre des choses qu’elle pouvait offrir à la Fédération – et aux phénix par extension.

Les premières conversations furent une formalité ; ils la complimentèrent sur son apparence, et elle échangea des banalités diplomatiques.

Chez plusieurs Seigneurs elle discerna un intérêt certain ; chez d’autres, elle ne vit que mépris. La présence des esclaves qui circulaient dans la foule, présentant des rafraichissements, la fit grimacer. Ce point-là serait très délicat à obtenir, et les changements que la fin de l’esclavage apporterait à l’Empire ne seraient pas forcément positifs. Peut-être pourrait-elle faire admettre à l’Empereur que cela redynamiserait son économie ? Certes il fallait verser un salaire aux employés de maison qu’ils deviendraient, mais ils pourraient également payer l’impôt, et devenir des consommateurs de biens modestes, ce qui relancerait une demande.

Pour ce qu’elle en savait, les Seigneurs logeaient et nourrissaient leurs esclaves ; elle n’avait aucun doute que le salaire qu’ils verseraient à leurs esclaves couvriraient tout juste ces frais. Finalement, rien ne changerait vraiment, mis à part leur statut d’êtres libres. Ce n’était pas grand-chose pour certains, mais c’était important pour elle. La liberté de quitter son maitre, de créer une offre et une demande qui permettrait des salaires plus élevés. Les perspectives étaient nombreuses.

–Quelle joie de découvrir une présence féminine. Je suis Esbeth, la sœur du Seigneur Jahyr de Nienna.

–Le plaisir est partagé, répondit poliment Satia avec un signe de tête.

– Je suis curieuse de savoir comment vous vous êtes retrouvée ici, commenta-t-elle.

–Une histoire bien trop longue, biaisa Satia en souriant.

–Vous n’êtes pas protégée par votre précieuse Barrière, ici.

–Non, en effet. Je préfère compter sur ma propre force.

Esbeth haussa un sourcil, étonnée.

–Votre… garde du corps n’est-il pas là pour vous protéger ?

–Ne me faites pas croire que vous dépendez d’un homme ? rétorqua Satia. Un garde du corps ne peut être infaillible.

–Certes, convint l’épouse du Commandeur des Maagoïs. Vous pensez réellement réussir à conclure un traité entre nos deux civilisations ?

–Oui, confirma Satia.

–N’est-ce pas ambitieux pour quelqu’un qui vient juste d’accéder au pouvoir ?

–Nous sommes en guerre depuis bien trop longtemps. Pour des raisons futiles qui n’ont plus cours aujourd’hui.

–Les phénix ?

–Ont été, sont et seront toujours protégés par la Fédération des Douze Royaumes. Ce point ne sera jamais négociable.

–Mais…

–L’Empire n’a pas besoin des phénix pour se développer. Je suis certaine que vous avez de nombreux atouts et que la paix sera profitable à tous.

Esbeth resta silencieuse. Cette jeune femme était décidément surprenante. Elle ne savait pas ce que l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, avait en tête en l’invitant ici, mais une chose était sûre, elle n’était pas une petite poupée craintive aisément manipulable comme le pensait le Seigneur Gnor. Maintenant, devait-elle convaincre les Seigneurs, ou l’empereur lui-même ? Cette réunion n’avait-elle pour but que de la présenter aux Seigneurs, ou d’exhiber un trophée ? L’ailé à ses côtés n’avait pas décroché un mot. Il semblait se désintéresser des débats et concentrer sa vigilance sur les menaces éventuelles. Il ressemblait beaucoup au Commandeur Éric sur ce point, décida-t-elle. Elle glissa un coup d’œil vers son époux. Il montait la garde auprès de l’empereur, comme à son habitude. Elle aurait préféré l’avoir à ses côtés.

–Oh, laissez-moi vous présenter le Seigneur Evan, enchaina-t-elle en l’attrapant par la manche de sa veste.

–Chère Esbeth, dit celui-ci en se retournant vers elle. Vous prenez des risques à jouer ainsi avec le feu, ne l’auriez-vous pas oublié ?

La jeune femme le lâcha précipitamment. Evan détailla Satia.

–Ainsi, c’est vous, la Souveraine de la Fédération des Douze Royaumes ? On m’a beaucoup parlé de vous, salua-t-il.

–Je me demande bien pourquoi, murmura-t-elle en lui rendant son salut.

Il lui était difficile de détacher son regard du collier d’esclave qui enserrait le cou du Massilien qui l’accompagnait.

–Vous avez du mal avec l’esclavage, je me trompe ?

–Je trouve la coutume barbare, pour tout vous dire. Un être humain ne se possède pas.

–Mais tout le monde n’est-il pas l’esclave de quelqu’un, au final ? Même invisibles, les chaines sont là…

Satia pinça les lèvres. Il n’avait pas tort. La liberté n’était parfois qu’illusoire ; elle-même était devenue l’esclave de la Fédération en même temps que sa Souveraine, quelque part. Toutefois elle avait eu le choix, et elle l’avait toujours. Ce n’était pas concevable pour elle, mais elle pouvait tout abandonner si elle le désirait vraiment.

–Vos esclaves n’ont pas fait le choix de l’être, dit-elle enfin. Et n’ont aucun espoir de liberté, quoi qu’ils fassent. Là est la différence. Pour moi, elle est primordiale.

Le seigneur Evan s’apprêtait à répondre ; les grandes portes d’apparat s’ouvrirent avec fracas. Les convives s’interrompirent, surpris. Sur le seuil se tenait l’Arköm Samuel, entouré de son assistante Rivalia et de l’ancienne Iku, Idril so Baradiel dont les yeux bleu rayonnaient de satisfaction.

L’empereur se leva ; Éric avait bondi à ses côtés, prêt à dégainer.

–Que signifie cette intrusion, Arköm ? tonna Dvorking, courroucé.

Un mince sourire étira les lèvres fines du représentant d’Orssanc. Quinze Strators apparurent derrière lui.

–Tuez-les tous, ordonna-t-il.

Les Strators s’élancèrent, mortels.

Le commandeur Éric bondit et s’envola d’un coup d’ailes pour intercepter le Strator qui filait droit sur l’empereur ; Sital avait saisi l’épée qu’Ishty avait apporté à son intention, et se positionna devant son Seigneur.

–Aucun Mecer n’a jamais battu un Strator, indiqua-t-il à Evan. Je ferai de mon mieux mais je doute que cela suffise.

–Ne sois pas si défaitiste, rétorqua Lucas en se plaçant à ses côtés. Les vaincre est possible.

Sital lui porta un regard nouveau, empli de respect.

–La Seycam de Massilia leur a payé un lourd tribut, ceci dit, poursuivit le Messager. Leur capacité à lire dans les pensées pour anticiper les attaques leur confère un formidable avantage.

–Un conseil ?

–Sois imprévisible autant que possible.

L’esclave nota qu’il s’était décalé par rapport à la Souveraine.

–Elle n’a pas besoin de moi pour se défendre, confirma l’intéressé. Comme je doute que ton Seigneur ait besoin d’une arme pour tuer.

–Tu es perspicace, dit Evan. Mais ces Strators restent redoutables. Ils n’ont fait qu’une bouchée des Maagoïs du Seigneur Rusir d’Iwar.

–Vos ordres, altesse ? s’enquit Lucas sans quitter le combat des yeux.

Un Seigneur était déjà à terre – celui de Meren, peut-être, s’il en croyait la couleur jaune qui symbolisait le troisième Monde – et les domestiques étaient morts ou en fuite.

La Souveraine n’aimait pas la violence ; mais face aux Strators, c’était vivre ou mourir.

–Tu as ma permission, dit-elle enfin.

Le Messager s’élança sans plus attendre vers le haut plafond, d’où deux Strators lançaient des attaques éclairs. D’un œil, il prit note de la position du duel entre Éric et un Strator ; puis il fut au contact et rien d’autre ne compta que les parades et les attaques.

Ce combat n’avait rien à voir avec sa précédente altercation avec eux, se rendit-il compte instantanément. D’abord, il n’était plus blessé, mais au sommet de sa forme ; ensuite, il avait désormais l’expérience de leur comportement au combat ; enfin, il avait des alliés sur qui compter.

Néanmoins, le Strator restait un excellent combattant, et caché derrière les minces fentes de son masque rouge, il anticipait toutes les actions du Messager. Lucas était bien décidé à ne pas le laisser mener le combat ; à lui de prendre l’initiative. Il repoussa l’épée de son assaillant et contre-attaqua. Le Strator cédait du terrain ; c’était le but premier de la manœuvre, mais allait-il réussir à le mener où il voulait sans dévoiler ses intentions, ou son adversaire chercherait-il à le manipuler à son tour ?

Laisse vagabonder tes idées, conseilla Iskor. Il ne pourra faire le tri parmi toutes les possibilités présentes dans ton esprit.

Bien vu, approuva Lucas.

Même si en pratique, comme toujours, il s’avérait plus compliqué de réfléchir à de multiples possibilités tout en en concrétisant une seule… Lucas poussa son attaque ; le Strator continua de reculer et percuta l’une des grandes colonnes de la salle. Le Messager l’accompagna comme il glissait au sol, légèrement étourdi mais pas sonné. Il profita de ce léger avantage et passa la garde de son adversaire pour trouver le cœur. Un de moins.

Lucas fit un pas de côté pour éviter la chute d’un deuxième Strator. Le commandeur Éric venait apparemment de se débarrasser de son adversaire. Il atterrit souplement à côté du cadavre et lui trancha la gorge.

–Autant ne prendre aucun risque, commenta-t-il.

Un instant, les deux hommes restèrent plantés là, apparemment inconscients de la lutte acharnée à quelques pas d’eux, à se dévisager, quelque part plus proches en ce moment qu’ils ne l’avaient jamais été.

–Attention !

Les deux hommes réagirent au quart de tour. Le Strator qui comptait les surprendre en fut pour ses frais ; Lucas le toucha à la cuisse et le commandeur transperça son bras. Si les réflexes du Strator lui évitèrent d’être atteint à un point vital, il n’avait pu totalement esquiver les deux attaques simultanées. Blessé et contre deux adversaires aussi doués, ce n’était pourtant qu’un contretemps. Il résista pourtant un temps, lutta de son mieux. Ses blessures ralentissaient ses gestes ; malgré tout, il fallut plusieurs passes aux deux hommes pour le terrasser.

Le Commandeur Éric parcourut la salle du regard. Les Seigneurs s’étaient regroupés par petits groupes ; Esbeth était avec le Seigneur Evan et son esclave Massilien : une bonne chose. Il pourrait s’occuper de protéger l’empereur en toute sérénité.

Empereur que venait de prendre en chasse un Strator. Éric jura et se lança à sa poursuite en bondissant dans les airs. Jamais il n’avait autant apprécié la hauteur incommensurable des plafonds.

Le Messager se replia en direction de Satia. Il n’était pas contre donner un coup de main aux Seigneurs pour se débarrasser des Strators, mais sa protection restait sa priorité.

Leur petit groupe s’était renforcé, comportant, outre le Seigneur Evan et sa garde rapprochée, Esbeth ainsi que le Seigneur Jahyr et son épouse. Le cadavre d’un Strator gisait à leurs pieds ; ils étaient aux prises avec un autre, et plusieurs estafilades étaient apparentes sur les corps d’Ishty et de Sital.

Jusqu’au bout, le Messager espéra surprendre le Strator. Peine perdue, le Strator fit volte-face pour parer l’attaque qu’il avait devinée. Lucas détestait ça. Il bondit en arrière pour éviter la contre-attaque ; il se rendit compte qu’il avait été un peu trop juste dans ses estimations quand son avant-bras se para d’une zébrure écarlate.

Ne les sous-estime pas, avertit Iskor.

Lucas se défendit de son mieux contre les assauts de son adversaire. Celui-ci était imaginatif et plutôt doué, constata-t-il comme une deuxième entaille rejoignait la première. Il devait reprendre la main au risque de terminer scarifié. Sauf qu’il n’y arrivait pas, remarqua-t-il avec effroi. Et il s’était découvert. Une erreur qu’il allait payer cher, réalisa-t-il en voyant le Strator armer son coup.

Ça craint, songea le jeune homme en ramenant son épée en parade en catastrophe.

Je confirme, ça craint, intervint Iskor. J’arrive.

Aucun des deux n’eut le temps de terminer son mouvement. Une boule de feu vint pulvériser le Strator, roussissant les plumes du Messager au passage.

Interloqué, Lucas dévisagea Satia. Elle avait indubitablement gagné en assurance.

–De rien, fit la jeune Souveraine avec un sourire.

Nous l’avons échappé belle, maugréa Iskor.

Oui.

T’as quand même conscience que t’as été sauvé par celle que tu es censée protéger ?

Pas la peine de remuer le couteau dans la plaie…

Le Messager se rapprocha du groupe, sur ses gardes, mais aucun Strator ne se dirigeait vers eux pour le moment.

–Je suggère que nous tentions de nous rapprocher de l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, suggéra Esbeth.

–Crois-tu vraiment que le Commandeur Éric hésitera un instant entre toi et l’empereur ? dit le Seigneur Jahyr.

Evan vit la jeune femme rougir. Le mariage n’était peut-être pas si arrangé que ça, finalement, songea-t-il.

–Qu’avez-vous en réserve, Seigneur ? demanda Ishty.

Son uniforme avait subi le feu des combats, et plusieurs estafilades déparaient ses bras et sa joue. Il n’était guère en meilleur état que Sital.

Ils bénéficiaient d’un court répit, mais d’autres Strators arrivaient. L’Arköm avait bien prévu son coup. Evan pinça les lèvres tout en examinant ses bracelets.

–Peu de choses, avoua-t-il enfin. Je n’ai pas l’habitude de combattre en groupe. Je peux lâcher des toxiques de zone, mais ils vous affecteraient aussi. Quant aux poisons, ils nécessitent un contact ou une absorption ; vu la configuration actuelle, cela va être compliqué.

–Un écran de fumée pourrait nous dissimuler quelque peu lors de notre mouvement pour rejoindre l’empereur, décida Satia. Et nous avons deux paires d’ailes pour souffler tout ça dans la bonne direction au besoin.

–Ça pourrait marcher, réfléchit Evan.

–Quoi que vous fassiez, faites-le vite, dit Sital en raffermissant sa prise sur son épée. Ils arrivent !

Le Seigneur du Huitième Monde jura avant d’enlever rapidement l’un de ses bracelets, composé de perles roses et noires. Il les écrasa entre ses doigts et le projeta au sol.

–En avant !

Un épais nuage rose s’éleva du sol, répandant une douce odeur de jasmin.

–Tu me surprendras toujours, Evan, lâcha Jahyr en s’élançant. Du jasmin ?

–Si tu avais dû utiliser plusieurs fois des fumées toxiques qui te font cracher tes poumons, tu comprendrais, maugréa Evan à sa suite.

Ils rejoignirent l’empereur, et les combattants se jetèrent au-devant des Strators qui les poursuivaient.

–Eh bien, voilà une réunion fort intéressante, gloussa Dvorking. Vous devez être ravi de participer à ma protection, Seigneur Evan.

–Je ne vous le fais pas dire, marmonna l’intéressé. Je savoure toute l’ironie de la situation.

–Oh, fit alors le seigneur Jahyr. Je comprends mieux.

–Pourriez-vous m’éclairer davantage ? demanda la Souveraine des Douze Royaumes, perplexe.

–Le Seigneur Evan et quelques-uns de ses concitoyens aspirent à un avenir meilleur, énonça Dvorking. Sans moi, bien évidemment.

Esbeth pâlit. Elle savait qu’un membre de la Famille du Huitième Monde faisait partie de la Coalition, mais jamais elle n’aurait parié sur le Seigneur Evan. Et surtout pas après qu’il ait prouvé sa loyauté en créant le poison qui devait éradiquer les phénix, et par là même détruire la Barrière qui protégeait la Fédération des Douze Planètes.

–Je comprends, répondit calmement Satia.

–Je me demande toujours comment vous avez échappé à la dernière Purge, fit pensivement l’empereur.

–Survivons déjà à cette journée, qui semble bien pire qu’une Purge à mon goût, rétorqua Evan.

–Le seigneur Gelmir est isolé, remarqua Jahyr. Ne serait-il pas intéressant d’aller sauver votre beau-père, Evan ?

–Intéressant ? Je ne crois pas que le terme soit adéquat. C’est une obligation si je ne veux pas qu’Ireth me fasse la peau.

Esbeth saisit sa dague.

–Je vous accompagne.

–Sital, protège le groupe. Ishty, avec moi.

–À vos ordres, seigneur, répondirent les deux hommes à l’unisson.

Les Strators n’étaient plus que cinq ; deux affrontaient les Massiliens, les trois autres harcelaient les derniers survivants. Entre eux, le Seigneur Gelmir, à terre, cherchait à rejoindre une sécurité toute relative. Ishty et Esbeth aidèrent le vieux Seigneur à se mettre debout, et rejoignirent l’empereur en toute hâte, couverts par Evan. Le seigneur fracassa un autre bracelet sur le sol, produisant un nuage vert sur ses poursuivants. La fumée âcre, mais surtout empoisonnée, terrassa deux Strators qui avaient pensé trouver une proie facile.

–J’ai alourdi la fumée pour qu’elle retombe vite, j’espère que cela fera effet avant qu’elle nous arrive dessus, marmonna Evan en rejoignant le groupe.

–Elle brûle ? commenta la Souveraine, une flamme surgissant dans la paume de sa main.

–Elle explose.

–Cela la dispersera tout autant, j’imagine.

Sans tarder davantage, elle projeta une petite boule de feu en direction du nuage toxique ; sitôt au contact, les particules du nuage crépitèrent et explosèrent. Une pluie de cendres fut tout ce qu’il en resta.

Le dernier Strator bondit sur eux ; Sital l’intercepta à quelques mètres du groupe.

*****

Lucas avait rejoint le Commandeur, qui contenait seul deux Strators. Dès lors que le Messager en détourna un, le combat devint plus équilibré.

–Nous étions censés combattre l’un contre l’autre, pas ensemble, rappela Éric, dos à son cadet.

–Ne m’en parle pas, maugréa Lucas, concentré.

Les deux hommes virevoltaient, cherchaient des failles inexistantes, persévéraient à provoquer des opportunités, mais les Strators détournaient chaque attaque sans grande difficulté.

Lucas tenta de déborder son adversaire, accéléra la cadence de ses frappes. Il sentit qu’il effleurait le bras de son adversaire ; ce dernier contre-attaqua d’une touche fulgurante. Le Messager recula d’un pas en grimaçant, blessé près de l’épaule.

–Comment tu t’en sors ? demanda Lucas, le souffle court.

–Mal, rétorqua Éric.

Le Commandeur avait écopé d’une blessure au flanc. Apparemment bénigne, la plaie restait douloureuse, et sérieusement handicapante contre un tel adversaire. Pour le moment il résistait à son ennemi, mais combien de temps avant qu’il ne faiblisse et fasse une erreur aux conséquences fatales ? Le combat ne devait pas s’éterniser.

Éric prépare quelque chose, commenta Iskor.

Comment tu arrives à lire son expression alors qu’il est dans mon dos ?

Si tu ne concentrais pas la totalité de ton attention sur le Strator, tu t’en serais rendu compte également.

Et je serai mort, rétorqua Lucas.

Certes, convint Iskor.

Donc ?

Ses appuis ont changé. Je me demande… Oh. Oui, ça pourrait être intéressant.

Oui, si tu m’en disais plus, par exemple.

Impossible, je ne voudrais pas que les Strators découvrent cette stratégie.

Tu ne peux pas protéger mes pensées ? demanda Lucas, songeur. Pourquoi ne peuvent-ils capter nos conversations ?

Je ne sais pas, s’agaça le phénix. Tiens-toi prêt.

Le Messager réprima, un juron, contrarié. Tenir contre un Strator n’était déjà pas facile, si en plus il devait surveiller ses arrières… Son adversaire manqua de passer sa garde et il se concentra sur sa défense en catastrophe. Le Strator poussait sur sa lame, et le Messager banda ses muscles pour résister à la pression. Cette fois, impossible de reculer davantage ; il était collé au dos de son frère. Iskor avait dit vrai ; maintenant au contact, il percevait les mouvements de son ainé. Il se préparait à quelque chose. Et il aurait bien aimé savoir quoi, parce qu’il était en train de plier sous la force du Strator et il n’avait plus aucune échappatoire.

L’appui de son épaule gauche s’effaça soudain ; il se retrouva irrésistiblement entrainé vers l’arrière dans un mouvement tournant, pour découvrir un nouvel adversaire devant lui. Le Messager ne réfléchit pas ; il se fendit aussitôt pour embrocher le Strator. Ce dernier tituba et posa une main sur sa blessure béante à l’estomac. Lucas ne lui laissa pas le temps de réagir et lui ouvrit la gorge pour l’achever. Le Strator s’effondra sur le sol dans un flot écarlate.

Lucas se retourna. Le commandeur des Maagoïs venait d’en terminer avec son adversaire. Celui-ci était parti vers l’avant comme Lucas se dérobait, et Éric n’avait eu qu’à le cueillir en plein cœur.

Les deux hommes s’observèrent quelques secondes en silence, meurtris et essoufflés, avant de croiser le fer.

–Cette fois, c’est la bonne, dit Lucas, déterminé.

–Et comment, répondit son vis-à-vis.

Ils avaient à peine échangé quelques passes lorsqu’une boule de feu fonça sur eux. Ils bondirent en arrière pour esquiver, avant de jeter un regard noir à celle qui avait osé les interrompre.

–Cessez vos querelles puériles, l’Arköm s’échappe ! s’irrita Satia.

Le commandeur Éric jura et s’élança sans attendre vers la grande porte où l’Arköm avait disparu.

Lucas reporta son attention sur Satia, préoccupé.

–Ça ira ? dit-il enfin.

Elle acquiesça.

–Ne t’en fais pas. Je suis capable de prendre soin de moi.

–J’ai vu le résultat, oui, ironisa-t-il. Sois prudente, termina-t-il plus sérieusement.

–Toi aussi.

Il hésitait encore à la quitter, réalisa-t-elle. Elle aurait aimé lui dire de rester, que le Commandeur pouvait terminer le travail, qu’elle avait peur de rester seule au milieu de leurs ennemis d’autrefois maintenant alliés en devenir… au lieu de quoi elle releva le menton, enfouit ses peurs et ses craintes au plus profond de son esprit, et afficha une sérénité à toute épreuve.

–Fonce, dit-elle comme une flamme apparaissait dans sa main. Ou je roussis tes plumes.

Le Messager se détourna en maugréant et détala rattraper son retard sur le Commandeur des Maagoïs.

–Votre sens du commandement est… intéressant, remarqua le Seigneur Jahyr.

Elle lui dédia son plus charmant sourire.

–Vous êtes loin d’avoir tout vu, Seigneur.

*****

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